José Pablo Batista, Guatemala, décembre 2004
L’Amérique centrale des années 1980 : des guerres civiles à la signature des accords de paix
Les premiers pas de la démocratisation de la région, dans les années 1980, ont favorisé la mise en place d’un processus visant le cessez-le-feu, dans un premier temps, et la pacification des rapports sociaux par la suite : le processus d’« ESQUIPULAS ».
C’est en 1960 que le conflit armé a débuté en Amérique centrale : au Guatemala un petit groupe d’officiers de l’armée nationale, dans un mouvement de rébellion contre les généraux autoritaires et le régime dictatorial et répressif, s’est constitué en le premier groupe guérillero de l’Amérique centrale. Ce petit groupe s’est développé donnant naissance à plusieurs groupes bien organisés, armés et implantés. Le mouvement guérillero s’est organisé au Salvador, au Nicaragua, entrant en conflit armé contre les vieilles élites oligarchiques de la région. Cette dernière était traversée dans les années 1970 par des conflits armés sanglants.
Les premiers pas de la démocratisation de la région, dans les années 1980, ont favorisé la mise en place d’un processus visant le cessez-le-feu, dans un premier temps, et la pacification des rapports sociaux par la suite : le processus d’« ESQUIPULAS ».
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La pacification du Nicaragua
Le conflit nicaraguayen, de 1970 à 1990, concrétisait les efforts politiques d’adéquation du pays à la démocratie via la modification interne de l’élite dominante : pour s’adapter aux nouvelles contraintes politiques, les élites nicaraguayennes voulaient se débarrasser de la dynastie Somoza, gouvernant le pays depuis les Mycéniennes dans une démarche patrimonialiste extrême.
Le sandinisme a constitué le moyen de transition. Faisant suite à un mouvement populaire révolutionnaire imbriquant des revendications socio-économiques, des théories politiques et des éléments religieux, le sandinisme avait pris le pouvoir au Nicaragua en 1979. Un gouvernement révolutionnaire a été instauré avec, à sa tête, M. Daniel Ortega.
Par la suite, grâce aussi à l’appui du gouvernement des États-Unis, notamment à l’époque de l’administration Reagan, le gouvernement sandiniste est devenu l’objet d’une opposition armée de plus en plus forte déployée par la nouvelle armée contre-révolutionnaire : la « Contra ». Les nouveaux dirigeants sandinistes, faute de ressources, de personnel préparé à gouverner, et assiégés par une opposition de plus en plus puissante, entraient dans une crise interne évidente offrant ainsi à l’opposition la possibilité de la victoire par les urnes.
En mars 1988, l’élite nicaraguayenne, traversée par le clivage entre les sandinistes et les libéraux, arriva à un compromis pour arrêter les combats. Le président Ortega signa les premiers accords avec les responsables des « Contras ». En 1989, se déroulèrent la troisième et la quatrième Réunion des Présidents centre-américains. Ils y prirent des décisions pour réduire l’importance et la puissance de l’armée sandiniste et pour convertir les mouvements d’opposition armée du Nicaragua en mouvements d’opposition pacifique.
Il ne s’agissait pas seulement d’un changement formel, mais également d’un signe du changement général en Amérique centrale : après des années de recours à la violence, le débat politique commençait à prendre le pas sur l’affrontement militaire. Cela a marqué le début de la fin de la guerre civile centre-américaine.
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La pacification du Salvador
Au Salvador, paradoxalement, les actions militaires s’intensifièrent après Esquipulas II. Les guérilleros entamèrent une « offensive finale » en 1989, qui révéla l’égalité des deux forces en lutte : ni les guérilleros ni les militaires ne pouvaient remporter la victoire.
En avril 1990, des négociations entre le gouvernement et la guérilla commencèrent sous l’égide des Nations unies et jouèrent un rôle majeur. En 1991, les dialogues s’intensifièrent. En janvier 1992, les accords de Chapultepec, au Mexique, ont exigé et défini les procédures pour l’instauration du cessez-le-feu, le remplacement des chefs militaires, la réduction des effectifs de l’armée, la conversion au débat politique des anciens commandants guérilleros et le désarmement des anciens guérilleros. Cela a marqué la fin de la guerre civile salvadorienne.
La Commission internationale chargée de faire la lumière sur les crimes de guerre, travaillant sous l’égide des Nations unies, fournit un rapport accablant pour l’armée, accusée d’être directement responsable d’assassinats, de massacres, de répression institutionnelle. Le FMLN fut aussi rendu responsable, dans une moindre mesure, de graves exactions. Cela a marqué le début de la destruction symbolique du succès des extrémistes en Amérique centrale.
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La pacification du Guatemala
La situation guatémaltèque était apparemment moins complexe parce que la guerre civile était militairement terminée. En effet, après une stratégie militaire de répression massive de la part de l’armée, dirigée successivement par les généraux Carlos Arana, Kjell Laugerud et Lucas García, le gouvernement du général Ríos Mont a mené une répression extrême contre les groupes guérilleros avec des attaques contre des populations civiles non armées provoquant de gravissimes violations des droits de l’homme.
Une stratégie de répression militaire implacable a été pratiquée entre 1982 et 1983. Cette stratégie a été déployée par la disparition des opposants, par la torture, par des massacres, par la technique de la terre brûlée, au prix de nombreuses victimes civiles mortes dans des conditions atroces. Après une année et demi de combat militaire féroce, qui n’a pas épargné les populations civiles, faisant de nombreuses victimes par la pratique de techniques militaires des plus cruelles, en 1983, le mouvement guérillero s’était réduit de façon importante. Une grande partie des combattants avait péri dans les combats. Ceux qui avaient survécu ont essayé de se regrouper en petits groupes de rebelles, mais ils ressemblaient davantage à des petits groupes de délinquants qu’à un mouvement guérillero classique. D’autres sont partis se réfugier au Mexique ou dans la forêt. Leurs commandants avaient pris le chemin de l’exil. Les populations maya, désormais bien contrôlées par l’armée, ne coopéraient plus avec un mouvement guérillero vaincu militairement et agonisant. Bien qu’une telle répression ait été perçue par l’armée comme une victoire militaire, elle s’est révélée être l’une des raisons de leur postérieure défaite politique face aux nouveaux leaders civils.
En 1983, les militaires avaient vaincu militairement les guérilleros. Après la défaite militaire de la guérilla, des accrochages subsistaient encore entre les petits groupes de guérilleros et l’armée nationale. Le concept de conflit armé était encore utilisé bien que, plus qu’à représenter une réalité militaire, il servait à justifier certaines actions militaires tant de la part des généraux (de la répression, des massacres) que des commandants (des séquestrations, des attentats), ainsi qu’à légitimer les aides financières que recevaient de l’extérieur les uns et les autres.
Des généraux discrédités par la cruauté de la répression et des commandants guérilleros militairement vaincus et faute de soutien laissaient la place aux nouvelles élites politiques. Des dialogues ont été entamés entre le gouvernement et la guérilla dès 1986. Pendant dix ans de négociations difficiles entre les parties en conflit, mais aussi entre celles-ci et des représentants de la société civile, des accords sur des questions spécifiques se succédaient.
En janvier 1996, le « Partido de Avanzada Nacional », nouveau parti dirigé par les grandes élites économique du pays, a accédé au pouvoir. M. Alvaro Arzú est devenu président. Alors que les espoirs de pacification paraissaient diminuer, grâce à des négociations efficaces au sommet, les accords de paix ont été signés au Guatemala le 29 décembre 1996.
Commentaire
L’Amérique centrale entame le XXIe siècle en ayant laissé derrière elle les conflits armés. Le cessez-le-feu étant réussi, elle s’engage maintenant sur les chemins de la pacification des rapports sociaux, non sans difficultés.