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"The Resource Conflict Triangle"

Présentation du conflit à Lumbac, un village situé sur l’île de Mindanao.

Lumbac est l’un des 26 barangays de la municipalité de Kolambugan (un barangay est l’unité administrative la plus petite aux Philippines. Le terme natif philippin signifie « village »).

Ce barangay abrite deux tribus différentes :

— les Maranaos, une tribu indigène convertie à l’Islam ;

— les Visayas chrétiens, originaires des îles Visayas.

Examinons l’histoire d’un homme nommé Felizardo Laborte afin de comprendre le conflit foncier se déroulant à Mindanao, la seconde plus grande île des Philippines, et plus particulièrement dans le village (baranguay) de Lumbac.
Le cas de Felizardo est juste un exemple parmi d’autres : à Mindanao, de nombreuses communautés font face à des problèmes similaires.

Aux Philippines, la discrimination à l’encontre des musulmans et du peuple indigène découle directement des politiques gouvernementales qui furent menées depuis la colonisation du pays par les Espagnols de 1521 à aujourd’hui. Ces politiques discriminatoires sont à l’origine d’un conflit profondément enraciné, portant sur la propriété des terrains agricoles. Le conflit est particulièrement marqué par d’importantes différences identitaires et religieuses.

Les différends fonciers opposant la famille de Felizardo et la famille Sundig sont révélateurs :

— La famille de Felizardo est chrétienne et fonde sa revendication sur ses titres de propriété.

— La famille Sundig est musulmane et justifie sa revendication par ses droits ancestraux.

Les deux cas peuvent être considérés comme valides et légitimes. Pour mener à la paix, la situation nécessite un processus attentif, créatif et transformatif.

Voici la suite de l’histoire...

Felizardo Laborte, un homme chrétien d’âge mûr, originaire du minuscule village de Lumbac, fut emprisonné pendant trois ans sans chef d’inculpation légal. En 2010, lors de la célébration de sa libération par la communauté, il fit la déclaration suivante dans son discours :

« Je n’imaginais pas que mes trois années d’emprisonnement puissent apporter quelque chose de positif à notre communauté. J’espère seulement que la joie que nous ressentons aujourd’hui pourra durer... Cependant, il nous faut garder à l’esprit que nous devons tous réagir contre les abus… ce n’est qu’ainsi que nous obtiendrons la paix ».

Cette célébration était le premier rassemblement à Lumbac après trois années de déplacement des résidents en raison du violent conflit foncier ayant couté la vie à neuf personnes dans le barangay.

Dans les années 1920, Lumbac appartenait à l’entreprise forestière britannico-américaine Findlay-Millar Timber Company (FMTC). Dans les années 1940, après le déboisement de l’intégralité de la région, les terrains autour de Lumbac revinrent sous le contrôle du gouvernement et furent vendus à des particuliers via un système de licences d’exploitation. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les particuliers ayant demandé des licences furent pour la plupart évacués. Ces personnes ne retournèrent pas immédiatement dans la région manquant ainsi de finaliser leurs demandes de licences. Cela a permis au gouvernement de distribuer les terres aux nouveaux colons qui arrivèrent dans les années 1950. Parmi ces derniers postulants se trouvait le père de Felizardo Laborte. Celui-ci fit sa demande sur une zone déjà couverte par la demande de licence d’exploitation de la famille de Basi-Basi, un Visaya dont la requête fut également contestée par la famille Sundig, une famille Maranao.
Le litige entre les Basi-Basi et les Sundig n’était pas résolu lorsque la requête du père de Felizardo fut approuvée. Celle-ci lui conférait, en 1975, l’obtention d’un titre sur une cocoteraie de 2 hectares.

Au début des années 1970, lorsqu’éclata la guerre entre les forces gouvernementales et les guérillas musulmanes, les Visayas chrétiens ainsi que les Maranaos musulmans vivant à Lumbac évacuèrent la zone, mais les chrétiens rentrèrent à Lumbac avant les musulmans, se sentant protégés par la présence des soldats majoritairement chrétiens du gouvernement.

Au début des années 1980, les terrains concernés par les titres du père de Félizardo Laborte furent vigoureusement revendiqués par la famille Sundig. Celle-ci affirmait que ces terrains appartenaient aux ancêtres de la famille, installée dans la région bien longtemps avant l’arrivée des chrétiens vers les années 1940. Laborte, se sentait impuissant et menacé mais restait confiant : les terrains ne pouvaient pas appartenir à d’autres puisqu’il existait déjà un titre de propriété. Il quitta la région et autorisa la famille Sundig à récolter les noix de coco. Les Sundig vendirent par la suite le terrain à M. Tingkap, un Maranao dont la femme est la nièce de Felizardo Laborte, et qui devint plus tard le maire du barangay de Lumbac. M. Tingkap revendit ensuite le terrain à M. Bucay, un autre Maranao non originaire de Lumbac.

En 2006, Felizardo prouva sa propriété sur le terrain en montrant le titre sécurisé par son père et, avec l’aide de l’administration locale, il put récolter les noix de coco pendant trois récoltes avant d’être accusé d’un prétendu kidnapping par M. Bucay. Felizardo fut arrêté et mis en détention tandis que deux autres de ses amis, également accusés, réussirent à échapper à l’arrestation. Faute de pouvoir engager un bon avocat, Felizardo vit sa situation durer trois années, tandis que M. Bucay lui rappelait en permanence qu’il retirerait sa plainte en échange d’une somme de 100 000 PHP, correspondant aux prix de vente du terrain.

L’incarcération de Felizardo irrita les Visayas. Le fait de voir le gouvernement tolérer l’injustice, renforça chez la plupart d’entre eux le sentiment de désespoir par rapport au règlement du conflit foncier. Plusieurs mois après l’arrestation de Felizardo, un groupe armé nommé « STM » (a priori organisé par des Visayas propriétaires de titres et requérants de grandes étendues de terres), terrorisa Lumbac, s’en prenant particulièrement aux Maranaos, et même à ceux dont les revendications foncières étaient légitimes. Lumbac devint ensuite un no-man’s land et les tensions entre les Maranaos déplacés et les résidents Visayas s’accrurent.

La tension fut à son comble lors d’une altercation en octobre 2007 : l’équipe de policiers, accompagnant les Maranaos dans la récolte des noix de coco revendiquées, fut attaquée à l’aube. Cette attaque coûta la vie à un officier de police et à un ancien chef Maranao du barangay de Lumbac, et deux autres officiers de police furent blessés. 18 Visayas firent l’objet de poursuites pénales. Ils revendiquaient pour la plupart leur totale innocence, mais furent obligés de se cacher en laissant leurs familles et leurs proches.

La plainte de la famille Sundig, ainsi que les actions de M. Tingkap et de M. Bucay, illustrent les revendications Moros portant sur leurs territoires ancestraux qui furent réquisitionnés au moyen de politiques iniques menées par le gouvernement colonial sur une longue période. Les efforts de la famille Laborte illustrent les aspirations et la détermination des colons Visayas face aux défis considérables que pose leur venue à Mindanao pour posséder une petite parcelle de terrain à eux.

 Bref aperçu historique : l’origine des troubles à Mindanao

Avant l’arrivée des Espagnols en 1521, les musulmans de Mindanao jouissaient d’une autonomie politique et d’une prospérité économique. Ils étaient régis par des sultans recevant leurs mandats politiques de la foi islamique. Avant leur arrivée, les Espagnols tentèrent de déstabiliser la souveraineté des sultans et de placer ceux-ci sous le joug de la croix et de la couronne. Le sultanat musulman à Mindanao résista aux intrusions coloniales dans la mesure du possible par la diplomatie, et par des conflits armés lorsque cela devenait nécessaire. La résistance dura non seulement pendant la période coloniale hispanique, mais également pendant les périodes d’occupation américaine et japonaise, et elle se poursuit encore aujourd’hui contre le pouvoir de la République des Philippines. Les musulmans ont lutté contre le colonialisme pendant plus de quatre siècles. De toute évidence, la plupart des mesures économiques, politiques et sociales imposées par les conquistadors hispaniques, les colons américains, et le gouvernement philippin depuis la mise en place République des Philippines, ont seulement servi à les déposséder de leurs terres et à les marginaliser. La précarité de la paix dans la région est soulignée par la lutte armée entre les combattants sécessionnistes Moros, le peuple indigène (le peuple Lumad) et les troupes du gouvernement, ainsi que par l’animosité régnant à Mindanao entre de nombreux Moros et chrétiens.

 Lumbac : compréhension du conflit au niveau local

A Lumbac pendant les années 1940, comme il a été mentionné dans l’histoire de Felizardo Laborte, les terrains déboisés de la FMTC furent libérés pour être distribués aux demandeurs. A l’époque, la plupart appartenaient à l’entreprise ou à d’autres requérants proches des autorités responsables de la distribution des terres. Parmi les terrains suscitant l’intérêt des demandeurs se trouvait la zone fertile de l’actuel barangay de Lumbac, où quelques centaines d’hectares furent distribués à la fois aux demandeurs Maranaos et Visayas. Cette distribution des terrains entraîna des tensions. Le conflit éclata dès les années 1950 en raison de rivalités foncières entre de nombreuses familles. Ce problème non-résolu de rivalités foncières s’exacerba lorsqu’au cours des années 1970 les Maranaos durent quitter les terres qu’ils occupaient à cause du conflit armé entre les milices Ilaga et Baracuda. Encouragés par le programme « Balikbayan » (dont le nom signifie « retourner chez soi ») du maire de l’époque de la municipalité de Kolambugan, les Maranaos déplacés rentrèrent environ dix ans plus tard et tentèrent vigoureusement de reprendre possession de leurs terres comme le mentionnèrent certains résidents locaux Visayas. Les Maranaos découvrirent ensuite que les terres qu’ils réclamaient étaient attribuées par titres à d’autres demandeurs Visayas. Après une paix relative de plus de vingt ans dans la communauté de Lumbac, datant de l’époque du programme Balikbayan, un groupe armé Visaya émergea et harcela les habitants Maranaos. Un conflit éclata, portant sur plus de 200 hectares de cocoteraies, opposant de nombreuses familles détentrices de titres de propriété aux occupants actuels, dont les revendications s’appuyaient sur le développement ancestral, historique, traditionnel et effectif des terres qu’ils pensaient posséder.
Depuis lors, le conflit submerge Lumbac. Récemment, lorsque le Protocole d’accord proposé (incluant Lumbac dans les territoires Bangsamoros ) fut déclaré anticonstitutionnel en 2008, des conflits armés éclatèrent dans diverses régions du Mindanao, ainsi qu’à Lumbac.

 Le processus de transformation du conflit

  • L’engagement d’ECOWEB

A la demande des Maranaos affectés par le conflit, le maire de Kolambugan, Bertrand Lumaque, a fait appel à ECOWEB pour l’assister dans le processus de consolidation de la paix. L’analyse Temporelle étant essentielle comme point de départ, une recherche simple fut initiée pour en savoir davantage du point du vue historique. L’unité administrative municipale locale (Local Government Unit : LGU) créa ensuite un comité dont ECOWEB était membre, pour répondre à la crise de Lumbac.
Les premiers pourparlers entre les parties en conflit furent laborieux. Il fut compliqué de gagner la confiance des parties envers le processus de transformation du conflit, tant les préjudices et les préjugés étaient ancrés. Cependant, malgré la complexité du problème, l’existence de bonnes relations entre Maranaos et Visayas, avant l’irruption du conflit, donna à ECOWEB, à la LGU, ainsi qu’à d’autres groupes de soutien, l’espoir d’un possible règlement du conflit foncier de Lumbac.
Avec le soutien de la CAFOD, ECOWEB et la LGU de Kolambugan amorcèrent les dialogues et la cartographie du conflit en se servant des plans cadastraux et de la cartographie en trois dimensions afin de visualiser le contexte spatial du conflit. Les résultats de la cartographie initiale nécessitèrent ensuite la conduite d’une enquête officielle et précise sur les terrains sources de différends, avec, entre autre, l’assistance technique du ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles (Department of Environmental and Natural Resources : DENR).
Après une série de consultations avec tous les acteurs engagés, incluant les dirigeants des groupes armés Visayas (« STM » ou « ILAGA »), un détachement militaire fut mis en place début 2008 pour procurer un sentiment de sécurité aux membres de la communauté. Cette initiative a représenté une avancée majeure pour la restauration de la confiance souhaitée par tous les acteurs de paix.
Pour une transformation efficace des conflits complexes liés aux ressources, comme celui décrit plus haut, l’analyse nécessite la considération des dimensions suivantes : le TEMPS, les RELATIONS, l’ESPACE & les RESSOURCES.

Schéma triangle

  • Dans quelle mesure l’espace, le temps et les relations constituent-ils des points de départ utiles dans l’analyse de ce conflit ?

La dimension TEMPORELLE est essentielle lorsque l’on se réfère à l’analyse du conflit. Il était impossible de régler le conflit lié aux ressources à Lumbac en un laps de temps déterminé.
Il nous fallait certes examiner les résultats sur une période donnée, mais les populations suivaient leur propre rythme, lui-même également influencé par des facteurs extérieurs. Les facilitateurs du processus de transformation du conflit ne pouvaient, en outre, pas nécessairement contrôler ces facteurs.
Il a fallu également du temps pour restaurer des relations altérées entre les parties affectées. Pour la réussite du processus de transformation, il était important que toutes les parties comprennent le contexte historique du conflit et partagent leurs points de vue. La considération du facteur temps est donc essentielle dans l’analyse du conflit lui-même.

L’analyse du contexte historique du conflit impliquait également l’examen de l’évolution des RELATIONS dans le temps. Ainsi, la dimension Relationnelle est une base essentielle pour l’analyse du conflit. Lors de la transformation d’un conflit, il faut nécessairement prendre en compte les relations rompues et chercher à les reconstruire pour parvenir à la paix. Un règlement du conflit, même s’il semble possible sans la réparation des relations altérées, ne sera pas durable. Il est durable uniquement lorsqu’il est le fruit d’un processus de dialogue, renforcé par une confiance entre les parties en opposition.

  • Comment rassembler les parties prenantes d’un conflit ?

Dans un conflit portant sur des ressources, la prise en compte de la dimension SPATIALE s’avère essentielle. Sans vision géographique/spatiale claire des revendications foncières conflictuelles, les différentes parties engagées dans la consolidation de la paix n’auraient pas pu localiser les conflits. La cartographie du territoire (de Lumbac) et l’identification des revendications rendit possible l’élaboration d’un programme de négociation précis et pertinent, au cas par cas, impliquant toutes les parties concernées. Pour analyser et utiliser les éléments ci-dessus dans le processus de transformation du conflit, la PARTICIPATION des principaux acteurs engagés eux-mêmes fut essentielle.

L’objectif d’ECOWEB est de « créer des espaces sociaux pour le changement ». L’ESPACE représente ici un moyen fondamental de transformation du conflit. Pour activer le processus de consolidation de la paix, il s’avérait primordial de fournir des espaces NEUTRES et SECURISES pour le dialogue et la réflexion entre toutes les parties engagées. Aménager des espaces sociaux impliquait également la création d’« espaces publics » au sein des villages pour rassembler la population et organiser des activités communautaires. L’objectif était de rétablir une cohabitation harmonieuse et de restaurer de bonnes relations entre les habitants du barangay pour régler le conflit de manière durable.

Finalement, les RESSOURCES représentent le cœur du problème. Les ressources naturelles sont certes une question centrale à aborder dans le conflit, mais il s’agit également pour les facilitateurs de trouver les ressources financières nécessaires au processus de consolidation de la paix pour transformer le conflit. Ces ressources sont essentielles pour rémunérer les facilitateurs, mais aussi pour renforcer l’autonomie de la population de la communauté et améliorer ses moyens d’existence. Le Comité de transformation du conflit foncier de Lumbac et les parties en conflit décidèrent par exemple de traiter les besoins économiques des personnes touchées par le conflit, de manière à contribuer à la restauration des RELATIONS. En attendant le règlement du conflit foncier, il fut convenu que les noix de coco sur les terres sujettes aux griefs seraient récoltées collectivement et que la récolte serait facilitée par le Comité de transformation du conflit foncier de Lumbac. L’accord prévoyait de partager la moitié des recettes de chaque récolte entre les participants et d’utiliser l’autre moitié pour les activités de transformation du conflit. L’accord prévoyait également de consacrer 100 000 PHP (provenant des recettes de la récolte de noix de coco) au paiement de M. Bucay, afin qu’il retire sa plainte pour enlèvement contre Felizardo et les deux autres inculpés. Il est impossible de parvenir à une paix durable si l’on néglige le problème des RESSOURCES ainsi que les questions sociales directes afférentes. Cette dernière dimension implique l’engagement de toute la société, à chacun de ses niveaux (du niveau populaire jusqu’aux entités gouvernementales), dans le processus de transformation du conflit.

  • Comment ECOWEB a-t-il appliqué les outils lors des ateliers/actions ?

L’analyse temporelle étant un point de départ essentiel, une simple recherche a été effectuée pour en savoir davantage du point de vue historique. Comment l’analyse historique a-t-elle favorisé la compréhension et la gestion des conflits contemporains à Lumbac ?
Les membres d’ECOWEB effectuèrent d’abord un recensement des habitants Maranaos et chrétiens de Lumbac pour identifier ceux qui étaient impliqués dans le conflit. Grâce à de longs entretiens avec chaque famille, ils découvrirent l’histoire et la composition familiale de chacune des personnes. Ils recueillirent des explications utiles pour la compréhension des revendications. Sur la base de ces enquêtes, ils eurent suffisamment d’informations pour saisir l’essence du conflit. Afin de mieux visualiser la situation, ils élaborèrent les outils, comme par exemple des arbres généalogiques familiaux ou des frises chronologiques. Cependant, ces outils de travail furent d’abord utilisés par le personnel interne sans être partagés. Plus tard, les membres d’ECOWEB organisèrent des séances séparées avec les communautés Maranaos ou chrétiennes. Conscients de la nécessité de fournir un espace sécurisé pour chaque groupe pour analyser et planifier la méthodologie du processus de transformation des conflits, ils organisèrent trois ateliers d’analyse du conflit distincts, de trois jours chacun, avec le soutien de la GIZ, l’agence allemande de coopération et de développement. En utilisant les outils d’analyse du conflit (tels que la frise chronologique, la pyramide, la carte du conflit, le schéma en cercles concentriques et le récapitulatif généalogique, entre autres) chaque groupe put mener sa propre analyse du contexte historique et de l’évolution du conflit. Ils identifièrent les rôles des diverses parties prenantes, leurs relations et leurs contributions au conflit et à sa transformation, et perçurent la position, les intérêts et les besoins de chaque partie. Pendant les ateliers, ECOWEB employa les outils d’analyse comme matériel pédagogique à des fins participatives.

  • Les institutions locales de gestion des ressources naturelles sont-elles également engagées dans la gestion des conflits ?

L’Unité administrative municipale locale (LGU) créa un comité, dont ECOWEB était membre, pour régler la crise à Lumbac. La structure officielle ainsi créée impliquait le pouvoir exécutif légitime du gouvernement, essentiel pour rendre durables les résultats des travaux de consolidation de la paix.

 Résultats du processus de transformation du conflit

L’unité administrative locale (LGU) de Kolambugan ne s’estimait pas en mesure de résoudre le problème elle-même, en raison de la complexité du cas et de sa latitude d’action limitée : elle ne pouvait répondre à de telles problématiques foncières, les politiques et les mesures gouvernementales étant considérées comme l’une des causes du problème. La décision du maire Bertrand Lumaque d’associer ECOWEB à la LGU pour les initiatives de paix et de développement fut donc essentielle.
La transformation de conflit (TC) est une perspective permettant aux populations et aux organisations d’envisager les conflits de manière positive et de découvrir certaines opportunités de changement. La TC permet aux parties prenantes de réaliser que le règlement de leur conflit est entre leurs mains si elles font preuve de compassion.

En misant sur cette perspective positive, ECOWEB, la LGU et leurs partenaires s’étaient engagés sur un difficile parcours de facilitation pour transformer le conflit de Lumbac. Les facilitateurs décidèrent d’examiner de près trois dimensions du conflit : le temps, le lieu et les relations entre les parties. En utilisant différents outils d’analyse, l’équipe de facilitation et les parties en conflit ont remonté le temps à travers les événements de l’histoire, les généalogies, et les témoignages individuels. Au moyen d’outils de représentation et de cartographie en trois dimensions ainsi que d’une enquête de réinstallation, ils purent visualiser le conflit foncier de Lumbac : ses caractéristiques physiques purent être représentées. Grâce à cette cartographie du conflit et à l’analyse des besoins, des intérêts et des positions, l’évolution des relations entre les acteurs du conflit de Lumbac fut mieux comprise par l’ensemble des parties prenantes, leur permettant de se faire de nouveau confiance, et de reconstruire leurs relations en réseau.

Pour faciliter efficacement le processus avec le cadre de la TC, le Comité de transformation du conflit foncier de Lumbac (LLCTC), fut formé de manière à exercer un rôle de tiers facilitateur. Le comité se composait de facilitateurs et de représentants des groupes Maranaos et Visayas. Son rôle était d’assurer la poursuite du processus de TC en améliorant la communication, en développant la confiance et en évitant le retour des violences.

Au cours du processus de TC, tous exprimèrent leur souffrance d’avoir subi les injustices et la méfiance. Felizardo constituait un témoignage vivant de cette réalité, et son cas est ainsi devenu symbolique. Le faire libérer était donc primordial pour instaurer la confiance dans le processus et montrer qu’ensemble, et tout au long du processus, les parties en conflit pouvaient trouver des réponses aux injustices. Felizardo fut finalement libéré, après le paiement à M. Bucay de 100 000 PHP, et il accepta de ne pas engager de contre-accusations contre lui afin de mettre un terme au cycle de la vengeance. Felizardo fut libéré de prison le 16 septembre 2010.
L’événement fut tellement percutant qu’il encouragea l’avocat Maranao de M. Bucay à se porter volontaire pour défendre les 18 Visayas inculpés lors de la violente altercation d’octobre 2007 ayant coûté la vie à un officier de police et à un dirigeant Maranao. L’avocat parvint à obtenir l’acquittement de trois accusés et travaille à présent sur le cas de quatre autres Visayas qui se sont tous rendus après les négociations entre le Comité LLCTC et leurs familles respectives.
Actuellement, sur les quarante cas de conflits majeurs identifiés quatre ont déjà été réglés. Le conflit foncier de Lumbac n’est certes toujours pas résolu, mais le processus de sa transformation est devenu un symbole d’espoir.