Claske DIJKEMA, Grenoble, mars 2006
Une paix gagnée par le retrait du financement militaire
Le conflit entre l’Erythrée et l’Ethiopie est particulièrement intéressant car les parties en présence n’ont pas cessé de combattre grâce à l’intervention internationale ou à la pression internationale mais plutôt à cause de son retrait.
Introduction :
Après des années sous gouvernement colonial, l’Erythrée est devenue en 1950 une unité autonome fédérée avec l’Ethiopie, à la suite d’une résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unis. Cette fédération avec l’Ethiopie a entraîné un changement dans le pouvoir politique et économique d’Asmara vers Addis Abeba et un appauvrissement important en Erythrée. En 1962, l’Ethiopie a franchit une étape en annexant l’Erythrée avec le soutien des Etats-Unis. C’était le début d’une longue guerre entre les deux pays dont les relations sont demeurées tendues jusqu’à nos jours. Le conflit peut être divisé en différentes périodes et notre analyse se concentre sur une période en particulier pendant laquelle le dictateur éthiopien était détrôné par un effort combiné des forces de la guérilla éthiopienne et érythréenne qui a conduit à l’indépendance de l’Erythrée et à un effort pour transformer l’Etat en une institution démocratique. Cette période finit quand un nouveau conflit armé se déclenche entre les deux pays sur la démarcation de leurs frontières dans la région de Badme. Cette période, montre un effort important et stimulant pour la démocratisation, qui pour certaines raisons que nous aborderons plus tard, se termine par une impasse du processus.
Les périodes du conflit :
1962-1973 : l’annexion de l’Erythrée par l’Ethiopie sous Hailé Sélassié
Le première période débute en 1962 avec l’annexion de l’Erythrée par Hailé Sélassié avec le soutien des Américains. Cela a déclenché une insurrection érythréenne extrêmement violente des mouvements de la guérilla, réunie autour du Front de Libération Erythréen (ELF). Leurs effets sur le gouvernement éthiopien étaient cependant limités du fait de ses différences en interne. L’ELF s’est scindé en 1973, conduisant à la création des Forces de Libération du Peuple Erythréen (EPLF), provoquant une guerre civile sur le territoire de l’Erythrée (jusqu’à la défaite de l’ELF en 1991).
1974-1991 : L’occupation de l’Erythrée sous Mengistu
La seconde période commence en 1974, quand un groupe d’officiers militaires, désigné sous le nom « Derg » , renverse l’Empereur éthiopien Hailé Sélassié avec l’aide soviétique. Le colonel Mengistu Hailé Mariam est devenu le Chef d’Etat en Ethiopie et a établi une dictature marxiste. Le soutien militaire que le régime reçoit de l’URSS leur a permit de provoquer de grosses pertes dans le camp érythréen. Les forces dans le Nord de l’Ethiopie sont cependant mobilisées contre le Derg et deviennent de plus en plus fortes (Front de libération du peuple tigréen, TPLF). Ils se sont alliés aux forces des troupes de la guérilla en Erythrée, dont la majorité appartient au même groupe ethnique, les Tigréens. A l’intérieur de l’Erythrée, deux guérillas rebelles continuent à se combattre pour le pouvoir et la direction future du pays, l’un étant d’obédience conservatrice alors que l’autre était plutôt réformiste. A la fin de cette période, le mouvement réformateur (EPLF) domine le pays, ce qui crée les conditions non seulement pour l’indépendance de l’Ethiopie mais aussi pour la paix au sein de l’Erythrée. La fin de la période est grandement déterminée par la fin de la Guerre froide, qui a conduit au retrait des militaires et de l’aide financière soviétiques qui permettait la poursuite de l’occupation en Erythrée.
1991-1998 : Renversement de la dictature de Mengistu et la transition politique
La troisième période commence donc avec le renversement de la dictature de Mengistu par les deux mouvements rebelles déjà mentionnés : le mouvement Tigréen éthiopien et le mouvement réformiste érythréen, s’allient sur la base d’un ennemi commun et d’une identité ethnique. L’Erythrée peut ainsi déclarer son indépendance en 1993. Les deux mouvements rebelles ont accédé au pouvoir dans leur pays respectif, tout en choisissant ses propres orientations politiques dans les réformes. Tous les deux ont des idéaux démocratiques mais choisissent des moyens différents de les mettre en oeuvre. Leurs approches différentes – une orientation ethnique dans la création de l’identité en Ethiopie et une orientation nationaliste en Erythrée – sont à l’origine des tensions croissantes entre eux (Richard Reid). De nouveaux combats éclatent en 1998 au sujet de la délimitation de la frontière Ethiopie –Erythrée.
1998-2000 : Reprise du conflit à propos de la frontière entre l’Erythrée et l’Ethiopie.
La quatrième période est marquée par les combats et par la nécessité de trouver une résolution du contentieux Erythrée-Ethiopie autour de la ville de Badme. Les combats ont officiellement cessé avec la signature d’un accord de paix intérimaire en juin 2000 à Algiers. Une Zone de Sécurité Temporaire a été créée qui devait être sous le contrôle des forces de maintien de la paix de l’ONU. La Résolution 1298 du Conseil de Sécurité de l’ONU a crée la mission de l’ONU en Ethiopie et Erythrée (UNMEE). Une véritable dynamique de paix manque cependant, l’Erythrée a signé l’accord de paix officialisant la percée militaire de l’Ethiopie.
Les facteurs extérieurs qui permettent à la transition de survenir
Un important tournant dans le conflit se trouve dans le renversement de la dictature de Mengistu en 1991 par le Front de Libération du Peuple Tigréen et l’EPLF. Ce renversement marque le commencement d’une période de paix entre l’Erythrée et l’Ethiopie après 30 ans de guerre. Quels sont les facteurs internes et externes qui ont permis une telle transition ? Pendant plus de 30 ans l’Ethiopie a été soutenue financièrement – d’abord par les Etats-Unis et ensuite essentiellement par l’URSS- pour occuper l’Erythrée. La fin des financements étrangers à la fin de la Guerre Froide a eu pour conséquences un rééquilibrage du pouvoir entre les parties au conflit – le gouvernement éthiopien et les mouvements de libération- et a rapidement mené à une résolution militaire. La capacité militaire des mouvements de libération provenait essentiellement de l’autofinancement grâce à la prise des armes de l’ennemi et le soutien de la diaspora.
Une explication possible de la résolution relativement rapide de la guerre – une fois que le soutien international a cessé – est que le régime de Mengistu n’était pas très populaire et ne pouvait maintenir son contrôle sur les forces armées et la population que grâce au soutien militaire qu’il recevait. Les mouvements de libération recevaient par contre un large soutien populaire. Ils étaient donc les seuls à posséder une légitimité populaire. Cette hypothèse est confirmée par les sacrifices offerts par la population aux mouvements de libération : leur vie et celle de leurs êtres chers, nourriture et abri pour les combattants. Un autre argument est que ces mouvements de libération ont été élus au pouvoir à la suite des élections démocratiques, tenues dans les deux pays après une période transitoire. Les changements qu’ils ont mis en place à un niveau politique était le résultat de 30 ans de réflexion au sein des deux mouvements et l’éducation politique de la population pendant la même période. Le Front de Libération du Peuple Erythréen était même formé idéologiquement par un parti politique d’obédience marxiste.
Les deux mouvements militaires se sont transformés en partis politiques et évolué significativement vers la transformation d’Etat au début et au milieu des années 1990. Mais de manière tragique ces développements positifs sont entrés dans une impasse à la fin des années 1990.