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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : Dépasser la haine, construire la paix

, Région des Grands Lacs, 2011

Si le sang d’un Tutsi peut faire vivre un Hutu ou un Congolais, il n’y a aucune différence entre nous

Témoignage de Pacifique Bayongwa.

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Je me souviens, dans les années 1990 (1), j’étais très fier d’être congolais, de ne connaître ni Tutsi, ni Hutu. Je pensais que je ne serais jamais touché par la haine. En 1994, j’étais comme tous les Congolais de mon milieu, ignorant les réalités ethniques rwandaises. Après, je me suis senti touché et concerné. Je me sens encore touché aujourd’hui : je me suis marié à une Kenyane qui a la morphologie rwandaise et tutsie et, de ce fait, elle ne peut même pas aller chez moi dans mon pays. Cela fait cinq ans que nous sommes ensemble, mais elle n’a jamais vu mes parents. Je n’ai jamais eu le courage de la leur présenter. L’idéal, selon le conseil de mes parents ou de mes proches, aurait été d’épouser quelqu’un de mon ethnie ou de mon village. Pour moi, la présente ségrégation contre les Rwandais m’a aidé à comprendre la ségrégation ethnique qu’il y a entre les Congolais. Pour masquer tout ce conflit interne et faire montre d’unité, il était beaucoup plus facile d’orienter les tensions sur une ethnie.

En 1999, mes parents m’avaient donné les moyens d’aller étudier au Kenya. Chez moi, il n’y a pas d’aéroport international. Il fallait que je prenne l’avion à Kigali, au Rwanda. Ma mère m’a dit : « Non ! Tu ne peux pas aller au Rwanda. Ces gens sont mauvais, ils nous ont tués, ils nous ont agressés. » Je suis quand même parti. A cinquante kilomètres de Kigali, nous avons eu un accident. J’étais le plus blessé de tous les passagers. Mes jambes étaient cassées. J’avais perdu mon passeport, j’avais perdu mon billet, j’avais tout perdu. Je me sentais en terre étrangère et hostile. Je n’espérais pas que quelqu’un puisse me venir en aide. J’étais sûr qu’on allait m’amputer des jambes. Quelqu’un m’avait raconté qu’on injectait le virus du sida aux Congolais. J’avais tout ça dans la tête, j’étais malade, j’étais dans le coma. Je me suis réveillé du coma à l’hôpital. Il y avait une femme australienne qui travaillait pour la Mission des Nations Unies. Je l’ai appelée. A elle, je faisais confiance. Je lui ai demandé : « Dis-moi comment je suis? » Elle m’a répondu : « Dans six mois, tu joues de nouveau au football. » J’ai alors demandé qu’on me fasse une prise de sang : je n’avais rien. J’ai commencé à lire des livres. J’ai commencé à écouter les récits du génocide. Je me suis dit : « Non, on a tort. Je suis sur une terre étrangère. Tous les médecins sont des Rwandais. Tous ceux qui m’ont reçu sont rwandais. J’ai reçu du sang d’une personne que je ne connais pas. Je ne sais pas si elle est tutsie, si elle est hutue ou autre, mais je vis, je sens que j’ai la vie. »

Si le sang d’un Tutsi peut faire vivre un Hutu ou un Congolais, je pense qu’il n’y a aucune différence entre nous, aucune. Je voulais travailler aux Seychelles, mais c’est ici, au Rwanda, qu’on m’a appelé pour venir travailler : je n’ai pas résisté, je n’ai pas douté, je suis venu. J’étais content. Je pensais payer une dette, une dette morale et servir les enfants rwandais. Je suis congolais. Je suis quelqu’un des Grands Lacs. Désormais, je me sens un peu de partout. Je pense que je suis un homme libre.

J’ai appris à prendre une personne comme elle est, comme une personne unique et isolée : je ne pense pas qu’un enfant doive payer le péché de son père. Je ne dois pas payer pour le mal que mon grand frère a pu faire, et je ne dois pas non plus être récompensé pour le bien qu’il aurait fait. Non, je dois être seul et considérer que chaque personne est seule et n’a pas à projeter ses fautes sur les autres.

Mon plus grand rêve serait que, par exemple, les étudiants congolais viennent fêter au Rwanda la nouvelle année ou Noël. Mais, aussi, que lorsque les Rwandais commémorent le génocide, cette commémoration soit ressentie dans la région tout entière. J’aimerais que, tous, nous réalisions que les frontières sont des passages et que nous devons en profiter. Aujourd’hui, les Bashis (2) aiment et adorent la nourriture venue de l’Ouest. Nous, nous dansions en bougeant les épaules, en élevant les bras ; mais de l’Ouest du Congo, nous avons appris à danser avec la hanche. C’est très intéressant et tout le monde aime. C’est triste que la rwandophobie soit devenue synonyme de patriotisme au Congo. Pour moi, le vrai patriotisme est de ne pas accepter de voir verser le sang humain au nom de la patrie.

Notes

  • (1) : Période de fortes tensions dans la région à la suite des tentatives du Front patriotique rwandais d’opérer un retour au pays; massacres de Tutsis au Nord du Rwanda et arrestations massives d’intellectuels tutsis (ndlr).

  • (2) : Ethnie vivant à l’Est de la République démocratique du Congo (ndlr).