Nathalie Cooren, Paris, 2015
Violence mimétique
René Girard, anthropologue et philosophe français, est à l’origine de la théorie mimétique, selon laquelle « tout désir est l’imitation du désir d’un autre ».
L’imitation joue un rôle fondamental dès lors qu’elle rend possible chez l’homme l’apprentissage : l’enfant cherche à marcher en voyant les autres personnes autour de lui le faire, de même il apprend à parler en reproduisant les sons qu’il entend etc. Cette imitation est positive et constructive. « C’est elle qui […] va permettre [à l’homme] de [s’]adapter à [son] environnement naturel et social. »1
En revanche l’imitation du désir de l’autre est considérée par René Girard comme négative, pour ne pas dire destructrice. Si rien n’est aussi désirable que ce que désire l’autre… (deux étudiants qui veulent la même bourse ; deux hommes qui veulent la même femme) alors, la concurrence et la rivalité s’installent et ce désir mimétique peut vite déboucher sur le conflit et la violence. Ce ne sont donc pas les différences qui sont source de violence, nous dit Girard, mais bien les ressemblances.
Par ailleurs, il est intéressant de souligner que cette violence issue du désir mimétique, peut tout à fait porter sur un objet des plus banal : c’est le simple fait que cet objet soit possédé par un autre qui le rend attrayant, au point de susciter des comportements pouvant donner lieu à un déchaînement de violence.
Une autre difficulté tient à l’effet de contagion de ce désir mimétique qui se propage d’individus à individus jusqu’à entraîner « un antagonisme généralisé ». Prenons l’exemple de l’escalade de la violence générée par la sortie des dernières paires de baskets Nike créées pour l’ancien basketteur Mickael Jordan « […] des milliers de personnes se sont rassemblées très tôt ce vendredi, parfois dès deux heures du matin, pour figurer parmi les chanceux se procurant les 150 paires seulement disponibles ; […] la même scène s’est déroulée un peu partout aux États-Unis, conduisant notamment à plusieurs arrestations à Atlanta, des personnes légèrement blessées, à la suite de piétinements à l’entrée du magasin ou encore une mère abandonnant ses deux enfants de 2 et 5 ans dans la voiture en pleine nuit. Dans la banlieue de Seattle, avant l’ouverture, la foule avait déjà enfoncé deux portes. Des bagarres ont commencé à éclater, des bousculades, certaines personnes essayaient de couper la file d’attente. Les officiers ont utilisé du gaz incapacitant pour interrompre certaines bagarres. »2
Il est évident que le besoin, au sens strict ne peut en rien justifier un tel déchaînement de violence de la part de ces personnes : seul le désir suscité par un modèle qu’elles jalousent, le peut. Ces baskets ne sont pas désirées pour leur utilité, moins encore pour leur valeur intrinsèque, mais parce qu’elles sont convoitées par l’autre.
De même, au niveau collectif, les positions contradictoires qui opposent les protagonistes d’un conflit peuvent émaner de ce « désir mimétique », cette force qui pousse les individus à convoiter les mêmes biens que leurs semblables posant ainsi les conditions d’hostilité et de compétitions, donnant lieu à une violence meurtrière.
Mais, une société ne peut survivre à la spirale de la violence : « l’extrême de la violence signifie que la vie en société n’est pas possible ! ». La seule façon d’enrayer ce mécanisme, serait toujours selon René Girard, la désignation d’un bouc émissaire dont le sacrifice permettrait le transfert des tensions de « tous contre tous à tous contre un ». « Le sacrifice du bouc émissaire permet donc à la fois de libérer l’agressivité collective (exutoire) et de ressouder la communauté autour de la paix retrouvée (pacte) »3. Or, ce mécanisme victimaire serait le seul à même d’expliquer pour quelle raison, les sociétés humaines, vouées à l’autodestruction par la violence, parviendraient à neutraliser celle-ci et à se développer malgré tout.
Notas
1Jean Miche Logeais sophia-cholet.over-blog.com/article-le-desir-mimetique-un-concept-cle-de-la-pensee-de-rene-girard-par-jean-michel-logeais-112275702.html
2Le Monde.fr du 25 Décembre 2012
3lea.u-paris10.fr/IMG/pdf/2.le_bouc_emissaire_version_def_.pdf