Manfred Rosenberger, Paris, diciembre 2008
Entretien avec M. Manfred ROSENBERGER
Propos recueillis par Henri Bauer et Nathalie Delcamp (Irenees).
Irenees :
Pourriez-vous vous présenter s’il vous plaît ?
Manfred Rosenberger :
Je suis né le 17 juillet 1948 à Lörrach dans le Sud-Ouest de l’Allemagne. Je suis marié depuis 1974 et nous avons un garçon et une fille, qui ont terminé leurs études.
Fils d’une famille (nombreuse) ouvrière, et d’un père profondément marqué par de mauvais souvenirs accumulés sur tous les fronts de la guerre, rien ne m’avait prédestiné à une carrière de militaire, si ce n’est les prénoms que mes parents m’ont donné : « Manfred » qui signifie en vieux allemand « Mann des Friedens » (homme de la paix) et Werner qui veut dire « Wehr/Warn-herr » (homme de la garde/défense).
Or, à la sortie du lycée de Schopfheim en Forêt Noire en 1968, à une époque où des classes entières de jeunes refusaient d’accomplir leur service militaire et manifestaient dans la rue contre l’ordre établi, j’ai choisi de m’engager comme officier dans les forces armées. A la différence de beaucoup de mes amis, j’avais le sentiment, qui par la suite est devenu une conviction, qu’il fallait prendre ses responsabilités civiques dans la défense des nouvelles valeurs d’une communauté occidentale plus démocratique et plus libérale qui était en train de se former. L’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie et la construction du mur de Berlin ne pouvaient que renforcer cette conviction.
Mon itinéraire biographique a ensuite été particulièrement marqué par une alternance de postes de commandement dans des unités parachutistes et d’officier d’Etat-major au niveau Ministère de la défense. De plus, j’y reviendrai, sur mes quarante années de service dans les forces, j’ai eu la chance de pouvoir en consacrer plus de la moitié à la coopération bilatérale franco-allemande.
Dans le cadre des programmes d’échanges que nous avons établis sur la base du Traité de l’Elysée de 1963, j’ai occupé plusieurs postes au sein même des forces françaises (stagiaire et, plus tard, Instructeur à l’Ecole de Guerre et officier rédacteur d’Etat-major) et nous avons fait quatre séjours en famille à Paris, quinze années en tout.
La Politique de Sécurité, la construction de l’Europe et la coopération militaire multinationale sont depuis toujours, avec la vie de famille, les domaines d’intérêt privilégiés, auxquels je consacre une bonne partie de mes études et de mon engagement personnel.
Depuis ma retraite en 2005, je suis installé avec ma femme à Soustons sur la Côte Landaise où nous aimons beaucoup faire de longues promenades sur les plages de l’Atlantique ou des randonnées sur les chemins célestes des Pyrénées.
A propos de vous :
Irenees :
Quelles sont aujourd’hui les actions auxquelles vous participez ou que vous mettez en œuvre pour la construction de la paix ?
Manfred Rosenberger :
A Soustons j’entretiens des relations avec les cercles culturels locaux et je donne régulièrement des conférences, notamment sur la construction de l’Europe dans le secteur de la Défense et de la Sécurité et les réalisations de 50 ans de coopération franco-allemande dans ce même domaine.
Je suis membre actif de l’association « Civisme, Défense, Armées, Nation » et de l’association EuroDéfense (Deutschland) à travers lesquelles je m’engage à promouvoir une véritable « culture commune de paix dans la sécurité » en Europe.
La Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH) et plus spécifiquement le réseau international « Alliance de Militaires pour la Paix et la Sécurité » m’ont ouvert de nouvelles voies avec de nombreuses possibilités d’élargir cet engagement et d’initier un dialogue avec d’autres régions du monde sur une telle culture commune qui me semble plus nécessaire que jamais.
Irenees :
Vous qui coordonnez le réseau international « Alliance de militaires pour la paix et la sécurité »: pouvez-vous nous la présenter en quelques phrases, nous dire quelle est sa vocation et quels sont les objectifs poursuivis ?
Manfred Rosenberger :
L’objectif principal est de permettre aux membres du réseau de mener une réflexion sur les questions de sécurité et de paix, ainsi que sur les moyens de promouvoir auprès des citoyens une « Conscience de Paix dans la Sécurité » qui leur permette de mieux comprendre les chances et les risques inhérents aux relations internationales dans un monde qui se globalise et de participer activement à la définition des conditions pour assurer la stabilité de ces relations ainsi que la paix.
De plus, son action vise à promouvoir une certaine idée des fondements éthiques de l’exercice du métier des armes et de la relation entre militaires et civils dans des sociétés démocratiques ou en voie de démocratisation.
A travers son réseau et ses manifestations, l’Alliance veut non seulement influer sur l’acception, par l’opinion publique, du nouveau rôle des militaires dans le maintien de la paix internationale et dans la gestion des défis de sécurité et des crises multiformes. Elle compte aussi peser sur les décisions et les évolutions au sein des organisations militaires tant au niveau national (forces armées en transformation) qu’au niveau international (ONU, OTAN, Union européenne, autres alliances militaires régionales), notamment sur la politique d’information et sur les fondements philosophiques de l’instruction et du comportement des militaires dans l’engagement.
A plus court terme, l’objectif du réseau est de mettre et de maintenir en relation les participants aussi bien des différents colloques et séminaires organisés par la Fondation Charles Léopold Mayer que des rencontres organisées par les autres partenaires et organisations, réunissant des experts de tous bords sur le thème des politiques de sécurité et de la construction de la paix.
Le réseau n’est pas un cercle fermé, n’acceptant que des militaires. Il est, au contraire, ouvert aux experts de toute catégorie socio-professionnelle (universitaires, journalistes, politiques etc.) ayant une connotation “sécuritaire”, “pédagogique” ou “relations internationales”.
Irenees :
Pourquoi travaillez-vous pour la paix ?
Manfred Rosenberger :
A cette question « simple » je suis fortement tenté de répondre aussi simplement : parce que c’est ma vocation inscrite dans ma biographie !
Les premiers éléments de réponse se trouvent déjà au paragraphe de ma présentation. La ville où je suis né est située aux abords de la vallée du Rhin en région frontalière avec la Suisse (Bâle) et la France (Mulhouse). Après la guerre c’était une zone d’occupation française, ce qui a naturellement influencé notre mode de vie et notre éducation : le Français était la première langue enseignée à l’école.
Depuis les années 1960, notre ville est jumelée avec Poligny dans le Jura français. Dans le cadre de ce jumelage très actif, la réconciliation et le rapprochement franco-allemand se trouvaient au centre de nos préoccupations. Non seulement les écoles, mais aussi les associations civiques et sportives, les chorales etc. étaient impliquées dans ces activités. Nous avions des échanges réguliers et très jeune j’ai eu des amis en France.
Plus tard, une fois entamée ma carrière d’officier au sein des Forces Armées Fédérales (Bundeswehr), mes connaissances de la culture et de la langue françaises m’ont beaucoup aidé pour être admis, en 1980, comme stagiaire à l’École Supérieure de Guerre (ESG) et – quatre ans plus tard – affecté comme officier de liaison/instructeur auprès de la Direction de l’Enseignement Militaire Supérieur de l’Armée de Terre Française (DEMSAT/Ecole de Guerre) à Paris.
Mais aussi durant mes affectations en unités, comme par exemple quand j’étais Chef de Corps du 251ième Régiment parachutiste à Calw (Forêt Noire), j’ai continué à coopérer avec les unités françaises voisines. Nous avons souvent manœuvré ensemble et nous avons établi, au travers de manifestations sportives et de journées « portes ouvertes », des relations de compréhension mutuelle et, on peut le dire, d’amitié, avec les communautés civiles de nos garnisons : bon nombre d’associations franco-allemandes ont été créées sur l’initiative et/ou avec le soutien des militaires, qui avaient déjà dépassé la qualité de simples « alliés ».
Ces expériences m’ont valu ultérieurement d’être chargé, au niveau des Ministères de la défense, de la coordination de divers projets franco-allemands et multinationaux de coopération. J’étais, entre autres, secrétaire du groupe de travail franco-allemand pour la mise sur pied de la brigade franco-allemande (BFA) et j’ai été le premier officier « rédacteur en échange » au sein du Ministère français de la défense (Etat-Major des Armées) à Paris. Là je me suis occupé de la mise en oeuvre du « Traité sur les (réductions des) Forces Conventionnelles en Europe (FCE) » et du dossier Corps Européen (Strasbourg).
Entre 1997 et 2001, j’ai eu la chance de diriger l’élément défense au sein du Secrétariat permanent du Conseil Franco-Allemand de Défense et de Sécurité. Dans nos bureaux, installés à l’Hotel des Invalides à Paris, nous étions quatre fonctionnaires, un militaire et un diplomate de chaque pays, pour préparer les rencontres semestrielles du Président de la République française et du Chancelier allemand dans le cadre des sommets franco-allemands. C’était une expérience extraordinaire que d’assister aux consultations au plus haut niveau concernant directement les affaires de politique étrangère et de sécurité ! Régulièrement les travaux du Conseil touchaient concrètement à la question de paix ou de guerre ! C’était l’époque des crises dans le Golfe persique et dans les Balkans, avec notamment la décision d’entrer en guerre avec la Serbie pour empêcher une catastrophe humanitaire au Kosovo.
Ainsi, depuis la réconciliation des années cinquante et du rapprochement des années soixante s’était forgé, à travers la construction de l’Europe, un partenariat et une amitié entre nos deux peuples qui a permis d’attirer les peuples de l’Europe centrale et de l’Est, après l’ouverture du rideau de fer qui les enfermait depuis des décennies, vers ce grand mouvement de paix qu’est pour moi l’Union de l’Europe. C’est un miracle dont nous avons rêvé quand nous étions jeunes, mais dont beaucoup ne pouvaient pas imaginer qu’il puisse vraiment se produire.
Pour moi, l’amitié franco-allemande, la (ré)unification de l’Allemagne et de l’Europe entière constitue l’exemple historique d’un processus de paix qui vaut la peine d’être raconté et enseigné à d’autres peuples dans d’autres régions du monde caractérisées par l’instabilité voire des conflits et des guerres, pour les aider à trouver leur place et à réaliser leurs intérêts dans un environnement de plus en plus interconnecté par la globalisation.
Sur les responsabilités des militaires aujourd’hui dans la construction de la paix :
Irenees :
Selon vous, les militaires ont-ils des responsabilités dans la construction de la paix à l’aube du 21ème siècle ? Si oui, lesquelles ?
Manfred Rosenberger :
Le militaire, même s’il ne prend pas souvent la parole, est au cœur de la vie politique, en particulier internationale. Son rôle, dans un monde en pleine mutation, est parfois mal défini et on voit encore coexister sur notre planète toutes les formes possibles d’identités professionnelle : du mercenaire, qui loue son arme et sa vie sans état d’âme pour n’importe quel objectif jusqu’aux juntes militaires qui exercent le régime - souvent caractérisé par la terreur - à la place des politiques. Et de l’autre côté on voit les « casques bleus » assister des populations catastrophées, séparer des belligérants, maintenir voire rétablir l’ordre dans des sociétés déchirées par la guerre des intérêts et la haine.
Oeuvrant au sein d’une organisation par définition hiérarchisée, parfois encore rude et fermée, mais au coeur de sociétés de plus en plus ouvertes, transparentes et réticentes à l’usage de la violence, le militaire – qui, de son côté, est de plus en plus professionnel et technique – doit se faire une place juste, contrôlée par le politique, légitimée mais aussi reconnue et soutenue par la société.
Parce que le militaire est un élément participatif de la société moderne et, justement, parce que cette société a parfois tendance à l’oublier, il est impératif qu’un dialogue permanent s’installe entre les deux parties sur les fondements du service au sein des Forces armées et sur leur rôle respectif dans la construction de la paix.
Pour être justifiée, l’action des militaires doit découler des valeurs, des objectifs et des intérêts fixés dans le cadre d’une politique de sécurité et de défense, définie en commun dans les instances internationales compétentes. Ces valeurs doivent reconnaître la dignité de l’être humain qui est intangible. Le droit international doit être respecté aussi bien par ceux qui fixent les missions que par ceux qui les exercent.
Sur ces bases, les militaires ont des responsabilités dans la construction d’une paix internationale, fondée sur une philosophie et une éthique qui garantit avant tout la dignité humaine, la liberté, la justice, l’égalité, la solidarité et la démocratie.
Ceci se concrétise avant tout par un engagement au service de gouvernements nationaux et au sein d’organisations internationales pour préserver le droit et la liberté et pour prévenir si possible les crises et les conflits pouvant entraver la paix et la sécurité des citoyens. Mais les militaires ont également des responsabilités, notamment en conseillant et en assistant les politiques, pour relever les défis mondiaux, au nombre desquels comptent notamment la menace que font peser le terrorisme international et la prolifération des armes de destruction massive, pour contribuer au respect des droits de l’homme et au renforcement de l’ordre mondial sur la base du droit international, pour promouvoir le développement des échanges économiques et culturels internationaux comme fondement de notre prospérité et pour aider à combler le fossé entre les régions pauvres et riches du monde.
Irenees :
Quels sont selon vous, les critères qui permettent de qualifier de légitime l’utilisation de la violence ?
Manfred Rosenberger :
Outre le cas de légitime défense, individuelle ou collective, contre une agression qualifiée et la levée contre un régime totalitaire qui viole le droit humanitaire, il n’y a pas de situation « type » où l’utilisation de la violence soit légitimée « per se ». Chaque situation de conflit doit être considérée individuellement et l’utilisation de la violence, qu’il s’agisse de représailles ou de l’engagement de forces armées, doit répondre à des critères justiciables de légitimation.
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Le premier critère de légitimité est, pour moi, l’impossibilité de sortir par d’autres moyens que la violence d’une situation mettant en jeu la dignité, la vie et les valeurs essentielles des populations concernées. L’engagement de forces armées et l’ouverture du feu contre des êtres humains doit rester « l’ultime ressort » pour arriver à des fins politiques, qui doivent elles-mêmes être légitimes.
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Le deuxième critère est celui de la légitimité des objectifs politiques et la nécessité humanitaire. Plus que le rétablissement de l’ordre (qui lui peut tout à fait être contestable), l’objectif d’un engagement de la force militaire et de l’utilisation de la violence doit être le maintien voire le rétablissement de la paix, c’est-à-dire d’une situation où la lutte des intérêts en jeu sera menée avec des moyens civiques et démocratiques.
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Ensuite, j’exigerai l’application du critère de proportionnalité, c’est-à-dire, que les moyens engagés, les pertes en vies humaines et les dégâts matériels acceptés doivent rester dans une relation justifiable par rapport aux risques encourus.
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Enfin, mais pour un militaire qui obéit au « primat de la politique » c’est évident, l’autorité qui décide de l’utilisation de la violence doit elle-même être légitime. C’est dans la nature de l’hiérarchie militaire que cette instance doit être un pouvoir national légal. Mais aujourd’hui, plus la décision d’engager la force est partagée avec d’autres nations et prise au sein d’organisations internationales, plus elle semble légitimée aux yeux de l’opinion publique.
Irenees :
Selon l’approche classique, l’Etat possède le monopole légitime de la violence : faut-il en déduire que toute violence étatique est légitime ? Et que toute violence non-étatique est quant à elle illégitime ?
Manfred Rosenberger :
L’idée de monopoliser la violence au niveau de l’Etat, que l’on peut trouver dans la philosophie politique de Thomas Hobbes et plus formellement chez Max Weber, signifie que les individus d’une communauté renoncent à leur « vocation naturelle » de faire valoir le droit et de rendre justice (arbitraire) individuellement. La protection et l’imposition des intérêts sont alors entièrement confiées aux organes étatiques de justice et de l’exécutif. En contrepartie, ces organes étatiques sont liés par le droit et la loi sanctionnés par la législation de l’Etat démocratique.
Cette définition donne déjà en soi, au moins en grande partie, la réponse à votre question : pour être légitime, la violence utilisée par l’Etat doit se justifier par les intérêts des citoyens, le maintien ou la défense de l’Etat de droit, le respect de la dignité humaine et du principe de proportionnalité par rapport aux moyens engagés.
Ce sont toujours les mêmes critères qui rendent l’utilisation de la violence légitime, que ce soit au niveau de l’Etat ou de la communauté internationale. L’Etat qui enfreint ces critères pêche contre l’exercice légal du pouvoir.
Par conséquent, il doit également exister le droit légitime pour l’individu et/ou les groupes d’utiliser la violence pour les cas où l’Etat serait défaillant ou lorsque le pouvoir en place viole les droits humanitaires. Dans ces cas, la plupart des Constitutions démocratiques (en tous cas la loi fondamentale en Allemagne) reconnaissent la légitime défense individuelle et collective ainsi que le droit (devoir ?) de résister contre des régimes totalitaires.
Irenees :
Vous faites référence à la nécessité d’une prise de « Conscience européenne de sécurité et de défense » ((CESD), définie comme le volet humain, social et démocratique de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Quels sont les enjeux de cette CESD ?
Manfred Rosenberger :
Tout d’abord, il s’agit de parvenir à une meilleure compréhension de la « Politique Européenne de Sécurité et de Défense » par tous les acteurs économiques et sociaux de leurs pays d’appartenance et de participer à la sensibilisation de l’opinion publique. La défense par l’Union Européenne des territoires et des populations de ses Etats membres, ainsi que de ses intérêts dans le monde, la sauvegarde de ses valeurs, notamment de la démocratie et des droits de l’homme, le maintien de la paix et la gestion des crises internationales nécessitent une Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) commune, notamment par la mise à disposition de forces militaires en provenance des Etats membres pouvant être engagées sous commandement européen.
Conscients que l’Union Européenne a grandement contribué à assurer une paix durable entre les Etats membres, les associations et individus qualifiés sont appelés à promouvoir et à renforcer cette Conscience Européenne de Sécurité et de Défense en vue de la sauvegarde de la paix et des libertés, de la protection de ses ressortissants, de la promotion du progrès social et des échanges commerciaux dans le monde. Son développement améliorera la compréhension ainsi que le soutien de la PESD par les citoyens de l’Union Européenne.
Les partenaires du réseau international oeuvrent en outre à constituer à plus long terme une Fédération Européenne d’associations et des organisations se consacrant à la promotion de la PESD. Dans ce but, l’organisation de conférences et de tables rondes sur le thème de la sécurité ainsi que des réunions d’information sur la PESD au profit des medias est favorisée et un dialogue approfondi doit être instauré avec les élus, ainsi qu’avec les représentants des partis politiques démocratiques, des églises, des institutions culturelles et des médias. Le corps professoral, l’administration et les forces armées sont associés à ce dialogue et des travaux scientifiques sur la PESD sont soutenus par le réseau et leurs résultats présentés à un public aussi large que possible.
Sur la construction de la paix dans le monde et sur le rôle de l’Europe :
Irenees :
Quelles sont, d’après vous, les menaces les plus importantes pour la paix au XXIème siècle ?
Manfred Rosenberger :
Depuis la disparition de la confrontation Est-Ouest et la fin du blocage des systèmes par la guerre froide, nous pouvons dire que la menace « existentielle », mettant en jeu l’ordre démocratique et la survie des populations s’est éloignée de l’Europe, bien que l’exemple récent de la Géorgie a démontré que même le risque de guerre intense entre Etats n’a pas encore totalement disparu.
Mais l’environnement international ne cesse d’évoluer. La mondialisation des relations et l’interpénétration politique à travers les organisations régionales ouvrent bien sûr de nouvelles chances de rapprochement et de grandes perspectives pour la pacification des conflits d’intérêt internationaux. Simultanément, la transformation fondamentale du contexte de sécurité comporte de nouveaux risques et de nouvelles menaces qui ont non seulement un effet déstabilisateur sur l’environnement immédiat des nations mais qui affectent également la sécurité de la communauté internationale dans son ensemble.
Le terrorisme international représente un défi majeur : il menace la liberté et la sécurité, car il s’attaque de préférence aux centres et systèmes vulnérables des sociétés modernes. Notre dépendance aux moyens de communication et de transport, à la liberté d’accès aux ressources naturelles (notamment en énergie) et à la stabilité des échanges économiques comme à celle des flux financiers nous rend de plus en plus vulnérables aux attaques de groupes extrémistes et de criminels organisés. Je cite pour exemple les attentats du 11/09/2001 contre les tours du World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, considérés comme une déclaration de guerre contre les Etats Unis, les autres attentats terroristes de Madrid, Londres, etc. jusqu’au carnage de Bombay de fin novembre 2008, mais aussi les actes de piraterie dans le Golfe persique et ailleurs, requérant l’intervention de forces multinationales de plus en plus armées…
Dans ce contexte, mais aussi dans celui de confrontation entre extrémistes religieux, que certains continuent d’appeler « guerre des cultures », la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs constitue une menace potentielle de plus en plus importante pour les systèmes complexes de nos sociétés.
S’y ajoutent des conflits intra-étatiques et régionaux (l’interminable conflit israélo-palestinien, la guerre que les Talibans mènent contre les Alliés en Afghanistan, la guerre civile en Irak etc.), qui continuent à produire quotidiennement de nombreuses victimes et empêchent les peuples souffrants à vivre en sécurité et à accéder à une vie meilleure.
Sur le continent africain, mais aussi dans d’autres régions, la déstabilisation et la désintégration d’États, qui s’accompagnent souvent d’un effritement du monopole étatique de la violence, peuvent à tout moment dégénérer en conflits généralisés, entraînant régulièrement de véritables génocides et des flux de plusieurs centaines de milliers de réfugiés.
En matière de politique étrangère, de sécurité, de défense et de développement, la maîtrise de ces défis suppose la mise en œuvre d’une vaste panoplie d’instruments susceptibles de déceler suffisamment tôt les indices de crise ainsi que de prévenir et de régler les conflits. La mise à disposition de forces d’intervention, avec les armements et les matériels accompagnants, ainsi que le financement des opérations humanitaires et de reconstruction coûte des fortunes à la communauté internationale, qui de ce fait ne peuvent pas être engagées pour le développement durable des infrastructures et des économies locales.
Tous ces scénarios assombrissent bien sûr les perspectives d’une paix durable, dont beaucoup de gens croyaient déjà percevoir les dividendes après l’implosion de l’empire soviétique et la chute du communisme. Mais nous ne devrions pas perdre de vue que les éléments sont également réunis pour mieux gérer les crises multiformes et prévenir des conflits, avant qu’ils ne se transforment en affrontements armés. L’Union Européenne est un des acteurs les plus engagés sur cette voie de l’équilibre négocié des intérêts.
Irenees :
Croyez-vous que les échanges entre militaires et artisans de paix peuvent enrichir la construction de la paix ?
Manfred Rosenberger :
Nous l’avons déjà dit : les militaires, comme d’ailleurs les autres agents de l’Etat (policiers, pompiers, etc.), à condition qu’ils servent « la bonne cause », c’est-à-dire celle du peuple et d’un gouvernement légitime, sous contrôle démocratique (rôle essentiel des parlements), respectant le droit international en matière de l’usage de la force et agissant sur des fondements éthiques approuvés, sont eux-mêmes de véritables « artisans de paix ».
Assurant l’intégrité des territoires nationaux et alliés, garantissant la sécurité extérieure et intérieure et disponibles pour intervenir aux côtés des populations mises en danger par des irresponsables, les forces armées font partie des sociétés civiles et ne représentent – bien que spécialisé dans l’intervention militaire - qu’un instrument de la politique parmi d’autres, comme les volontaires des structures de coopération économique et de développement, de l’assistance technique etc.
Même les ONG comme par exemple les organisations et agences humanitaires, normalement plutôt critiques envers les militaires, acceptent la leçon des conflits récents selon laquelle avant de pouvoir apporter leur assistance, les secours ont parfois besoin auparavant que les belligérants soient séparés, que l’acheminement de l’aide soit protégé et que soient installées et gardées militairement des zones sécurisées.
Ceci étant dit, il est évident que plus il y aura de coopération et d’échange d’informations entre artisans de paix, mieux ils pourront remplir leur « métier » respectif dans la construction de la paix. Comme dans l’artisanat du bâtiment, la compréhension mutuelle, le respect des motivations et des responsabilités de chaque « corps de métier », la connaissance réciproque des processus de planification et d’intervention ainsi que des modes de fonctionnement sont nécessaire pour mener à bout un chantier.
Irenees :
Qu’est ce que la paix pour vous ?
Manfred Rosenberger :
J’aime bien cette métaphore de chantier : pour moi, la paix est un chantier éternel, qu’il faut toujours parfaire selon les conditions géographiques, historiques et sociétales.
Pour pouvoir la construire, il faut avant tout que les armes se taisent. La guerre ne déforme pas uniquement les paysages, elle dénature également les hommes et les rend incapables d’envisager un futur commun.
Pour ensuite la rénover et la perfectionner, il faut être en permanence à la recherche du bien commun et de l’équilibre des intérêts des occupants de l’édifice. Concernant la statique de l’architecture, je préconise cette phrase de Hermann Hesse : « c’est bien d’être patriotique, mais avant tout il faut être humain, si les deux ne vont pas ensemble, je donne toujours raison à l’humanisme. »
Et concernant la coexistence des habitants de notre terre, je pense comme lui que « ce n’est pas uniquement la guerre que les peuples livrent avec les armes, dont j’accuse les insanités et les horreurs ! Ce sont toutes les guerres, toute sorte d’intérêt personnel querelleur et violent, toute sorte de mépris de la vie et d’abus envers son prochain. La paix, pour moi, ne comprend pas uniquement le militaire et le politique, j’y entends la paix de chaque individu avec soi-même et avec le voisin, l’harmonie d’une vie judicieuse et affectueuse. »