Nathalie Cooren, Paris, 2005
Argentine, Costa Rica, Cuba : identification commune d’un défi social
Argentine : redonner confiance à une population meurtrie par la dictature ; réaffirmer les valeurs démocratiques ; prouver qu’il est possible de résoudre un conflit démocratiquement, sans avoir recours à la force. Costa Rica : faire face à une polarisation sociale extrêmement grave. Cuba : mobiliser toutes les catégories de la population (d’où les réformes radicales) pour obtenir leur appui.
Keywords: | To analyse conflicts from a social point of view | | | | | | Argentina | Cuba | Costa Rica
Le caractère systématique de la répression endurée pendant cette décennie allait marquer à jamais le peuple argentin : à la fin de la dictature militaire, tous rêvaient de paix sociale et de prospérité partagée, plus personne ne voulait revivre dans l’angoisse permanente de la mort. Alfonsín avait bien compris cela et c’est sur cette fragilité qu’il axa son discours en centrant sa campagne électorale sur la volonté de construire un Etat de droit, dont les piliers seraient la liberté et la justice sociale. Son discours connut une percée exceptionnelle car il était alors le seul à savoir appréhender et exprimer les besoins d’une société meurtrie par dix ans de torture militaire. Il ne faut pas sous-estimer l’importance et l’ampleur des dégâts physiques et moraux causés par la dictature. La transition démocratique qui s’ensuit est directement fonction du contexte antérieur. Le peuple criait vengeance et voulait être certain que l’option militaire n’en serait plus jamais une. L’idée même d’avoir à revivre un tel cauchemar leur était insupportable : d’où la question capitale du rôle à donner à l’armée au sein du nouveau régime.
En d’autres termes, la question sociale au moment de la transition démocratique argentine était capitale : il ne s’agissait pas simplement de remettre de l’ordre et de la démocratie au sein des institutions, il fallait également récupérer la confiance d’un peuple abusé par la junte militaire qui, sous couvert d’ordre et de lutte contre le communisme, supprima purement et simplement tous ceux qu’elle estima gênants, et ce, de manière systématique pendant dix ans. Lorsque Alfonsín adopta le projet de loi du « point final », il faillit dans sa mission sociale, et perdit toute crédibilité aux yeux des Argentins.
Au Costa Rica, le problème était surtout celui d’une polarisation sociale extrêmement grave lors des événements de 1948, une situation qui se traduisit par une multiplicité de tendances politiques.
Nous avons vu que les tendances les plus importantes étaient :
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le mouvement populiste (incarné par Calderon Guardia) ;
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le mouvement transformiste (incarné par Figueres) ;
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le Parti cortesiste (représentant de l’oligarchie).
Avec la victoire de Figueres et indirectement de l’oligarchie, le Parti populiste fut totalement mis à l’écart et avec lui ses supporters les plus fidèles : la classe ouvrière. Si bien qu’à partir des années 50, la classe ouvrière sera totalement laissée de côté et au lieu de parvenir à intégrer l’ensemble de la population au sein du régime démocratique, le Costa Rica organisa les bases de son régime démocratique autour des classes moyennes et oligarchiques uniquement. Dès lors, le caractère démocratique des institutions ne peut être que critiquable. Car un régime qui ôte le droit de s’exprimer à une partie de la population ne peut être qualifié de démocratie.
Le mouvement figueriste à l’origine des événements de 1948, est un mouvement réformiste, en ce sens qu’il prône la diversification de l’économie et la modification des structures économiques du pays : son but n’est en aucun cas d’intégrer les classes populaires au système politique. Autrement dit, il ne constitua pas un mouvement démocratique puisque n’ayant pas besoin de faire alliance avec les classes populaires, il n’a pas jugé utile de les incorporer au système.
Le Costa Rica des années 50 avait donc besoin d’intégrer toutes les classes sociales au sein d’un système politique traditionnellement dominé par l’oligarchie et ponctué de parenthèses « accidentelles » telles le calderonisme. Mais ce dernier mouvement populiste avait fait prendre conscience aux classes populaires de leur existence, de leur contenance. Si bien que le régime consécutif au conflit de 1948, et qui décida de mettre en œuvre une stratégie de mise à l’écart du prolétariat, ne peut être considéré comme pleinement démocratique. Il y avait un réel défi social, comme en Argentine, mais qui n’a pas été pris en compte par les nouveaux dirigeants.
Enfin, Cuba et l’enjeu social de la Révolution : au départ les Cubains ont largement soutenu la Révolution menée par Castro. En effet, cette dernière était avant tout une révolution démocratique et patriotique destinée à chasser un tyran. La bourgeoisie cubaine voyait plutôt d’un bon œil l’un des siens accéder au pouvoir : Fidel était avocat, blanc et fils d’un riche planteur de canne. A l’époque, personne ne parlait de communisme et encore moins de marxisme à propos de la Révolution cubaine. La révolution était donc au départ soutenue par une très large majorité de la population cubaine, lassée de la corruption et des exactions de Batista. A cette époque, le peuple cubain connut une certaine unité : qu’il s’agisse des riches ou des pauvres, la plupart condamnait la dictature de Batista et voyait d’un bon œil le débarquement de Castro et des siens. Lorsque le Comandante gagne la Révolution, le défi social n’est pas si complexe : dans une premier temps, l’idée est de rassurer, ce qu’il fait en affirmant qu’il n’est pas question de communisme et que son but est d’organiser le plus vite possible des élections démocratiques. Puis Castro se retrouve face au défi social de rassembler absolument toute la population derrière lui : il le fait via les réformes notamment agraire et rurale pour s’attirer l’appui des plus démunis, ou encore à travers le domaine de l’éducation et celui de la santé dont il fait des priorités. Et lorsque finalement la révolution prend une tournure plus radicale, de répression et d’élimination systématique de tous les opposants, beaucoup de Cubains prennent la fuite tandis que d’autres sont contraints de rester sur l’île.