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, , Boston, abril 2003

L’anti-coup d’Etat

Comment casser un coup d’Etat et accéder à la démocratie, par la force mais sans la violence, c’est à dire par la détermination du peuple et par des méthodes qui ont fait leur preuve et qui sont devenues de véritables stratégies.

Keywords: Oponerse a la impunidad | Resistencia a una tiranía | Resistencia civil no violenta | Resistencia no armada a la represión militar | La responsabilidad de las autoridades políticas con respecto a la paz | La democracía, factor de paz | Desmilitarización del poder | Lucha pacífica de liberación política | Respeto de los derechos humanos | Buscar y aceptar el compromiso | Conducir negociaciones políticas para buscar la paz | Instalar gobiernos de transición | Trabajar para la transición democrática | Trabajar para la democratización del poder

Les supporters de la démocratie politique, des droits de l’homme et de la justice sociale s’inquiètent à juste titre des coups d’État. Ces prises de contrôle brutales de l’appareil d’État se sont produites à maintes reprises au cours des dernières décennies. Des coups d’État ont renversé des gouvernements démocratiques constitutionnels, stoppé des mouvements pour une plus grande démocratie, et imposé des régimes brutaux et oppressifs. Les coups d’État sont l’un des moyens principaux par lesquels les nouvelles dictatures se mettent en place. Ils peuvent aussi entraîner des guerres civiles et des crises internationales. En termes de défense, les coups d’État restent l’un des problèmes majeurs non résolus.

Un coup d’État est une rapide prise de contrôle physique et politique, de l’appareil d’État, par un groupe de conspirateurs s’appuyant sur la menace ou le recours à la violence. Les membres du gouvernement précédent sont déposés contre leur volonté. Le groupe responsable du coup d’État commence par occuper rapidement les centres de commande, de décision et d’administration, remplaçant le précédent chef de l’exécutif et les plus hauts fonctionnaires par des personnes de son choix (civiles ou militaires). Ils finissent par contrôler l’ensemble de l’appareil d’État. Les coups d’État réussis sont en général achevés rapidement, en moins de quarante-huit heures.

Au cours des dernières décennies, des coups d’État ont eu lieu dans des dizaines de pays, dans presque toutes les régions du monde, particulièrement dans les pays suivants: Thaïlande, Birmanie, Philippines, Brésil, Tchécoslovaquie, Ghana, Libéria, Chili, Fidji, Grèce, Libye, Laos, Guatemala, Argentine, Grenade, Pologne, et Union soviétique.

Les coups d’État ont été très fréquents dans les États fraîchement décolonisés du continent africain. Le premier fut le coup d’État qui renversa le Président du Kenya Kwame Nkrumah en 1966. La Thaïlande a connu quatre coups d’État entre 1951 et 1976, ce qui a entravé la marche de la démocratie. En Libye, Muammar Kadhafi a pris le pouvoir à la suite d’un coup d’État militaire en 1969. Au Chili, le gouvernement Allende a été renversé par un coup d’État militaire en 1973. Au Brésil en 1964, un coup d’État militaire a établi un régime militaire répressif qui a gouverné pendant des années. Au Guatemala, le coup d’État de 1982 a été suivi d’un autre coup qui a installé aux commandes le Général en retraite Rios Mott. On peut citer parmi les meilleurs exemples des dernières décennies l’imposition de l’état d’urgence en Pologne en 1981, qui permit d’installer comme Président le Général Jaruzelski, afin de réprimer le syndicat indépendant Solidarité, ainsi que la tentative manquée de coup d’Etat montée en août 1991 par le noyau dur en Union soviétique. Les coups et tentatives de coups d’État continuent.

Certains commentateurs ont écrit que ce sont les coups d’État - et non les élections - qui « ont été le moyen le plus fréquent de changer les gouvernements » et qu’en Afrique post-coloniale « les coups d’État militaires sont en fait devenus le moyen institutionnalisé de changer de gouvernement… ».

Certains estiment que les coups d’État se produisent moins fréquemment qu’auparavant, mais aussi que ce déclin peut être de courte durée et que, même, un pays qui a pu éviter d’en subir un pendant des années n’est pas à l’abri.

De gros moyens et des fonds importants sont consacrés aux préparatifs pour résister à une éventuelle invasion étrangère. Pourtant rien ou presque n’est prévu pour préparer les sociétés à faire face au problème de défense posé par les coups d’État, malgré leur fréquence dans la politique mondiale. Il est grand temps d’aborder la défense « anti-coup ».

Comment se déroulent les coups d’État?

La saisie de l’appareil politique de commande et d’administration commence souvent par une action visant les plus hauts responsables de l’ancien gouvernement, précédent la prise des bâtiments et bureaux officiels, du siège de l’armée et de la police, ainsi que des centres de contrôle des communications et transports. Les coups d’État se font en général très rapidement, souvent en quelques heures, l’élément secret de la conspiration est donc important.

Les coups d’État sont en général menés par des éléments majeurs des forces armées, agissant seuls ou alliés avec des cliques politiques, des services de renseignements (intérieurs ou étrangers), ou des forces de police. A l’occasion il s’est agi d’une usurpation de l’exécutif : le chef d’État en place (Président ou Premier ministre par exemple), arguant d’une prétendue urgence, en profite pour suspendre le gouvernement constitutionnel et mettre en place une dictature. Il est arrivé que le coup d’État soit organisé par un parti politique dictatorial, avec ou sans ses propres forces armées. Ils peuvent aussi être le fait d’une section de la classe dirigeante, s’appuyant sur le soutien d’autres groupes. Pour que le coup d’État réussisse, il est important que ceux qui n’y participent pas le soutiennent, restent passifs, ou soient neutralisés. Le coup d’État est par définition l’acte d’une minorité conspiratrice, ce qui le place à l’opposé d’une révolution populaire de masse (quoique les putschistes qualifient parfois leur action de « révolution »).

Le groupe à l’origine du coup compte en général utiliser le pouvoir de la section de l’État qu’il contrôle déjà (ou qu’il espère contrôler en premier) contre les autres sections afin de prendre le contrôle total de l’État. Souvent les autres sections s’empressent de capituler. Cette capitulation rapide, face aux forces des putschistes qui paraissent irrésistibles, peut avoir plusieurs raisons :

  • Ces sections peuvent ne pas soutenir vraiment le gouvernement en place ;

  • Elles peuvent éprouver une sympathie active pour les putschistes ;

  • Ou bien elles se sentent impuissantes, ne sachant que faire.

Les usurpateurs veulent généralement maintenir l’ordre et conserver intact le système administratif, les forces armées, le gouvernement local et la police (au moins dans un premier temps), mais en les faisant passer sous leur contrôle. (Le nouveau gouvernement peut être composé en totalité ou en partie de personnel militaire, ou entièrement de personnel civil.) Le pouvoir combiné de l’État, passé sous contrôle des usurpateurs, peut alors être appliqué au besoin contre la société dans son ensemble, pour étendre et consolider le contrôle du pays tout entier.

A quel moment peuvent se produire les coups d’État?

Dans certains pays comme la Suisse ou la Norvège, un coup d’État d’origine interne est impensable. Certaines conditions ont tendance à l’empêcher. Quand les procédures constitutionnelles démocratiques en place sont respectées et offrent des moyens pacifiques institutionnalisés de résoudre les conflits internes, de changer de gouvernement, et de demander des comptes aux officiels, il y a moins de risque de coup d’État. Si les groupes qui en ont la capacité - comme l’armée - croient au processus démocratique et respectent les limites légales de leur autorité, ils sont moins susceptibles de mener un coup d’État Ils peuvent au contraire faire preuve de modération, conscients qu’il serait contre-productif d’organiser un putsch.

La structure sociale de la société exerce aussi une influence déterminante sur l’éventualité d’un coup d’État. Lorsque les institutions civiles, non-gouvernementales, de la société sont fortes et fonctionnent démocratiquement, tandis que les institutions militaires et les partis politiques anti-démocratiques ont relativement moins de poids, l’éventualité d’un coup d’État est peu probable.

Lorsque la société fonctionne dans une certaine harmonie, les putschs sont improbables. Cette situation est cependant rare, et n’est pas nécessaire pour empêcher un putsch. Si les problèmes internes sont relativement limités et peuvent se résoudre par des moyens pacifiques et institutionnalisés, le risque est également réduit. De même, s’il s’agit de conflits graves qui peuvent être abordés de manière nonviolente plutôt que par une violence interne, il n’y a plus de prétexte de putsch pour un groupe s’appuyant sur la promesse de mettre fin à la violence et de rétablir l’ordre. Si les politiciens s’efforcent de servir la société et de lutter contre la corruption, l’un des éléments « justifiant » un coup leur manque.

Si par contre ces conditions ne sont pas réunies, la société peut être victime d’un coup d’État. Les bases des systèmes politiques démocratiques peuvent être superficielles ou érodées. Le gouvernement peut être perçu comme illégitime, ses performances peuvent provoquer un sentiment général d’insatisfaction. Il peut être accusé d’incompétence, de corruption ou d’indécision en temps de crise. Il peut y avoir un manque de confiance général dans la capacité des procédures démocratiques à améliorer la situation et, dans certains cas, il peut arriver qu’il n’y ait pas d’accord sur les procédures de succession des gouvernements.

Les institutions civiles non officielles de la société - tous types d’associations, partis politiques, institutions éducatives indépendantes, organisations religieuses, syndicats, et beaucoup d’autres éléments - peuvent être faibles ou presque non existantes. Il se peut aussi que le grand public n’ait pas de participation active au système politique. Dès lors, il n’y a pas de groupe ou d’organisation capable de s’opposer à une emprise sur l’appareil d’État.

La société peut avoir de graves problèmes internes liés à la violence. En cas de troubles sociaux sévères, de gros problèmes économiques, de conflits politiques profonds, de violence intérieure ou d’assassinats, la majeure partie de la société est susceptible de souhaiter un nouveau gouvernement fort, qui promette de « rétablir l’ordre » et de sortir de la crise.

Des conditions économiques adverses, liées à des facteurs politiques, peuvent rendre la société vulnérable aux coups d’État. Certains estiment aussi qu’un manque de diversification des exportations, et une dépendance excessive d’un marché international inconstant à l’export, peuvent créer un terrain favorable à un coup d’État.

Il arrive que des individus, des groupes puissants, un parti totalitaire ou une faction militaire éprouvent simplement un appétit de pouvoir et de domination - avec ou sans le prétexte de nobles objectifs.

Ces conditions ne débouchent cependant pas nécessairement sur un coup d’État. Même lorsque les conditions sont favorables à un coup et que les putschistes potentiels ont du mal à se retenir, ils ne feront peut-être pas de tentative parce que celle-ci serait sans doute vouée à l’échec. Cette propension à l’échec peut avoir plusieurs causes. Une part importante des forces armées, de la police et des fonctionnaires de tous niveaux peut sembler rétive à l’idée d’un coup d’État, et donc susceptible de résister à la tentative. Les institutions sociales indépendantes peuvent choisir de s’opposer au coup et elles sont assez puissantes pour agir avec vigueur.

La décision des putschistes potentiels de passer à l’acte ou non dépendra pour beaucoup des capacités qu’auront ces opposants d’un putsch d’agir avec force contre la tentative de coup d’État. Si la société est susceptible de résister avec fermeté à une tentative de prise de pouvoir, il est peu probable qu’elle soit victime d’un coup d’État.

Ceux qui tentent un coup d’État supposent que, lorsqu’ils seront au pouvoir, ils ne rencontreront qu’une résistance minime de l’administration et du peuple. Ils ne peuvent s’appuyer sur cette assomption si la population est mobilisée politiquement, engagée et puissante.

Soutien aux coups d’État

Pour qu’il y ait coup d’État, la condition préalable du succès est que l’on estime les forces d’organisation et de répression des putschistes plus puissantes que les autres institutions et courants d’influence de la société. En bref, la société civile est plus faible que les forces armées. En fait, au cours des dernières décennies, les forces armées de nombreux pays se sont développées au point de devenir les institutions les plus puissantes de la société. Ces forces armées ont souvent été retournées contre la société et la population même qu’elles étaient censé protéger et dont dépendait leur existence. Un coup d’État militaire de ce type est possible si les soldats sont plus loyaux envers leurs officiers qu’envers le gouvernement démocratique.

S’il s’agit au contraire d’une usurpation de l’exécutif (qu’on appelle parfois un « autocoup d’État »), il faut que les forces combinées de l’administration gouvernementale et des militaires qui soutiennent la prise de pouvoir soient plus puissantes que les institutions civiles de la société. Alternativement, le coup d’État peut être le fruit d’un parti politique discipliné disposant de ses propres forces paramilitaires. Les supporters du parti peuvent opérer depuis des postes clé au sein de ministères d’un gouvernement de coalition, ou avec le soutien de groupes puissants appartenant à l’armée et à la police. Pour réussir, ce parti doit avoir plus de capacité d’action que les autres groupes sociaux qui pourraient s’opposer à la prise de pouvoir. Dans certaines situations, des agents d’un gouvernement étranger peuvent assister des groupes politiques ou militaires dans l’exécution d’un coup d’État.

Lors de coups d’État, on a souvent vu les partisans de la liberté politique rester silencieux et se soumettre passivement. Cela ne signifie pas qu’une tentative de coup d’État réussit parce que la population l’a soutenue. Dans de nombreux cas, la population peut être opposée, mais ne sait pas quoi faire. On comprend que peu de gens soient inspirés par l’idée d’entamer une guerre civile contre les forces armées et leurs alliés - une guerre que les démocrates perdraient à coup sûr. Ceux qui croient aux procédures démocratiques et à la justice sociale ne savent pas en général de quelle autre manière on pourrait vaincre un coup d’État soutenu par les forces armées.

Dans beaucoup de pays, un système démocratique a peu de chance de durer sans une sérieuse préparation de défense anti-coup, surtout si ces pays ont un historique de coups d’État. Même les pays qui ont atteint une situation de relative démocratie politique, doivent prendre des mesures anti-coup, malgré les déclarations publiques d’intentions innocentes de la part des individus ou groupes qui sont capables d’organiser un coup d’État.

Tentatives pour prévenir les coups d’État

Bien évidemment, il est préférable d’avoir prévenu les tentatives de coups d’État que d’avoir à se défendre contre elles. Il est donc primordial de savoir comment prévenir et bloquer les coups d’État.

Dans beaucoup de démocraties constitutionnelles, on présume que la démocratie est à l’abri si la constitution et la loi interdisent les coups d’État. L’histoire prouve que cela est faux ; nombreux sont les pays qui s’en sont aperçus à leurs dépens. Des démocraties dont la constitution comporte des dispositions ou des lois contre les tentatives illégales de prise de contrôle de l’État, ont elles-mêmes succombé à des putschs. Ces interdits légaux sont utiles, mais ils ne suffisent pas à bloquer des coups d’État. Ceux-ci sont en fait toujours fomentés par des groupes qui n’ont aucun scrupule à violer les barrières constitutionnelles et légales pour atteindre leur objectif. Ces dispositions constitutionnelles et légales ne sont pas inutiles, mais elles sont insuffisantes. Il faut se donner les moyens de les faire respecter.

Des personnes et des groupes qui n’hésitent pas à pousser à l’écart ou à assassiner des membres de l’exécutif afin de prendre le pouvoir, n’auront aucun scrupule à enfreindre les barrières constitutionnelles ou légales. Des groupes armés déterminés à « sauver la nation » ou à établir leur propre domination, ne s’arrêteront pas à des considérations légales. Des partis politiques disciplinés qui se considèrent comme les sauveurs du peuple et les bâtisseurs d’une société future idéale ne reculeront devant aucun obstacle pour prendre le pouvoir afin d’accomplir leur mission.

Il faut s’efforcer d’éradiquer les griefs légitimes de la société, mais cela non plus ne suffit pas. Ces griefs peuvent motiver sincèrement des putschistes potentiels, ou leur servir seulement d’excuse pour un coup tenté pour des motifs moins honorables.

Condamnations et sanctions internationales ont également peu de chances de dissuader des putschistes déterminés. Il serait naïf de croire que les pressions internationales (condamnations et sanctions) pourront prévenir ou déloger une prise de pouvoir domestique. Au mieux elles pourront renforcer les capacités d’une population motivée pour bloquer les tentatives d’usurpation. Parfois, certaines influences étrangères soutiennent le coup d’État, ou même sont à l’origine de son instigation, comme le gouvernement des États-Unis l’a fait plusieurs fois.

II faut donc à l’évidence quelque chose de plus : il faut opposer des barrières fortes aux coups d’État. Ce livret montrera comment ériger ces barrières à l’intérieur du pays, en préparant une politique de défense anti-coups. Cette politique n’aurait pas uniquement le potentiel de mettre en échec les coups d’État. Elle pourrait aussi faire office de dissuasion envers ces attaques, s’appuyant sur la capacité d’une défense efficace.

Les coups d’État ont si souvent réussi que les populations ont tendance à penser qu’il n’existe pas de parade, qu’on ne peut ériger des barrières efficaces. La confusion et le sentiment d’impuissance qui accompagnent souvent les putschs sont aggravés par l’absence de planification, de préparation et de formation de la population. Souvent le coup est soutenu par les forces armées supposées protéger la société, contre lesquelles on ne peut s’opposer militairement, l’angoisse et le désespoir augmentent alors au sein de la population.

Des coups d’État ont été vaincus

Le problème de la mise en échec des coups d’État semblerait insoluble, si l’on oubliait que certains coups d’État ont été vaincus. Malgré des conditions souvent adverses, des civils ont parfois été capables d’empêcher des prises de pouvoir illégales. Ces exemples sont remarquables.

Des coups d’État ont échoué parce que le refus de coopérer et d’obéir avait rompu la liaison prévue entre le contrôle physique des organes officiels et le contrôle politique de l’État. Des fonctionnaires, bureaucrates, militaires et autres employés de l’État ont parfois refusé fermement de coopérer avec les putschistes, leur refusant le contrôle de l’appareil d’État. Des coups d’État ont aussi été mis en péril par la rupture du lien entre le contrôle des commandes centrales de l’État et le contrôle de la société – qui comprend les institutions sociales indépendantes, les communes, et la population dans son ensemble. Les putschistes ont souvent cru qu’il suffisait de dominer les structures de l’État pour obtenir le contrôle politique et social. Cependant, si toutes ces composantes de la société refusent de se soumettre, les dirigeants du coup d’État ne peuvent pas former un gouvernement durable.

En août 1991, en ex-Union soviétique, la tentative de coup d’État de la ligne dure a échoué grâce à la noncoopération massive qu’elle a rencontrée. Il y a eu d’autres exemples notables de défense anti-coup en 1920 en Allemagne contre le Putsch de Kapp (qui menaçait la jeune république de Weimar), puis en 1961 en France contre la révolte des généraux d’Alger (qui espéraient garder l’Algérie française en délogeant le gouvernement de Gaulle-Debré). Dans ces trois cas, et quelques autres, les coups d’État ont été mis en échec par une résistance civile nonviolente. Il est plus rare que des actions sérieuses de soutien diplomatique et économique international soient employées ou brandies, comme lors du coup de 1991 en Union soviétique.

Allemagne 1920

Le 12 mars 1920, des unités non officielles de Freikorps (les corps francs) formées d’ex-soldats et de civils, ont occupé Berlin lors d’un coup contre la République de Weimar, sur l’instigation du Dr. Wolfgang Kapp et du Lieutenant-général Walter von Lüttwitz. L’objectif du coup était de mettre en place un régime autoritaire composé « d’experts ». La petite armée allemande resta « neutre ». Le gouvernement démocratique légitime du Président Friedrich Ebert prit la fuite. Malgré son manque de préparation, le coup aurait pu réussir s’il n’avait pas rencontré de résistance.

Le gouvernement légal déclara que les citoyens ne devaient obéir qu’à lui, et que les provinces devaient refuser toute coopération avec le groupe de Kapp. A la suite du déclenchement d’une grève des travailleurs à Berlin, un appel à la grève générale fut lancé au nom du Président Ebert et de ses ministres sociaux démocrates - bien que sans leur aval officiel.

Les Kappistes furent rapidement confrontés à une noncoopération à grande échelle de la part des fonctionnaires et des administratifs conservateurs, entre autres. Des personnalités qualifiées refusèrent d’accepter les postes ministériels offerts par le nouveau régime. La répression des adjoints fut sévère, et quelques grévistes furent fusillés. Mais la noncoopération alla en s’amplifiant, jusqu’à paralyser Berlin par une grève générale. La Banque nationale refusa d’avancer des fonds aux usurpateurs. Le 17 mars la Police de sécurité de Berlin exigea la démission de Kapp. Il s’enfuit en Suède le jour même, nombre de ses assistants quittèrent Berlin en civil, et Lüttwitz démissionna. Les Freikorps évacuèrent alors Berlin, tuant et blessant au passage les civils qui protestaient.

La défaite du coup fut le résultat de l’action combinée des travailleurs, des fonctionnaires, des bureaucrates, et de l’ensemble de la population, qui refusèrent la collaboration populaire et administrative nécessaire aux usurpateurs. La république de Weimar survécut, avant d’être confrontée à d’autres graves problèmes internes. Le bilan financier de la résistance au coup manqué fut modeste, et les adjoints avaient tué et blessé quelques centaines de personnes.

France 1961

En France, début avril 1961, le Président Charles de Gaulle annonça qu’il abandonnait les efforts pour garder l’Algérie française. En réponse, dans la nuit du 21 au 22 avril, des unités militaires françaises postées en Algérie se rebellèrent et prirent le contrôle de la capitale Alger et de points névralgiques alentour. Cependant, le coup d’État ne pouvait réussir sans remplacer le gouvernement légal à Paris.

Le 23 avril, partis politiques et syndicats organisèrent en France des manifestations de masse, appelant à une grève générale d’une heure le lendemain. Le soir même, de Gaulle prononça à la radio un discours, entendu aussi en Algérie, pour appeler la population à défier les rebelles, à leur désobéir et à employer « tous les moyens » pour leur barrer la route. « J’interdis à tout Français, et d’abord à tout soldat, d’exécuter un seul de leurs ordres ». Le Premier ministre Debré annonça qu’il y avait un risque d’attaque aérienne depuis Alger, mais, au lieu d’ordonner une résistance militaire, il appela la population à passer à l’action : « Dès que les sirènes retentiront, allez-y (dans les aéroports) à pied ou en voiture, pour convaincre ces soldats trompés de leur lourde erreur ».

Des copies du discours de de Gaulle furent distribuées un peu partout par la population et les soldats français loyaux en Algérie. De Gaulle déclara par la suite: « A partir de là, la révolte se heurta sur place à une résistance passive qui se renforça d’heure en heure ».

Le 24 avril, dix millions de travailleurs prirent part à la grève générale symbolique d’une heure. Aux aérodromes, des civils se préparèrent à obstruer les pistes avec leurs véhicules pour empêcher toute tentative d’atterrissage. L’Algérie fut soumise à un blocus financier et maritime.

Les troupes françaises loyalistes en Algérie agirent pour miner la rébellion. Les deux tiers des avions de transport disponibles et de nombreux chasseurs décollèrent d’Algérie, tandis que d’autres pilotes bloquaient des aérodromes ou feignaient des ennuis mécaniques. Des fantassins ne sortaient plus de leurs casernes. Il y eut de nombreux cas d’inefficacité délibérée : ordres et dossiers « égarés », communications et transports retardés. Des fonctionnaires cachaient des documents et quittaient leur poste.

Le 25 avril, à la radio, de Gaulle ordonna aux troupes loyales d’ouvrir le feu sur les rebelles, mais ce ne fut pas nécessaire. Le putsch était déjà anéanti. Les meneurs se résignèrent à abandonner leur tentative de coup d’État; dans la nuit du 25 au 26 avril le régiment de parachutistes qui avait pris Alger se retira de la ville.

Il y eut peu de victimes, sans doute trois morts et quelques blessés en Algérie et à Paris. L’attaque sur le gouvernement de Gaulle fut vaincue par des attitudes de défiance et de subversion.

Union Soviétique 1991

Le 18 août 1991, décidés à bloquer la décentralisation radicale du pouvoir en Union soviétique, un groupe d’officiels soviétiques de la ligne dure se saisit du Président Mikhaïl Gorbatchev adjoint et exigea qu’il remette tous ses pouvoirs exécutifs à son vice-président. Gorbatchev refusa.

Ce « Comité d’État pour l’état d’urgence » comme il s’était baptisé, comprenait entre autres le Vice-président, le Premier ministre, le Ministre de la défense, le président du KGB, et le Ministre de l’intérieur; il proclama un « état d’urgence » de six mois. Les journaux d’opposition et les manifestations furent interdits, les partis politiques suspendus (sauf le parti communiste). Le premier décret de la junte affirmait la suprématie de la constitution soviétique sur celles des républiques et rendit obligatoire l’obéissance aux ordres du Comité d’urgence.

La junte semblait disposer de l’ensemble des forces armées de l’Union soviétique. Divisions blindées et régiments de parachutistes furent déployés dans Moscou. Les militaires partisans du putsch bloquèrent les ports principaux des États baltiques, où ils prirent le contrôle du téléphone, de la radio et de la télévision. Des unités d’assaut blindées, postées à l’extérieur de Leningrad, firent route sur la ville.

A Moscou, des dizaines de milliers de personnes descendirent spontanément dans les rues pour dénoncer le coup. Dans une spectaculaire démonstration de défiance, Boris Eltsine, le Président de la Fédération de Russie, grimpa sur un tank hostile et dénonça l’action des putschistes comme « un coup anticonstitutionnel de la droite réactionnaire. » Eltsine proclama : « Toute décision ou directive de ce comité est illégale » ; il appela les citoyens à rejeter les putschistes et les soldats à refuser de prendre part au coup d’État. Eltsine conclut en appelant à une « grève générale illimitée. » Plus tard ce même jour, Eltsine enjoignit à tous les membres des forces armées et du KGB de la République russe de lui obéir à lui et non aux putschistes.

Des milliers de personnes se regroupèrent devant la « Maison blanche » russe (l’immeuble du parlement) pour le protéger en cas d’attaque. Des barricades furent érigées, des trolleybus et des voitures bloquèrent les rues. L’appel à la grève générale ne fut guère suivi sauf cependant par les mineurs de charbon de la Kouzbass, près de Sverdlovsk.

Les putschistes décrétèrent un état d’urgence spécial à Moscou, à cause des « rassemblements, défilés, manifestations, et de cas d’incitation à l’émeute. » La deuxième nuit du coup, les organisateurs de la résistance collèrent des affichettes dans le métro, appelant à une manifestation de masse pour le lendemain devant la « Maison blanche. »

A Leningrad, 200 000 personnes se rassemblèrent en réponse à l’appel du Maire Anatoly Sobchak pour « une résistance constitutionnelle la plus large possible » au coup d’État. Des dizaines de milliers de Moldaves bloquèrent les rues pour empêcher les troupes soviétiques de passer. Les dirigeants de l’Ukraine et du Kazakhstan dénoncèrent le coup d’État. A Minsk, une immense manifestation appela à la désobéissance civile de masse. En Lituanie, le Président Landsbergis appela les citoyens à encercler le parlement de Vilnius, pour le protéger d’une attaque. Les parlements de Lettonie et d’Estonie, réunis en session d’urgence, proclamèrent leur indépendance totale vis-à-vis de l’Union soviétique.

A Moscou, les journaux interdits imprimèrent en secret La Déclaration commune qui appelait les citoyens à résister. Un émetteur radio offert permit au gouvernement Russe de transmettre les informations sur la résistance à tout le pays grâce aux stations de relais locales. La radio indépendante « L’Echo de Moscou » continua d’émettre malgré l’interdiction, retransmettant en direct les discours d’une session d’urgence du parlement russe. Bravant l’interdiction, les techniciens de la Télévision russe enregistrèrent leurs programmes d’information sur cassettes vidéo et les distribuèrent dans une vingtaine de villes de l’Union soviétique.

Les officiels des médias contrôlés par l’État refusèrent de coopérer avec les putschistes. Les discours provocateurs de Eltsine et Sobchak furent diffusés sur le programme d’infos du soir, que le censeur du KGB du Comité d’urgence choisit de ne pas censurer. Par la suite, le premier Vice-président de la Télévision soviétique reçut un appel du Ministre de l’intérieur Pugo : « Vous avez désobéi à deux ordres… Vous avez donné des instructions à la population sur où elle devait aller et ce qu’elle devait faire. Vous aurez à répondre de ces actes. » La foule des manifestants grossit encore cette nuit-là devant la Maison blanche, pour protéger le gouvernement russe.

Il y eut des efforts concertés pour miner la loyauté des forces putschistes. Les soldats reçurent des tracts et de la nourriture. Des citoyens s’efforçaient de convaincre les équipages des tanks de désobéir aux putschistes. Eltsine appela à la discipline : « Ne provoquez pas les soldats. L’armée est devenue une arme aux mains des putschistes. Nous devons donc nous aussi soutenir les soldats et maintenir l’ordre et la discipline dans nos contacts avec eux. »

Des unités militaires désertèrent les putschistes. Dix tanks postés face à la Maison blanche tournèrent leurs tourelles vers l’extérieur, s’engageant à aider à protéger le parlement en cas d’attaque. Il y eut des mutineries contre les putschistes à la Base navale de Leningrad et dans une académie de formation des parachutistes. Des unités d’Extrême-orient refusèrent de soutenir la junte. Dans la république russe, les unités de la police du ministère de l’intérieur et du KGB déclarèrent leur loyauté à Eltsine. Doutant de la loyauté des troupes, le Ministre de la défense Yasov ordonna à la division Tula de quitter ses positions aux abords de la Maison blanche. Craignant lui aussi que la police de Moscou soit déloyale aux putschistes, le Ministre de l’intérieur Pugo déclara sa dissolution.

Le deuxième jour du coup, dans l’après-midi, les putschistes tentèrent de rassembler un nouveau groupe d’assaut pour attaquer la Maison blanche russe. Les parachutistes de l’Armée et les forces du Ministère de l’intérieur devaient encercler le bâtiment, dégageant l’accès pour une attaque par le groupe d’elite Alpha du KGB. Cependant, le chef des parachutistes de l’Armée et le commandant des Forces aériennes russes refusèrent de participer à l’attaque. Quelques heures avant l’attaque prévue, le commandant du groupe Alpha du KGB déclara qu’il n’engagerait pas ses troupes. « II n’y aura pas d’attaque. Je n’irai pas contre le peuple. »

Le lendemain matin, le Conseil de la défense de l’Union soviétique vota pour le retrait des troupes de Moscou. Les membres du Comité d’urgence furent arrêtés (l’un d’eux se suicida). Le Président adjoint revint au pouvoir. Il y eut peu de victimes - cinq personnes en tout périrent dans cette tentative de coup d’État. Le coup avait été vaincu. La noncoopération massive du public et la désobéissance des militaires firent échec à la tentative des faucons pour revenir à un régime autoritaire.

Ces trois exemples de résistance réussie - Allemagne en 1920, France en 1961, et Russie en 1991 - démontrent qu’il est possible de mener une résistance victorieuse aux coups d’État. On peut certes citer d’autres cas où une résistance similaire a échoué, mais l’existence de réussites démontre que, dans certaines conditions au moins, des coups d’État peuvent être vaincus.

Défense anti-coup

II y a beaucoup d’enseignements à tirer de l’étude des coups d’État; comment ils se sont déroulés et comment on peut les vaincre. On s’aperçoit qu’il n’est nullement nécessaire de rester passif et impuissant face à ces attaques contre la liberté et la justice. La défense peut être menée par la société même qui subit l’attaque.

Le point fondamental de cet essai est qu’il est possible d’avoir une politique de défense contre les coups d’État. L’essence de cette politique de défense est double : (1) Il faut refuser toute légitimité à ceux qui attaquent le système constitutionnel pour remplacer le gouvernement élu par un régime de leur choix - ils n’ont pas le droit politique ou moral de devenir le gouvernement, et (2) il faut leur refuser toute coopération - aucun membre du gouvernement ou du public ne doit les aider ou leur obéir de quelque manière que ce soit.

Lors d’un coup d’État, la prise des immeubles officiels, des centres de communication et de transport, et des points géographiques cruciaux, ne se fait pas au hasard. L’objectif est de prendre le contrôle de l’appareil d’État, et donc du pays dans son ensemble. Les putschistes doivent s’assurer de ce contrôle général afin de réussir leur coup d’État.

Cependant, la prise de ces points névralgiques ne suffit pas à donner aux putschistes le contrôle qu’ils cherchent à exercer sur le gouvernement et la société. Au début, ils ne contrôlent pas la population, les organisations politiques, économiques et sociales, les structures gouvernementales, ni même l’ensemble des forces armées ou de la police. Ils ne sont pas non plus en position d’atteindre immédiatement des objectifs idéologiques éventuels. Une fois que leurs forces militaires ou paramilitaires occupent les bâtiments officiels et les centres névralgiques de communication et de transport, il s’ensuit inévitablement une période cruciale durant laquelle les putschistes doivent établir et renforcer leur contrôle. Même en l’absence de résistance, l’obtention de ce contrôle requiert du temps et des efforts. Cette nécessité de renforcer le contrôle - et le temps que cela prend - rend possible une défense effective par la société.

Les putschistes ont besoin de…

Immédiatement après le début du coup d’État, les putschistes ont besoin de légitimité, c’est-à-dire d’une acceptation de leur droit moral et politique, ou de leur autorité à gouverner. L’approbation de guides moraux ou religieux, de personnalités politiques respectées, et dans certains cas de membres de la famille royale ou d’anciens dignitaires, les aidera à gagner cette acceptation.

Les putschistes ont besoin que leur contrôle de l’appareil d’État soit accepté par les personnes et institutions qui détiennent l’autorité politique morale et légitime, qu’il s’agisse d’officiels élus, de leaders moraux, ou de membres de la famille royale.

Le premier principe fondamental de la défense anti-coup est donc de nier toute légitimité aux putschistes.

Les putschistes ont aussi besoin du soutien, de la confusion ou de la passivité des leaders civils et de la population. De plus, pour consolider leur contrôle sur la société, ils ont besoin de la collaboration de spécialistes et conseillers, d’employés et fonctionnaires, d’administrateurs et de juges. Ils ont besoin de la collaboration des journalistes et présentateurs, des imprimeurs et techniciens. Pour arrêter les gens, mettre en prison les réfractaires, exécuter des opposants, ils ont besoin que leurs ordres soient obéis par la police, l’administration pénitentiaire, les soldats. Les putschistes ont besoin de la collaboration de la multitude de gens qui font tourner le système politique, les institutions et l’économie de la société; ils ont besoin que ces personnes acceptent de se soumettre passivement et de continuer à faire leur travail habituel, en obéissant à leurs nouvelles directives.

En résumé, pour consolider leur contrôle, les putschistes ont besoin, non seulement d’un degré significatif de légitimité, mais aussi de la coopération de la société qu’ils veulent diriger.

Cependant, ils peuvent se voir refuser ces actes de soumission, de coopération et d’assistance. Ces actes peuvent être compromis par la répudiation, la noncoopération et la défiance. La légitimité est un élément nécessaire, la coopération un élément crucial ; toutes deux sont vulnérables. Tous ces groupes, et l’ensemble de la population, peuvent refuser d’obéir. Il est possible de rejeter les prétentions de légitimité. Il est possible de refuser d’apporter la coopération, l’obéissance et le soutien nécessaires. Il est donc possible d’empêcher les putschistes de consolider leur régime.

Même une opposition modérée peut forcer les attaquants à faire des efforts significatifs pour gagner l’acceptation, la coopération et le soutien nécessaires. Si la population disposait d’une défense anti-coup puissante, elle pourrait empêcher que les attaquants prennent le contrôle de l’appareil d’État et du pays, en leur opposant une noncoopération massive et sélective, tout en maintenant son soutien au gouvernement légal et à ses appels à la résistance. La société peut bloquer les objectifs des putschistes, et vaincre le coup d’État, si la répudiation, la noncoopération et la défiance sont fortes, déterminées, et généralisées.

Le second principe fondamental de la défense anti-coup est de résister aux putschistes par la noncoopération et la défiance.

Si on lui refuse légitimité et coopération, le coup d’État risque de périr par famine politique.

Défense directe de la société

Une politique anti-coup implique donc que la société assure elle-même sa défense, qui ne portera pas sur des objectifs géographiques, ni même les bâtiments officiels. Ces objectifs ne deviennent importants aux putschistes que lorsque leur contrôle s’accompagne de la collaboration de leurs occupants. La prise du bâtiment d’une école, par exemple, est inutile à quelqu’un qui voudrait contrôler l’éducation, si cette école n’est pas en état de fonctionner, ce qui ne peut se faire sans la coopération des élèves, des enseignants et de l’administration. L’occupation d’un dépôt ferroviaire ne donne le contrôle de ce moyen de transport que si les employés et directeurs acceptent de faire fonctionner les trains selon les ordres. Le contrôle du bâtiment du parlement n’apporte pas en soi le contrôle de ses membres ou de l’ensemble de la population, si cette dernière a confiance dans le régime parlementaire.

Plutôt que de tenter de défendre des bâtiments et des points géographiques, la population défend directement et activement ses institutions, la société et ses libertés. Les priorités d’action sont alors cruciales. Il est par exemple plus important pour la démocratie d’insister sur le respect des procédures constitutionnelles ou le maintien de la liberté de la presse, que d’occuper telle intersection ou tel bâtiment.

Bien sûr, certains sites et bâtiments revêtent parfois une importance particulièrement symbolique. Les défenseurs civils peuvent en ce cas empêcher qu’ils tombent aux mains des putschistes en faisant rempart de leurs corps entre les attaquants et les bâtiments visés. C’est ainsi que la population protégea en 1991 le Parlement lituanien et la « Maison blanche » russe. Il ne faut cependant pas trop généraliser à partir de ces deux exemples. Une barricade humaine n’est pas toujours une option réaliste. Dans des conditions climatiques extrêmes, en particulier le froid, il serait pratiquement impossible à un rempart humain composé des mêmes individus de rester longtemps en position. Il est donc important de rappeler que la défense anti-coup est une défense de la société, et non pas de points géographiques ou de bâtiments, dont les putschistes peuvent s’emparer, s’ils sont prêts à tuer suffisamment de monde.

Une défense au moyen de barricades humaines peut réussir si les putschistes ne sont pas très sûrs de leurs propres intentions et méthodes, ou si leurs troupes ne sont pas prêtes à massacrer de nombreux défenseurs. Les tentatives de défendre des bâtiments-clé et autres sites au moyen de barricades humaines comportent cependant un risque grave. Si, malgré les efforts des défenseurs, les putschistes parviennent à s’emparer du bâtiment, les défenseurs et la population peuvent être démoralisés outre mesure. Les défenseurs peuvent alors croire que ce n’est pas seulement le bâtiment du parlement qui a été pris, mais que le Parlement lui-même a succombé. Les défenseurs et le public peuvent croire que la simple occupation du siège du gouvernement a porté les putschistes au pouvoir.

Il convient donc d’être extrêmement prudent lorsque l’on formule des stratégies et tactiques de défense de bâtiments, afin que les défenseurs et la population mettent l’accent sur la défense du système constitutionnel et des institutions sociales, qui peuvent continuer à fonctionner quel que soit le sort des bâtiments. Les organisateurs du coup d’État ne peuvent contrôler la population, les institutions, les organisations et le gouvernement du pays visé s’ils n’obtiennent pas la soumission et la collaboration de la population.

Le besoin de préparatifs

Dans les trois cas évoqués plus haut, la défense fut improvisée, sans l’avantage d’une planification préalable et de préparatifs. L’action sociale, même improvisée, peut être étonnamment puissante. Cependant une résistance non-préparée sera inévitablement moins forte qu’une défense minutieusement préparée. Les préparatifs permettront de réduire ou d’éviter la confusion, l’incertitude sur la conduite à tenir, les protestations inefficaces et contre-productives, et les retards coûteux avant de passer sérieusement à l’action. Par ailleurs, la défense anti-coup, menée par des citoyens résolus, sera d’autant plus forte qu’elle aura été préparée selon des directives spécifiques. Ces directives devraient préparer les citoyens et les institutions sociales à opposer une résistance collective à n’importe quel coup d’État. Ces préparatifs devraient inclure des directives générales pour la défense et définir les responsabilités des membres de certains groupes et institutions, tels que fonctionnaires, chefs d’organisations religieuses, policiers, journalistes, employés des transports et beaucoup d’autres.

Cette planification et ces préparatifs pour une défense anti-coup sont possibles. La situation politique du pays et le niveau de vitalité de la société auront une grande incidence sur la capacité des organisations indépendantes ou du gouvernement (aidé des institutions et organisations non-gouvernementales) à lancer et exécuter une défense anti-coup.

Les objectifs des défenseurs civils

Pour résister à un coup d’État, les résistants auront pour objectif de :

  • Rejeter les putschistes comme illégitimes et sans aucun droit à gouverner ;

  • Rendre la société ingouvernable par les attaquants ;

  • Empêcher l’imposition par les putschistes d’un gouvernement viable ;

  • Conserver le contrôle et l’autonomie de leur propre société ;

  • Transformer les institutions sociales en organisations de résistance omniprésentes contre un coup ;

  • Empêcher les putschistes d’atteindre tout objectif supplémentaire ;

  • Rendre inacceptables les coûts de l’attaque et les tentatives de domination ;

  • Miner la fiabilité et la loyauté des troupes et fonctionnaires des putschistes, et les pousser à la désertion ;

  • Encourager la discorde et l’opposition parmi les supporters des putschistes ;

  • Stimuler l’opposition internationale envers le coup d’État, par les moyens de pression diplomatique, économique et d’opinion publique contre les attaquants ; et

  • Obtenir un soutien international dans le domaine des communications, des finances, de la nourriture et autres ressources.

La résistance: générale et organisée

On peut regrouper initialement les stratégies de défense anti-coup en deux grandes catégories, « générale » et « organisée ». Bien avant une attaque, un certain nombre d’éléments clé devraient être sélectionnés et indiqués au public comme des points où la population devra résister, même en l’absence d’instructions spécifiques de la part de leurs dirigeants au moment opportun. C’est ce qu’on appelle « la résistance générale. » Ces points peuvent inclure par exemple les tentatives des attaquants pour promouvoir la légitimité de leur régime, pour remplacer ou abolir le corps législatif élu, pour remplacer les juges, imposer une nouvelle constitution, réduire la liberté d’expression ou de culte, et prendre le contrôle des institutions sociales indépendantes.

La violation par les attaquants d’un seul de ces droits serait le déclencheur de la résistance populaire. Des directives de résistance générale prévues à l’avance déclencheraient une résistance judicieuse même si les officiels légitimes ou les dirigeants initiaux de la résistance ont été arrêtés ou exécutés. La résistance générale peut aussi entrer en action si les communications sont coupées entre les chefs de la résistance et la population.

La « résistance organisée » se distingue de la résistance générale par le fait que les défenseurs agissent selon l’appel ou les instructions d’un groupe menant la défense anti-coup. Ce groupe peut être constitué de membres du gouvernement légitime, d’officiels de l’organe de défense anti-coup, ou de personnes choisies d’une autre manière. Cette équipe de direction peut comprendre des représentants d’associations bénévoles (éducatives, civiques, syndicales, religieuses, politiques et autres) qui ont été acceptés de façon informelle par la société (qu’ils soient ou non connus du grand public à titre individuel).

La résistance organisée renforce la résistance générale, mais ne la remplace pas. Le plus souvent, la résistance organisée concernera des actions concentrées sur un événement spécifique, ou sur un lieu ou en un temps donnés. Cette résistance peut prendre la forme d’actes spécifiques de protestation symbolique ou de résistance, qui peuvent prendre des dizaines d’aspects; par exemple des manifestations, des grèves courtes, des défilés, des coupures de courant de protestation; on peut aussi sonner les cloches des églises, hisser les drapeaux nationaux à mi-mat en signe de défi, organiser des campagnes de courrier, lire simultanément au cours des services religieux les déclarations officielles des chefs religieux, organiser des grèves de la faim, diffuser des émissions de radio à partir d’émetteurs clandestins, et exprimer des attitudes de deuil (en réaction aux brutalités des assaillants ou aux actes de terrorisme de ses propres partisans).

La résistance générale comme la résistance organisée sont toutes deux très importantes dans la lutte de défense contre les coups d’État. Le rôle proportionnel de chacune dépendra de la situation spécifique.

L’importance de la stratégie

La lutte nonviolente s’est avérée la technique générale la plus efficace en cas de défense anti-coup d’État. Elle évite d’affronter les putschistes avec des armes militaires, domaine où ils ont en général l’avantage. La technique nonviolente maximise aussi le pouvoir des défenseurs, multiplie le nombre potentiel de résistants en face de ceux qui ont la capacité et la volonté de recourir à la violence, et surtout elle contribue à saper le moral et la fiabilité des soldats putschistes.

Les armes, ou méthodes, de la lutte nonviolente - telles que les grèves, les boycotts, la noncoopération politique et les mutineries - ne doivent pas être appliquées au hasard. Ces méthodes ne doivent pas être le fait d’improvisations individuelles, ni venir en réponse d’événements mineurs, ou être appliquées de manière confuse, intuitive ou improvisée. Ces méthodes seront des plus efficaces si elles sont appliquées comme composantes d’une stratégie de défense anti-coup minutieuse, planifiée avec soin.

Il serait téméraire de tenter une défense sans formuler une stratégie de lutte. C’est potentiellement désastreux. L’une des raisons principales d’échec de certaines luttes nonviolentes a été le choix d’une mauvaise stratégie ou très souvent l’absence d’une quelconque stratégie. La stratégie est tout aussi importante pour la lutte nonviolente que pour un combat armé.

Il faut un plan d’ensemble pour gérer le conflit jusqu’au bout. C’est ce qu’on appelle la stratégie globale. Dans ce cadre, il faut formuler des stratégies individuelles permettant d’atteindre les objectifs principaux du conflit ou de gérer les grandes phases de la lutte. Une stratégie est une conception, un plan permettant de mieux agir pour réaliser ses objectifs lors d’une phase majeure d’un conflit. Elle s’insère dans le cadre de la stratégie globale préalablement choisie. Le but est d’utiliser au mieux les ressources disponibles afin d’atteindre les objectifs avec le minimum de pertes. La stratégie choisie détermine si il faut lutter, à quel moment et de quelle manière.

La stratégie a recours à des tactiques - plans pour des actions limitées - et des méthodes individuelles - des formes d’action spécifiques. Ces actions sont plus limitées en temps, en ampleur ou en enjeux spécifiques, afin d’atteindre les objectifs limités que l’on vise.

Les stratégies de défense anti-coup doivent être préparées avec beaucoup de réflexion et de soin. Elles doivent puiser dans les meilleures ressources disponibles en matière de principes stratégiques. Elles doivent aussi s’appuyer sur une connaissance de la lutte nonviolente, de la dynamique des coups d’État, de la situation du conflit en question, ainsi que sur les forces et faiblesses des putschistes et de la population en situation de défense.

Les questions de stratégie sont trop diverses et complexes pour être développées dans le cadre présent, le lecteur confronté à des décisions stratégiques est invité à consulter des études plus exhaustives.

Les armes anti-coup d’État

Il est vital de choisir les méthodes d’action les plus adaptées. La stratégie initiale anti-coup peut faire appel à certaines des armes nonviolentes suivantes: refus général de sortir des habitations ; paralysie de chaque élément du système politique que les putschistes veulent contrôler ; poursuite des activités des secteurs du système politique qu’ils ne contrôlent pas, conformément aux règles et lois précédant l’attaque (en ignorant totalement les décrets et règles des putschistes). On peut aussi encombrer les rues de manifestants ou au contraire les vider de toute présence ; subvertir en masse les troupes et fonctionnaires de l’attaquant, défier les interdictions en publiant des journaux et en diffusant des nouvelles de l’attaque et de la résistance par voie de télévision et de radio ; lancer une grève générale ; et organiser une paralysie économique (par les employés et les directions des entreprises).

Dans la lutte de défense, il est important de mettre en « première ligne » les méthodes qui contrecarrent directement les objectifs initiaux des putschistes. Leurs objectifs seront d’abord d’obtenir le contrôle du système politique, de le consolider, et de miner l’opposition au coup. Les visées économiques comptent rarement parmi leurs objectifs initiaux. (Ils peuvent avoir des objectifs économiques à plus long terme, comme de garder le contrôle de l’économie aux mains d’une élite en place, ou d’utiliser les rouages de l’État pour prendre le contrôle du système économique ou se l’approprier).

Le contrôle du système économique n’est presque jamais l’objectif initial d’un coup d’État. Les grèves générales ou paralysies totales de l’activité économique sont donc rarement les méthodes les plus pertinentes pour résister efficacement à un coup d’État. Appliquées de manière occasionnelle, elles peuvent cependant démontrer la solidité de la volonté de résistance. Toutefois, si elles sont appliquées sur une période prolongée, ces armes économiques risquent d’éroder la capacité de la société à survivre à sa propre défense. On ne devrait recourir à une grève générale par exemple, qu’au tout début de la défense anti-coup, pour montrer que la société est déterminée à résister à l’attaque, ou bien plus tard au cours de la lutte dans un but spécifique mais limité, comme de protester contre des brutalités extrêmes. On peut aussi recourir à la grève générale ou à une cessation totale d’activité économique si l’on estime qu’une expression massive et dramatique de résistance pourrait porter le coup de grâce à l’adversaire.

Le plus important au départ, ce sont les méthodes spécifiques qui visent directement les objectifs initiaux des putschistes. Ces méthodes devront : (1) montrer la répudiation des prétentions de légitimité des putschistes ; (2) empêcher leur prise de contrôle de l’appareil politique de l’État (par la noncoopération des fonctionnaires, de la police, des forces armées, de la chaîne de commande du gouvernement, etc.) ; (3) démontrer que la population rejette le coup d’État, qu’elle refusera de collaborer et d’obéir ; (4) empêcher les putschistes de contrôler les moyens de communication tout en les maintenant en service, y compris presse écrite et radio ; et (5) défier les efforts que les putschistes déploieront pour neutraliser ou contrôler les institutions sociales indépendantes. Si les moyens de défense décrits ci-dessus sont appliqués de manière massive et efficace pour atteindre ces objectifs, le coup d’État ne peut que s’effondrer.

Directives pour une résistance générale

Les directives pour une résistance générale peuvent être formulées avant même l’éventualité d’un coup d’État. Elles constituent alors les fondements d’une stratégie efficace de défense anti-coup, indiquant à la population comment résister. Elles peuvent comporter des consignes pour :

  • Répudier le coup et dénoncer ses meneurs comme illégitimes, de façon à rejeter leur ambition à gouverner. Les leaders moraux, politiques et religieux, les membres des institutions (éducation, médias, communications), les employés et officiels du gouvernement national, local, régional et provincial (y compris chefs d’État et membres de la famille royale le cas échéant), devront aussi dénoncer l’illégitimité des putschistes. Il faut refuser toute légitimité aux putschistes par tous les moyens, y compris les tentatives de négocier un compromis entre eux et les leaders politiques légitimes.

  • Considérer comme illégaux tous les décrets et ordres des putschistes qui contredisent les lois en vigueur, et refuser de leur obéir.

  • Maintenir l’aspect strictement nonviolent de tout acte de résistance, afin de maximiser l’efficacité de la défense anti-coup. Refuser de se laisser provoquer à des actions violentes ou imprudentes.

  • Rejeter et désobéir à toute tentative des putschistes pour établir et renforcer leur contrôle de l’appareil gouvernemental et de la société.

  • Refuser par tous les moyens de collaborer avec les putschistes. Ceci concerne toute la population ; tous les experts et technocrates ; tous les leaders des gouvernements précédents et des partis politiques ; tous les secteurs du gouvernement central, fédéral, d’État ou local, y compris leurs fonctionnaires et employés ; les groupes clés de travailleurs et de professionnels; tous les employés des médias et de la communication ; tous les employés des transports; la police ; les membres et les unités des forces armées ; tous les juges et le personnel du système judiciaire ; les employés de toutes les institutions financières d’État et privées ; et les officiels et membres de toutes les autres institutions de la société.

  • Maintenir le fonctionnement normal de la société et des institutions indépendantes, selon la constitution, les lois et politiques du gouvernement légitime antérieur. Cette action doit être maintenue jusqu’à ce que les personnes soient physiquement retirées de leur poste de travail, de leurs bureaux ou de leurs centres d’activité. Même en ce cas, il faut tâcher autant que possible de poursuivre les opérations normales depuis d’autres lieux. Cela concerne tout particulièrement les fonctionnaires de tous grades, dans tous les secteurs et services.

  • Maintenir le fonctionnement des organisations politiques et sociales légitimes. Créer des organisations de secours qui pourront prendre le relais de celles qui seraient attaquées ou fermées par les putschistes.

  • Refuser de fournir aux putschistes et à leurs collaborateurs des renseignements vitaux. Par exemple, si cela peut s’avérer utile, ôter les panneaux indicateurs, les noms de rues, les signaux de circulation, les numéros de maisons, etc. afin d’entraver les activités des putschistes et de protéger ceux qui risquent d’être arrêtés.

  • Refuser de fournir aux putschistes les approvisionnements et le matériel dont ils ont besoin, en les dissimulant s’il le faut.

  • Engager une « communication créative » amicale avec les fonctionnaires et troupes au service des putschistes, tout en continuant la résistance. On leur expliquera les raisons de la lutte de défense, en affirmant qu’on ne nourrit aucune intention violente à leur encontre, mais on cherchera à saper leur fiabilité, à les gagner à la cause de la résistance. Cette aide peut prendre diverses formes ; depuis l’inefficacité délibérée dans les actes de répression et la fourniture de renseignements aux défenseurs, jusqu’à la désertion, les soldats rejoignant les défenseurs dans la lutte nonviolente pour la liberté. On tentera de persuader les soldats et fonctionnaires qu’ils doivent plutôt respecter les procédures constitutionnelles et légales.

  • Refuser d’aider les putschistes à diffuser leur propagande.

  • Consigner par écrit, enregistrements sonores et films, toutes les actions et exactions des putschistes. Conserver les documents à l’abri et en diffuser largement la teneur aux défenseurs, à l’étranger et aux supporters des putschistes.

Comment traiter les troupes et fonctionnaires de l’usurpateur

Dès le début du coup, les défenseurs tenteront de communiquer avec les putschistes, leurs fonctionnaires et leurs troupes, pour les avertir que la population est hostile à l’attaque. Leurs paroles et leurs actions symboliques serviront à communiquer sur la volonté de résistance, à montrer le type de défense qui va être employé, et à exhorter les putschistes à abandonner leur projet.

Tout au long des phases du coup, on s’efforcera de miner la loyauté de chaque soldat et fonctionnaire des putschistes. Ce sera plus facile dans une résistance anti-coup qu’en cas d’invasion étrangère, parce que les soldats et fonctionnaires parlent en général la même langue que les résistants ou pratiquent une langue que les deux côtés comprennent. Si ce n’est pas le cas, il y a toujours moyen de communiquer, par exemple en passant par des tracts et slogans traduits, par des résistants qui connaissent la langue, ou par l’attitude et les symboles des défenseurs.

On préviendra les soldats des putschistes qu’ils rencontreront de la résistance, mais que celle-ci sera d’un type particulier ; que les défenseurs résisteront à la tentative de prise de contrôle mais sans attaquer physiquement les soldats en tant qu’individus. Si l’on peut faire passer ce message, les soldats seront plus enclins à aider discrètement la population résistante, à éviter les brutalités et à se mutiner si la situation empire, que s’ils s’attendent à être abattus à tout instant par des tireurs embusqués ou des bombes.

Il est très important de répéter que la résistance sera ferme, mais sans intentions violentes ou menaces envers les soldats à titre individuel. Cette combinaison a les plus grandes chances de renforcer l’efficacité de la défense anti-coup. Une résistance qui reste forte sans user de menaces ou de violences contre les personnes peut engendrer ou aggraver, au moins chez certains soldats, une baisse du moral. Ces problèmes peuvent s’exprimer par une loyauté hésitante envers les putschistes, ou des cas de conscience s’ils infligent des actes répressifs à des gens nonviolents. A l’extrême ce mécontentement peut entraîner des mutineries.

Il n’y a cependant aucune garantie que les troupes des putschistes seront favorablement affectées par la discipline nonviolente, surtout à court terme. Elles peuvent quand même commettre des brutalités et tuer des résistants nonviolents. Toutefois ces incidents tragiques ne signifient pas que la résistance échoue. Au contraire, si la résistance se poursuit de manière disciplinée, ces brutalités peuvent affaiblir les putschistes et renforcer la résistance, comme nous le verrons plus loin.

Faire face à l’attaque: obstruction et communication

Bien que cette défense anti-coup n’implique pas une attaque militaire sur des troupes des putschistes, on devra dès le début mener des actions qui les affecteront. Si le déploiement des troupes des putschistes est repéré à temps, on pourra le bloquer temporairement par des actes d’obstruction sur les routes, les rues, les aéroports, les voies ferrées, etc. On peut retarder l’entrée ou le mouvement de troupes en refusant de faire fonctionner les trains, on peut bloquer les routes et aéroports en y abandonnant de nombreux véhicules et on pourra aussi parfois bloquer les routes et rues par des barrages humains.

Ces actes d’obstruction contre le déploiement de troupes ne seront efficaces qu’à court terme, mais ils démontreront à chacun des soldats que, quoiqu’on leur ait fait croire, ils ne sont pas bienvenus en tant que soldats d’un coup d’État. La population exhortera aussi les soldats à ne pas croire à la propagande des leaders du coup.

On peut envisager d’autres actions symboliques : les gens peuvent porter un brassard de deuil, rester à la maison, lancer une grève générale limitée, ou défier les couvre-feux. Ces actions ont une double utilité. Elles préviennent amis et ennemis que le coup rencontrera une résistance ferme. Elles serviront en même temps à stimuler le moral de la population et à dissuader les gens de se soumettre et de collaborer avec les putschistes. Ces actions ne seront cependant qu’un prélude symbolique à la résistance principale qui va suivre.

On pourra utiliser les méthodes symboliques suivantes pour communiquer la volonté de résistance de la population à rencontre des putschistes et de leurs forces : tracts, lettres, émissions de radio et de télévision, conversations personnelles, journaux, affiches, bannières, messages diplomatiques, déclarations à des assemblées régionales et aux Nations Unies, assistance extérieure, slogans et messages peints sur les murs, et manifestations spéciales. Ces moyens de communication et de mise en garde viseront les troupes et les leaders des attaquants ainsi que ceux qui soutiennent ou seraient tentés de soutenir le coup d’État.

Faire face à l’attaque: répudiation et rejet

Dès les premières heures, dès les premiers jours et semaines après une tentative de coup d’État, il est essentiel de lancer des actions rapides et fortes pour empêcher les putschistes d’être acceptés et de mettre en place un contrôle efficace de l’appareil d’État et de la société. Pour vaincre le coup rapidement, il faudra lancer sur-le-champ une stratégie de répudiation et de rejet des putschistes et de leur attaque. Cette stratégie pourra associer la répudiation des prétentions de légitimité des putschistes et le rejet de la collaboration. Elle impliquera une noncoopération totale ou presque totale avec les putschistes. Un effondrement du coup d’État dès son apparition évitera de s’engager dans une lutte à long terme contre un régime oppressif retranché et donc bien plus fort.

Les tentatives de coups d’État sont en général très vulnérables dans leurs premières heures, dans leurs premiers jours ; il est donc vital que les défenseurs anti-coup entreprennent de suite une action résolue contre les attaquants. La défense doit être assez généralisée dans toutes les strates de la société pour constituer une répudiation résolue des putschistes. Les attaquants lanceront des appels à « l’unité nationale » - donc au soutien populaire - et demanderont qu’on leur donne le temps de prouver leurs bonnes intentions - donc de consolider leur pouvoir. Il faut rejeter ces appels.

Bloquer le contrôle des putschistes

Les politiciens, fonctionnaires et juges, peuvent empêcher les putschistes de prendre le contrôle de l’appareil d’État et des tribunaux s’ils décident d’ignorer ou de défier les ordres illégaux des attaquants - comme ce fut le cas en Allemagne lors du Putsch de Kapp de 1920.

Le corps législatif ne devrait ni recevoir les putschistes en personne ni obéir à leurs ordres ou demandes. L’assemblée devrait au contraire continuer à se réunir et à opérer selon la constitution en vigueur, à moins que, ou jusqu’à ce que, ses membres soient physiquement évacués par les forces des putschistes. Le corps législatif peut aussi se disperser après avoir appelé la population et le gouvernement à résister au coup d’État. Les membres du corps législatif pourront alors se joindre à la population pour participer autrement à la lutte de défense.

Le trésor public et les banques privées devront refuser de fournir des fonds ou d’accorder des crédits aux putschistes. En 1920 par exemple, la Reichsbank d’Allemagne refusa de donner de l’argent aux putschistes, en déclarant que le nom du Docteur Kapp, l’un des leaders du coup d’État, ne figurait pas sur la liste des signataires autorisés à retirer des fonds publics.

La magistrature devrait déclarer que les putschistes et leurs partisans sont un groupe illégal et anticonstitutionnel. Les tribunaux continueront à opérer en se conformant aux lois et à la constitution en vigueur avant l’invasion. Les magistrats s’efforceront de refuser aux attaquants toute assistance morale, légale et répressive, même s’ils doivent pour cela fermer les tribunaux. Le maintien de l’ordre serait en ce cas assuré par les pressions sociales, la solidarité et les sanctions nonviolentes, par exemple au moyen de tribunaux clandestins et de médiateurs indépendants.

L’administration gouvernementale et les fonctionnaires opposeront un refus général d’obéissance aux putschistes, comme ce fut le cas lors de la résistance au Putsch de Kapp. Alternativement, les employés et fonctionnaires peuvent simplement poursuivre leurs activités selon les directives antérieures, en ignorant les ordres des putschistes, et en entravant la mise en place de nouvelles directives.

La police peut être très efficace en défiant ouvertement les putschistes, en refusant d’obéir aux instructions illégitimes tout en s’efforçant d’effectuer ses obligations normales. En cas de contrainte extrême, elle pourra simuler l’obéissance aux ordres des putschistes, mais sans jamais les appliquer, en s’y soustrayant ou en étant délibérément inefficace.

Les journalistes et imprimeurs, refusant de se soumettre à la censure des putschistes, pourront publier des journaux interdits, des bulletins d’informations et autres publications, par de nombreuses petites éditions ou une édition importante. Le personnel des médias pourra diffuser des programmes de radio à partir d’émetteurs clandestins, dans des régions non contrôlées, voire depuis l’étranger. C’est ainsi que le Président de Gaulle et le Premier ministre Debré ont diffusé des appels par radio depuis Paris à l’intention des appelés et des officiers du contingent français impliqués dans le coup d’État en Algérie, leur enjoignant de désobéir à leurs officiers rebelles.

On s’efforcera dans un même temps de persuader ceux qui participent au coup d’État, en particulier les hommes de troupe et les employés subalternes des organisations qui ont ordre de soutenir le coup, qu’ils doivent refuser les ordres d’exécuter des activités illégales. Si ces personnes encourent de gros risques, elles pourront s’y soustraire ou se fondre dans la population plutôt que de soutenir l’usurpation anticonstitutionnelle.

Il est arrivé que des résistants à une oppression gouvernementale tentent activement de se rapprocher des troupes sous commandement hostile, pour les convaincre de modérer leurs actes de répression ou même de rejoindre la résistance démocratique. Ces efforts ont parfois été couronnés de succès. Les résistants aux coups d’État doivent être conscients de ces options et être prêts à les appliquer.

L’impact cumulé de cette noncoopération institutionnelle est d’empêcher les leaders du coup de contrôler le gouvernement et la société. En bloquant ce contrôle, les défenseurs maintiennent et même augmentent leur capacité à poursuivre une résistance à long terme, au cas où le coup d’État ne s’effondrerait pas rapidement.

Défier la répression et l’intimidation

Les putschistes seront sérieusement menacés par une défense anti-coup forte et bien préparée, et risquent donc de réagir par la répression. Ce sera bien sûr une période difficile pour les défenseurs et l’ensemble de la population. Les défenseurs risquent de subir de lourdes pertes, d’être arrêtés, emprisonnés, frappés, internés en camps de concentration, fusillés ou exécutés. Les mesures répressives ne sont cependant pas décisives par elles-mêmes, à moins qu’elles suscitent la crainte et la soumission des défenseurs. En fait la répression des opposants démontre la puissance de la lutte nonviolente, et n’est pas plus source de désespoir que si, lors d’un conflit ordinaire, l’ennemi ouvre le feu en représailles, blessant et tuant les troupes des résistants.

Pour contrer une défense anti-coup, la répression peut s’efforcer de briser la résistance et inspirer la peur. Les Chinois ont un proverbe pour cela: « Tuer le poulet pour effrayer le singe ». Si toutefois, comme cela s’est passé dans de nombreux conflits, les résistants et la population refusent de se laisser intimider, de se soumettre passivement, alors la répression peut échouer.

La défiance nonviolente peut entraîner de lourdes pertes, mais certainement bien moindres que lorsque les deux côtés recourent à la violence. De plus, pour les résistants, persister dans la lutte nonviolente contribue bien plus à la réussite que de choisir la violence pour combattre un adversaire préparé à la lutte année.

Les putschistes peuvent se montrer impitoyables, allant jusqu’à en tuer le chef de l’État ou d’autres leaders politiques. Ces actes brutaux ne servent pas uniquement à effrayer la population pour qu’elle accepte le coup. Ces meurtres libèrent aussi la place pour les putschistes à la tête du gouvernement. Les préparatifs anti-coup doivent donc prévoir clairement une ligne de succession politique, au minimum pour plusieurs remplaçants.

L’importance de la discipline nonviolente

Lorsqu’ils constatent que la violence mine la dynamique et la force de la lutte nonviolente, les putschistes ont souvent recours à la provocation pour inciter les résistants à réagir par la violence. Ils pourront faire croire que les résistants ont recours, ou prévoient d’avoir recours à la violence. La répression, particulièrement si elle est brutale, peut avoir pour but de provoquer une réaction violente des résistants. A l’occasion des agents provocateurs infiltrent les rangs de la résistance pour inciter ou même commettre des actes violents, afin de convaincre l’opinion publique que les résistants ont recours à la violence. Les défenseurs doivent repousser toutes ces provocations à la violence s’ils ne veulent pas miner leur propre défense.

Cette défense anti-coup s’appuie sur la technique de lutte nonviolente. Une exigence stratégique essentielle de la lutte nonviolente est que cette lutte courageuse soit accompagnée d’une discipline nonviolente . Il n’y a rien à gagner mais beaucoup à perdre en tuant de jeunes soldats qui se retrouvent dans le camp des putschistes. Des actes de violence, surtout des assassinats commis par des résistants, nuisent de plusieurs manières à une lutte essentiellement nonviolente. Ils risquent de rassembler les sympathisants des putschistes et les soldats contre les défenseurs anti-coup. Au contraire, la stratégie principale de défense vis-à-vis de ces troupes est de saper leur moral, de les déstabiliser et de les inciter à se mutiner. Cet objectif devient presque impossible à réaliser si les soldats sont des cibles de la violence des résistants.

Les putschistes utiliseront la violence des défenseurs pour « justifier » la répression écrasante qu’ils voulaient employer de toutes façons. Les putschistes prétendront que cette répression est nécessaire pour sauver le pays du terrorisme ou de la guerre civile, et pour préserver le « maintien de l’ordre ». La violence des défenseurs peut aussi démobiliser leurs partisans, qui seront plus réticents à soutenir ou employer des méthodes violentes qu’à participer à une résistance totalement nonviolente.

Réprimer des résistants rebelles mais disciplinés et nonviolents peut avoir l’effet contraire de celui escompté par les oppresseurs. Dans cette situation, il n’est pas rare que la répression violente se retourne contre la position de force de ceux qui l’appliquent C’est ce qu’on appelle le « jiu-jitsu politique ».

Réprimer des résistants courageux mais nonviolents peut nuire de diverses manières à la position des oppresseurs. Cette répression et l’impact des brutalités peuvent parfois grossir les rangs de la résistance et renforcer la détermination des défenseurs. Elles peuvent aussi semer le doute et la désapprobation dans l’esprit des troupes et partisans du putsch, ce qui engendrera un malaise, une opposition, puis un désaveu et même une entrée en résistance parmi la population des attaquants, de leurs fonctionnaires et de leurs troupes. Une répression violente à rencontre des défenseurs nonviolents peut aussi renforcer l’opposition internationale au coup, mobiliser l’opinion publique à l’étranger et motiver des sanctions diplomatiques et économiques envers les putschistes.

Lorsqu’il se produit, ce processus de jiu-jitsu politique est d’un grand secours. Cependant la stratégie de défense anti-coup ne devrait pas en dépendre. La stratégie devrait plutôt se concentrer essentiellement sur la répudiation de la légitimité des putschistes et l’opposition de leur tentative de prise de contrôle, par la noncoopération massive et la défiance politique.

En résumé, en maintenant une attitude de résistance nonviolente, les défenseurs anti-coup contribueront à : (1) gagner sympathie et soutien, (2) réduire les pertes, (3) susciter désaveu et mutineries parmi les troupes de l’adversaire, (4) attirer un maximum de participation à la lutte nonviolente, (5) élargir la base de soutien. La discipline nonviolente est un facteur essentiel pour atteindre ces objectifs.

Soutien international

A de rares occasions seulement, le recours ou la menace sérieuse d’un soutien diplomatique et économique international a été employé contre des coups d’État, entre autres contre le coup d’août 1991 en Union soviétique et contre celui de septembre 1991 en Haïti. Mais comme on l’a vu en Haïti où les sanctions internationales n’ont pas suffit à rétablir le Président Aristide, le succès d’une défense anti-coup n’est pas garanti si elle s’appuie principalement sur l’action internationale. La réussite de la défense anti-coup dépend d’abord de la noncoopération et de la défiance dans le pays attaqué.

Toutefois, le soutien international peut renforcer les luttes anti-coup. Les gouvernements peuvent refuser de reconnaître le régime des putschistes et les priver d’aide économique, comme les États-Unis et d’autres pays l’ont fait en réaction à la tentative de coup de 1991 en Union soviétique. Ces gouvernements et sociétés peuvent aussi fournir aux défenseurs civils une aide technique et économique, des services de presse, de radio, de télévision, et de télécommunications. Ces mesures peuvent être planifiées à l’avance.

Par son caractère défiant et nonviolent, cette défense anti-coup peut étendre sa notoriété et stimuler des réactions de sympathie à l’échelle internationale. Cette sympathie politique peut entraîner des pressions diplomatiques et économiques à rencontre des putschistes. Lors de la défaite de la tentative de coup d’État de 1991 en Union soviétique, les actions internes - surtout la réticence des soldats de l’armée régulière à obéir aux ordres des putschistes - semblent avoir eu beaucoup plus d’importance. Cependant, les pressions diplomatiques et les menaces de sanctions économiques internationales semblent avoir apporté un facteur supplémentaire de poids. Cet exemple démontre que dans certaines circonstances, les pressions internationales peuvent affaiblir des putschistes et renforcer la cause des défenseurs civils. Il ne faut cependant pas se leurrer l’opinion publique internationale et même les pressions diplomatiques et économiques ne viendront pas à bout d’un coup d’État si la société attaquée ne mène pas elle-même une défense déterminée et forte.

Changements de stratégie au cours du conflit

Les défenseurs civils devront parfois changer de stratégie pour contrer de nouveaux objectifs des attaquants, compenser des points faibles ou exploiter une force inattendue des défenseurs, ceci afin de maximiser l’impact de leur résistance, toujours basée sur le rejet de la légitimité et le refus de collaborer.

Les leaders du coup risquent de s’apercevoir qu’ils sont confrontés à une force combattante généralisée à l’ensemble de la population et s’organisant autour de ses institutions sociales. Ils réaliseront peut-être qu’ils n’arrivent pas à imposer leur contrôle sur la société et que la défense est assez forte pour les obliger à abandonner leurs projets. Si cela ne se produit pas, les défenseurs doivent intensifier leurs efforts pour miner le régime de l’adversaire.

Lorsque le contrôle des putschistes est déjà affaibli, ou s’il donne des signes qu’il fléchira bientôt, ce peut être l’occasion d’entamer une nouvelle application intense de la stratégie de répudiation et de rejet. Mais cela peut aussi devenir simplement une autre phase du conflit, constituée d’une stratégie de résistance centrée sur des sujets vitaux. Ou bien, la stratégie de noncoopération totale peut se révéler fatale au coup d’État.

Un succès durable

Le succès d’une défense anti-coup dépend de plusieurs facteurs clés, entre autres l’esprit de résistance, la solidarité et la force de la société qui se défend, la capacité de la population à maintenir sa résistance et sa discipline nonviolente, les points forts et les point faibles des putschistes, la stratégie que ces derniers ont choisi d’employer, et l’intelligence des stratégies de défense.

La victoire ne viendra qu’à ceux qui auront développé cette défense anti-coup au point d’en faire un outil politique affiné et puissant fonctionnant avec une stratégie avisée. Comme pour les conflits militaires, ce type de défense requiert une véritable capacité de puissance et une force de défense. La défaite des défenseurs constitutionnels est toujours possible, tout comme dans une guerre traditionnelle. Cependant, tout indique qu’un peuple déterminé aura de fortes chances de réussir en utilisant une défense anti-coup, et ce avec moins de victimes et de destruction que s’il choisissait la lutte armée.

En cas de besoin d’une défense à long terme

Si la défense anti-coup n’a pas réussi dans les premiers jours ou les premières semaines, on se trouvera dans une nouvelle situation stratégique. Les putschistes auront probablement obtenu un minimum de légitimité, d’acceptation, de coopération et de contrôle. Le conflit passera donc d’une défense anti-coup à court terme à une lutte à long terme contre une dictature établie. Pour cette situation de conflit assez différente, nous ne pouvons ici que suggérer quelques principes de résistance.

Dans le cadre de cette résistance, une stratégie de noncoopération totale avec le nouveau gouvernement ne serait probablement pas viable, car la société doit pouvoir survivre à une lutte à plus long terme. Il faudra plutôt concentrer la résistance sur des points cruciaux jusqu’à obtenir un nouvel équilibre des forces qui permettra d’appliquer une noncoopération plus large, voire totale, en vue d’obtenir la victoire.

Une stratégie de défense à long terme contre une dictature établie devra se concentrer sur deux objectifs principaux. Il faut d’une part empêcher les attaquants d’atteindre tout autre objectif majeur au-delà de la dictature elle-même. Si les dictateurs cherchent d’autres formes de domination, quelles soient économique, idéologique, ou politique, les plans de libération devront s’attacher à leur interdire ces objectifs. On entre alors dans une stratégie de « résistance sélective », parfois appelée « résistance sur des points clés ».

Dans une stratégie de résistance sélective, les professionnels concernés peuvent résister uniquement sur des problèmes cruciaux. Par exemple les policiers, tout en empêchant les éléments criminels de tirer parti de la situation, peuvent choisir de ne pas rechercher et arrêter des résistants démocratiques, ils peuvent aussi les avertir de l’imminence d’une arrestation et d’actes de répression. Les enseignants peuvent refuser d’introduire dans leurs écoles la propagande du régime. Les employés et dirigeants d’entreprises peuvent recourir à la grève, à des retards et à de l’obstructionnisme pour empêcher l’exploitation du pays. Les ecclésiastiques peuvent prêcher sur le devoir de refuser d’aider les dictateurs.

Le deuxième objectif primordial de la défense à long terme est la protection de l’autonomie des institutions sociales. Si la résistance anti-coup n’a pas obtenu la victoire rapidement, les nouveaux dictateurs vont tenter de contrôler et de museler les institutions de la société. Ces tentatives viseront surtout les institutions qui ont participé à la lutte de défense initiale, comme les tribunaux, écoles, syndicats, associations culturelles, organisations professionnelles, institutions religieuses, etc. Si celles-ci passent sous contrôle de l’adversaire, la capacité de résistance future de la société en sera affaiblie d’autant. La lutte démocratique à long terme doit donc s’opposer fermement à toute tentative que ferait l’envahisseur pour contrôler les institutions sociales. Ces institutions ne sont pas seulement des points de résistance. Elles sont aussi des organisations de résistance réelles ou potentielles, qui peuvent agir pour défendre la société contre les dictateurs et pour rétablir le système politique légitime.

Nous n’évoquons ici la stratégie de résistance sélective que pour montrer qu’un échec initial de défense contre un coup d’État ne doit pas nécessairement condamner une société à subir une dictature prolongée. La défense anti¬coup doit cependant viser à bloquer l’usurpation totalement et rapidement, bien avant que les putschistes n’aient pu consolider leur contrôle.

Faire s’effondrer le coup d’État

II se peut toutefois qu’il ne soit pas nécessaire de mener ce type de défense à long terme contre une dictature établie. La lutte initiale de défense anti-coup peut très bien avoir réussi. Si les défenseurs civils maintiennent leur discipline et persistent dans leur défiance et leur noncoopération malgré la répression, et s’ils rassemblent des sections significatives de la population, ils peuvent perturber puis anéantir les efforts des putschistes pour atteindre leurs objectifs.

La résistance d’un peuple préparé et de ses institutions peut au final se révéler trop forte pour les leaders du coup d’État. On peut leur refuser leurs objectifs. Leurs efforts pour prendre le contrôle de la société peuvent échouer. Leur tentative de coup peut les avoir placés dans un nid de frelons politique. Le nombre de résistants déterminés, noncoopératifs et rebelles, peut aller en grandissant Il peut devenir évident que la défense sera couronnée de succès, que leur victoire sera renforcée par un surcroît de vitalité et de durabilité.

Il faudra être alors très prudent lors de la période de retour au système constitutionnel, surtout si les anciens dirigeants politiques ont été abattus par les putschistes. Il faudra si possible rétablir dans leurs fonctions les dirigeants choisis constitutionnellement et appliquer la constitution et les lois en vigueur auparavant, en prévoyant au besoin de les amender par la suite si c’est jugé approprié. Il faudra s’attacher dès que possible à corriger les problèmes et doléances légitimes qui ont poussé certains insatisfaits à soutenir le coup d’État. La société et le gouvernement seraient aussi bien avisés d’étudier avec soin comment les qualités démocratiques du régime peuvent être améliorées.

Dissuader les coups d’État

Une capacité de défense bien préparée contre les coups d’État peut constituer un outil de dissuasion redoutable contre d’éventuels putschistes. S’ils savent qu’une société dispose d’une défense anti-coup bien préparée, les éventuels putschistes peuvent même ne jamais passer à l’acte, par crainte au mieux d’une lutte très dure, et au pire d’une défaite humiliante.

Les putschistes potentiels, ou les dirigeants du gouvernement en place, seront plus enclins à rester dans leur rôle constitutionnel s’ils savent qu’en outrepassant ces limites légales de leur autorité, la volonté démocratique de la société s’imposera par la défiance politique et la noncoopération.

Cette capacité de dissuasion est complètement dépendante de la capacité de mener une résistance efficace et crédible contre les coups d’État. Le seul moyen de préparer une dissuasion contre les usurpations internes est donc de jeter les bases d’une noncoopération et d’une défiance fortes contre ces attaques.

Comme pour la défense militaire, aucune capacité de dissuasion n’est infaillible. Des attaques peuvent toujours survenir. S’il y a une tentative de coup malgré d’importantes préparations pour la résistance, ce type de défense peut la mettre en déroute efficacement et peut-être très rapidement, puis rétablir un régime constitutionnel, sans risquer une guerre civile.

Promouvoir une défense anti-coup d’État

Une étape préliminaire de cette politique sera la diffusion dans toutes les couches de la société du concept de défense anti-coup et de l’étude des formes de résistance qui seront les plus fortes pour se défendre contre les usurpations. Des individus et des organisations peuvent lancer des programmes d’information et d’éducation, même si le concept est très nouveau. De nombreux moyens de communication et d’éducation sont possibles : articles de presse, reportages dans les journaux, réunions publiques, groupes de discussion, débats à la radio et à la télévision, conférences, brochures, et livres. Il est impératif de se familiariser avec le concept que l’on peut résister avec succès aux coups d’État par la noncoopération et la défiance, si l’on veut obtenir l’adhésion des organisations principales de la société et la mise en place de préparatifs pour cette défense.

De toute évidence, l’étude, l’adoption et la mise en pratique de cette défense anti-coup ne doivent pas s’appuyer sur des cliques qui seraient susceptibles de mener un coup d’État. Toutefois la politique anti-coup sera renforcée si l’estime, le soutien et la participation qu’elle reçoit transcendent les opinions politiques. Cette approche « transpartisane » vise à rassembler des individus et groupes de convictions et opinions politiques divergentes, pour soutenir le développement, l’adoption et la mise en place d’une politique anti-coup. Avec une prise en considération aussi étendue et transcendant les divergences, la majorité de la population apportera un soutien plus fort et plus uni à la défense anti-coup.

Adopter une défense anti-coup d’État

Il existe trois manières principales d’adopter une capacité de défense anti-coup : (1) en diffusant, à tous les niveaux de la société, la connaissance et la compréhension des grandes lignes de la stratégie et des aspects de la résistance anti-coup évoquées ci-dessus ; (2) en organisant les institutions sociales afin qu’elles soient prêtes à faire face et à résister à ces attaques ; et (3) en modifiant la constitution et la loi, pour s’assurer que la structure gouvernementale ne risque pas de tomber aux mains des putschistes. Idéalement, ces trois méthodes devraient être appliquées, en séquence ou associées, selon ce qui est réalisable dans la situation du moment. Il est cependant possible d’entamer le processus d’éducation et de prise en compte avant d’être certain de la méthode qui sera finalement adoptée et mise en application.

Préparatifs par les institutions civiles

Malgré la vulnérabilité de nombreux gouvernements démocratiques, tous les dirigeants politiques ne voient pas l’intérêt ou la faisabilité de se préparer à une défense anti-coup d’État. Il est néanmoins important de posséder et de développer cette capacité de défense. Si le gouvernement, pour une raison ou une autre, ne prend pas l’initiative d’adopter une politique de défense anti-coup et de s’y préparer, c’est à la société elle-même de passer à l’action, si elle dispose d’un minimum de liberté civile. Si tel est le cas, les institutions civiles auront un rôle primordial à jouer dans la préparation de la défense anti-coup.

Dans de nombreuses situations, les institutions civiles peuvent diffuser directement, indépendamment du gouvernement, le concept fondamental de défense anti-coup, les principes de la résistance et y préparer la société.

Ces préparatifs ne signifient pas, bien sûr, que tout le monde pense que le gouvernement en place est le meilleur possible ou n’a pas de sérieuses limitations ou de graves problèmes. L’idée est simplement que le régime que pourraient imposer des putschistes potentiels risque d’être bien pire. Etre en mesure de bloquer un coup d’État qui imposerait un régime plus autocratique et répressif devient une condition préalable pour améliorer le système politique et la société.

Souvent le gouvernement en place qui est visé présente de gros défauts, comme une corruption endémique, des troubles sociaux, et une érosion du maintien de l’ordre. Les putschistes peuvent croire sincèrement, ou prétendre, que leur coup d’État va remédier à la situation. Cette revendication peut leur valoir un important soutien populaire. Il faut néanmoins se défendre contre ces coups d’État.

Le nouveau gouvernement ne va pas nécessairement mettre fin à la corruption, et il peut s’appuyer sur le prétexte du « retour à l’ordre » pour imposer un régime autoritaire ou dictatorial. Recourir à un coup pour rectifier les problèmes établit un dangereux précédent sur la manière de changer un régime défaillant. Ce coup peut prendre une tournure inattendue et le prochain coup risque d’être bien plus sinistre. L’une des solutions alternatives consiste à organiser des campagnes soigneusement ciblées à partir de formes d’action conventionnelles ou d’actes de protestation et de résistance nonviolentes orchestrés avec précision.

Les coups d’État, par leur technique anti-démocratique du changement politique, sont intrinsèquement dangereux, même lorsqu’ils prétendent vouloir redresser une situation grave. En politique, les actes peuvent avoir des conséquences imprévues et les intentions véritables ne sont pas toujours connues.

Les institutions et organisations non-gouvernementales peuvent diffuser dans la société le concept de défense anti-coup par divers moyens de communication. Ces entités civiles peuvent ensuite mettre en place et appliquer, individuellement et en se regroupant, une politique de défense anti-coup. Elles peuvent pour cela éduquer leurs adhérents, se préparer, et étudier comment leur tranche de population et de société pourrait agir avec le plus d’efficacité pour aider à vaincre un coup d’État éventuel. Par exemple, les individus, groupes et institutions qui travaillent dans les communications, les transports, les bureaux gouvernementaux, la police, les lieux de culte, l’éducation et tous les aspects majeurs de la société, devraient élaborer les méthodes les plus aptes à bloquer la prise de contrôle par des putschistes.

Même lorsque le pays n’a pas adopté une politique de défense anti-coup, on peut incorporer d’importants préparatifs à ce type de défense dans le système éducatif et l’organisation des structures gouvernementales. Dans certaines situations, les préparatifs organisés par les institutions civiles pourront inclure les gouvernements locaux et régionaux, et une coopération avec le personnel et les groupes de la structure du gouvernement national.

Ce type de préparatifs devra se concentrer sur les aspects de la société qui seront des zones prioritaires de légitimité et de contrôle pour des putschistes. Parmi les zones de haute priorité, on compte le contrôle de l’appareil d’État (fonctionnaires, employés, etc.), ainsi que celui de la police et des forces armées. Viennent ensuite les journaux, la radio, la télévision, le téléphone, l’alimentation en eau, en énergie, et les approvisionnements en nourriture. En prenant ces initiatives d’éducation, d’organisation, de planification et de préparatifs, on pourra préparer un plan national de blocage de coups d’État éventuels, qui soit adapté aux conditions spécifiques du pays. On peut construire ainsi une politique de défense puissante, même en l’absence d’initiative gouvernementale.

Si ces institutions sont fortes et représentent les diverses composantes de la société, il leur est possible de préparer et de mener une défense anti-coup suffisamment puissante pour vaincre ce type d’attaque, même si le gouvernement lui-même n’a pas pris part à l’organisation de cette défense.

Préparatifs initiés par le gouvernement

Dans une société hautement démocratique, ou dont les leaders politiques veulent au moins que leur société évolue en paix sans changements de régimes brutaux, les gouvernements peuvent adopter des politiques de défense anti-coup. La législature et d’autres parties du gouvernement peuvent prendre des mesures pour préparer une défense efficace contre des coups d’États éventuels. Ces mesures seront renforcées par des modifications constitutionnelles, légales, et organisationnelles, visant à empêcher les putschistes de prendre le contrôle du gouvernement et de la société.

Par exemple, la Thaïlande a adopté en 1997 une nouvelle constitution qui prenait des mesures majeures dans cette voie. Son article 65 stipule : chacun a le droit de résister de manière pacifique contre tout acte commis pour prendre le pouvoir dans le pays par des moyens qui ne seraient pas conformes à ceux prévus par la constitution.

Une telle disposition constitutionnelle est bien sûr de la plus haute importance. Toutefois, pour être efficace, il faudra lui adjoindre des dispositions légales spécifiques pour appliquer ce principe, accompagnées de préparatifs au niveau gouvernemental et non-gouvernemental, permettant de rendre la noncoopération suffisamment puissante pour garantir sa réussite.

Lorsqu’elle est possible, l’implication du gouvernement dans la propagation du concept de défense contre les coups d’État, et dans les préparatifs d’une défense vigoureuse, peut présenter des avantages significatifs. Le principal avantage est bien évidemment que l’appareil gouvernemental soit directement préparé à résister à une prise de contrôle. Tous les rouages du gouvernement seront préparés à opposer une résistance forte, au niveau de la fonction publique, des services civils, ministères, départements administratifs, de la police et des forces armées. Des obligations et directives spécifiques pour la résistance anti-coup seront développées par et pour les fonctionnaires, le personnel des médias, les opérateurs des communications, les policiers, les militaires, et les employés des gouvernements locaux, régionaux et provinciaux. Si l’on peut bloquer les rouages de l’appareil d’État pour les rendre inutilisables par les putschistes, la défense sera plus générale et plus puissante que si le gouvernement n’est pas impliqué. De plus, la lutte sera plus courte et il y aura moins de victimes.

Législation possible et autres plans pour mobiliser la défense

Les préparatifs gouvernementaux peuvent requérir la mise en oeuvre d’une nouvelle législation. Voici un aperçu des mesures possibles (pour une étude plus approfondie des préparatifs gouvernementaux, voir l’Annexe Un. Pour une étude des préparatifs par les institutions civiles, voir en Annexe Deux.) :

  • Un amendement à la constitution qui confère aux citoyens le droit et la responsabilité de résister aux coups d’État, et leur interdit de reconnaître un régime illégal.

  • Une loi obligeant la police et les forces armées à refuser de participer à un coup d’État ou de le soutenir.

  • Une loi qui interdise aux fonctionnaires de coopérer avec un coup d’État et d’obéir à des usurpateurs. En cas de coup d’État, les fonctionnaires auraient le devoir d’effectuer leur travail selon les procédures et politiques stipulées dans la constitution.

  • Une loi obligeant tout le personnel des communications, des médias et des transports à résister à la censure des putschistes, à refuser de collaborer avec les dirigeants d’un coup d’État et de transmettre leurs ordres.

  • Une loi obligeant toutes les institutions financières publiques et privées à refuser les relations financières avec les putschistes.

  • Le gouvernement constitutionnel peut aussi informer à l’avance toutes les instances internationales, gouvernements et organisations avec lesquels il est en relation, qu’en cas de coup d’État, elles devront maintenir leur reconnaissance du gouvernement légitime et refuser toute relation avec les putschistes.

  • En cas de coup d’État, les membres du gouvernement, en groupe ou à titre personnel, pourront appeler les leaders religieux et moraux à dénoncer l’attaque et à convaincre leurs adeptes et partisans de refuser de collaborer avec le coup.

  • Le gouvernement constitutionnel peut préparer un plan de maintien de la direction du pays dans le cas où d’importants bâtiments officiels seraient pris, ou si des officiels étaient emprisonnés ou exécutés.

  • Le corps législatif peut préparer la procédure de reprise du pouvoir par le gouvernement constitutionnel après l’échec de la tentative de coup d’État.

  • Le corps législatif peut demander aux organisations et institutions éducatives de développer et appliquer des programmes destinés à enseigner aux citoyens qu’ils ont le droit et le devoir de refuser de collaborer avec une tentative de coup d’État.

Dans tous ces préparatifs, on devra répéter que la résistance anti-coup est de nature nonviolente, et qu’il n’est pas question de commettre des actes de violence contre d’autres citoyens qui soutiendraient illégalement le coup d’État. Il faudra aussi rappeler quelles sanctions encourent les individus qui seront reconnus coupables d’avoir organisé un coup d’État, ou d’y avoir collaboré.

Autres types de préparatifs

En plus des préparatifs et de la diffusion des directives générales pour la résistance anti-coup, il existe d’autres types de préparatifs de défense. On peut par exemple procéder à de grandes manoeuvres, des exercices d’entraînement à la résistance civile contre des coups d’État fictifs. Ces manoeuvres peuvent avoir lieu dans des zones résidentielles, des bureaux ou usines des villes et provinces, et à l’échelle nationale.

Ce type de défense contre les coups d’État requiert aussi des préparatifs techniques. Il faudra prévoir des dispositions et du matériel de communication après que les putschistes auront occupé les centres névralgiques et investi les installations des journaux réguliers et les stations de radio et de télévision. Il faudra se procurer et cacher pour les utiliser en cas d’urgence, des fournitures d’édition et du matériel de diffusion qu’on utilisera pour publier des journaux clandestins et des brochures de résistance, et diffuser des émissions de radio clandestines. Il faudra prendre par avance des dispositions pour établir ces stations émettrices, centres de communications et imprimeries, sur le territoire d’un pays ami prêt à soutenir la résistance.

Conséquences d’une défense anti-coup d’État

L’objectif de cette politique de défense contre les coups d’État est de préserver le gouvernement constitutionnel en bloquant l’imposition d’un pouvoir viable par les putschistes, en rendant la société attaquée ingérable par les attaquants, et en donnant à la population les moyens de maintenir le contrôle et l’autogestion de leur société, même si elle subit une attaque. Tous les membres de la société sont responsables de la préservation du gouvernement constitutionnel. Ce sont qui peuvent maintenir et développer leurs libertés et continuer à améliorer leur société selon les principes respectés de la nation.

Cette politique de défense anti-coup offre des qualités positives majeures. C’est une politique qui s’appuie sur les gens, pas sur les balles et les bombes, sur les institutions humaines, pas sur la technologie militaire. C’est une politique qui peut servir la liberté au lieu de menacer d’une guerre civile ou de se soumettre à une nouvelle dictature. Cette politique, si elle est généralement adoptée au niveau international, pourrait apporter une contribution majeure en supprimant le coup d’État comme problème politique majeur. En limitant la survenue de nouvelles dictatures, elle peut réduire l’expansion de la tyrannie au niveau mondial.

Cette politique est une défense créative qui s’appuie sur le pouvoir des peuples à devenir, même lors de crises graves, les maîtres de leurs propres destinées, et à conserver cette maîtrise. Elle peut avoir de profondes conséquences.

« Annexes »

A. Législation et autres préparatifs gouvernementaux pour une défense anti-coup d’État

Les gouvernements peuvent faire des préparatifs importants pour prévenir et vaincre les coups d’État. Ceux-ci peuvent requérir une nouvelle législation et sa mise en pratique. Toutes ces lois et déclarations de responsabilités et devoirs devront stipuler que nul ne doit commettre des actes de violence contre ses concitoyens qui agiraient illégalement. Nous recommandons pour cela les mesures légales et procédures suivantes.

1. Une clause constitutionnelle sera adoptée pour stipuler qu’aucun citoyen, quel que soit son rang, son rôle et sa situation sociale, n’a le droit d’accepter comme gouvernement légitime toute personne ou groupe qui aurait mené un coup d’État.

Au contraire, tous les citoyens sans exception ont le devoir constitutionnel de refuser la légitimité de tout groupe de putschistes et de leur refuser toute coopération et toute obéissance. Les citoyens persisteront à poursuivre leurs devoirs habituels et s’efforceront de répondre aux besoins de leurs compatriotes tout en défiant les putschistes.

2. Des lois spécifiques établiront l’obligation légale pour tous les employés et fonctionnaires du gouvernement, au niveau national, régional et local, de refuser d’assister des coups d’État. Ils auront l’obligation légale de poursuivre leur tâche uniquement selon les procédures et méthodes constitutionnelles et légales en vigueur avant le coup. Ils auront aussi l’obligation légale de refuser toute collaboration et toute obéissance aux usurpateurs éventuels. Ce refus vise à priver les putschistes de tout soutien administratif dans l’exécution de leurs ordres et objectifs illégaux.

3. Une nouvelle disposition constitutionnelle stipulera l’obligation légale pour tous les membres de la police et des forces armées de prêter serment d’allégeance, non seulement au gouvernement constitutionnel, mais de s’engager - peut-être lors de leur serment d’entrée en fonctions - à refuser de participer à toute conspiration pour organiser ou réaliser un coup d’État. Au cas où un coup serait perpétré par la suite, ces personnes auraient pour devoir de refuser d’obéir ou de collaborer avec tout groupe qui tenterait de prendre le contrôle de l’appareil d’État.

Les policiers à tous les niveaux, et les membres du système judiciaire, auront ordre de continuer à appliquer uniquement les lois, méthodes et procédures en vigueur auparavant. Ils devront ignorer toute nouvelle directive, tout décret et ordre, reçus ou annoncés, émanant de ceux qui ont tenté de prendre le pouvoir illégalement. En particulier, ils sont autorisés à prévenir les personnes et groupes qui risquent d’être arrêtés, et ils devront refuser de rechercher et d’arrêter les patriotes qui défient le putsch, soit par des actions individuelles, soit par une résistance groupée et des manifestations.

La police peut parfois résister au grand jour, ou sinon simuler d’obéir aux putschistes tout en désobéissant dans les faits. Par exemple ils peuvent prétendre qu’il leur a été impossible de localiser et d’arrêter des personnes recherchées.

S’ils reçoivent l’ordre de disperser des manifestations, les policiers peuvent simplement faire acte de présence sur les lieux mais sans prendre de mesures répressives, ou aller jusqu’à se joindre aux manifestants en qualité de résistants. La police ne doit pas être autorisée à devenir un outil de répression aux mains des usurpateurs.

4. En plus de résister aux putschistes, la police aura l’obligation, dans la mesure du possible, d’aider activement la résistance. Il est arrivé par exemple que des policiers transportent des stocks de journaux et autres publications de la résistance dans les véhicules de police pour les livrer dans d’autres lieux de la ville ou de la région où ils étaient requis.

5. Les soldats et autres membres des forces armées ne doivent pas se laisser manipuler et devenir un outil de répression au service de ceux qui ont tenté de remplacer le gouvernement constitutionnel. Il peut leur être plus difficile de refuser de coopérer et d’obéir si le coup est l’oeuvre d’officiers des forces armées, plutôt que s’il s’agit d’un groupe politique qui cherche l’appui des militaires pour imposer leur domination illégale sur le gouvernement et la société.

Comme dans le cas des policiers, diverses possibilités d’action, toutes préjudiciables aux usurpateurs, s’offrent aux soldats qui se trouvent confrontés à cette situation difficile de s’opposer au coup d’État. Ils peuvent par exemple être très pacifiques face aux manifestants ou, s’ils reçoivent l’ordre de tirer sur la foule, tirer en l’air pour ne blesser personne. Ils peuvent aussi essayer d’encourager leur unité à défier ouvertement les usurpateurs ou, sans recourir à leurs armes, prendre part à des actions dangereuses de protestation et de défiance envers les putschistes.

La résistance ouverte de la police et des forces armées peut être extrêmement dangereuse puisqu’ils encourent souvent le peloton d’exécution pour refus d’obéissance. Il est donc souhaitable d’étudier et d’appliquer d’autres moyens moins visibles de refuser obéissance et assistance aux usurpateurs.

6. Des lois spécifiques enjoindront à toutes les personnes et organisations qui travaillent dans les communications de rester fidèles uniquement au gouvernement constitutionnel. Aux termes de cette législation, en cas de coup d’État, elles auront l’obligation légale de refuser de se soumettre aux tentatives des putschistes pour imposer une censure, de publier des proclamations et des ordres des putschistes, et tout autre ordre illégal émanant des putschistes.

Au cas où, par suite d’actes de répression des putschistes, les communications, imprimeries et installations de diffusion normales sont inutilisables pour des activités normales ou par le gouvernement légitime, les professionnels de ce secteur, et d’autres citoyens, auront la responsabilité de créer des alternatives de communication parmi la population, hors du contrôle des usurpateurs.

7. Toute personne et groupe travaillant pour le gouvernement, à tous les niveaux, devra en cas de coup d’État continuer aussi longtemps que possible à appliquer les règles et procédures en vigueur et ignorer tout nouveau règlement, ordre et instruction émanant des usurpateurs.

Dans les conditions initiales probables, les employés du gouvernement peuvent poursuivre cette défiance sur leur lieu de travail habituel. S’ils deviennent la cible d’une répression intolérable, ces individus et groupes pourront se mettre en grève, voire quitter leur poste. Il faut empêcher les usurpateurs d’utiliser les rouages du gouvernement comme outil de contrôle de l’ensemble de la société.

8. Des lois spécifiques établiront l’obligation légale pour toute personne et organisation du secteur des transports de refuser tout ordre des usurpateurs et de rendre le système de transports inutilisable par ces derniers, tout en le mettant au service de la résistance.

9. Des lois spécifiques établiront l’obligation légale pour tout organisme financier d’État et privé, toute banque, institution commerciale et économique, tout syndicat et association professionnelle, de refuser tout rapport financier quel qu’il soit avec les putschistes.

10. Bien avant la survenue d’une tentative de coup d’État, le gouvernement devra informer tous les gouvernements avec lesquels il a des relations diplomatiques, et toutes les organisations internationales, y compris les Nations Unies, qu’il leur demande de refuser d’établir des relations diplomatiques ou économiques normales avec des usurpateurs éventuels et de ne reconnaître que le seul gouvernement constitutionnel.

11. Le corps législatif et les ministères et services gouvernementaux devront préparer divers plans d’urgence pour continuer à gouverner légalement au cas où les putschistes occuperaient des bâtiments officiels, emprisonneraient ou exécuteraient des membres ou représentants du gouvernement, ou prendraient d’autres mesures répressives.

12. Le corps législatif devra préparer à l’avance des plans précis prévoyant comment le gouvernement constitutionnel reprendra les opérations normales après l’échec de la tentative de coup d’État. Il ne faudra permettre à aucun autre groupe d’usurpateurs d’imposer son propre régime durant la période de transition. Pour le cas où des officiels auraient perdu la vie durant le coup d’État ou la résistance, il faudra prévoir des dispositions légales pour que d’autres personnes puissent les remplacer.

13. Le corps législatif devra, en prévision d’une tentative de coup d’État, appeler, et soutenir dans leur action, toutes les institutions, organisations et associations indépendantes, et toutes les instances éducatives du pays, à enseigner à leurs membres et aux citoyens en général quels seront leurs devoirs patriotiques pour répudier les usurpateurs et opposer une attitude de noncoopération et de défiance envers toute tentative de coup d’État.

14. Le corps législatif pourra aussi voter une loi interdisant aux participants à un coup d’État de tirer un profit financier de leurs activités illégales. Il leur serait également interdit d’obtenir par la suite un quelconque poste au service du gouvernement.

15. Le corps législatif devra aussi envisager des sanctions pénales pour ceux qui auraient fomenté ou soutenu un coup d’État par leur coopération. Ces dispositions devront tenir compte du besoin d’encourager les personnes qui auraient soutenu le coup au début à faire marche arrière pour se joindre à la défense contre le coup d’État.

B. Préparation de la société civile pour une défense anti-coup d’État

L’éventualité d’une tentative de coup d’État est moindre, et il sera plus facile d’en venir à bout, si les institutions de la société civile sont préparées et capables de résister à toute tentative de prise de pouvoir.

Cette défense sera préparée et conduite par les associations et organisations non-gouvernementales, les institutions éducatives, les organismes économiques, les corporations de transports et communications, les organisations et institutions religieuses, et autres instances.

Cette action de résistance de la société civile peut être menée soit en soutien de mesures de défense planifiées par le gouvernement, soit, si elles n’existent pas, comme une lutte indépendante menée à l’initiative directe des citoyens.

Dans les deux cas, si les institutions sociales indépendantes sont prêtes à résister aux coups d’État, les comploteurs éventuels y réfléchiront à deux fois avant de lancer une attaque. S’ils tentaient néanmoins un putsch, ces préparatifs augmenteraient la puissance de la défense anti-coup.

On peut regrouper ces préparatifs et cette résistance en cinq types généraux d’action : (1) éducation du public ; (2) médias ; (3) organisations politiques ; (4) institutions religieuses ; et (5) groupes et institutions spécifiques.

1. Education du public

Ces instances non-gouvernementales auront pour tâche d’enseigner à leurs membres et au grand public les moyens efficaces de rejeter comme illégitimes les usurpateurs et la manière d’entrer en phase de noncoopération générale et de défiance à l’encontre des tentatives des putschistes pour gouverner. L’objectif est de rendre impossible l’exercice du pouvoir illégitime.

Si toutes les institutions de la société civile doivent prendre part à ces efforts pour éduquer leurs membres, certaines institutions seront particulièrement adaptées pour toucher le grand public, entre autres l’Education nationale et divers secteurs des médias, tels que les journaux et revues, la radio et la télévision, Internet et le cinéma. Ces mesures d’éducation du public devront inclure le contenu politique suivant : (1) l’importance de refuser toute légitimité aux putschistes, et (2) l’importance de la noncoopération et de la défiance pour faire en sorte qu’il leur soit impossible d’établir et de maintenir leur régime illégitime. Pour renforcer les instructions explicites indiquant comment résister, on pourra recourir à des documentaires et films sur des cas antérieurs de résistance anti-coup. Il serait aussi important d’expliquer les conséquences dans d’autres pays de l’absence de la résistance à un coup d’État.

Il faudra informer le public sur les caractéristiques de la lutte nonviolente, sur ses nombreuses méthodes, et sur son mode de fonctionnement lors des conflits.

Des manifestations de rues peuvent être utiles pour communiquer le sentiment d’opposition à une prise de pouvoir illégale. Cependant, ce n’est guère recommandé dans certains cas, comme si ces manifestations se heurtent aux fusils des troupes des putschistes. Cette action pourrait non seulement entraîner de fortes pertes, mais aussi effrayer le public, qui risquerait alors de se soumettre.

A cause de ces situations, le public doit être informé bien avant la crise sur les formes alternatives de protestation et de défiance qui seraient visiblement moins risquées, tout en signifiant très clairement l’opposition populaire. Par exemple, si l’ensemble des citadins reste simplement à la maison, dans les écoles ou autres bâtiments pendant des durées spécifiques, les rues désertes ne pourront servir de champ de tir pour tuer et intimider les résistants, tout en indiquant clairement que l’opposition est générale.

2. Médias

Les membres des médias - journalistes, rédacteurs de journaux et revues, reporters et directeurs de stations de radio et de télévision, syndicats des imprimeurs, chargés de communication et autres - peuvent organiser à l’avance la résistance contre un coup d’État, en prévoyant la manière de résister à la censure des putschistes, de transmettre les messages du gouvernement légal à l’intention du public, et de refuser de transmettre les messages des putschistes.

Les personnels des médias peuvent préparer des moyens alternatifs de communiquer au cas où ils perdraient leurs installations techniques ou devraient entrer en clandestinité. Si les putschistes prennent le contrôle de l’appareil médiatique de la société, les syndicats d’imprimeurs, les opérateurs de radio et autres peuvent prétendre que le matériel est en panne et qu’il leur est impossible d’exécuter les instructions des putschistes. Il faut aussi développer la capacité d’édition, d’impression et de radiodiffusion clandestines. On peut également s’organiser pour diffuser des programmes depuis des pays voisins.

Toutes ces actions limiteront de manière significative la légitimité et le contrôle que la population pourrait concéder aux leaders du coup, puisque ces derniers ne pourront exercer le plein contrôle de l’information circulant dans la société, tandis que les défenseurs auront la capacité de communiquer à grande échelle, entre eux et avec le public.

3. Organisations politiques

Les partis politiques et organisations non artisanes qui tiennent à faire progresser leurs programmes sociaux, économiques et politiques devront s’efforcer, dans le cadre de leur mission, d’enseigner à leurs membres et au public l’importance et les méthodes de la défense anti-coup. S’ils ont établi au préalable des contacts et réseaux d’organisation, il leur sera plus facile de faire passer le message sur la résistance nécessaire et de diriger la défense anti-coup.

4. Institutions religieuses

Les dirigeants et groupes spirituels et religieux devront inciter leurs adeptes à considérer que le coup est une attaque immorale contre la démocratie constitutionnelle, contraire aux règles de comportement qu’ils respectent. En cas d’attaque, ces leaders et groupes religieux et spirituels inciteront donc leurs fidèles et partisans à respecter leurs convictions en refusant d’accorder toute légitimité aux putschistes, en refusant de coopérer avec eux et de leur obéir, et au contraire en participant activement à la défense anti-coup.

5. Groupes et institutions spécifiques

Les membres et officiels d’organismes et institutions civiles pourront aussi s’organiser pour empêcher les putschistes de contrôler leurs secteurs sociaux. Par exemple, les membres de la société civile du secteur des transport, des activités économiques, des médias, des communications, des institutions religieuses et de tous les autres secteurs et services qui font tourner la société, devront être prêts à refuser de coopérer et à défier les putschistes afin de conserver leur indépendance.

Il sera crucial pour ces organismes et institutions de bloquer les tentatives que les putschistes ou leurs supporters feraient pour prendre le contrôle interne de leur organisation. Ceux-ci tenteront même de les détruire pour les remplacer par de nouvelles institutions sous leur contrôle. Il faudra réduire leurs efforts à néant dans ce domaine également.

En cas de crise, ce sera aux citoyens et à leurs institutions non-gouvernementales de lancer les préparatifs de la résistance contre le coup d’État. Celle-ci pourra suivre un plan gouvernemental de défense anti-coup, ou être lancée indépendamment si un tel plan n’existe pas, comme nous l’avons indiqué plus haut.

Les personnes et institutions qui effectuent ou contrôlent des opérations importantes au niveau socio-économique, politique ou industriel, seront en général plus aptes que les théoriciens de ce type de résistance à déterminer quelles formes spécifiques de noncoopération et de défiance priveront au mieux les usurpateurs du contrôle de ce secteur social. En voici quelques exemples :

  • Les travailleurs des transports, chauffeurs routiers, employés des voies ferrées ou opérateurs de lignes aériennes sont sans doute bien plus aptes que les fonctionnaires du gouvernement à déterminer la meilleure façon de ralentir ou de paralyser leur réseau de transport et d’en priver les putschistes. De même, ils sont sans doute plus aptes à transporter des approvisionnements et autres fournitures importantes à la barbe des attaquants malgré une paralysie partielle provoquée par les résistants ou un blocage des transports par les putschistes.

  • Dans le domaine des communications, tant que les téléphones portables et les ordinateurs sont opérationnels, on peut les utiliser de manière inventive pour communiquer des plans d’action, lancer des activités de résistance et faire le point sur l’état du contrôle des putschistes et de la lutte de résistance. On pourra {{utiliser le matériel de radio ou de télédiffusion que l’on avait caché en prévision de la crise pour servir la résistance, même si les bureaux officiels et les stations émettrices sont occupés par les putschistes.

  • Les fonctionnaires des organes gouvernementaux peuvent continuer à travailler indépendamment, même si leur hiérarchie a rejoint les putschistes. En plus de la défiance ouverte, les fonctionnaires peuvent aussi résister discrètement au coup d’État en travaillant au ralenti, en égarant des dossiers importants et par d’autres actions non provocatrices mais efficaces pour limiter le contrôle des putschistes.

  • Les syndicats de travailleurs peuvent refuser tout net d’aider les putschistes à gérer l’économie, tout en poursuivant les activités que les usurpateurs, leurs administrateurs ou officiels tenteraient de leur interdire.

  • On pourra observer des journées commémoratives pour honorer des personnes, événements ou principes significatifs pour la nation et les résistants démocratiques, même si les putschistes les ont interdits ; on pourra aussi instituer de nouvelles journées de commémoration en l’honneur d’événements ou de victimes de la résistance anti-coup d’État.

Notas

  • Publication à Boston, MA : The Albert Einstein Institution, avril 2003 pour l’édition originale en anglais ; L’Harmattan, Paris 2009, pour l’édition en français.

  • Traduit de l’américain « The Anti-Coup » par Bernard Lazarevitch.

  • Publié à l’initiative de l’Ecole de la Paix de Grenoble.

  • Tous les textes publiés ici appartiennent au domaine public, et peuvent être reproduits sans l’autorisation préalable de Gene Sharp et Bruce Jenkins. Mention d’origine appréciée.

  • Le lecteur de cette fiche se reportera utilement à notre dossier des « Résistances civiles de masse » www.irenees.net/fr/dossiers/dossier-199.html