Jean Marichez, Grenoble, juillet 2006
Le soutien américain aux résistances civiles récentes
Une campagne internationale reproche aux Américains d’avoir fomenté des révolutions civiles de masse par la CIA et plus particulièrement par Gene Sharp et l’Institut Albert Einstein qu’il a créé. Cette campagne est truffée d’erreurs et n’a pas de fondement. Il n’en faut pas moins soutenir certaines résistances civiles à l’extérieur. Surtout il faut développer la recherche sur ces méthodes de lutte.
Depuis l’année 2000 les résistances civiles ont fleuri un peu partout :
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En Serbie par deux fois en 2000 (après une autre action réussie en 1996 pour réparer la fraude électorale) ;
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Aux Philippines en 2001 ;
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En Bolivie en 2003 et en 2005 ;
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En Géorgie par deux fois en 2003 et 2004 ;
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En Ukraine en 2004 ;
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Au Liban, et en Kirghizie en 2005.
Au fil de ces années, des informations inhabituelles sont venues modifier notre vision des résistances. Des questions nouvelles et importantes se sont posées. Nous allons en évoquer quelques-unes.
La plupart des cas récents concernaient des renversements de gouvernement, bien que les résistances civiles aient des champs d’application plus variés notamment contre un agresseur extérieur, contre un coup d’État, etc. La recrudescence constatée concernait principalement des résistances intérieures contre des dictateurs ou des gouvernements avec, en plus, des similitudes dans la manière de résister.
Autre nouveauté la présence dans plusieurs de ces résistances de nombreux acteurs inattendus : d’abord l’organisation OTPOR, le syndicat étudiant serbe qui, après avoir réussi le pilotage de plusieurs résistances en Serbie, est devenu consultant au profit d’autres peuples en difficulté, en Géorgie, en Ukraine, en Biélorussie, en Kirghizie, etc.
Ensuite, l’implication d’organismes américains assez divers et parfois liés à l’« establishment » : Freedom House dépendant du gouvernement et anciennement dirigé par James Woolsey ancien patron de la CIA, National Démocratic Institute (NDI) lié au parti démocrate, National Endowment for Democracy (NDE) lié à Madeleine Albright, International Republican Institute (IRI) de John McCain, International Renaissance Foundation (IRF), Open Society Institute de Georges Soros opposant à Georges Bush, Eurasia Foundation… Et bien d’autres qui œuvrent surtout dans les domaines de la santé, de l’éducation, du statut de la femme, des droits de l’Homme, de l’écologie, des Églises (évangélistes, méthodistes, pentecôtistes…). Le Point cite même le chiffre incroyable de 7 000 ONG en Kirghizie ! L’implication US ne fait plus de doute tant les petites informations se multiplient comme le financement de Freedom House qui soutient une imprimerie à Bichkek ; le financement de sondages sortie des urnes en Ukraine pour influencer le scrutin et prouver la falsification ; le financement de formation de jeunes Ukrainiens aux manifestations de rue ; le financement de jeunes cadres étudiants de l’association Pora et du Committee on Voters of Ukraine par l’USAID et la NED ; la médiatisation préparée des manifestations de Kiev… Ainsi le Département d’État aurait mis 65 millions de $ pour les deux années 2003 et 2004 pour l’Ukraine…
D’un autre côté nous trouvons sur Internet et dans la presse des informations qui accusent le gouvernement américain d’avoir, par CIA interposée, fomenté et manipulé ces révolutions à leur avantage. Selon ces informations également, l’Institut Albert Einstein (AEI) de Boston et son créateur Gene Sharp seraient des marionnettes de la CIA et auraient agit en sous main pour déclencher ces révolutions.
Que faut-il penser de tout cela ? Pour nous en faire une idée, nous nous sommes référés à l’étude menée par Stephen Zunes, professeur à l’université de San Francisco qui a enquêté sur le sujet. Ses références et le sérieux de son argumentation parue en janvier 2008 nous permettent d’y voir plus clair. Voir le site www.fpif.org/fpiftxt/5327
Nous avons recoupé ses travaux avec notre connaissance du sujet et plus particulièrement de Gene Sharp. Sous réserve de nouvelles informations, voici nos conclusions :
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Les révolutions venaient bien du peuple et essentiellement du peuple et de ses leaders. Le soutien n’est qu’un soutien, il n’enlève rien aux acteurs qui se sont pris en charge de manière responsable sans être manipulés. C’est ce qu’expliquent de nombreux commentateurs de ces révolutions comme Bruno Cadène dans son livre « L’Ukraine en révolutions » (Jacob-Duvernet, Paris, mai 2005).
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Oui « des » Américains ont soutenu certaines de ces résistances civiles. Il s’agit essentiellement d’ONG et d’organismes privés plus ou moins proches du pouvoir. Des organismes occidentaux nombreux et variés ont apporté des soutiens économiques ou matériels, ont financé des séminaires de formation pour les dirigeants de l’opposition, des gouvernements ont payé des observateurs et des sondages pour garantir des élections libres et équitables, etc.
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Le gouvernement US n’a pas fomenté et suscité ces révolutions de l’extérieur dans le cadre d’une politique organisée. La CIA a sans doute apporté des soutiens particuliers mais n’a pas initié et manipulé ces révolutions de l’extérieur. Les instances officielles US ne croient pas au pouvoir des individus et des masses. Ils ne connaissent rien de l’action non violente et ne croient qu’au pouvoir de leur force en tous points de la planète.
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Gene Sharp et l’Institut Albert Einstein sont innocents de toutes les accusations qui leur sont faites. Ils en auraient été bien incapables du fait de leur petite dimension, un budget très limité de moins de 100 000 Euros par an, un appartement loué au rez de chaussée de l’appartement de Gene Sharp, vieil homme de 80 ans à l’activité et aux déplacements limités. La CIA ne saurait fonctionner avec une telle structure. Gene Sharp lui-même a démenti ces accusations en les démontant point par point, sur le site www.aeinstein.org/ Celui-ci est un chercheur, maître de recherches et auteur de nombreux livres. Il est incontestablement le maître à penser des stratégies non violentes de résistance civile qui ont permis de résoudre des conflits graves en de nombreux pays. Ses œuvres, traduites en une trentaine de langues font autorité et ont inspiré toutes les révolutions non violentes. La nomination à la tête de Freedom House de Peter Ackerman ancien de l’AEI et fondateur de l’International Center on Nonviolent Conflict à Washington, et surtout de Robert L. Helvey, colonel retraité de l’US Army, à la tête de l’AEI ont certainement desservi la neutralité de son image. Ce dernier, qui ne se cache pas d’avoir servi antérieurement comme consultant international en planning stratégique auprès de groupes d’opposition en Birmanie, Thaïlande, Tibet, Biélorussie, Serbie, Venezuela, Zimbabwe… a donné une impulsion aux stratégies civiles non violentes. Celles-ci n’ont rien à voir avec l’engineering social dont il est parfois question pour parler de construction par manipulation de démocraties à l’extérieur et dont d’ailleurs l’administration Bush, qui ne croit qu’à la force des armes, ne veut pas. Une chose est de faire la promotion d’un outil efficace pour la paix et de répondre aux demandes des résistants sur la manière de s’en servir, tout en veillant à ne pas aider des oppresseurs, autre chose est de militer pour une cause, pour un parti ou pour un gouvernement particulier.
Au-delà de cette rectification, quelques remarques s’imposent :
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Il faut soutenir de l’extérieur les résistances civiles parce qu’elles sont le fait de populations brimées ou oppressées qui aspirent à la liberté et à la démocratie, et surtout parce qu’elles sont le fait d’une large majorité de citoyens. Quand toutes les enquêtes et informations confirment, comme ce fut le cas par exemple au Kosovo en 1999, que l’inacceptable est en cours (épuration ethnique, viols, massacres…) alors qu’une large majorité de la population résiste sans violence, il faut sans hésitation soutenir cette résistance de l’extérieur avec le maximum de moyens et, dans la mesure du possible, sans cacher ce soutien. Prétendre que les Américains n’ont pas suscité les révolutions ne signifie pas qu’ils ne les ont pas soutenues et qu’il ne doivent pas pratiquer ce genre de soutien. Au contraire.
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Ce moyen de lutte, par son absence de violence, est de loin préférable à la guerre, mais l’absence de violence ne le justifie pas. Son objectif peut être mauvais ou discutable. Il n’est qu’un moyen pour atteindre un objectif. Et c’est un moyen de force, même si cette force est non violente. A ce titre et, comme la guerre, elle gagne à être l’objet d’une concertation internationale avant emploi. Encore faudrait-il que nous connaissions mieux ces stratégies. Et c’est là le problème, la recherche sur ce sujet en Europe est loin du niveau qu’elle mérite. Elle est marginale et discrète, on étudie les mouvements de masse pour s’en protéger et non pas pour en tirer parti. Elle aurait tout à gagner à se faire au grand jour, sous l’impulsion de l’État, autour d’objectifs de paix et de développement de la démocratie.
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L’amplification médiatique de ces résistances a été considérable en particulier autour de celle des Ukrainiens. Elle a fait prendre conscience à certains pays de la puissance nouvelle de cette stratégie et les a conduit à s’en protéger, là où un risque de révolution interne existait : Russie, Bélarussie, Azerbaïdjan, Zimbabwe, et même Chine… d’où des emprisonnements, assassinats, manipulations et leur suite qui rendent les résistances plus difficiles. Leur intelligence stratégique devra monter d’un cran, comme cela se produit face aux progrès adverses dans toutes les formes de guerre et sur tous les champs de bataille.
Ainsi, notre défi consiste d’une part à engager la France et surtout l’Europe dans l’étude de ces processus pour délivrer des peuples de la guerre ou de l’oppression et d’autre part à établir, comme pour les actions militaires, des concertations internationales pour les soutenir de manière puissante. En pratique, cela signifie engager des recherches et ceci de manière très officielle.