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, Paris, noviembre 2006

Islam et Islamisme

Islam et islamisme

L’islam est souvent perçu comme une religion de nature monolithique et la sur-exposition aux médias des événements au Moyen-Orient depuis 2001 ne permet pas de prendre un recul suffisant face à cette vision. Pour la plupart des gens, l’Islam souffre des mêmes apprioris que l’Islamisme. Or l’Islam est une religion comme les autres, tandis que l’islamisme est une idéologie politico-religieuse.

Comment a-t-il été possible de passer d’une religion à une idéologie ?

Dans un premier temps, nous verrons les sources historiques de l’islamisme et dans une deuxième partie, nous aborderons l’islamisme contemporain

I. Les sources de l’Islam radical

L’Islam est une religion traversée par plusieurs courants prouvant son aspect multiple. Elle est aujourd’hui pratiquée par plus d’un milliard de croyants sur cinq continents et est avant tout une réalité culturelle ouverte aux différentes influences des aires géographiques qu’elle recouvre. Il s’agit d’une religion monothéiste basée sur un culte et des règles communes, elle regroupe une pluralité d’analyse doctrinales et de divisions juridiques. Dans l’ouvrage d’Abderrahim Lamchichi(1), les différentes formes et manifestations de la religiosité islamique sont évoquées :

  • l’islam normatif : l’islam officiel, formé et élaboré par des docteurs de la loi ;

  • l’islam vécu : celui appliqué au sein des différentes aires culturelles et pouvant rentrer en opposition avec l’islam normatif.

  • l’islam idéologisé qui appréhende uniquement l’islam comme une idéologie politique de combat s’exprimant suivant les groupes à travers des actes plus ou moins violents, d’où proviennent les groupes islamistes.

D’autre part, il faut savoir que l’Islam repose sur deux corpus de textes : le Coran et la Sunna (les dits et les faits du prophètes). C’est un corpus théologique et juridique qui, loin de suffire à mettre au point un système politique complet, a donné suite à de nombreuses interprétations à la mort du prophète et débouché sur la naissance de quatre écoles juridiques pour le monde sunnite. Cette création pour le monde sunnite a mis fin à la possibilité d’interpréter de manière casuelle et personnelle les textes, l’astreignant à une pratique d’imitation. Selon Olivier Roy, p. 36, dans son livre « La généalogie de l’Islamisme » (2), l’islam classique ne s’est jamais imposé dans l’espace politique et a toujours conçu que celui-ci puisse être autonome. Ainsi le fondamentalisme au départ n’était pas « une doctrine politique achevée, mais plutôt le langage dans lequel s’est exprimé une certaine fonction tribunicienne qui fait la critique des princes et des mœurs de l’époque ».

Toujours d’après le même auteur, il existe plusieurs formes de fondamentalisme à travers l’Histoire de l’Islam :

  • Ainsi « le fondamentalisme traditionaliste sunnite » défend le modèle idéal de l’islam qui est celui de « la communauté originelle des croyants », or les évolutions historiques ont dissout cette communauté. Une grande majorité acceptera cet état de fait et tentera d’évoluer avec tandis qu’une minorité, à l’origine des radicalismes contemporains, appellera à un retour à cette communauté (Oumma) des premiers temps.

  • D’un autre côté, il y a le chiisme qui représente la principale scission des musulmans à la mort du prophète et sont restés fidèles à la descendance d’Ali, gendre du prophète, en opposition avec son éviction. Au début politique, ils mettent au point progressivement une théologie qui leur est propre, acceptant l’interprétation du Coran suivant des règles évidemment définies. Ce courant a été majoritairement opposé à l’intervention dans les affaires de l’Etat, mais une minorité dans les années 60 en Iran s’est radicalisée, donnant naissance dans les années 70 à une idéologie révolutionnaire.

  • Pour finir, Olivier Roy parle du Hanbalisme, la plus rigoureuse des quatre écoles juridiques de l’islam, qui refuse d’utiliser un quelconque consensus même entre les écoles, pour adapter le Coran à une situation précise. C’est Ibn Taymiyya qui lui fit connaître son heure de gloire au XIIIème siècle.

  • Quant au Wahhabisme, il a été élaboré par un prédicateur saoudien du XIIIème siècle en Arabie Saoudite et a été rattaché à la tribu des Saoud grâce à un pacte qui l’a fait devenir doctrine d’Etat, lors de leur accession au pouvoir en 1927. Le Wahhabisme prône le rigorisme et puritanisme le plus pur et tente de retrouver la pureté la plus grande de l’Islam en écartant tous les ajouts, modifications et innovations qui lui ont été apportés. Il se réfère à la source et servira d’inspiration au mouvement salafiste d’Al Afghani et Abdouh au 19ème siècle.

Le fondamentalisme dans l’histoire de l’Islam ne correspond donc pas toujours à l’image qu’en a l Occident. Le fondamentalisme est un retour aux textes fondateurs de l’Islam pour retrouver la pureté des origines, cela devient du radicalisme au moment dès lors qu’il vise une réforme de la société, or c’est cette idéologisation prend racine à la fin du XIXème siècle.

 

A la fin du XIXème siècle, les derniers moments de l’Empire Ottoman, peu à peu infiltré par des puissances occidentales destabilisant les différentes communautés et ethnies, pousse certains intellectuels arabes à s’interroger sur les causes du décalage entre l’Occident et l’Orient. En effet, pour la première fois des penseurs arabes arrêtent de s’appuyer sur la grandeur du passé pour s’interroger et essayer d’éviter la décadence future. Ces penseurs de la Nahda (renaissance arabe) sont aussi bien des écrivains issus de la diaspora syro-libanaise en Egypte qui donnent naissance à l’arabisme au-delà des clivages communautaires, que des intellectuels musulmans qui invoquent un retour à l’Islam des premiers temps et fondent le salafisme ou réformisme musulman.

Ce dernier courant moderniste a pour origine un persan d’origine afghane qui lutte contre les ingérences européennes au sein de l’Empire Ottoman, il s’agit d’Al Afghani (mort en 1898).

Il est considéré par H.Laurens dans son livre « l’Orient Arabe », comme « un agitateur politique ayant décidé de transformer la religion islamique en instrument de combat contre l’Occident, et la réforme de la religion est avant tout pour lui un moyen de transformation de la société » p. 86. A l’aide de son disciple, égyptien Muhammad ‘ Abdhuh, ils publient leurs idées dans la revue « Le lien indissoluble ». Ils pensent que le problème du retard du monde arabe est du à la faiblesse de l’islam diminué par la division des musulmans et leur acculturation par l’importation de savoirs modernes. La solution est de réformer la société pour retrouver l’Islam des origines. La modernité est inscrite dans l’Islam, c’est en se détournant de celui-ci que le retard s’est accentué. En prônant un retour à l’application stricte de la loi islamique, ils dénonçèrent le rapprochement des quatre écoles juridiques de l’Islam sunnite. Le courant réformiste atteignit sa maturité dans les années 30 et fut défendu à travers plusieurs pays.

II. L’islamisme contemporain

L’islamisme contemporain se distingue du fondamentalisme historique à partir du moment où il revêt un caractère politique. C’est « un mouvement sociopolitique fondé sur l’islam défini comme une idéologie politique autant qu’une religion. » (3)

La doctrine islamiste s’appuie sur des corpus de doctrine dont les principaux auteurs ont été Hassan Al Banna et Abû Ala Al Maududi, puis repris pas Sayyid Qutb.

L’association des Frères Musulmans qui a été fondée en 1928 par Hassan Al Banna est une association confrérique qui devient au fur et à mesure un mouvement politique. Il prône une nécessaire rupture avec la société contemporaine. Sans réfuter le progrès moderne scientifique et technique, les frères musulmans luttent contre l’impérialisme occidental. Les Frères Musulmans veulent créer une alternative à part entière au communisme et au capitalisme. Leur champ de prédilection est l’action sociale et politique, le respect de la loi islamique restant au second plan. Il veulent une réorganisation totale de la société à partir d’un État vraiment islamique et refusent le strict respect de la charria tant que cet État islamique n’aura pas été mis en place. Leur but final est d’accéder à la justice sociale, grâce à la prise en charge par l’État de la collecte de l’impôt islamique et sa redistribution.

Quant au mouvement d’Abdul Ala Mawdudi prétend lui aussi utiliser l’islam comme une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme. L’opposition est aussi nécessaire entre l’islam et le monde occidental. Mawdudi réfléchit à une constitution pour unifier l’ensemble de la communauté musulmane dans un Etat islamique, tout en mettant l’accent sur l’importance du social et du politique. L’Islam est une idéologie politique totalisante dans sa manière de penser la société et l’homme. En 1941, est fondée la Jamaat-i-islami qui se comporte comme un parti politique et s’opposera à la partition de l’Inde et du Pakistan en 1947 et 1971.

Pour ces deux auteurs qui sont les référence de l’islamisme sunnite, l’application du droit islamique ne suffit pas, il faut établir un mode d’accès et d’exercice du pouvoir qui soit légitime vis-à-vis de l’islam. Ils ont tous les deux inventé une nouvelle structure de mouvement politico-religieux dans le monde musulman. Cependant dans les années 70, des groupes plus radicaux apparaîtront et prendront comme auteur de référence l’égyptien Sayyid Qotb.

L’inspirateur de tous les mouvements extrémistes sunnites est Saïd Qotb (1906 - 1966), un Égyptien qui fait parti des Frères musulmans. Il a radicalisé ses positions après la répression nassérienne qui empêcha les Frères Musulmans d’accéder au pouvoir. Selon lui, il n’y a aucun compromis possible avec les régimes en place même si ceux-ci sont musulmans. Si leurs actions ne sont pas entièrement islamiques, ils peuvent être déclarés infidèles. Il met la violence au cœur de son projet politique. Il insiste sur la notion de Jihad, « l’effort pour la religion ou la Guerre Sainte» qui contrairement à l’Islam classique, est pour Sayyid obligatoire et individuel, en tout temps et en tout lieu.

L’Ayatollah Khomeiny a exercé la même fonction de radicalisation dans le monde chiite. Il a fondé une pensée : « wilayat-el-faqih » qui attribue la primauté au dogme et donc « la régence du docteur de la loi ». Le guide est celui qui détient la primauté du savoir religieux mais aussi le chef politique. Cette doctrine est en contradiction avec l’attitude quiétiste de la majorité des religieux chiites jusque là.

A travers cet historique on peut donc voir que les mouvements islamistes sont loin de représenter une organisation internationale unique. La vision homogène des médias simplifie la complexité des différentes tendances. De nombreux essais d’implanter des mouvements nationaux à d’autres pays ont été tentés mais ils sont peu à peu devenus les défenseurs d’une cause nationale.

L’Islamisme est une tentative de répondre à un constat d’échec des Musulmans au XIXe siècles, d’un complexe d’infériorité nourri face à la puissance de la civilisation occidentale. Ils attribuent cet échec à la trahison de l’Islam des origines. Mais les islamistes ont évolué et ne sont plus les mêmes, il y a en effet eu 3 générations d’islamistes :

  • la 1ère : une classe d’intellectuels formés à l’occidentale, ennemi du communisme ;

  • la 2ème plus radicale est également une intelligentsia, reflux de jeunes diplômés sans travail ;

  • la 3ème génération a acquis un petit niveau d’études secondaires mais est dénuée de sens critique basé sur un raisonnement fondé.

Aujourd’hui, un groupe comme Al Qaeda est toujours considéré par la plupart des médias comme une organisation centrale tentaculaire, or depuis la guerre en Afghanistan, ce groupe a été disloqué. A l’heure actuelle, selon Gilles Képel qui développe cette thèse dans le livre « Fitna », ce n’est plus qu’une marque de « label » utilisé par des groupuscules islamistes terroristes indépendants qui prêtent allégeance. Mais la constitution de ces groupes se fait suivant la conjoncture et selon les endroits, elle ne se fait plus à partir d’un cerveau unique qui serait Ben Laden. Actuellement, il existe deux types d’islamisme, celui qui revendique la défense d’intérêts nationaux (ex : Hamas) et celui constitué de petits groupes de type « mafias » qui cherchent à défendre des intérêts flous au nom de l’Islam (ex : Al Qaeda).

Notes:

(1) Voir l’ouvrage d’Abderrahim Lamchichi, « L’islamisme politique », édition l’Harmattan.

(2) « La généalogie de l’Islamisme », Olivier Roy, p. 36, édition Hachette.

(3) Olivier Roy, « L’échec de l’Islam Politique » , p. 57.