Fiche d’analyse Dossier : Le droit à la ville

Grenoble

Images et Colonies

Une exposition sur les images produites pendant la période coloniale

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L’exposition « Images et Colonies » a été conçue par «L’Achac» (Association Connaissance de l’Histoire de l’Afrique Contemporaine), et la Ligue de l’enseignement. Elle présente un siècle d’iconographie et d’histoire coloniale à travers 20 moments privilégiés invitant à un voyage dans le temps et les images. Ce travail met en exergue la manière dont les Européens, générations après générations, ont imaginé le monde colonial, l’Afrique et les Africains, en élaborant mythes et stéréotypes, le plus souvent fort éloignés de la réalité. Elle contribue à une meilleure connaissance d’une période dont les résonances continuent parfois d’agir de nos jours, notamment dans la représentation des rapports Nord-Sud.

Louée à la Ligue de l’Enseignement, l’exposition avait donc pour but de servir de support pédagogique, critique et stimulateur d’échanges. Elle permettait à la fois de pousser les habitants à parler de leur histoire et de faire prendre conscience aux jeunes générations d’une réalité souvent partiellement ou entièrement occultée.

Au carrefour entre habitants de la Villeneuve, Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine, Lycée André Argouges et Université Populaire, elle permettait également de tisser des liens entre ces milieux et aires géographiques. C’est ainsi que des étudiants ont été invités à la Villeneuve, que des habitants participants à l’Université Populaire ont découvert l’exposition et que des lycéens ont eu l’occasion de se rendre à l’Université, par le biais de l’exposition.

Un support pour stimuler la parole – Le cadre de l’Université Populaire de la

Villeneuve sur le passé colonial

L’université populaire de la Villeneuve a accueilli l’exposition « Images et colonies » au Patio, lieu de passage des habitants.

Des images d’un autre temps ? Des sourires, des corps tordus, des danses, des Noirs, des arabes déguisés ou non, tous mis en scène pour nourrir une histoire, celle de la « colonisation bienfaitrice ». La France qui se dote d’une mission civilisatrice auprès de peuples sauvages ou du moins celle qui devait construire l’histoire glorieuse du roman national propagandiste. Des images de glorification donc, qui ont sans conteste laissé des traces dans un inconscient collectif et qui ont nourri les préjugés, le racisme et les discriminations qui sévissent encore aujourd’hui.

Dans ce lieu de passage, on n’offrait pas vraiment le choix aux habitants, tout le monde devait voir cette exposition, le seul choix laissé aux passants était de ne pas la regarder, de tout lire ou de ne lire que les sujets qui pouvaient intéresser les personnes. Le Barathym offrait ses repas du midi sous les toiles géantes de cette longue histoire, personne ne devait passer à travers, c’était le choix de l’université populaire.

« Pourquoi mettre une telle exposition dans cet espace ? Nous avons besoin de travailler sur le vivre ensemble, cette exposition va encore cliver » disaient certains habitants. Pour d’autres, il s’agissait « d’une propagande colonialiste dont ils ne mesuraient pas l’impact dans la société ». Et d’autres encore déclaraient : « Enfin des gens courageux qui osent ! » ; « Mais quand donc enfin parlerons-nous de la colonisation ! » ; « Je ne savais pas que c’était allé aussi loin… ». Quand on expliquait que cette exposition était louée à la ligue de l’enseignement et qu’elle était réalisée par des historiens renommés, il y avait comme une forme de soulagement chez certain.e.s. Et oui, cette exposition n’était pas de la défiance, mais un véritable travail de recherche. Pour d’autres habitants, elle était valorisante car enfin on parlait de leur histoire, même si l’on ne pouvait pas s’empêcher parfois de « ressentir une douleur, une atteinte à sa dignité, de voir ces corps ainsi exposés ».

A travers une chronologie et une présentation thématique, on ré-apprend l’histoire coloniale. Cette exposition nous a fait réfléchir sur les mécanismes qui engendrent le racisme, et a aidé à mieux comprendre les images qui sont aujourd’hui diffusées par les médias sur les quartiers populaires et ses habitants. Elle aura permis aux gens d’échanger, de se questionner. Elle aura permis de dire sans détours ce que l’histoire a laissé, et, qu’ensemble, conscientisés, nous empêchions de réitérer l’impardonnable.

Une exposition qui fait prendre conscience des réalités coloniales aux jeunes générations

Dans l’optique de co-construire une réflexion et d’approfondir les connaissances existantes sur l’histoire de la colonisation, le projet a également réunit une classe de L/ES du lycée Argouges et des étudiants de l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine au sein de ses locaux autour de l’exposition.

Cette dernière, déjà présentée au musée de Grenoble en octobre 2017, permettait d’accompagner et de nourrir le travail pédagogique apporté en classe. Elle complétait et apportait une vision plus critique de la colonisation, en lien avec les chapitres portant sur l’empire colonial, la république face à la colonisation, les décolonisations et la guerre d’Algérie. Elle permettait notamment de questionner le roman national français.

Ajouté à cela, elle avait également pour but de développer des compétences de décryptage des images et médias, qui véhiculent encore aujourd’hui un certain nombre de stéréotypes.

Pour les étudiants, elle fut l’occasion de réfléchir sur la place de l’histoire coloniale en urbanisme et en géographie.

Au préalable, une intervention dans la classe de première L/ES avait été réalisée. Elle était l’occasion de présenter l’exposition et le contexte historique des colonisations et décolonisations. Il y avait là un enjeu à la fois pédagogique, critique et analytique.

Le 7 février 2018 fut ensuite organisée la journée autour de l’exposition à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine. Ce fut l’occasion pour les lycéens de découvrir le monde universitaire en même temps que le travail de l’exposition. Un questionnaire permettait de décrypter et mieux comprendre cette dernière et l’intervention de l’anthropologue Ali Babar Kenjah d’enrichir la réflexion. L’objectif était que les élèves puissent créer des liens entre le passé colonial, le rôle des images et les représentations de l’autre dans la société actuelle.

Suite à la visite de l’exposition, un extrait du film « Zoos humains »1 puis un jeu dynamique autour du placement des images sur une échelle de temps furent proposés. L’enjeu principal était de construire une réflexion collective à la fois sur des faits peu connus de la colonisation et leur impact sur la société ainsi que sur le rôle des images dans la construction des stéréotypes et du racisme.

Quelques lycéens parurent très touchés par la question et des exemples comme la publicité réalisée par l’entreprise H&M furent abordés. Le jeu des images permettait de mettre en exergue l’aspect actuel de la question. En effet, de nombreuses images du passé furent placées tard sur l’échelle temporelle (dans les années 2000-2010) et plusieurs autres furent placées dans les années 50 alors qu’elles étaient au contraire très actuelles. Les lycéens soulevèrent donc l’importance des médias dans le développement du racisme et la présence encore importante des stéréotypes, par ailleurs renforcés par les publicités.

Ces séances autour de l’exposition furent donc l’occasion d’une réflexion collective enrichissante et critique.

Notes

1. « Zoos humains », documentaire réalisé par Eric Deroo & Pascal Blanchard, 2002. Lien vers le film : www. youtube.com/watch?v=HycHlPvWy44&t=275s