Richard Pétris, Grenoble, August 2006
L’espoir au bout des forums
Paix et sécurité au Forum Social Mondial de Porto Alegre, en 2005.
Keywords: | Politics and peace. Exercising our rights and our responsibilities. | | | | | | | | Political actors. Public and military authorities. | | | | | | | Reconstructing peace. Post-conflict : the challenge of peace-puilding. | |
Que l’on ait participé aux cinq éditions successives du Forum Social Mondial qui se sont tenues à Porto Alegre, au Brésil, et à Mumbai, en Inde – ce qui permet toutes les comparaisons - ou qu’on y soit venu pour la première fois en 2005, la grande rencontre altermondialiste qui vient de s’achever en Amérique latine fait réfléchir et permet de conclure à une réelle maturation. A l’évidence, un effort d’organisation qui avait fait le pari de combiner la définition d’espaces thématiques judicieusement localisés avec leur animation « 100 % autogérée », notamment pour encourager les regroupements entre organisations et mouvements ayant des affinités, s’est avéré payant. Mais quelque chose s’est également passé, cette fois-ci, qui relève sans doute, en même temps, du contexte général et d’une volonté manifeste de consolidation d’une démarche militante mais qui semble s’ouvrir désormais à l’ensemble des secteurs de la société civile.
Dans l’espace Paix, démilitarisation et lutte contre la guerre, le libre échange et la dette, nous étions venus débattre de sécurité humaine et de nouvel ordre international et il est évident que la communauté internationale a désormais pris conscience du fait que pour tout groupe humain, la sécurité revêt un caractère global ; c’est-à-dire physique et économique autant que juridique et social. En même temps, il n’est pas de développement durable possible sans sécurité et la sécurité humaine n’est pas envisageable sans développement. En conséquence, le traitement des crises doit nécessairement s’effectuer par des moyens dépassant largement le seul recours à la force armée. Ce sera le cas aussi bien en ce qui concerne la prévention des crises que dans la phase finale du règlement des conflits, le pouvoir politique devant planifier toutes les actions civiles qui entrent dans le processus sécuritaire global. Un quasi-consensus s’est également exprimé pour que ces évolutions soient prises en compte dans la réforme envisagée de l’Organisation des Nations Unies. Bien que critiquée, celle-ci est devenue incontournable dans le règlement des conflits et a accru sa légitimité aux yeux des peuples. Une réforme de son fonctionnement s’impose d’autant plus pour améliorer le caractère démocratique de ses organes de décision, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. L’importance du renforcement d’organisations régionales à l’image de l’Union européenne ou de l’Union africaine a également été soulignée.
Car l’on touche bien dans ce forum à l’exercice d’un pouvoir au niveau mondial ; que l’on évoque cette société civile mondiale qui se renforce ou que l’on remarque la partie qui s’est jouée autour de la rédaction d’un manifeste susceptible d’avoir valeur de programme. Les avancées de la première ne peuvent se mesurer à la seule inflation des décibels et des bigarrures de l’emblématique marche d’ouverture. Avec 150 000 participants pour plus de 2000 activités proposées par le forum – soit dix et cinq fois plus que lors de la première édition il y a cinq ans - se confirment, à la fois, la mobilisation et la dynamique. Le FSM s’est, dès l’origine, institué en rendez-vous incontournable de la réflexion non institutionnelle sur la mondialisation, véritable vitrine d’une quantité d’initiatives et d’expériences, de mouvements et de courants, de mobilisations et de luttes ayant plus ou moins clairement pour point commun ce questionnement sur la marche du monde et du nouveau siècle. De caisse de résonance, il est devenu un amplificateur, un encouragement à organiser des collectifs, à tisser des réseaux plus sûrs de leur légitimité et en quête d’une plus grande efficacité. Il n’est pas surprenant, dès lors, que soit survenu l’épisode - qui ne peut donc apparaître comme un épiphénomène – du lancement, par 19 intellectuels militants et pionniers de l’événement, d’un document en 12 points pouvant constituer une plate-forme pour cet « espace public planétaire de la citoyenneté et des luttes » et cette « force qui compte au niveau mondial » ; ceci dans un climat d’excitation et de passion qui caractérise un tel microcosme. En effet, ce texte ne peut mériter le qualificatif de «consensus », du fait des conditions mêmes de son élaboration comme des règles de fonctionnement que s’est données le forum pour rester un lieu de débats libres. Mais légitime et au combien utile est pourtant la volonté qu’émergent des propositions et que s’ancre le mouvement, si l’on veut pouvoir « continuer de parler d’un autre monde possible [-] et l’atteindre » comme l’a dit Ricardo Petrella, l’un des signataires du Manifeste.
Au delà des luttes politiques sourdes qui agitent les mouvements, les syndicats et les partis politiques concernés, voire des enjeux idéologiques et tactiques qui accompagnent l’engagement de grands leaders, il serait malhonnête de nier les convergences entre les sujets traités au Forum social mondial de Porto Alegre et ceux du Forum économique de Davos, dont le premier s’est voulu l’opposé dans son essence même. Le président Lula, lui-même, n’a t il pas parlé de « champs communs possibles » entre ces deux forums qui sont, de fait, des lieux de pouvoirs appelés à grandir, et de « liens à établir [-] entre des communautés unies par une destinée humaine indivisible » ? Un autre président n’a t il pas dit vouloir le rejoindre dans le combat contre la misère et choisi d’insister à Davos sur la nécessité d’une taxe internationale pour financer le développement ? Cette idée de taxe sur les transactions financières et sur les ventes d’armes n’est-elle pas, précisément, l’un des chevaux de bataille du FSM ? Que faut-il donc souhaiter ? D’abord, que soit pris au sérieux le contenu même de toutes ses propositions ; les 12 et les centaines d’autres points issus des différents séminaires, tables de dialogue et autres ateliers, alors que le FSM a toujours été moqué pour l’absence de débouchés de ses débats. Sans se masquer la difficulté de résoudre les contradictions que symbolise, par exemple, la coexistence, dans une étonnante unité de temps et de lieu en quelque sorte, des projets actuels du gouvernement brésilien pour revitaliser son industrie et ses exportations d’armement, des slogans des travailleurs de ce secteur défendant leurs emplois dans les cortèges mêmes du FSM et du point 2, contre le commerce des armes, du fameux « Manifeste de Porto Alegre » ! Pour sortir d’un tel piège, nous avons déjà souligné la nécessité de mieux articuler les rôles des civils et des militaires en matière de défense et de sécurité. Mais il faudrait sans doute également que les responsables latino-américains se donnent les moyens d’aller plus loin et plus vite en matière d’intégration régionale, facteur de stabilité, de développement et de progrès en définitive.
Toute cette complexité doit être affrontée avec la conviction, que partagent donc des présidents et de simples citoyens, que nous vivons effectivement « une époque de possibilités humaines sans précédent », et il faudrait certainement que les allées et les débats de chacun des deux forums soient davantage fréquentés par les participants de l’autre. Faudra-t- il s’étonner que cela demande du temps, mais aussi d’autant plus de courage et d’imagination ? S’il est ainsi évident que la paix - dans son acception la plus classique mais aussi la plus intégrante - n’est pas « au coin de la rue », l’espoir semble devoir être, en tous les cas, davantage qu’au bout du fusil, au bout des forums.