Fiche de défi Dossier : Les Organisations Non-Violentes en France

Guillaume Gamblin, Paris, janvier 2007

L’arche de Lanza del Vasto : les défis actuels

Ce n’est pas l’élaboration théorique d’une critique sociale ni d’une philosophie qui intéresse d’abord les membres de l’Arche, mais l’expérimentation simple et quotidienne d’autres mode de vie qui donnent une épaisseur humaine aux valeurs qui les habitent et laisse place au témoignage.

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I. L’Arche aujourd’hui : un état des lieux

A. Trois communautés en France

Il existe actuellement trois communautés en France, dont les deux plus anciennes, La Borie Noble et La Fleyssière, sont voisines et sont situées dans le Haut-Languedoc, en bordure du Larzac. Elles comptent à elles deux une trentaine de membres dont un tiers d’enfants. Elles sont axées sur une activité agricole biologique et respectueuse de l’environnement, avec une vie rythmée par le travail de la terre. L’agriculture constitue l’activité essentielle des membres des deux communautés. Les produits de la terre sont transformés (fromagerie, boulangerie, etc…) et consommés sur place pour l’essentiel, et vendus en partie à l’extérieur. L’activité artisanale prend aussi une place importante, avec la menuiserie et la poterie en particulier. Outre les temps de recueillement, le reste du temps est partagé entre les tâches de la maison (pluche, ménage…), l’éducation des enfants, l’accueil des visiteurs et l’animation de sessions de formation. Le mode de vie qui est expérimenté dans ces communautés, la radicalité de certains choix énergétiques (pas d’électricité), économiques (autosubsistance) et sociaux (communauté) sont aujourd’hui comme hier interpellants, il donnent lieu aujourd’hui comme hier à un fort intérêt de la part de certains, et à une incompréhension fondamentale de la part de beaucoup d’autres, qui les accusent de repli et d’archaïsme. Ces choix participent du souci de cohérence qui anime les membres de ces communautés, entre leurs convictions profondes (en matière d’écologie et de non-violence) et leur vie quotidienne. Ils constituent un laboratoire vivant où chercher des voies alternatives à l’impasse écologique dans laquelle s’engage notre monde.

Le Nogaret, en Haute-Loire, est une ancienne communauté restant gérée par des membres de l’Arche qui y organisent des stages et sessions.

La troisième communauté en France est celle de St Antoine, en Isère, fondée en 1987. Sa double spécificité est d’une part d’être chrétienne, d’autre part d’être dédiée à l’accueil. Le travail agricole constitue en effet une dimension secondaire de la vie de la communauté, et l’accueil constitue la source de revenus principale lui permettant de subsister. La communauté touche un public très large, au-delà des seuls cercles militants ou intellectuels habituellement sensibles à l’idée de non-violence : plus de trois mille personnes (90 groupes) par an viennent y séjourner ; ce qui en fait le plus grand centre d’accueil et de formation de l’Isère. Cela lui vaut une reconnaissance institutionnelle et sociale importante et contribue à la reconnaissance et à la diffusion de la non-violence dans la société, non-violence qui passe moins par un discours ou par un mot que par l’accueil, la qualité de la relation, la découverte d’un projet de vie et de valeurs différents. La radicalité énergétique ou économique est moins grande que dans les deux autres communautés (électricité…), mais ces compromis ont pour sens de garantir un accueil confortable tout au long de l’année, et de ne pas « effrayer » les visiteurs sur ces aspects extérieurs afin de faire passer l’essentiel : c’est dans la relation et l’accueil qu’est mise la radicalité à St Antoine.

L’accueil de l’hôte est important dans la philosophie et la spiritualité de l’Arche : « L’hôte, c’est Dieu lui-même. En le recevant, c’est Dieu même qu’on reçoit. L’hôte humain rend visible l’hôte divin », écrit Pierre Parodi, ancien responsable général de l’Arche. Les hôtes de l’Arche viennent y trouver des choses diverses :

  • des séjours personnels de repos pour se ressourcer et se régénérer dans ce lieu de paix aux relations privilégiées ;

  • des séjours de vie participante pour découvrir le fonctionnement et l’esprit de la communauté ;

  • des séjours de formation à la non-violence ;

  • des séjours en groupes indépendants pour des séminaires ;

  • des retraites ;

  • des stages artistiques et autres.

L’association St Antoine compte actuellement 4 500 adhérents dont 500 étrangers. La communauté en elle-même comporte environ 50 personnes, dont 20 enfants.

B. L’influence visible et invisible…

D’une manière générale, et en ce qui concerne la guerre d’Algérie et le nucléaire en particulier, l’Arche a joué un rôle de précurseur. Mais il faut reconnaître que ce rôle est largement méconnu par les médias et en conséquence par l’opinion publique. Actuellement son engagement se fait au sein d’un réseau de partenaires altermondialistes nombreux et actifs, et le mouvement se consacre à la coordination d’actions et à la mise en relation de partenaires, sans chercher à se mettre en avant, ce qui explique (avec le caractère essentiellement dérangeant de sa démarche) une certaine « invisibilité » médiatique de celui-ci.

Mentionnons que parmi les activités de l’Arche, les dimensions artistique et culturelle, fondamentales, ont donné lieu à l’enregistrement de plusieurs disques de musiques traditionnelles, grégoriennes, etc…, dont certains ont reçu le prix de l’académie Charles Cros.

Outre le réseau des Amis et des Alliés, il faut reconnaître que l’Arche a une large influence qualitative et non-mesurable, en ce que sa démarche inspire et nourrit l’engagement et la réflexion de nombreuses personnes. Il est fréquent que des personnes inconnues témoignent être profondément marquées par les ouvrages de Lanza del Vasto et par le témoignage de l’Arche, et s’en inspirer fondamentalement dans leur vie quotidienne, spirituelle et/ou militante. Plus que pour tout autre mouvement non-violent sans doute, c’est en profondeur que se fait avant tout l’influence humaine de l’Arche.

II. Difficultés et dynamique de renouvellement

A. Le financement

L’autonomie fonctionnelle de l’Arche est assurée par ses activités, dans le cadre du choix d’une vie simple et pauvre ; par contre et en conséquence de ce choix, le mouvement manque des fonds nécessaires à la réalisation d’actions et de projets militants. C’est dans ce cadre qu’il s’est tourné vers des partenaires tels que les fondations Charles Léopold Mayer, Un Monde par Tous, Non-Violence XXI, ou encore des Conseils Généraux. La FPH a par exemple participé au financement des colloques internationaux sur Gandhi puis sur Lanza del Vasto organisés en 1998 et en 2001. Mais pour l’instant le mouvement souffre d’un manque de fonds récurrent pour mener des actions à la hauteur de ses convictions. Notamment en ce qui concerne les actions internationales. De même pour assurer le suivi et la coordination des actions, le financement d’un(e) salarié(e) à temps partiel s’avèrerait nécessaire.

En outre, à la communauté de St Antoine, des travaux importants de rénovation et de mise aux normes des bâtiments sont en cours, qui constituent un souci financier majeur et nécessitent des soutiens extérieurs conséquents.

B. Image extérieure et reconnaissance

L’une des principales difficultés du mouvement est de se faire reconnaître par l’opinion publique et par les autres mouvements de la société civile. Ce défaut de reconnaissance est dû avant tout à un défaut de connaissance. On entend parler de l’Arche, on est frappé des aspects les plus étonnants du mouvement (fonctionnement sans électricité, méditation), ou bien encore on en est resté à une image ancienne de celui-ci (l’allure étonnante de son fondateur Lanza, les robes bleues que portaient jadis les compagnons, les rouets…). Mais cette image ne correspond plus à ce qui est vécu aujourd’hui, compte tenu des évolutions, estime Anna Massina, coordinatrice de la CANVA. L’Arche souffre en fin de compte d’être plus vue en caricature que dans sa réalité. On peut penser que c’est le choc « culturel » entre ses communautés notamment, et le reste de la société, qui explique aisément cette difficulté à comprendre ce qui est vécu à l’Arche.

Le mouvement souffre d’une « paranoïa sectaire » qui est typiquement française, renchérit Jean-Baptiste Libouban. Cela, du fait qu’il est difficilement cataloguable, et conjugue les deux dimensions religieuse (spirituelle) et communautaire, avec un troisième ingrédient qui est l’absence de médiatisation. Il n’en faut pas plus pour que certains se persuadent d’avoir affaire à une « secte ». Sur ce point on se doit de rejeter ces accusations avec le plus grande fermeté.

Mais sans aller jusque là, il arrive que le mouvement soit méconnu ou fantasmé par les autres mouvements de la société civile. C’est le cas de certaines organisations non-violentes qui en sont restées à des images fausses et caricaturales et qui tendent, même inconsciemment, à marginaliser ou à « cacher » ce parent dérangeant. L’un des défis actuels est donc de se faire reconnaître comme partenaires à part entière par les autres, comme n’étant ni farfelus ni archaïques. Ceux qui les connaissent réellement au-delà de ces fantasmes, tels que la Confédération Paysanne, le MIR ou Attac, travaillent d’ailleurs en collaboration régulière avec eux.

C. Vers une nouvelle Arche

Actuellement et depuis quelques années, l’Arche est en train d’élaborer les bases d’une nouvelle organisation. C’est entre autres suite au difficile tournant et déclin des quinze dernières années que le mouvement fait un travail de remise en question de son fonctionnement et de ses orientations de vie, dans la recherche d’un équilibre entre fidélité à ses intuitions fondatrices et adaptation à la société contemporaines et à ses attentes. Une « instance de renouvellement » a notamment été désignée pour élaborer une nouvelle « règle » et une nouvelle organisation, qui seront discutées en 2004 pour être éventuellement adoptées par l’ensemble de l’Arche en 2005. Les structures et le fonctionnement de l’association devraient en sortir profondément renouvelés et simplifiés.

Coordonnées :

  • Adresses :

    • Communauté de l’Arche, La Flayssière, 34650 JONCEL

    • Communauté de l’Arche de St Antoine, 38160 L’ABBAYE

  • Site web : www.canva-ass.org

Notes

Sources :

  • Entretiens avec Jean-Baptiste Libouban des 24 et 25 Juin 2003.

  • Rencontre avec des membres des communautés de la Borie-Noble et de la Flayssière du 25 Juin.

  • Entretiens avec Anna Massina et d’autres membres de la communauté de St Antoine des 9 et 10 Juillet 2003.

  • Numéros des « Nouvelles de l’Arche ».

  • Brochures de présentation de l’Arche.

  • Actes du colloque sur Lanza del Vasto.