Claske DIJKEMA, Grenoble, October 2005
L’expérience de Stutterheim, un espoir de développement local (Afrique du Sud)
L’histoire de Stutterheim donne un exemple intéressant d’un processus en cours de reconstruction et de développement. En effet, cette ville du cap oriental, microcosme de l’Afrique du Sud, a été le lieu d’une réelle transformation : d’un petit village de campagne sur le point de s’autodétruire, elle est devenue un espace économique en expansion et ce, sous impulsion des communautés locales. Très vite, pourtant, les limites du développement basé sur la privatisation se font sentir.
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A la fin des années 1990, Stutterheim est une ville de 30 000 habitants qui connaît un des plus hauts taux de criminalité, un très faible niveau de vie dans ses townships et dont la ségrégation est très marquée. L’accès à l’eau et à l’électricité est peu répandu dans les townships et les opportunités d’emploi sont extrêmement rares. La frustration et la colère poussent alors cette population à des manifestations. La violence devient de plus en plus forte : le dialogue est difficile à établir puisque les leaders des deux communautés agissent dans des conseils municipaux parallèles. Cette protestation se concrétise par un boycott, mené par le comité de coordination de Stutterheim, dirigé par un activiste noir local Chris Magwangqana, contre les entreprises locales conservatrices blanches. Ce boycott débute en septembre 1989 et dure sept mois. Soutenue par un leadership jeune et dynamique, cette pression civique a des effets notables comme notamment la fermeture de quatorze entreprises blanches mais aussi, effet pervers, l’obligation pour les boycotteurs d’aller se procurer leurs denrées à 50 km de Stutterheim.
Une amorce de rencontre des intérêts (1)
La lame à double tranchant du boycott place alors les acteurs de la ville dans une impasse. Le changement devient favorable à toutes les parties en jeu voire inévitable. Le tournant a lieu lors d’une rencontre, le 6 mai 1990, entre le maire de la ville, Nico Ferreira et Chris Magwangqana, (futur maire de la ville entre 1995 et 2000). Ce dernier présente au maire une série de revendications concernant entre autres choses le développement local. Cette rencontre motivée par la volonté et la nécessité de trouver une solution à cette situation d’impasse, est l’occasion du passage d’un discours d’exigences à celui de la négociation et du compromis et ainsi de la fin du boycott. A partir de là, se met en place une association entre la société civile, le gouvernement local et le secteur privé, association qui a pour projet commun de promouvoir le développement local de Stutterheim. La société civile prend en charge ce processus à travers un Forum, organe de discussion et une Fondation pour le Développement de Stutterheim, créée pour gérer les fonds importés du secteur privé et de l’Etat. La Fondation est composée de dix comités qui élaborent et mènent divers projets s’insérant dans un plan général de développement urbain. Ces projets sont principalement financés par la firme internationale Barlow et par deux organes financiers mandatés par le gouvernement, la Banque de Développement d’Afrique du Sud et l’Indépendent Development Trust.
Le processus de développement, moteur de réconciliation ?
Cette rencontre des intérêts n’a pu avoir lieu que dans un contexte favorable à la réconciliation. En effet, en 1988 est mis en place un nouveau conseil municipal blanc dirigé par Nico Ferreira, équipe d’indépendants modérés. Ce changement de majorité laisse la place au dialogue avec les leaders noirs, leur protestation se dirigeant principalement contre les conservateurs. Les leaders de part et d’autre sont alors prêts à engager la discussion, dans la meilleure foi possible et avec pour démarche, l’ouverture sur l’avenir. Une des bases de cette réconciliation est la décision des populations noires de concentrer leurs efforts sur la construction du présent et du futur et non sur le ressassement de l’injustice passée. Importante aussi est la philosophie africaine, Ubuntu, que le maire de Stutterheim, Nico Ferreira souhaite promouvoir, qui consacre l’interdépendance des individus - je suis parce que nous sommes – comme le cœur du développement . Le principe du travail en commun est mis en place ainsi qu’un mode de fonctionnement basé sur la communication et le partage des compétences et de l’expertise. Fondé sur la volonté primordiale de concorde, le processus de développement par son fonctionnement et les valeurs véhiculées par le leadership réuni, réduit les risques de conflits et semble ainsi entériner la réconciliation.
Quel développement ? (2)
Le processus de développement qui se met en place à trois objectifs principaux : la hausse du niveau de vie dans les townships, du niveau d’éducation et du niveau de l’emploi. L’amélioration de la qualité de vie est, en effet, un des buts du développement local tant le retard accumulé par les habitants des townships en ce qui concerne l’accès à certains services - eau potable, égouts, prestations sociales, éducation - est considérable. Le comité des travaux confie des projets à des entrepreneurs locaux, nouvellement formés dans ce but. Des accès à l’eau et à l’électricité sont développés et plusieurs écoles sont construites. Ces dernières permettent une augmentation du nombre d’enfants scolarisés. A cela s’ajoute le projet Molteno, qui vise à rendre bilingues en anglais les enfants de langue xhosa et qui concerne, en 1997, 3000 élèves. Une autre initiative mérite d’être relevée, celle des Amakayas : il s’agit de réunir et de faire garder les enfants en bas âge par des « mères » formées et rétribuées par les familles. La perspective d’éducation se retrouve aussi chez les adultes qui ont la possibilité de suivre des formations, notamment de commerce. Cette opportunité a pour but de renforcer l’emploi et ainsi l’économie locale. Le petit commerce est favorisé : des marchés locaux sont instaurés dans des lieux stratégiques des campagnes afin de favoriser la vente des surplus, d’encourager la production et ainsi de passer, pour l’agriculture par exemple, d’une production de subsistance à la vente. Le Centre de Conseil en commerce de Stutterheim créé en mai 1992 est l’organisation qui facilite ce développement du petit commerce en professant des conseils, en permettant les formations, en assurant le rôle d’intermédiaire entre les fournisseurs de matières premières et les producteurs, en facilitant l’accès au crédit, etc. La création d’emploi se fait toutefois majoritairement dans le secteur de la construction.
Ainsi, le processus de développement s’inscrit dans une démarche globale, qui prend en charge de multiples aspects de la vie des bénéficiaires. Et cette perspective a pour objectif à moyen terme la prise en charge de la communauté par elle-même, c’est-à-dire son autonomisation, d’où l’importance portée à la formation.
Les limites directes au progrès du développement
Les progrès sont tangibles, pourtant, selon Litha Mncwabeni et Patrick Bond, Stutterheim est loin d’être un exemple sans faille de développement (3). Ces deux auteurs soulignent d’une part le désengagement progressif de la municipalité par la privatisation des services qui conduit à une hausse des tarifs pour le même niveau de prestation. Devant le problème récurrent du mauvais paiement des services par les ménages à faible revenu – conséquence plus liée à l’établissement d’un système de tarification inadéquat car non échelonné qu’à de la mauvaise volonté – la municipalité se déresponsabilise et confie la gestion de l’eau en 1993 et du logement en 1994 à des compagnies privées. D’autre part, les politiques menées par les entreprises privées prolonge et amplifie la géographie urbaine héritée de l’Apartheid, car ces dernières favorisent l’ancien secteur « blanc » , laissant de côté les townships noirs. Les coupures d’eau et d’électricité, enfin, perpétrées par la municipalité, dans les quartiers où le problème du paiement se pose entérinent l’inégalité sociale, en mettant hors d’accès les services les plus basiques. Ainsi, malgré un essor patent de l’économie locale, une forme de ségrégation persiste-t-elle, socio-économique cette fois.
Commentary
Ainsi s’agit-il d’une initiative de développement économique local qui s’inscrit dans un contexte de transition politique, celui du passage d’une société divisée par l’apartheid à un régime démocratique. Cette transformation de la conjoncture politique nationale a un impact important sur le déroulement du processus de développement : le mouvement de privatisation des services publics en est une manifestation. La force de ce projet reste la convergence des leaders, associée à leurs fortes personnalités et la motivation de la société civile pour son autonomisation économique.
Cette expérience reste un exemple pour de nombreuses localités en développement, comme en témoignent les nombreuses interventions de la Fondation de Développement de Stutterheim en Afrique du Sud mais aussi dans d’autres pays d’Afrique.
Notes
(1)Nussbaum, Barbara, Making a difference : Reconciliation, Reconstruction and Development in Stutterheim, Vivlia-Education for the Nation, 1997.
(2)Professeur Dewar, David, The Stutterheim experience, Vivlia-Education for the Nation, 1995
(3)Mncwabeni, Litha et Bond, Patrick, Local economic development in Stutterheim, in Linking local economic development to poverty alleviation, Department of Constitutional Development, 1998-99, www.local.gov.za/DCD/ledsummary/ledindex.html