David GABRIEL, France, abril 2017
Du droit à la ville au nouveau municipalisme
Une voie originale pour la démocratie du XXIème siècle en Europe
Keywords: Elaborar métodos y recursos para la paz | Espacios de intercambio y transferencia de experiencias para la paz | Utilización de los imaginarios | Diálogo social para construir la paz | | La democracía, factor de paz
Début mars 2017, Grenoble a accueilli de nombreuses activités sur l’avenir des villes. Cinq grands événements ont été organisés par de nombreux acteurs : municipalité, mouvements sociaux, réseaux professionnels, universitaires, mal-logés et sans logement… Les débats des événements « officiels » ont porté sur les enjeux de la transition sociale, écologique, économique et démocratique de la Ville de Grenoble dans le sillage des engagements de la COP21. De leurs côtés, les mouvements sociaux et certains universitaires critiques se sont emparés du concept de « Droit à la Ville » pour rappeler que nous devons bâtir une ville inclusive avec tous les habitants. Les mouvements ont exigé la mise en œuvre du « Droit au Logement » par un moratoire contre les expulsions, l’arrêt des démolitions de logements sociaux et la réquisition des immeubles vides. La soirée finale était intitulé « du Droit à la Ville au nouveau Municipalisme ». Il s’agissait de discuter des perspectives offertes par l’émergence d’une nouvelle génération de pouvoirs locaux appuyés sur des luttes locales : elle était organisée dans le cadre de la semaine de la Transition à la Villeneuve et des rencontres de Géopolitiques critique sur le Droit à la Ville avec l’AITEC, Commonpolis, la CISDP-CGLU, Habitat International Coalition (HIC) et European Alternatives.
« Le nouveau municipalisme regroupe un ensemble d’expériences récentes dans lesquelles des plateformes regroupant des mouvements sociaux, des citoyens et des partis politiques de gauche et écologistes, ont été élues à l’échelle municipale. Ces expériences sont souvent le résultat de plusieurs années d’action des mouvements sociaux. À Madrid, la coalition municipale à l’appui de Manuela Carmena prolonge le mouvement d’occupation des espaces publics : les Indignés. En Catalogne, la plateforme Barcelona en Comun rassemble des militants du droit au logement et du droit à la ville, à l’instar de la maire Ada Colau. À Turin, le mouvement No Tav (opposition à la ligne Lyon-Turin) a joué un rôle important dans l’élection de Chiara Appendino. Et à Grenoble, la majorité municipale dirigée par Eric Piolle a également la particularité de rassembler des citoyens, des membres du parti de gauche et des écologistes impliqués dans les luttes locales. Le nouveau municipalisme trace une voie originale pour la démocratie du XXIème siècle en Europe. Ces plateformes suscitent de nouveaux récits et véhiculent de nouveaux imaginaires politiques. Lesquels ? Le Droit à la ville constitue-il le point de convergence des alliances entre mouvements sociaux et nouvelles coalitions municipales ? Ces expériences peuvent-elles constituer des alternatives au nationalisme et à l’orthodoxie néolibérale ? Dans quelles mesures ces expériences démocratiques participent à la transition et au renforcement des alternatives locales ? »
Les municipalités du changement dans l’État espagnol
La soirée a commencé par une intervention de Magali Fricaudet de la Commission Inclusion sociale, Démocratie Participative et Droits Humains de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CISDP-CGLU).
Ces nouvelles expériences municipales pourraient incarner les travaux de Murray Bookchin, juif russe de parents réfugiés à new York après l’échec de la révolution des Soviets qui a théorisé le municipalisme libertaire. Il est également l’un des initiateurs de l’écologie sociale radicale. En s’inspirant de l’expérience de la commune de Paris, Bookchin avait montré l’importance de l’échelon local et municipal pour renverser le pouvoir. Il s’intéressait à la notion de « commune », de « communauté ». Le nouveau municipalisme trouve aussi un écho dans la voie tracée par Henri Lefebvre dans les années 60 avec le « Droit à la Ville » qui pose la question de la réappropriation des villes pour transformer la vie.
La commission CISDP-CGLU est née dans le processus du Forum Social Mondial, en réponse à une première invitation lancée par la ville de Porto Alegre. Au fil du temps, des liens se sont tissés autour de la question des droits et de la protection de l’environnement, dans un dialogue avec la société civile. Tout cela a abouti en 2005à la création de la commission inclusion sociale, démocratie participative et droits humains de CGLU, l’organisation mondiale des gouvernements locaux et régionaux, afin de partager cette approche avec d’autres gouvernements locaux.. La commission représente aujourd’hui entre 80 et 100 villes (Barcelone, Baladone, Madrid Plaine Commune, Pikine, Nanterre, Birmingham en Alabama, Gwangju en Corée du Sud, México…). Elle s’est d’abord emparée de la question des droits humains avant de rejoindre les mouvements autour du « Droit à la ville ». La commission mène une action de plaidoyer pour la mise en œuvre d’un agenda mondial des droits humains en incitant les gouvernements locaux à être garants des droits.
Cette commission s’inscrit dans un mouvement plus ancien qui a été assez actif à partir de 1992 au sommet de la Terre à Rio et au rassemblement des Pobladores à Mexico en 2000. Ces deux mouvements se sont rencontrés dans les processus des forums sociaux mondiaux qui a abouti à la définition d’une charte mondiale du droit à la ville. D’autres processus locaux ont inspiré la mise en œuvre du doit à la ville, comme la Charte de México, adopté par le gouvernement de la ville de México et les mouvements urbains populaires en 2010 . Cette charte définit le droit à la ville à partir de 6 critères :
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le respect, la protection et la réalisation des droits humains et écologiques
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la fonction sociale de la propriété et de la ville
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la gestion démocratique des villes, des villages et des agglomérations
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la reconnaissance de la production sociale de l’habitat
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la gestion responsable et collective des biens communs (DESC) en équilibre avec les territoires ruraux alentours
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la non privatisation des espaces publiques.
Dans cette conception, la ville est un bien commun, coproduite par les habitants avec l’appui des gouvernements locaux. Mais comment ces principes peuvent-ils trouvent-ils un écho dans les nouvelles municipalités ? Les expériences récentes montrent que le changement de pouvoir vient de l’alliance avec les mouvements sociaux. À Barcelone, Barcelona en Comú part d’un mouvement social basé sur le logement et contre les expulsions hypothécaires, déjà en lien avec le mouvement altermondialistes et qui a convergé sur les places lors du 15M. Derrière cette prise de pouvoir, il y avait également l’idée d’une résistance locale à une monarchie et un gouvernement conservateur. Il faut savoir qu’en Espagne, le mode de scrutin à l’échelle municipal se fait à la proportionnelle, ce qui permet de gouverner avec une majorité relative, mais suppose aussi un jeu d’alliances parfois complexes, ce qui représente un défi pour des mouvements politiques qui refusaient a priori toute alliance avec les partis traditionnels.
Si l’on fait un premier bilan de l’expérience des municipalités espagnoles, nous pouvons relever plusieurs tendances qui émergent :
Tout d’abord, il y a l’enjeu de la réappropriation institutionnelle qui pose beaucoup de question. Il s’agit d’assurer le gouvernement dans une structure de pouvoir institutionnalisée, compartimentée et hiérarchique. La maire devient la maire de tous, ce qui peut provoquer des contradictions politiques. Cette réappropriation vise également à créer de nouvelles relations avec le service public, la restauration du dialogue social et un nouveau mode de gestion des entreprises municipales.
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Nous relevons également l’importance de la féminisation politique. En effet, les femmes au pouvoir revendiquent des spécificités : la coopération contre la compétitivité, le care comme pratique de gouvernement.
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L’émergence d’un nouveau contrat social avec les habitants, avec l’importance de la question des droits, de la lutte contre les discriminations, le développement du pouvoir d’agir (empowerment), la lutte contre l’islamophobie, l’importance du logement avec un recensement des logements vacants, la récupération de logements entre les mains des banques pour faire du logement social, une lutte contre les expulsions et la précarité énergétique, mesures contre Airbnb…
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Une politique de développement économique au service de la transition écologique et du bien commun avec des remunicipalisations (eau, services d’attention aux femmes victimes de violence…), l’encouragement d’une économie solidaire et coopératives, un cadre favorisant la responsabilité sociale et environnementale des entreprise et la lutte contre les paradis fiscaux
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Une affirmation forte de la citoyenneté des migrants en opposition frontale avec le droit national des étrangers (campagne pour la fermeture du centre de rétention administrative de Barcelone, politiques d’accueil des migrants…) qui n’est pas sans rappeler l’expérience des villes sanctuaires américaines
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La radicalisation de la démocratie : participation, plateforme Decidemadrid ou DecidimBarcerlona…, des codes éthiques en vertu desquels au-delà de 2.200€, les élus reversent leurs indemnités à une fondation, en vertu desquels les élus s’engagent au non – cumul des fonctions, une boîte au lettre mail anonyme pour dénoncer les cas de corruptions, des solutions basées sur les logiciels libres et des villes de code ouvert contre la Smart City.
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L’articulation local – global : le service de la coopération devient le service de Justice globale, une participation dans les réseaux internationaux de villes et la plateforme globale pour le droit à la ville
Ces premiers résultats montrent qu’une autre politique municipale est possible mais n’est pas suffisante. De fait, il est important de créer des articulations entre villes pour lutter contre l’hégémonie de la ville compétitive. L’idée c’est de continuer à travailler les alliances avec la société civile et les municipalités pour que ces expériences essaiment…
L’exemple de Barcelona en Comú
César Ochoa coordinateur du quartier Poblenou à Barcelone a ensuite présenté l’expérience emblématique de « Barcelona en Comú ». Tout a commencé lorsqu’en juillet 2014, soit un an avant les élections. Ada Colau et des activistes du droit au logement qui luttaient contre les hypothèques ont créé une plateforme GUANYEM, dont le texte fondateur a recueilli 30 000 signatures. Une partie du mouvement venait du 15M, le mouvement des indignés de 2011. Ces divers mouvements ont ensuite convergé dans une plateforme citoyenne « Barcelona en Comú » avec le Parti de Gauche, les Verts et Podemos. Six mois avant les élections un accord a été trouvé qui a abouti à l’élection d’Ada Colau.
Barcelona en Comú est une « confluence » d’organisations. Les membres se décrivent avant tout comme des « activistes » qui participent à la transformation des institutions. Il y a bien-sûr des tensions, des conflits mais ils essayent d’avoir des outils pour gérer le travail en équipe. Il y a l’institution et les mouvements sociaux mais au-dessus l’organisation « BCN en Comú ». César Ochoa parle beaucoup de l’hégémonie culturelle: « il s’agit de créer un éco-système pour gagner la bataille des idées et de changer les récits pour créer une nouvelle hégémonie », mais également de « pouvoir d’agir » : « les personnes ne doivent pas seulement être les récepteurs mais qu’elles participent également à la production des solutions ». Concernant le rôle des élus, la maire Ada Colau parle souvent du « commandeur obéissant », une idée qui vient du mouvement libertaire et du zapatisme.
Les limites du pouvoir municipal ont été rapidement pointées. Dans le cas des « vendeurs à la sauvette », les membres de l’organisation « Barcelona en Comu » ont essayé de trouver des solutions mais ils s’affrontent à la question de la légalité. Comment faire lorsque les décisions doivent être prise à un niveau que l’on ne contrôle pas ? Pour les réfugiés, la ville de Barcelone a clairement gagné la bataille des idées : « oui, il faut accueillir les réfugiés sans oublier les migrants qui sont déjà là ». Une autre question importante a porté sur la régulation du tourisme. Des mesures ont été prises pour réduire les impacts du tourisme sur la vie de quartier. Au début, la droite et les sociaux-démocrates ont dénoncé cette politique en disant que cela allait avoir un impact très négatif sur l’économie. Les élus ont alors proposé des zones de décroissance du tourisme, des zones de stabilités et des zones où le tourisme peut croître encore un peu. Mais BCN en Comun est obligé de créer des alliances avec les socialistes et la gauche indépendantiste mais ces partis politiques ont beaucoup d’intérêts à leur couper « l’herbe sous le pied ».
César Ochoa a également présenté la politique de récupération de l’espace public vis à vis des voitures. Le modèle des déplacements à Barcelone date des années 60/70. Mais la transition est en cours : « l’idée est de créer des « superblocks », c’est à dire des groupes de 9 blocks où à l’intérieur la voiture ne peut circuler que très lentement. Le reste de l’espace appartient aux piétons et aux vélos. Vous imaginez que cette politique a suscité l’opposition de la droite et d’une partie des commerçants, comme à l’époque des premières piétonnisations… » Cet enjeu est important car Barcelone a la plus grande densité d’automobile d’Europe avec 6000 véhicules par km2…
Au niveau de la participation, les membres de l’organisation « Barcelona en Comu » essayent d’aller au-delà des mesures classiques des conseils de quartier. Ils ont mis en place un budget participatif mais veulent éviter de limiter la participation à des plateformes internet qui pourraient s’apparenter à ce que veulent les promoteurs de la « Smart City ». Pour César Ochoa, « la véritable participation se trouve dans les places où les gens discutent au niveau le plus proche, dans les quartiers, là où les gens se connaissent. La politique urbaine de « Superblock » va libérer de l’espace utilisé jusqu’alors par les voitures alors il va y avoir des places à occuper ! » Enfin, les activistes ont créé un groupe international dénommé « BCN International » qui essaye de coopérer avec des villes qui ont des mêmes problèmes ou intérêts, par exemple celui des villes refuges. « Nous sommes convaincus que la coopération entre villes est très importante » a précisé César Ochoa.
Ces deux interventions ont suscité une première série de questions du public :
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Quelle est la situation financière de Barcelone vis à vis d’autres villes marquées par l’austérité ?
Cette année, Barcelone a un excédent de 97 millions d’euros, ce qui laisse d’importante marge de manœuvre…
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Quelles sont les alternatives dans le domaine culturel à Barcelone ?
Pour l’instant, Barcelone ne fait pas encore fait assez d’effort à ce niveau- là. Les élus défendent une culture populaire mais cette thématique est dirigée par des socialistes qui ils ne proposent pas d’alternatives aux actions classiques.
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Quel est l’impact de la réduction de l’automobile pour les classes populaires qui vivent dans les espaces périphériques de la métropole ?
Pour César Ochoa, il s’agit d’un faux mythe qui est répandu par des partisans des déplacements automobiles. De manière générale, les gens qui utilisent le plus la voiture se sont les gens les plus aisés. Evidemment l’enjeu est que la réduction de la voiture soit accompagnée par des alternatives. Jusqu’à présent, il n’y pas eu assez d’investissements puisque tout l’argent est allé aux infrastructures du TGV..
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Est-ce que le changement à Barcelone est limité par des mesures d’ordre juridique ou si certaines mesures étaient attaquées au tribunal ?
Pour Magali Fricaudet l’argument de la légalité n’est pas une véritable menace. Il est vrai que la loi Montoro, votée en 2013 par le parlement de l’état espagnol a considérablement limité les compétences des communes en énumérant les compétences, en interdisant aux communes de s’endetter, d’embaucher des fonctionnaires municipaux …En France, la clause de compétence générale permet tout de même de créer de nouveaux services publics lorsque ceux-ci répondent à l’intérêt local. Et lorsque de nouveaux droits sont créés pour la population, comme par exemple la gratuité du transport mise en place sous l’ancien mandat dans la ville d’Aubagne ou la remunicipalisation des services publics, il est assez difficile de revenir dessus.
La mise en œuvre du Droit à la Ville à l’échelle municipale
La soirée s’est poursuivie avec l’intervention d’Alvaro Puertas Robina de la Coalition Européenne de l’Habitat (Habitat International Coalition HIC) qui représentait également la Plateforme Globale pour le Droit à la Ville. HIC est une coalition de 400 membres venant de 100 pays différents avec des mouvements sociaux et des collectifs. Ces organisations défendent les droits en général, et le droit à l’habitat et au logement en particulier. HIC travaille avec de nombreuses organisations comme le CISDP-CGLU pour défendre le point de vue des groupes de bases dans les instances internationales. Il a rappelé que les gouvernements locaux partagent des responsabilités avec les gouvernements nationaux. Ils doivent mettre en œuvre les droits humains couverts par le droit national et les conventions internationales.
La société civile doit continuellement faire un suivi de la mise en œuvre de ces droits et dénoncer les cas de violation perpétrés par certaines collectivités.
HIC est membre de la Plateforme Globale pour le Droit à la Ville qui regroupe des organisations de la société civile et des gouvernements locaux qui travaillent à la reconnaissance du Droit à la Ville. Ces organisations ont obtenu une victoire lors du sommet Habitat III de Quito en octobre 2016 puisque c’est la première fois que le Droit à la Ville est mentionné dans des instances internationales. Il s’agit d’une lutte très importante. Plusieurs visions s’affrontaient avec certains pays défendaient le Droit à la ville (l’Equateur, la Bolivie, le Mexique…) tandis que d’autres étaient tout à fait opposés (Union Européenne, États-Unis ou le Japon..)..Ces derniers États se sont acharnés contre le Droit à la ville alors qu’il s’agit d’un droit tout à fait vital réclamé par la société civile.
Aujourd’hui, nous devons vérifier que le Droit à la Ville est mis en œuvre concrètement dans les territoires à travers des mesures comme la capture de la plus-value foncière, la construction de logement, la production sociale de l’habitat, des mesures de justice fiscale. C’est important de réaliser ce suivi car les organisations de la société civile ont une mémoire des négociations internationales qui manquent parfois aux gouvernements.
Cette semaine à Grenoble, nous avons vu que le droit au logement est fondamental, mais il a également d’autres droits à mobiliser. Il est important d’avoir des instances de dialogue avec les gouvernements locaux mais il est tout à fait vital de continuer à bâtir des espaces indépendants. Quoi qu’il en soit, la Coalition Internationale de l’Habitat et la Plateforme Globale pour le Droit à la Ville continueront à appuyer les alliances entre la société civile et les gouvernements locaux progressistes pour s’assurer que ces droits soient concrètement mis en œuvre.
Au-delà des limites du nouveau municipalisme
La soirée s’est poursuivie par une intervention de Beppe Caccia ex-élu à la ville de Venise et membre du réseau European Alternatives. Il travaille actuellement beaucoup sur la reconstruction historique de la culture municipaliste. En partant de l’expérience de Barcelone et de villes italiennes, il a souligné les contradictions internes et les limites extérieures de ces expériences pour essayer de les dépasser : « commençons par une considération qui peut être banal mais qu’il faut expliciter : gagner des élections au niveau municipal ne veut pas dire reprendre ou reconquérir la ville. Nous ne pouvons pas faire comme s’il ne s’était rien passé depuis la fin des années 90 et 2000 alors qu’il y a eu de grandes transformations des autorités locales ».
Beppe Caccia a vécu ces transformations à travers le prisme de son engagement dans le mouvement altermondialiste et en tant qu’ex-adjoint au maire de Venise. Il a notamment travaillé sur la charte des droits humains dans la ville qui a été présentée rapidement par Magali Fricaudet. Il a souhaité rappeler qu’un point très important de cette charte c’est qu’on ne peut pas formaliser des droits sans la pratique matérielle de mise en œuvre de ces droits. Cet enjeu est au cœur du discours sur l’habitat.
Il y a eu une sorte d’illusion participative au cours de cette période : nous étions de trop bons élèves du baron de Coubertin. Si notre question est « comment on peut faire pour reconquérir la ville », nous ne pouvons pas seulement participer, nous devons également décider : nous ne pouvons pas avoir une vision faible de la participation.
Il est important de montrer les limites causées par les logiques de financiarisation de la ville, notamment la question de la dette et des politiques d’austérité. Il ne s’agit pas simplement des coupes budgétaires mais également de transformation plus fondamentale des autorités locales. Par exemple, jusque dans les années 90, les travaux publics réalisés par une ville était le plus souvent financés par l’impôt ou l’épargne publique (qui était souvent une épargne postale) comme la caisse des dépôts et consignations. Mais au fil des années, les gouvernements nationaux ont réduit l’accès à ce type de prêt. Les gouvernements locaux ont alors signé des produits financiers qui s’échangent au niveau global. Nous avons pu voir ce qui s’est passé ensuite avec la crise de 2007 et 2008…
Nous devons débattre de ces limites qui empêchent une réelle autonomie des gouvernements locaux. On constate tous une réduction des marges de manœuvre pour l’autodétermination politique au niveau local. Nos villes sont traversées par de violents réseaux de pouvoirs, financiers et économiques qui affectent la production sociale. Ces pouvoirs ne sont pas enracinés dans la dimension territoriale. Ils nous échappent à chaque fois ou du moins ils essayent de nous échapper. La plupart des contradictions et des limites ont été causées par ces transformations liées à la dette et aux politiques d’austérité qui ont aussi entraîné des privatisations.
« Comment pouvons-nous renverser cette tendance ? » s’interroge Beppe Caccia. Nous devons commencer par regarder des expériences municipalistes. Mais il faut éviter de faire des comparaisons et ne pas faire l’erreur des « modèles ». Chaque ville est un laboratoire du discours municipaliste avec sa propre histoire, son expérience, sa composition sociale…
En Italie, l’expérience la plus intéressante est celle de la ville de Naples. Dans cette ville, l’une des premières actions a été la remunicipalisation de l’eau après le referendum national contre la privatisation du service public de l’eau en 2011. Une société a été créée qui ne vise porte pas seulement sur la nature du service public mais introduit également les travailleurs comme partie prenante du service. La mairie de Naples a également défini un instrument juridique qui reconnaît l’occupation des espaces indépendants, culturels et sociaux. Cet instrument juridique va bien plus loin que la traditionnelle concession octroyé mais reconnaît le caractère autogouverné de ces espaces.
Un troisième exemple a été une réponse à l’austérité imposée par l’Union Européenne à travers l’un des pires pactes de stabilité en Europe : 70% des mesures devaient être portées par les collectivités locales. La mairie ne pouvait plus assurer le fonctionnement des crèches. Les élus ont alors décidé de désobéir en ouvrant un conflit avec le gouvernement national. Ce conflit a été tranché par la cour constitutionnelle qui a reconnu que le droit à l’éducation est plus important que le respect du pacte de stabilité. Cette reconnaissance juridique aurait été impossible s’il n’y avait pas eu le conflit porté par la ville de Naples !
Beppe Caccia a introduit un dernier point dans la discussion concernant la vieille idée de la relation entre les mouvements sociaux et le gouvernement : l’un s’effaçant au profit de l’autre lorsque ce dernier gouverne. Les expériences de Naples et de Barcelone démontre exactement le contraire : il est nécessaire d’avoir une dialectique ouverte et conflictuelle. Il ne faut pas avoir peur du conflit entre les dynamiques sociales et les nouvelles municipalités. Au niveau national et européen, il faut construire des relations productives entre les différentes expériences en prenant en compte les différences et les priorités. Il s’agit de construire des relations et des réseaux pour créer une sorte de contre pouvoir social et institutionnel.
Une discussion s’est ouverte avec le public portant sur les alternatives :
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Alvaro Puertas a rappelé les débats ouverts depuis 40 ans au sein de la Coalition Internationale de l’Habitat sur la production sociale de l’habitat où les habitants produisent eux-mêmes des services au niveau local ou national, comme par exemple la production de logements. La production sociale peut également se décliner dans le domaine de l’éducation, du transport… HIC défend la nécessité du cadre juridique. La difficulté c’est, qu’au niveau international, il y a beaucoup de villes qui n’ont pas de gouvernements locaux : en Afrique du Nord ou au Moyen Orient, les citoyens se retrouvent souvent sans interlocuteurs…
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Beppe Caccia a apporté des précisions sur l’exemple des crèches à Naples. Le pacte de stabilité n’a pas seulement limité les transferts de l’État central vers les collectivités locales. I l y a eu l’obligation d’une gestion budgétaire « vertueuse » qui limite les dépenses pour les villes. Naples avait suffisamment d’argent pour payer 30 ou 40 fonctionnaires pour faire fonctionner les crèches mais la loi interdisait de nouvelles embauches ! Il nous invite à lutter contre l’attitude typique des gouvernements locaux de gauche qui disent : « nous voulons le changement mais nous ne pouvons pas… ». Les gouvernements locaux ne doivent pas être les exécutants d’une politique qui se décide à un autre niveau. Bien-sûr, nous constatons un énorme processus de recentralisation institutionnelle au niveau européen et national. Mais d’autres politiques sont possibles comme le montre l’initiative des villes- refuges. Ce n’est pas seulement de la solidarité, c’est les conditions de mise en place de politiques alternatives. Par rapport à l’excédent budgétaire de Barcelone, nous avons pensé qu’il était possible de mettre en place des prêts intercommunaux…
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Pour Magali Fricaudet, la lutte contre la financiarisation est une priorité. Le marché immobilier représente plus de 60% des actifs sont mondiaux et sur 75% de ces actifs portent sur le logement, selon le dernier rapport de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le Droit au logement.. À CGLU, nous portons la campagne « The shift », d’autres alliances de villes portent une campagne européenne contre le CETA. Nous devons pérenniser ces alliances dans un cadre plus large. La commission CISDP-CGLU a mis en place une campagne avec OXFAM et 41 provinces espagnoles pour interdire l’accès aux marchés publics à des entreprises qui ont des filiales dans les paradis fiscaux. Ces campagnes ont une vocation pédagogique, une dimension politique et économique. En Espagne, la commande publique représente 25% du PIB ! D’ailleurs cette soirée est peut être l’occasion que Grenoble s’engage dans cette campagne !
Six réflexions pour l’avenir du municipalisme
Pour terminer cette soirée, Gustave Massiah a proposé six réflexions pour essayer de déterminer les enjeux importants du néo-municipalisme en relations avec le Droit à la Ville et les municipalités qui veulent s’inscrire dans cette perspective :
1. Il y a tout d’abord la question stratégique. Quelles sont les stratégies que peuvent développer les mouvements et les municipalités progressistes ? Une bonne stratégie doit à la fois répondre à l’urgence et proposer une alternative. En 2009 à Belem, il y a eu une formulation d’une stratégie à partir d’un ensemble de mouvements sociaux composé du mouvement des droits des femmes, de la Via Campesina, d’écologistes et de peuples indigènes. Ces mouvements ont avancé trois propositions :
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la prise de conscience écologique nous amène à considérer ce que nous sommes dans une rupture très profonde. Le changement du rapport entre l’espèce humaine et la Nature ouvre une crise de civilisation qui touche à certains des fondements de la science contemporaine.
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l’urgence est de lutter contre la marchandisation, la privatisation, la financiarisation, pour la suppression des paradis fiscaux et la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières.
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l’alternative c’est la transition écologique, sociale et démocratique. Dans cette proposition le mot transition est important. La transition n’est pas une simple proposition progressive voire même réformiste. C’est une autre conception de la transformation, dans laquelle il y a des ruptures et des révolutions. Mais, ce n’est pas la conception du « grand soir », ce ne sont pas des transformations qui se font du jour au lendemain, “en faisant du passé table rase” ; c’est une nouvelle approche de l’histoire.
Rappelons nous que les nouveaux rapports capitalistes sont nés pendant la société féodale. Nous devons donc nous poser la question : quels sont les rapports de dépassement du capitalisme dans la société capitaliste ? C’est pour cela que les alternatives sont importantes, car ce sont les manifestations de la construction de nouveaux rapports sociaux qui participant au dépassement du capitalisme.
Gustave Massiah a complété la stratégie de Belem avec les nouveaux mouvements qui ont émergé à partir de 2011 en Tunisie avec les printemps arabes puis les Indignés, Occupy, le mouvement des étudiants chiliens, … Des millions de personnes sont descendues dans les rues dans près de 40 pays ! Que peuvent nous apprendre ces nouveaux mouvements ?
Il s’agit tout d’abord de mouvements urbains qui occupent physiquement les places et défendent l’espace public. Cela correspond tout à fait au Droit à la Ville. À Madrid, à Barcelone, ces mouvements luttent contre la privatisation de l’espace public. C’est une notion énorme. Le municipalisme radical part de ces mouvements qui refusent la marchandisation, refusent les discriminations, refusent la financiarisation, refusent la rente. Dans le capitalisme contemporain, les rentes ce sont le pétrole, les armes et les services publics marchandisés par Véolia, Vinci et qui s’attaquent à la propriété foncière qui est pourtant au fondement des propriétés dans les villes.
2. La lutte contre la dette est un enjeu déterminant. D’ailleurs le mouvement altermondialiste s’est d’abord construit contre l’endettement. C’est un endettement des banques puis un endettement privé. Aujourd’hui, il y a des mouvements de lutte contre l’endettement de la jeunesse scolarisée, comme au Chili et le développement des mouvements de diplômés-chômeurs. La lutte contre l’endettement public et l’endettement privé est un élément fondamental des nouvelles politiques municipales. Le CADTM et ATTAC ont par exemple participé à des audits de la dette, dernièrement dans des villes comme Barcelone.
3. Le nouveau municipalisme construit un nouveau rapport local-mondial. Ce rapport n’élimine pas le national mais il ne s’y limite pas Il s’agit d’articuler le droit international avec le droit local, comme par exemple le Droit au Logement ou les luttes contre l’extractivisme. L’une des problématiques importantes porte sur la question politique. Comment réinventer la politique et comment réinventer la question du pouvoir ? L’un des traits marquant des derniers mouvements, c’est la lutte contre la corruption : en Roumanie, en Corée, en France. Qu’est ce que la corruption, si ce n’est la fusion entre la classe financière et la classe politique qui annule l’autonomie du politique ? Ces dérives provoquent une défiance générale vis à vis du politique : plus personne n’a confiance, non pas seulement vis-à-vis du gouvernement mais également vis à vis des élus locaux. Il s’agit donc de redéfinir des liens en partant des populations. Nous devons également être vigilants avec les grandes villes qui essayent de construire des villes-Etats avec une reference au modèle étatique comme par exemple la Venise du XVème siècle. C’est pourquoi nous devons questionner les tendances à la métropolisation.
4. Dans la période actuelle de très grande rupture, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, avec un autre rapport au temps : le temps géologique d’un côté avec le climat et un nano-temps qui se déploie dans l’espace virtuel… Cela impacte l’idée de la transformation sociale qui reliait le temps des investissements avec le temps de la génération. C’est tout le modèle des 5 derniers siècles qui s’effondre. On pensait que l’on pouvait maîtriser la nature et que le temps était infini, mais l’urgence climatique nous montre que nous sommes dans un temps fini.
5. Nous devons reposer la question de l’espace qui interroge à son tour la question du pouvoir. La proposition la plus importante c’est que le municipalisme ne peut se reposer uniquement sur le local. Il s’agit d’articuler les échelles et reposer la question des pouvoirs territoriaux ; l’articulation entre le local de proximité, le national étatique, les grandes régions géopolitiques, le mondial avec ses questions globalisées comme par exemple le climat, les migrations, la financiarisation.
6. Gus Massiah a terminé sa présentation en reposant la question de l’hégémonie culturelle. La droite et l’extrême droite surfent sur les angoisses générées par les bouleversements majeurs. Mais d’un autre côté, il y a la révolution du droit des femmes, la décolonisation et le droit des peuples, la révolution philosophique de l’écologie, le numérique qui touche au langage et à l’écriture, la révolution du peuplement de la planète. L’une des réponses est peut être l’émergence d’une nouvelle culture politique qui redéfinit un nouveau rapport entre l’individuel et le collectif.
Notas
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Les Rencontres de Géopolitique Critique ont reçu le soutien de Modus Operandi et de Pacte
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Rédaction : David Gabriel & Photos : David Gabriel et Morgane Cohen
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Contact : David Gabriel asso.planning@gresille.org / www.assoplanning.org