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, Paris, 2002

L’implication de Renault V.I en Bosnie : les enjeux économiques de la reconstruction

Le militaire et l’entreprise ont une mission conjointe à mener, qui consiste à restructurer la société afin de favoriser la construction d’une paix durable.

Keywords: | | | | | | | Bosnia | Sarajevo | Ex Yugoslavia | Balkan

Le contexte actuel, à savoir celui de la mondialisation, accorde au sein des relations internationales une place et une importance primordiale à la dimension économique. Cela est bien évidemment vrai en temps de paix ; mais ça l’est également pour la période de la reconstruction qui suit un conflit. A ce moment là, le militaire et l’entreprise ont une mission conjointe à mener, qui consiste à restructurer la société afin de permettre le retour d’une paix durable. La coopération civilo-militaire tente ainsi d’apporter une réponse à cette nouvelle exigence en favorisant les interactions entre le monde marchand et le secteur de la défense.

De prime abord, on ne voit pas bien quels liens peuvent unir le monde de l’entreprise et la sphère militaire. Le cloisonnement entre ces entités aux missions et aux objectifs distincts semble traditionnellement assez rigide. Comment concilier en effet le sens de l’honneur, du sacrifice et de la patrie avec les exigences mercantiles de rentabilité et de compétitivité ? Quel(s) rapprochement(s) peut-on faire entre mission armée et activité commerciale, notamment au moment de la reconstruction d’un pays ayant connu une période de conflit ?

C’est à ces questions que le concept de coopération civilo-militaire tente d’apporter des réponses. Les Américains ont été les premiers à comprendre que la guerre militaire a des prolongements économiques, que la reconstruction ouvre des marchés et des débouchés, qu’il faut savoir saisir ou conquérir. Et dans le cadre d’une économie mondialisée, ni l’Etat ni l’entreprise ne peuvent se passer l’une de l’autre. En quelque sorte, l’armée est alors sur le terrain le relais de la nation, le bras de l’entreprise. Ce partenariat doit cependant être organisé et développé, à travers notamment le recours aux cadres militaires de réserve. Celui-ci comporte un double avantage :

  • En tant que civil, il connaît bien le monde de l’entreprise, a l’habitude des relations que celle-ci entretient avec l’administration, les collectivités, les chambres de commerce… Il est donc implanté au cœur d’un réseau professionnel impliquant acteurs économiques, politiques, associatifs…

  • En tant que militaire, il partage un état d’esprit, une discipline, un idéal : l’honneur de servir. L’officier de réserve est donc une porte ouverte entre ces deux mondes, une passerelle entre deux citoyennetés, celle de la défense et celle de la société civile. Dans le cadre de la coopération civilo-militaire, il pourra mettre ses compétences au service à la fois de son employeur et de son pays, et permettre ainsi un meilleur retour sur investissement de l’action extérieure que ceux-ci auront pu mener dans une région en guerre.

L’implication de Renault V.I (Véhicules Industriels) à Sarajevo, en Bosnie, est un bon exemple de réussite d’une telle collaboration. Plusieurs étapes ont néanmoins dû être franchies :

  • Il convenait tout d’abord d’identifier et d’établir le contact avec des interlocuteurs fiables dans la région, et susceptibles d’être intéressés par une coopération industrielle ;

  • Il a ensuite fallu convaincre la direction des affaires internationales de Renault V.I de l’opportunité créée par un positionnement dans la capitale bosniaque. Le fait que l’ancien ministre de la défense, par ailleurs responsable des ventes d’une entreprise de camions slovènes, se montre intéressé, a grandement facilité le passage de ces deux premiers stades du processus.

  • Enfin, il s’est agi de persuader la direction générale de Renault du bien fondé d’un investissement dans un pays sortant juste d’un conflit.

L’accord ayant finalement été obtenu, Renault V.I a pu répondre à un appel d’offres international, portant sur la fourniture d’autobus, pour lequel elle a été choisie. Le rôle du bureau des affaires civilo-militaires a été décisif, en permettant de franchir les différents obstacles, grâce à une excellente interface entre les secteurs militaire et économique, et a montré l’intérêt que ceux-ci avaient à collaborer. A en croire Jean-Claude Girot, directeur des ventes militaires de Renault V.I et lieutenant-colonel de réserve, la coopération civilo-militaire est un atout à la fois pour l’entreprise – enrichissement du personnel, aptitude à la décision, adaptabilité et élargissement des compétences – et pour l’armée qui bénéficie de l’expertise civile de professionnels qu’elle ne possède pas nécessairement à la base. Reste donc à développer au mieux cette pratique, à la faire connaître, afin de répondre au mieux aux défis, notamment économiques, posés par la reconstruction dans le cadre de la mondialisation.

Commentary

La prise en compte de la dimension économique de la reconstruction et de la paix, la volonté de créer des synergies entre la société civile et l’armée, l’idée d’une rentabilisation de l’aide extérieure, sont des choses relativement nouvelles, notamment pour la France. Le concept des actions civilo-militaires (ACM) n’y a été forgé qu’en 1994, sur le modèle des CIMIC (Civil Military Cooperation) anglo-saxonnes. Qu’en retenir ?

  • En premier lieu, elles participent du contexte actuel, au sein duquel d’une part la résolution des conflits se complexifie et d’autre part l’économique s’affirme comme variable dominante des relations internationales ; il s’agit dans ce contexte de mobiliser les énergies d’acteurs pluriels, et notamment ceux du secteur marchand ;

  • Ensuite, elles soulignent que la sortie de crise suppose une stratégie globale, ne se limitant pas au temps court de l’urgence, mais s’inscrivant au contraire dans la perspective à long terme du développement ;

  • Enfin, elles démontrent que des acteurs aux aspirations et aux desseins différents peuvent mutuellement tirer avantage d’un partenariat les unissant.

Le concept a néanmoins une double limite :

  • Il dépend tout d’abord de la volonté des interlocuteurs à s’ouvrir à une nouvelle démarche, qui à première vue peut représenter un coût, une perte d’indépendance…

  • En conséquence de quoi, ils ne trouvent pas toujours intérêt à s’investir dans une telle démarche.

Notes

  • Source : La gestion des sorties de crise: action civilo-militaires et opérations de reconstruction,

  • Fondation pour les Etudes de Défense.