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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Montargis, 2000

Entretien avec Adolé Ankrah, directrice de l’association FIA-ISM.

La médiation socioculturelle, une présence dans les quartiers.

Mots clefs : Travailler la compréhension des conflits | Formation de médiateurs | Analyser des conflits du point de vue culturel

Dans les quartiers populaires, certains femmes se forment pour devenir médiatrices socioculturelles. Une association, FIA-ISM (Femmes Inter Associations - Inter Service Migrants), propose des formations dans ce domaine. Les médiatrices sont, en général, des femmes membres d’associations de quartier.

NVA :

Quelle est la fonction de votre association, FIA-ISM, en termes de médiation ?

Adolé Ankrah :

Nous dispensons depuis 1992 des formations en médiation sociale et culturelle, prises en charge au début par ISM-région parisienne-formation, et depuis 1996 par FIA elle-même. La formation comporte plusieurs modules de cinq jours : sur la médiation (déontologie, principes), l’école, le logement, la santé et la législation. Ce sont des bases : nous ne formons pas des juristes mais nous donnons aux médiatrices les moyens d’orienter les gens. Si une personne a des problèmes de papiers et demande à une médiatrice d’intervenir, il faut que celle-ci comprenne la situation et de quel papier précis il s’agit. Les médiatrices sont appelées à continuer leur formation sur le tas. Certaines nous demandent par la suite des formations sur des points précis. La première formation dure 25 jours étalés sur deux mois et demi. Ce sont souvent des mères de familles, ou qui travaillent en dehors, nous devons donc adapter les horaires.

Nous avons senti la nécessité de suivre les médiatrices une fois leur médiation achevée, sachant que les stagiaires viennent toujours d’une association de quartier (bénévole, salariée…). Elles ne sont donc pas isolées, mais il fallait cependant un lieu d’évaluation, c’est pour cela que nous avons créé le Collectif pour la médiation sociale et culturelle. Nous avons élaboré une charte de la médiation, des principes de travail que nous avons regroupés dans un guide. Nous nous réunissons tous les mois pour parler des pratiques sur le terrain, des difficultés, pour définir les limites de chaque acteur social.

Les médiatrices accompagnent parfois les personnes qui ne maîtrisent pas du tout les rouages administratifs ou qui ont des problèmes de contact, de langue. Mais elles organisent surtout beaucoup de réunions d’information sur des thèmes bien précis pour informer les personnes. Elles sont très sollicitées dans le domaine des relations entre les parents et l’école. L’éducation nationale les accepte facilement, même si elle ne les paie pas. Certaines personnes immigrées ont une représentation différente de l’école que la plupart des gens : en Afrique par exemple, on confie véritablement l’enfant à l’institution, c’est mal vu que les parents interviennent. Du coup, en France, certains parents ne veulent pas venir rencontrer les professeurs… Les médiatrices leur font comprendre l’importance de cet échange. Elles peuvent aussi être amenées à intervenir dans un conflit entre un élève et un professeur. Avec leur regard extérieur, elles peuvent parfois mieux comprendre et expliquer. La médiation dans les collèges vise surtout à inciter les parents à participer à la vie de l’école. Quand un enseignant cherche à joindre des parents, soit par téléphone, par courrier, et qu’il n’y a pas de réponse, alors la médiatrice peut essayer d’intervenir, en allant voir les familles, en expliquant les enjeux, etc.

Une présence dans les écoles

NVA :

Vous êtes aussi bénévole dans une association de femmes à Évry, pouvez-vous raconter des expériences de médiation ?

Adolé Ankrah :

Notre activité de médiation a plusieurs volets, notamment des permanences dans cinq collèges avec lesquels nous avons passé des conventions de travail. Nous allons dans les établissements où il y a une démarche d’ouverture sur les quartiers. Les médiatrices sont deux par deux. Elles tiennent des permanences régulières et connues de tous pour que les familles, les élèves ou les professeurs puissent aller les voir. Pour les familles, c’est rassurant de pouvoir parler à des personnes non-membres de l’institution scolaire et qui sont aussi mères de familles.

Nous avons également une permanence dans un lieu pour recevoir les femmes et les familles qui ont des difficultés (femmes battues, polygamie, recherche d’emploi…). Dans les cas des femmes battues, s’il s’agit d’une simple dispute ponctuelle, la médiatrice écoute et intervient auprès du mari. Cela évite, dans un premier temps, l’intervention d’une assistance sociale. Mais si c’est plus grave, nous orientons vers les associations ou institutions spécialisées. Parfois, nous faisons la médiation à notre façon. En Afrique, il y a toujours eu le sage du village ou un membre de la famille, pour régler les problèmes. Cela manque ici.

NVA :

Quel statut ont les médiatrices ?

Adolé Ankrah :

Le travail qui est fait par les femmes médiatrices est énorme, utile, opérationnel… Mais il n’y a rien au bout : elles sont bénévoles ou leurs emplois sont précaires. Notre première revendication était une reconnaissance de la médiation comme un métier. Mais, en avançant dans l’analyse, nous avons nuancé. Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est la reconnaissance de la fonction et les moyens pour l’exercer, mais pas forcément créer un nouveau métier. Si on crée un métier, cela cadre, enferme, alors qu’il faut de la souplesse. Si la codification est trop stricte, c’est fini. Il faut aller doucement.

Une fois formée, comment la médiatrice opère-t-elle ?

Adolé Ankrah :

Nous formons des femmes qui, souvent, sont déjà investies dans la vie du quartier. Nous conseillons à chaque nouvelle médiatrice d’organiser une réunion avec les autres acteurs du quartiers (associations, services sociaux…), afin de faire connaissance avec eux et qu’elle présente l’action de médiation. Il faut faire cette démarche pour être intégrée, sinon cela peut mal se passer. C’est la même chose si on demande à des médiatrices d’intervenir d’urgence dans un quartier où elles ne sont pas connues. On les perçoit alors comme un sous-métier social, et elles sont rejetées.

Nous avons aussi créé le Collectif pour évaluer la difficulté. Notamment pour dire que tout n’est pas médiation. Il n’y a pas toujours besoin d’un médiateur pour communiquer entre voisins ! Nous devons aussi éviter d’ethniciser la fonction. Si un Africain a un problème, on pense tout de suite à une médiatrice africaine… Cela n’a rien à voir. Il faut d’abord voir la personne avant sa couleur. C’est important de bien connaître les différentes cultures, mais il n’est pas besoin pour cela d’être originaire du pays. Nous évitons aussi de mettre les gens dans des situations de dépendance. L’objectif est de les amener vers l’autonomie. Nous travaillons beaucoup avec les populations immigrées parce que ces personnes ont besoin d’une aide spécifique, notamment les femmes qui sont venues après les hommes dans le cadre du regroupement familial. Quand elles arrivent, elles ne parlent pas ou pas bien la langue, elles ne connaissent pas les gens, ne comprennent pas leur environnement… Et ce dernier ne vous accepte pas forcément.

NVA :

Touchez-vous des publics non issus de l’immigration ?

Adolé Ankrah :

Oui, notamment dans les actions de prévention. Quand nous sommes appelés à intervenir dans les cas de violence familiale le public est mélangé. Mais quand la médiation relève d’un aspect culturel (comportement, démarche…), c’est le public issu de l’immigration qui est concerné. Parmi les médiatrices, il y a des personnes originaires d’Afrique, d’Asie, d’Europe, et aussi des françaises d’origine. Il faut bien comprendre que la fracture sociale, ce n’est pas un problème d’immigration, mais de chômage, de précarité… Ce n’est pas lié à l’immigration, même si les immigrés sont parmi les plus touchés.

Un processus d’émancipation des femmes

NVA :

Pourquoi y a-t-il peu d’hommes dans ce domaine de la médiation ?

Adolé Ankrah :

Les associations de quartier sont tenues par des femmes, notamment parce que les hommes travaillent à l’extérieur. Depuis toujours les femmes ont pris en compte les problèmes de vie quotidienne, de solidarité. Et, peut-être que les hommes ont une autre sensibilité que les femmes ! Les médiateurs pénaux, par exemple, ce sont beaucoup des hommes… La médiation est aussi un processus d’émancipation des femmes. C’est une promotion pour la femme d’être médiatrice. Elle rend des services, se sent utile. À l’intérieur du couple, cela lui redonne une dimension sociale. Parfois la vie familiale en prend un coup. Cela peut devenir lourd de gérer la misère des gens. Les problèmes sont tels que certaines médiatrices sont trop sollicitées et il n’est pas facile, alors, de trouver des limites, notamment si l’on est dans un quartier où l’on connaît les gens. La proximité pose, d’ailleurs, la question de la neutralité. Comment rester neutre lorsque l’on vit au quotidien avec les gens ? Il faut savoir refuser dans certains cas et passer le relais à quelqu’un d’autre. Nous conseillons toujours de travailler à deux ou en réseau.

Notre travail de médiation socioculturelle est connu des institutions, comme le FAS (Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles), la DPM (Direction de la population et des migrations) et les Droits de femmes avec qui nous travaillons en étroite collaboration. Il peut y avoir des avis différents au sein d’une même institution, mais je crois qu’ils sont conscients que les médiatrices ont leur place face aux difficultés. Ils veulent éviter d’en faire un métier et ils sont conscients qu’il faut former et encadrer les gens. Localement, il y a des endroits où la médiation socioculturelle est connue mais, dans d’autres endroits, il y a des blocages. Parfois, on préfère parler de « femmes-relais » plutôt que de médiatrices. C’est plus difficile de travailler quand on n’est pas reconnu. Pour faire des actions suivies, sur le long terme, le bénévolat n’est pas forcément suffisant.

Propos recueillis par Christian Le Meut

Commentaire

Les femmes jouent un rôle clé dans le processus d’intégration interculturelle. Cette médiation, venue de ‘l’intérieur’ peut devenir un outil essentiel pour les institutions, en vue d’une meilleure intégration et d’une meilleure gestion des demandes et besoin de la population issue de l’immigration.

Notes

  • CONTACT : FIA-ISM, 6 rue Jean Dollfus, 75018 Paris. Tél.: 0144859646

Cette association organise des formations à la médiation sociale et culturelle, à l’animation de groupes de parents, etc.