Brigitte Serrano-Vulliod, Catherine Rouhier, Grenoble, France, février 2006
De la Loi symbolique aux lois pour vivre ensemble
L’intégration de la Loi symbolique dans l’éducation à la paix.
A travers deux personnages de la tragédie de Sophocle, Antigone, héroïne grecque et Créon, son oncle, nous voyons s’affronter deux sortes de lois à propos de la mort de Polynice, frère d’Antigone. Créon pense que ce dernier a trahi la cité et de ce fait ne mérite pas de sépulture. Antigone invoque pour son frère, une loi éternelle qui impose le respect des morts et donc une sépulture.
Antigone témoigne en faveur d’une Loi éternelle, absolue, transcendante mais non-écrite. Créon fait référence à une loi écrite, celle de l’Etat qu’il dirige ; il entend fonder le gouvernement des hommes et de la cité sur la seule légitimité de la loi.
Devons-nous chercher à savoir si l’une est supérieure à l’autre et tenter d’affirmer que la vraie loi serait celle non-écrite et déclarer fausses les lois instituées ? Certainement pas. Il nous faut seulement prendre conscience qu’à travers le destin de ces deux personnages, c’est deux types de lois qui sont évoquées, loi écrite et Loi non-écrite.
La Loi non-écrite conçue comme ce qui dépasse l’homme et le pousse à se transcender serait fondamentale, éternelle, universelle, symbolique ; les lois écrites seraient immanentes, incarnées, contingentes, particulières. Cette Loi et ces lois sont également nécessaires. C’est parce qu’il y a la Loi que nous pouvons écrire des lois provisoires, révisables qui créent un espace de liberté. L’homme doit se soumettre à l’une comme aux autres pour assurer les conditions de sa vie en société et le sens de son existence. Les lois écrites ont donc une fonction politique, celle de traduire les valeurs universellement acceptables comme une garantie de liberté et de dignité pour chacun afin de réguler la relation entre les hommes.
Alain Saudan, dans son livre « Fonder la Loi » écrit « qu’un des enseignements majeurs de la Grèce qu’illustrent les personnages de Créon et d’Antigone, c’est d’une part que la naissance véritable de la loi se fait, dans la cité démocratique, dans l’établissement des lois écrites mais d’autre part que ces lois écrites nécessitent l’appel à d’autres lois non-écrites ».
La Loi Symbolique
Elle est la Loi de l’Homme. Elle n’est pas la loi d’un tel ou d’un tel qui se permettrait de faire la loi, elle n’est pas la loi de la République car toutes ces lois écrites sont marquées par leur caractère variable et contingent – elles ne sont pas les mêmes en des lieux et des temps différents. Cette Loi symbolique est la même pour tout homme de tous temps et de toutes parts. Cette Loi de l’Homme est au-dessus de toutes les particularités des différentes lois. Elle est universelle et englobe toutes les autres. Cette Loi est dite symbolique car elle n’est écrite dans aucun code juridique, elle doit s’inscrire dans l’homme, c’est elle qui règle les rapports humains. On peut dire que la Loi est la garantie du désir : il s’agit, en effet, pour chacun d’arriver à un désir compatible avec le désir de l’autre et les exigences de la vie en société.
« N’attente jamais à la liberté d’autrui ou comporte toi avec autrui de façon à reconnaître et son altérité (sa différence) et sa similitude en respectant entre lui et toi la distance sans laquelle personne ne peut exister ». M. Natanson.
La Loi symbolique
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Est universelle : elle est la même pour tous les hommes de tous les temps, de tous les continents
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Engage la réciprocité : tout homme y est soumis. Cela veut dire que si quelqu’un dit la Loi, il L’a intégrée, il La respecte, il est soumis à la Loi. Si je dis « Je t’interdis de faire de moi ce que tu veux, quand tu veux, où tu veux » j’ajoute en même temps ; « Moi aussi, je renonce à la toute puissance sur toi et je ne ferai pas de toi ce que je veux, quand je veux , où je veux. »
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Est renoncement pour une ouverture à l’autre et un dialogue avec lui afin de connaître ses désirs, ses intérêts, ses limites. Si elle est momentanément répressive, elle est toujours , pour F. Dolto, une Loi « promotionnante » pour le sujet afin qu’il trouve sa place dans la communauté des humains. Signifier l’interdit « Non ! » « Stop ! » « Interdit ! » est l’épreuve de la castration symbolique. C’est le processus qui s’accomplit chez un être humain lorsqu’un autre être humain lui signifie que l’accomplissement de son désir , sous la forme qu’il voudrait lui donner, est interdit par la Loi.
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Est libératrice. L’homme qui reste au niveau de la pulsion ou du besoin formule à l’adresse du monde une demande à laquelle ne correspond aucune réponse adéquate, car il demande quelque chose qui est la permanence de l’objet convoité. Ainsi l’enfant qui est habité par ce sentiment de toute puissance vis à vis de sa mère tourne toutes ses activités uniquement vers le but de l’accaparer et quand il l’a obtenu un moment, il recherche à nouveau à l’avoir, il est enfermé dans son besoin. L’enfant qui a intégré la Loi va renoncer à la satisfaction du tout de suite ; son esprit est libéré de cette nécessité urgente de voir sa mère et il va se tourner vers d’autres activités : il s’ouvre aux autres et au monde.
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A une visée, elle amène les deux partenaires à se parler et à modifier leur relation. Elle oblige le sujet à respecter l’autre, elle lui permet de s’ouvrir à d’autres activités. Le renoncement à la toute puissance est compensé par la recherche ou la découverte d’une autre façon d’être avec soi-même, avec l’autre, une autre façon d’être au monde.
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N’est pas une règle morale, elle est humaine, elle instaure la coexistence, la réciprocité, l’échange. Elle est fondatrice du champ humain, elle introduit l’existence de l’autre, la reconnaissance de ses désirs, de ses intérêts, de ses valeurs.
Les étapes de l’intégration de la Loi symbolique
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1er interdit : l’interdit de la toute puissance.
Dès les premiers jours de la vie, lorsque le bébé a acquis un sentiment de sécurité vis à vis de ses parents mais en particulier de sa mère, qu’il a compris qu’elle répondait à ses différents besoins (nourriture, propreté, affectivité, langage, motricité, etc…), il va s’appuyer sur ce sentiment et tenter de la posséder. C’est dans une relation chaleureuse que la mère va lui faire comprendre que, lui ayant donné tout ce dont il avait besoin, il doit maintenant accepter de rester seul (« Tu ne feras pas de moi ce que tu veux, et, moi non plus, je ne ferai pas ce que je veux de toi » . Ceci suppose pour l’enfant un double mouvement de renoncement et d’investissement du monde (jouer). La mère, elle, renonce à la possession impossible et va permettre à son enfant de se constituer comme personne. Elle lui fait comprendre que sa vie est ordonnée vers d’autres personnes mais aussi vers d’autres activités et qu’il n’obtiendra pas tout d’elle. En limitant la relation, elle fait acte de séparation entre elle et lui et permet en même temps qu’il puisse lui aussi se tourner vers d’autres personnes. L’enfant apprend à renoncer à l’attachement exclusif. Le père a une place fondamentale car il soutient cette phase de séparation primordiale et nécessaire.
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2ème interdit : l’interdit de meurtre et de vandalisme (il faut entendre : interdit de faire du mal à l’autre, interdit de violence sur l’autre).
C’est sur cet interdit que doit s’appuyer tout atteinte au corps de l’autre ou toute détérioration à ce qui appartient à l’autre ou à la société. L’enfant ayant acquis une certaine autonomie motrice va à la fois à la découverte de l’autre et à la découverte du monde. Quand il se permet dans un jardin public de taper la tête d’un autre enfant avec une pelle, l’adulte présent va lui signifier l’interdit et lui expliquer une autre façon de jouer avec l’autre ; de même lorsqu’il va découvrir les crayons et en profiter pour écrire sur le mur ou déchirer les livres de son frère car il aime cette activité, il lui sera signifié l’Interdit et en même temps il lui sera proposé des jeux conciliant ses goûts. Nous voyons également ce double mouvement de renoncement et d’investissement.
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3ème interdit : interdit de l’inceste.
Quand l’enfant découvre la relation amoureuse de ses parents, il va s’imaginer qu’il peut lui aussi prendre une place dans cette relation et devenir partenaire de sa mère ou de son père selon qu’il est un garçon ou une fille. Il lui est là aussi signifié l’interdit : « Ce n’est pas, parce que tu es petit que cela t’est interdit, c’est parce que toute relation amoureuse est interdite entre parents et enfants, entre frères et sœurs ». Renoncement là encore à un certain type de relation mais ouverture à la société des enfants et à l’apprentissage de la socialisation. Cet interdit va régler les lois sociales car elle engendre les lois d’alliance.
Les lois pour vivre ensemble
C’est avec l’écriture et la démocratie que les lois deviennent écrites.
La Loi symbolique est mentalisée, intériorisée. Elle constitue l’Esprit de la Loi alors que les lois écrites constituent « la lettre » de la Loi. C’est l’esprit de la Loi qui donne du sens aux lois écrites.
Les lois sont des prescriptions établies par l’autorité souveraine de l’Etat, applicables à tous et définissant les droits et les devoirs de chacun. La non application des lois est sanctionnée par un représentant de l’Etat ou par la Justice. Les lois obligent ou interdisent un certains nombre de comportements. Elles sont transcrites dans une série de codes : code de la route, code civil, code pénal…… où sont inscrites les peines pour les infractions aux lois. Parler de ces codes, c’est parler des lois. Parler des lois, c’est parler de la liberté car sans limites il n’y a plus de liberté et de possibilité de vivre ensemble.
Caractéristiques des lois
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Les lois sont des règles impératives, imposées à l’homme de l’extérieur.
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Elles sont faites par les hommes.
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Elles sont le produit d’une situation historique donnée.
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Elles formulent un choix qui tend au bien commun.
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Elles sont contingentes : elles peuvent être supprimées quand elles ne sont plus appropriées à la situation pour laquelle elles ont été promulguées car la situation a changé.
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Elles sont promulguées au journal officiel et à partir de ce moment là, « nul n’est censé ignorer la loi » ; elles sont immédiatement applicables dans tout le territoire français.
Qui peut signifier les lois ?
L’institution judiciaire, la police, la gendarmerie, les représentants de l’ordre public représentent les lois et peuvent les signifier en sanctionnant si elles n’ont pas été respectées. Toute personne peut rappeler les lois à une autre personne, mais si l’infraction nécessite une sanction, il faut se rapporter aux représentants de la loi pour les faire appliquer.
Comme pour la Loi symbolique, l’éducation à l’apprentissage des lois passe le plus souvent par des adultes.
C’est en invitant les élèves à participer à l’élaboration des règles de vie de classe – par exemple - qu’ils vont faire l’apprentissage du dialogue, de la négociation, de la démocratie participative. C’est aussi en transgressant ces règles, qu’ils vont rencontrer les limites, le cadre, les autres, la sanction. Cette dernière se doit d’être une démarche pédagogique qui favorise la réparation. Dans la transgression, il y a un auteur, un passage à l’acte et une victime. La sanction doit être une réponse qui permet au jeune de se responsabiliser, il va lui être demandé de mettre des mots sur son acte, de répondre de son acte, de réparer concrètement auprès de la victime et de réfléchir aux règles ou aux lois bafouées lors de ce passage à l’acte. Maryse Vaillant nous dit que le temps de la réparation pénale est « le temps de la transformation de l’angoisse en création, de la dette en don, de la haine en pardon » .
Ainsi l’Esprit de la Loi qui inspire nos lois écrites nous parle de l’altérité en organisant le cadre du « vivre ensemble ».
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