Herrick MOUAFO DJONTU, Bulgarie, abril 2017
Entretien avec Herrick Mouafo Djontu
Entretien issu de l’intervention d’Herrick Mouafo Djontu au Colloque organisé à Sofia sur le thème « État de Droit, Droits et Sécurité Humaine en Temps d’Insécurite »
Keywords: Capitalización de conocimientos prácticos (savoir faire) para la paz | Trabajar la comprensión de conflictos | Representaciones mentales y paz | Sensibilización a la paz | | La democracía, factor de paz
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M. Mouafo, votre intervention lors du Colloque à Sofia sur le thème « État de Droit, Droits et Sécurité Humaine en Temps d’Insécurite » suscita un vif intérêt. Pourriez-vous expliquer un peu plus en détail ce qu’il arrivera si “la démocratie se radicalise” ?
Radicaliser la démocratie est une expression que j’ai tirée d’un article d’Achille Mbembé dans l’ouvrage, « Penser et écrire l’Afrique aujourd’hui ». Cette expression renvoie à « une démocratie qui sait prendre en charge l’ensemble du vivant, c’est-à-dire les êtres humains, les espèces vivantes, végétales, organiques, biologiques… ». Cette pensée d’Achille Mbembé n’est pas très éloignée de ce que nous disait déjà, en son temps, Émile Durkheim dans « Leçons de sociologie. Physique des mœurs et du droit », et qui affirmait :« Un peuple est d’autant plus démocratique que la délibération, que la réflexion, que l’esprit critique jouent un rôle plus considérable dans la marche des affaires publiques ».
Face, donc, aux problèmes auxquels sont confrontées les sociétés du monde actuel, il est plus qu’urgent de ne pas capituler devant les mots pour nommer les maux en tentant de réhabiliter les facultés critiques au sein de la société. En d’autres termes, fuir le simplisme en refusant toute allergie à « la pensée complexe ». Il n’y a pas deux mondes. Ce monde dans lequel nous vivons nous lie suivant une communauté de destin. En radicalisant la démocratie, on verra l’autre ou l’inconnue comme notre « moi » en lui. Et grâce à cette relation, non seulement on arrivera à se définir par rapport à autrui, mais on conjuguera également les différents apports des uns et des autres afin que notre patrimoine commun, ce monde, soit sauvegardé avec toutes les autres espèces vivantes.
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Vous avez cité les mots de Jacques Derrida qui nous rappelle que le mot grec pour médecin est “farmakon” qui signifie à la fois médecin, poison et bouc émissaire. À l’époque de Boko Haram et de l’État d’Islamique, que pouvons-nous penser de ces médecins ?
Nous devons nous rendre à l’évidence d’une chose, aucune armée, fut-elle dotée des moyens les plus sophistiqués au monde, ne peut vaincre seule le terrorisme. Nous devons donc repenser les mesures sécuritaires comme unique réponse à apporter face au terrorisme. Et ce concept de “Pharmakon”1 nous aide bien à saisir l’impasse des réponses sécuritaires face au terrorisme. Face au terrorisme, ce qu’on observe aujourd’hui c’est un retour à la balkanization du monde. Les États tentent de construire des murs aux frontières. Ce faisant, ce qui s’en suit c’est une politique du bouc-émissaire fondée sur une gouvernance du soupçon. La conséquence de ces mesures sécuritaires est qu’elles deviennent, à terme, un poison au sein des sociétés démocratiques. Appréhender les groupes comme Boko Haram ou Daesh par exemple nous impose de fuir le simplisme pour épouser une pensée complexe et ne pas faire l’économie de la pensée. Car, comme l’a écrit Bernard Lahire dans un ouvrage, Pour la sociologie, Et pour finir avec une prétendue « culture de l’excuse », « comprendre n’est pas excuser ». Les sciences sociales en l’occurrence les études sociologiques doivent davantage être mobilisées pour tenter de rendre compte tout en suggérant des pistes d’action face aux problèmes liés au terrorisme.
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La recherche du “bouc émissaire” comme obsession pour rendre visible un ennemi invisible, est extrêmement intéressant. Que pensez-vous du du port du voile par les femmes musulmanes ? Est-ce que porter le nikab c’est aller sur le chemin de la violence ?
L’empressement des sociétés démocratiques à répondre à la terreur terroriste les a plongées dans un simplisme ou dans une forme de capitulation quant à la façon de nommer les choses ou de désigner ce qui est à leurs yeux l’ennemi. Votre question met d’une certaine façon, en évidence, cette pensée sur les nouvelles tenues vestimentaires de la guerre. On y voit une forme de glissement des tenues conventionnelles des guerres classiques vers une nouvelle tenue symbolisée par le voile. S’est-on dit que le port du voile pourrait être un choix d’un citoyen européen ? Le problème, de mon point de vue, c’est qu’on tente d’ériger en modèle monde, une façon de s’habiller qui, semble-t-il rend compte de la liberté. Le port d’un voile porte davantage sur le statut de la femme et pourrait également être une piste de recherche sur les nouvelles formes d’expression du féminisme. Le livre de Clarence Rodriguez, Révolution sous le voile, nous renseigne sur le combat des femmes en Arabie Saoudite.
Il serait urgent de sortir d’un centre qui pense monde ou d’un centre qui élabore la pensée universelle, pour intégrer l’existence d’une pluralité de centres où chacun participe, à sa manière, à la pensée monde.
Pour finir, en observant les auteurs d’actes qui ont endeuillé les familles, on observe qu’ils réussissent à se fondre dans la masse avec leur tenue vestimentaire.
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Que pensez-vous des actions de la police en France après l’attaque terroriste à Nice l’année dernière ?
L’attaque de Nice en France nous renseigne sur l’empressement à nommer un acte comme terroriste islamiste. L’actuel premier ministre qui à l’époque des faits était ministre de l’intérieur, avait affirmé au sujet de l’assaillant qu’il s’était “radicalisé très rapidement”. Ce qui laisse entendre que son orientation religieuse tend à être l’unique cause de ce triste événement. Il va donc s’en suivre une série de mesures fondées sur la désignation de l’ennemi. Sauf que cette désignation participe à entretenir l’ambiguïté entre religion musulmane et acte terroriste.
Comme je l’ai affirmé précédemment les mesures sécuritaires ne peuvent pas, à elles seules, apporter des réponses face à ces menaces. Il est urgent de faire parler d’autres sciences comme les sciences sociales et sortir d’une logique monocausale pour expliquer un acte ou un fait.
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Vous avez insisté pour que les raisons soient cherchées dans “leur grande complexité”. Pouvez-vous donner des exemples ?!
Ce que je veux dire ici, c’est - lorsqu’on tente de rendre compte d’une situation - d’abandonner cette logique monocausale (à l’instar de ce qu’on entend à longueur de journée, l’islam radical) pour lui préférer celle d’une pluralité de causes.
Notas
1Voir Achille Mbembé, politique de l’inimitié.