Suzanne RUBONEKA, Région des Grands Lacs, 2011
Dépasser les barrières ethniques et historiques
Témoignage de Suzanne Ruboneka.
Les antagonismes entre Hutus et Tutsis m’ont touchée personnellement, parce que je fais partie de ceux que nous appelons « les anciens réfugiés de 1959-1960 » (1). A cette époque, j’étais encore jeune. Quand ma famille a fui, je me suis posé la question : « Qu’avons-nous fait ? Pourquoi sommes-nous réfugiés ? » Je suis née rwandaise, à Gisenyi. J’ai été exilée plus de trente-cinq ans. Ma famille est allée en premier lieu du côté du Congo jusqu’en 1964. Ensuite, la situation étant devenue instable au Congo, elle a été obligée de partir au Burundi. Après 1994, ma famille a regagné le pays. Aujourd’hui, je suis fière d’être rwandaise et me sens d’abord appartenir à une communauté rwandaise, avant d’être de telle ou telle ethnie.
Mon engagement pour la paix est né de ma formation dans des écoles catholiques. J’étais active dans des mouvements de jeunes Xavériennes. Le fait d’être formée dans un mouvement de jeunes qui cherchent la paix et la charité m’a édifiée.
Après le génocide contre les Tutsis de 1994, durant la période d’exil, notre objectif était d’abord de rentrer dans notre pays. Mais nous nous posions la question : « Quand nous rentrerons dans le pays, est-ce qu’il ne risque pas d’y avoir deux mondes ? Un monde qui a vécu à l’extérieur et un qui est resté au Rwanda ? Comment va-t-on faciliter la cohésion sociale entre Rwandais ? »
Avec les femmes de différentes associations, nous avons pu nous mettre ensemble pour dire : « La plus grande priorité, c’est de pouvoir dépasser les barrières ethniques et historiques afin de contribuer à la reconstruction du pays et à la suture du tissu social déchiré. » Après le génocide, nous nous sommes réunies plusieurs fois pour promouvoir la tolérance et la non-violence. C’est ainsi qu’il a été décidé de renforcer le collectif Pro-Femmes Twese Hamwe, qui avait été créé par treize associations des années auparavant. Les femmes venaient de prendre conscience qu’elles étaient victimes d’une guerre qu’elles n’avaient pas déclenchée. Une plateforme autour d’un programme commun d’action intitulé « Campagne actions pour la paix » a été créée. Son objectif était d’intégrer tant les femmes qui étaient au Rwanda avant le génocide que celles qui avaient vécu à l’extérieur avec un statut de réfugiées, d’accueillir aussi bien les rescapées du génocide que les épouses de prisonniers accusés d’avoir participé au génocide.
J’ai souffert parce que, en tant qu’exilée pendant toutes ces années, je me suis sentie victime. Mes enfants ont souffert, mes parents aussi. Nous constituons trois générations de réfugiés ! Mon plus grand souhait est que plus jamais mes proches ne subissent ce que j’ai vécu.
Pour nous, il était évident que seuls les rescapés du génocide souffraient de traumatismes. Mais une étude que nous avons menée a montré qu’il existait d’autres catégories de personnes traumatisées : les ex-combattants, les ex-prisonniers. Le problème n’est pas que les uns soient Hutus et les autres Tutsis; le problème est de comprendre pourquoi nous avons accepté qu’une ethnie ait été utilisée pour détruire d’autres personnes qui autrefois étaient amies. Pour dépasser la haine et construire une paix durable, il s’agira de faire usage d’une force de même intensité que celle qui a conduit à enseigner la haine, à culpabiliser l’autre, à instaurer un climat de méfiance.
Mais nous ne pouvons pas prétendre avoir la paix chez nous s’il n’y a pas la paix chez nos voisins du Congo et du Burundi. Nous essayons de créer des partenariats avec nos frères et sœurs de ces deux pays, afin de consolider la paix dans notre région. Je souhaite que notre drame puisse servir de leçon dans la région des Grands Lacs et dans le monde, et contribuer à la nécessité du « Plus jamais ça ».
Notes
-
(1) : Soulèvement des Hutus avec l’appui de l’administration coloniale belge; des dizaines de milliers de Tutsis tués ou exilés dans les pays voisins (ndlr).