Germain-Hervé MBIA YEBEGA, France, abril 2015
Quelle diplomatie économique en Afrique ?
Entretien avec Germain-Hervé MBIA YEBEGA, Politologue. Observatoire Politique et Stratégique de l’Afrique (Paris-France). Chercheur associé au GRIP (Bruxelles-Belgique) et à la FPAE (Yaoundé-Cameroun).
On parle de plus en plus de diplomatie économique en Afrique. Quels sont les contours de cette notion ? Et comment cela se traduit sur le terrain?
Germain-Hervé MBIA YEBEGA. L’économie est, par définition, un élément d’importance du champ diplomatique, dont les États étaient et demeurent en grande partie, les principaux ordonnateurs. Un surcroît de visibilité de ce « facteur économie » procède, en Afrique notamment, des dernières évolutions des relations internationales, en particulier, depuis la fin de la guerre froide. Mais les reconfigurations du système des relations internationales sont des processus lents, qu’il faut apprécier dans le temps, bien au-delà des effervescences et des effets médiatiques.
Deux angles d’approche semblent se dégager, en gros, selon Christian Chavagneux de cette prégnance de la diplomatie économique.
La première vision se rapporte à l’extension des prérogatives de la diplomatie classique (celle des États) dans le champ économique, en raison du développement des interdépendances et influences stratégiques ; la seconde postule la nécessité d’ajustement des États, aux effets de la mondialisation économique.
Pour ce qui est de l’Afrique, je voudrais souligner la constance, dans l’historicité du continent, de la diplomatie économique. L’Afrique est source nourricière du monde : c’est tout simplement à ce rappel que nous sommes conviés aujourd’hui. La densité géoéconomique du continent, son importance géostratégique ont toujours été au cœur des prétentions et des positionnements des acteurs déterminants des relations internationales. L’Afrique est, à terme, le marché (économique) du monde : de Pékin à Paris, de Washington à Moscou, de Brasilia à Ankara, cette réalité s’impose, d’autant plus que la parenthèse des vingt-cinq dernières années se referme : le relatif désintérêt marqué à l’endroit du continent a fait chou blanc, si vous permettez l’expression.
Quelle explication donnez-vous à cet intérêt grandissant que suscite l’Afrique ?
Le continent regorge d’importantes richesses du sol et du sous-sol. Sa faune et sa flore aiguisent les plus grands appétits. Mais plus encore, il est un géant démographique en marche. Une réussite globale de sa transition démographique est souhaitable, pour une maîtrise des dynamiques de fond qui y sont à l’œuvre. La responsabilité des Africains est cependant immense, dans la gestion prioritaire des enjeux qui sont ceux de la propre émergence du continent. Et ils font face, dans l’histoire aussi, aux incalculables conséquences que produit leur face à face avec eux-mêmes. Sans forcer le trait, je voudrais dire la formidable capacité d’encaissement et de résistance qu’ont les Africains. Il faut, mieux qu’hier, compter et travailler avec eux. Ce sont ceux qui refusent de l’admettre, qui ne sont pas rentrés dans l’Histoire.
Cette nouvelle dynamique va-t-elle changer quelque chose dans les relations avec les grandes puissances comme la France ou les États-Unis ?
Les grandes puissances sont mues par leurs intérêts fondamentaux. C’est la loi d’airain des relations internationales. Des réaménagements et repositionnement sont entrepris ici et là, en particulier dans le cadre des relations multilatérales (sommets USA-Afrique; UE-Afrique; Chine-Afrique; Inde-Afrique etc.). Comme je viens de le dire, les changements de fond sont en cours, ils s’appréhendent dans le temps. Mais il va sans dire que les règles du marché des relations internationales ne peuvent plus être les mêmes que celles qu’elles étaient il y a une cinquantaine d’années, lorsque les anciennes colonies du continent accédaient à l’indépendance. Bien que les mauvaises habitudes aient la peau dure (de part et d’autre d’ailleurs), on n’arrêtera pas la marche de cette évolution là.
En Afrique, on dit qu’un arbre qu’on abat fait plus de bruit que l’herbe qui pousse !
Quelle place pour les nouveaux acteurs comme la Chine, la Turquie ou le Maroc sur l’échiquier diplomatique en Afrique?
Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont porteurs de la moitié de la croissance économique mondiale, comme le rappelait Laurent Fabius au cours de la 20ème Conférence des Ambassadeurs le 28 août 2012 à Paris.
Ils sont des acteurs économiques incontournables, dans ce marché mondial qu’est l’Afrique.
Mais encore, faudrait-il que l’Afrique elle-même se positionne toujours et encore avec force, dans l’affirmation de sa propre vision stratégique. Les pays africains ont une responsabilité énorme, comme je l’ai dit plus haut. Les projections du Maroc au sud du Sahara, celles hésitantes, d’une Afrique du Sud qui découvre le continent, interpellent. Ce sont là quelques exemples parmi d’autres, qui gagneraient à être promus et capitalisés.
Il reste cependant, de nombreuses barrières socioculturelles, voire même « idéologiques » entre les différentes parties du continent, qui a une cinquantaine d’États, il faut le rappeler.
Comment les États africains font-ils face à ces nouveaux enjeux?
Les Africains doivent penser stratégie, projeter stratégie, agir stratégie. L’actualité nous habitue aux sons et aux images d’un continent catastrophe. Mais l’Afrique se démarque de ces caricatures exclusivistes, et se pose, inlassablement. Beaucoup reste sans doute à faire. Plusieurs niveaux de lecture existent, et je plains les analystes du chaos, en retard d’une échelle de compréhension.
La difficile, mais irrémédiable dynamique d’intégration sous-régionale en Afrique est, par exemple, un créneau porteur de ce qui pourrait être un modèle de développement de l’Afrique, par les Africains.
Quels sont vos conseils aux dirigeants africains pour que la diplomatie économique profite bien au continent ?
Il ne s’agit pas seulement d’une question concernant les dirigeants en Afrique. Tous les Africains sont impliqués dans les problématiques de paix, de sécurité et de développement, qui interagissent avec les manifestations concrètes de la diplomatie économique.
Quant au rôle spécifique des dirigeants : poser les jalons de la paix sociale et politique, en s’investissant à bâtir des États qui assurent la sécurité des personnes et des biens. Quel que soit le nom que cela peut avoir (démocratie, bonne gouvernance, etc.), il s’agit de replacer le citoyen au centre des préoccupations du projet politique dans son ensemble, et des dynamiques particulières des entrepreneurs politiques. La diplomatie économique, s’articule, elle, autour d’un environnement sociopolitique favorable. Sans amélioration perceptible des conditions générales de vie des citoyens, il n’est guère de projet politique qui porte.
Notas
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Entretien réalisé pour « Les Afriques Diplomatie », No 24, avril 2015, P. 5.