Martine Dufour, Paris, mai 2006
L’Intervention Civile de Paix au service de la réconciliation inter-communautaire
Les actions de l’organisation « Equipes de Paix dans les Balkans » en faveur d’un processus de réconciliation à Mitrovica.
I. Présentation des objectifs de la mission d’Equipes de paix dans les Balkans
La mission d’Equipes de paix dans les Balkans est de « mettre en place une intervention civile de paix dans une région en situation de post-conflit mais toujours soumise à un climat de tension, afin de participer à la « réduction du niveau de violence à Mitrovica », à travers les objectifs suivants :
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Favoriser la résolution non-violente des conflits entre les communautés des Balkans, en particulier dans la ville de Mitrovica.
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Créer un climat propice au dialogue intercommunautaire entre associations, organisations et institutions locales et individus, fondé sur le respect mutuel.
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Favoriser la coopération des groupes en les incitant à la réalisation de projets communs.
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Soutenir la défense des droits humains en développant, avec les militants locaux, une culture de non-violence et des moyens d’action non-violente, comme la médiation.
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Soutenir activement les organisations et les personnes qui œuvrent pour la paix, le rapprochement des communautés et les droits humains.
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Faire connaître, à l’intérieur et à l’extérieur des Balkans, les initiatives locales entreprises en faveur du dialogue intercommunautaire et de la résolution non-violente des conflits.
Ces objectifs ont guidé la mise en place de plusieurs projets présentés ici comme les actions les plus significatives.
1. Créer un climat propice au dialogue intercommunautaire entre associations, organisations et institutions locales et individus, fondé sur le respect mutuel.
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Lien entre les deux bibliothèques :
Avant la guerre, la ville de Mitrovica disposait d’une seule bibliothèque située au sud de l’Ibar, accessible à toutes les communautés et disposant de livres en différentes langues. Elle avait à sa tête une bibliothécaire serbe et son adjoint, Albanais. Après la guerre, le Bureau de Liaison de la France (BLF), déjà actif à travers les 2 associations franco kosovares (de langue serbe et de langue albanaise), a facilité l’implantation d’une bibliothèque au nord pour les Serbes, dans des locaux de fortune, gérée par l’ancienne directrice serbe, l’autre, existante, au Sud, gérée par l’ancien adjoint albanais. La volontaire EpB, à la demande du BLF, a été chargée d’assurer, durant une année, les contacts entre les deux structures, dans la mesure où la fermeture du pont sur l’Ibar, empêchait toute liaison entre les différentes communautés et leurs structures culturelles respectives.
La position de tiers de la volontaire EpB, lui a permis, en outre, de travailler avec différentes associations, en particulier avec les deux associations franco-kosovares. Avec ces associations, elle a organisé des manifestations culturelles, au début, au sein de chaque communauté et commune et après 9 mois de contacts assidus, une manifestation commune qui a réuni des membres des différentes communautés. Des jeunes venus du Nord en voiture étaient tellement heureux et se sentant en sécurité ont refusé, à la fin de la soirée, qu’on les raccompagne et ils ont retraversé le pont à pied… Il faut savoir que « les gardiens du pont », au Nord, surveillent les faits et gestes de tout ceux qui le traversent.
L’élément important dans cette démarche a été de se faire re-connaître, de créer la confiance, confiance entre les personnes qui sortaient d’un violent traumatisme, confiance en l’ONG EpB.
2. Favoriser la coopération des groupes en les incitant à la réalisation de projets communs.
La mise en place d’« ateliers de jeux pour la coopération » dans les écoles constitue l’action phare d’EpB. Ce projet a été réalisé après avoir consulté et reçu l’aval des institutions officielles et des directeurs d’école.
Outre les ateliers réalisés semaine après semaine avec les élèves des différentes écoles, la formation des animateurs, la réflexion sur le choix des jeux et les effets constatés sur les enfants ont été en quelque sorte de la recherche-action. Rapidement, EpB, en coopération avec une association italienne « association for Peace » (AfP) qui pratiquait aussi les jeux, a formé les 17 animateurs,
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en élaborant un contenu pédagogique ;
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en accompagnant leur pratique des jeux avec des analyses ;
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en consignant le tout sur des fiches ;
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en capitalisant tous ces éléments dans un pack pédagogique au profit des trois associations partenaires constituées par les animateurs des jeux coopératifs.
Ce travail en collaboration a suscité l’émergence d’un « réseau » entre les trois associations d’animateurs. Ce réseau permet aux membres de ces associations de différentes communautés d’acquérir :
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la connaissance réciproque sur des actions concrètes ;
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une confiance mutuelle, base essentielle pour les personnes qui viennent de subir une période traumatisante de guerre et dont les communautés étaient ennemies ;
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la capacité à transformer de manière positive, leurs émotions, leurs sentiments.
Il en est de même pour une autre action concernant les enfants et toujours avec l’objectif d’initier le dialogue entre communautés. Il a semblé aux volontaires d’EpB, que l’art, le dessin, la peinture, était les vecteurs privilégiés pour réunir des enfants de toutes les écoles de Mitrovica autour d’une création symbolique : ce fut la réalisation, en décembre 2003, d’une énorme mosaïque exposée dans le centre culturel en zone de confiance, résultat de plusieurs semaines de travail avec les élèves et leurs enseignants du Nord et du Sud. Chaque groupe réalisant un élément du puzzle. Le motif du puzzle avait été dessiné par une artiste serbe de la faculté des Beaux-Arts de Svecan, proche du nord de Mitrovica.
Si beaucoup de directeurs d’écoles ont joué le jeu et sont venus avec les élèves, volontaires pour présenter cette activité, dans un lieu sécurisé, quelques écoles du Nord ne sont pas venues. (Lorsqu’il s’agit de passer le pont, le transport des élèves est assuré en camion par les militaires de la KFOR.)
3. Soutenir activement les organisations et les personnes qui œuvrent pour la paix, le rapprochement des communautés et les droits humains.
Faire connaître, à l’intérieur et à l’extérieur des Balkans, les initiatives locales entreprises en faveur du dialogue intercommunautaire et de la résolution non-violente des conflits.
Ces deux objectifs sont atteints à travers le soutien apporté aux initiatives de groupe de femmes. Dans une approche d’économie sociale, une volontaire EpB a réalisé un Cdrom qui témoignait de la détermination de femmes ayant monté une petite entreprise de faire face au chômage, certaines travaillant avec des femmes appartenant à d’autres communautés.
Les rencontres qui ont eu lieu pour préparer le Cdrom sont en soi un travail qui permet de « créer un climat propice au dialogue intercommunautaire entre associations ». Ces actions sur un thème constructif ou fédérateur permettent de « découvrir ou de retrouver l’autre », de constater que « ça se passe bien » et donc d’éliminer la crainte ou la peur, de souhaiter d’autres rencontres.
Le Cdrom est un média qui circule et qui témoigne des initiatives locales réalisées avec peu de moyens. Il rend hommage à ces femmes.
En conclusion, compte tenu de la situation au Kosovo après la guerre de 1999, EpB a réussi à mener un projet d’Intervention Civile de Paix à Mitrovica, ville traversée par des divisions communautaires violentes. Les volontaires ont ainsi mis en place différentes actions qui participent plus largement à un effort de réconciliation, de transformation du conflit dont la spécificité est de soutenir des organisations, des initiatives locales et de leur proposer des solutions ayant pour but de décloisonner les communautés, de créer des liens.