Richard Pétris, Grenoble, février 2006
Education et éducation à la paix
Comment faire de la construction de la paix un objectif déclaré de l’éducation ?
Dans le contexte de crise de notre époque et de la recherche des voies pour en sortir, l’éducation reste la championne toutes catégories des politiques recommandées comme devant favoriser un développement humain bien compris. Celui-ci est probablement, actuellement, la meilleure expression de la synthèse nécessaire entre la croissance - le progrès matériel - et la formation de l’esprit et des mentalités des individus et des sociétés humaines. Le système éducatif français, à cet égard, est particulièrement exemplaire du rôle qu’a pu jouer l’acte d’éduquer dans la construction, à la fois « spirituelle » et matérielle, d’une communauté nationale : deux périodes, notamment, permettent d’en juger avec, d’une part, le développement de l’école publique et obligatoire qui a accompagné la fondation de la République à la fin du 19e siècle et au début du 20e, d’autre part, la reconstruction et les « trente glorieuses » après la seconde guerre mondiale. Mais les évolutions permises par l’éducation et qui, à leur tour, influencent celle-ci, suscitent des interrogations portant sur le sens de l’action éducative comme sur ses méthodes. Pour le premier, on pourrait vouloir faire plaisir, notamment, à Jean-Jacques Rousseau et à Ernest Renan qui ont tous deux souligné l’importance de la quête de liberté dans le développement de l’enfant et fait du développement de l’esprit le « but du monde » , en reconnaissant que ce développement a indiscutablement progressé, et continue de progresser, au milieu du tumulte d’un monde de plus en plus complexe. Pour les secondes, on peut considérer que la « maladie » , que l’on dit bien française, de la réforme des programmes comme des dispositifs de l’éducation dans notre pays traduit un évident besoin d’adaptation et de mise à jour face à de nouveaux défis.
Et si la grande question du sens et de l’efficience de l’éducation rejoignait aujourd’hui - et enfin ! - celle de la construction de la personne et des sociétés qui est en réalité derrière le concept de paix bien compris ? Sous des formes extrêmement variées, des tentatives sont faites un peu partout dans le monde pour répondre à une aspiration universelle à la sécurité et au bien-être par une formation susceptible d’encourager un savoir être et un savoir faire générateurs de paix globale et durable. En tant qu’Ecole de la paix, à Grenoble, nous nous sommes placés directement au cœur du sujet en voulant promouvoir cette idée par la mise en place effective d’une « école de la paix » qui aurait ainsi la double fonction d’élaborer des propositions en la matière, à partir notamment d’expériences de terrain, et d’incarner l’affirmation qu’une partie de la solution est bien dans cette institutionnalisation d’une nouvelle discipline. A partir de notre expérience qui conjugue les dimensions du quartier, du pays et du monde et veut concilier le local et le global, en même temps que le personnel et le collectif, l’identitaire et l’universel, nous pouvons témoigner, de l’intérieur, de cette interrogation centrale pour l’évolution des sociétés humaines. Avec ses limites évidentes, notre démarche nous permet tout de même, d’abord, de montrer comment l’éducation à la paix répond effectivement à une aspiration à la paix globale, ensuite, de contribuer à la recherche d’une autre éducation pour des temps nouveaux.
Aspirations à la paix globale et expériences d’éducation à la paix
L’évolution de la réflexion sur l’éducation à la paix est évidemment liée à l’évolution du concept de paix lui-même et nous pouvons témoigner du poids de l’histoire et des traditions ainsi que de la force des habitudes, voire de la lourdeur des institutions en même temps que de la raideur des idéologies. N’ayons pas peur des mots ; si notre initiative d’ « école de la paix » a dérangé, et continue de nous valoir d’être observés avec une certaine suspicion, c’est d’abord parce que nous avons été perçus, dans notre pays, comme mettant en cause un certain monopole. Celui d’une institution, l’éducation nationale, convaincue à juste titre d’avoir rempli avec succès une mission d’intérêt général impliquant une neutralité que garantissait l’affirmation d’une laïcité pure et dure. Davantage que les logiques d’appareils qui ne sont pourtant pas à négliger, ce qu’il faut remarquer, c’est l’importance de la responsabilité dont se sont sentis investis les instituteurs et les professeurs chargés de la formation du citoyen et contribuant de fait à une éducation à la paix qui ne se définissait pas comme telle mais correspondait bel et bien à l’esprit d’une époque dont nous avons hérité. Et qui pourra prétendre que nous soyons véritablement sortis de cette culture qui privilégie la paix armée et met l’accent sur une défense de la paix largement appuyée sur le recours à la force ? D’où revenons-nous ? Rappelons ce que Ferdinand Buisson, éducateur et homme politique français, nommé inspecteur général de l’Education nationale, écrivait dans le manuel général de mai 1905 : « Quoi qu’il en soit, l’école aura rempli sa mission si elle fait de tout jeune Français un patriote au sens de la Révolution, c’est à dire un homme de raison et de conscience qui, même soldat, se souviendra qu’il est citoyen, qui, au régiment ou sur le champ de bataille, ne se laissera dépasser par personne en fidélité, en discipline, en héroïsme mais qui, tout en faisant la guerre quand il le faut, revendiquera le droit, une fois rentré dans ses foyers, de la maudire et de travailler de tout son pouvoir à faire disparaître cette atroce survivance de la barbarie ». Cent ans plus tard, un autre inspecteur général de la même Education nationale écrivait en première page du Monde : « L’école, de haut en bas, n’a qu’un but, à l’aube du terrible siècle qui s’est annoncé le 11 septembre dernier et qui pourrait bien nous laminer : transmettre, apprendre, insurger pour élever, raisonner contre le mépris, combattre l’égoïsme, confier l’avenir aux jeunes aguerris et leur ouvrir toutes les fenêtres sur eux-mêmes, sur la France, l’Europe et le monde ». S’il n’est pas certain que le monopole de l’institution ait été beaucoup écorné, il est évident que le discours a évolué avec les temps. A l’heure de la mondialisation et de ses défis, la vision est plus large et le programme est immense à tous points de vue. On est, sans doute, encore un peu plus proche de l’esprit de la fameuse formule de l’acte constitutif de l’UNESCO, l’instance des Nations unies chargée de l’éducation, de la science et de la culture, qui, à mi-parcours et après la terrible épreuve de la seconde guerre mondiale, soulignait : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever les défenses de la paix ».
Fondamentalement, le rapport de l’éducation avec la paix nous paraît évident. De nombreuses réflexions de spécialistes peuvent en témoigner. Trois évocations nous semblent éclairantes, notamment parce qu’elles font assez directement référence à l’exhortation de l’UNESCO :
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Maria Montessori, la pédagogue italienne qui s’est particulièrement penchée sur la formation de l’enfant, en 1932, dans un discours prononcé à l’Office international de l’éducation, à Genève, présentait une vérité qu’elle disait « évidente » et pouvant sembler « naïve » mais qui n’en était pas moins claire : « deux choses sont nécessaires pour la paix dans le monde : tout d’abord un homme nouveau, l’avènement d’un homme meilleur, et ensuite la construction d’un environnement qui ne doit plus fixer de limites aux aspirations infinies de l’homme » .
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Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, a présidé, au milieu des années 90, une Commission internationale sur l’éducation pour le XXIème siècle, dans le cadre de l’UNESCO. Son rapport a insisté sur l’éducation tout au long de la vie et au cœur de la société, une utopie nécessaire tournée vers trois horizons : de la communauté de base à la communauté mondiale ; de la cohésion sociale à la participation démocratique ; de la croissance économique au développement humain.
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Edgar Morin, le sociologue de la complexité, au tournant du siècle, et également en accord avec l’UNESCO, a proposé que nous nous intéressions aux « sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur » pour relever les défis de notre vie individuelle, culturelle et sociale. Et de souligner, en particulier, qu’il s’agit d’enseigner la condition humaine et l’identité terrienne, d’affronter les incertitudes et de développer l’éthique du genre humain.
Au-delà des théories, des expériences conduites aux quatre coins du monde, dans les dernières vingt années, ont retenu notre attention par leurs visées clairement éducatives :
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Aux Etats-Unis, le programme « Faire le paix dans nos écoles », initié par les écoles publiques de la ville de New York en 1985, est fondé sur une idée simple mais souvent difficile à appliquer : lorsqu’il y a un problème, il faut s’écouter et rechercher des solutions pacifiques. Une des caractéristiques de ce programme est de s’adresser à tous les acteurs de l’éducation, dans une perspective d’éducation globale. « Institutionnalisé » comme l’est le programme dans l’école, son message de non-violence et de résolution des conflits est perçu comme relevant de la mission même de celle-ci.
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En Irlande du Nord, « respect, tolérance, confiance et compréhension » sont les principales valeurs mises en avant par les fondateurs du premier établissement scolaire qui a été organisé selon un principe de parité absolue parmi les élèves, les enseignants et l’administration afin d’éviter le phénomène de la minorité et de faire travailler ensemble les jeunes catholiques et les jeunes protestants. Ce mouvement est connu comme celui des « écoles intégrées » ; dans toutes les matières du programme on mise sur la qualité des échanges en classe entre élèves de différentes origines. On peut considérer qu’à l’instar de ce que l’intégration européenne a apporté au développement économique et social de l’Irlande en général et au rapprochement de ses différentes communautés, de tels efforts d’intégration scolaire sont certainement facteurs de paix.
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En Israël, Neve Shalom-Wahat As-Salam est un village coopératif de Juifs et d’Arabes palestiniens, tous citoyens d’Israël, décidés à vivre ensemble dans l’égalité et l’amitié, qui s’est doté d’une « école pour la paix ». Celle-ci organise des programmes variés de rencontre entre Juifs et Palestiniens pour promouvoir la connaissance, la compréhension et le dialogue entre les deux peuples. A la suite de rencontres qui avaient réuni des étudiants d’une ville juive du nord d’Israël et des étudiants d’un village arabe de Galilée, une évaluation a montré que des changements sont apparus dans la perception de l’autre (l’Arabe) et dans la faculté de se mettre à sa place, dans une vision plus complexe des différences, dans une vision plus complexe des relations entre les uns et les autres et, notamment, de la volonté de chacun de préserver son identité culturelle, jusqu’à la volonté de compter sur le dialogue pour sortir du conflit.
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En Colombie, en 1996, dans un climat de lutte armée, de division des milieux politiques et de désillusion de la part de la population, un « Réseau national d’initiatives citoyennes pour la paix et contre la guerre » a organisé dans tout le pays un vote des jeunes de 7 à 18 ans sur leurs droits. Au bout de trois jours de consultation, c’est près de 3 millions de jeunes – davantage de votants que pour la réforme de la constitution de 1991 ! – qui ont donné la priorité au droit à la vie et au droit à la paix. L’exemple a été si fort dans l’opinion et parmi les responsables que ce vote a inspiré aux adultes, l’année suivante, un vote de tous les citoyens qui ont été 10 millions à se prononcer pour la paix. On peut considérer que, par la suite, la candidature des jeunes de Colombie au prix Nobel de la paix en 1998, l’installation de l’Assemblée permanente de la société civile pour la paix la même année, puis la multiplication des initiatives de la société civile pour permettre, sous des formes très diverses, la participation de la population au processus de pais, sont le résultat d’un effort de pédagogie et de mobilisation citoyenne en faveur de la paix.
Ainsi, que l’on commence par considérer que l’éducation, qui donne un esprit critique sur le monde et prépare les générations futures à agir pour l’améliorer, est par essence une éducation à la paix, puis que l’on tienne compte du caractère particulier d’une démarche de connaissance des phénomènes de société et de développement des compétences individuelles, prenant place à différents niveaux de la vie sociale, à la différence des disciplines traditionnelles, nous ne sommes pas dans un domaine qui peut être clairement défini et délimité. Il y a quelques années, Christoph Wulf, professeur en sciences de l’éducation à la Frei Universität de Berlin, décrivait cette matière comme « difficile » en présentant les grands équilibres que l’éducation à la paix doit réaliser entre :
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Le niveau « macro » et le niveau « micro ». Bien comprendre la spécificité de chacun fait partie de l’éducation à la paix. La complexité des structures de violence impose de ne pas négliger le niveau macro, mais l’importance des petits progrès réalisés au niveau micro doit être exploitée. L’essentiel de l’éducation à la paix réside dans cette médiation.
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La réflexion et l’action. Par un effort d’information et d’explication portant sur les grandes questions concernant l’existence humaine, l’éducation à la paix vise à développer la connaissance et, par ce moyen, le pouvoir de jugement. Dans le même temps, l’éducation à la paix a pour objectif de modifier les comportements et de forger la volonté d’agir en faveur de la paix, voire de susciter l’engagement lui-même. Il est évident que ces deux objectifs peuvent aussi s’opposer !
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L’analyse et le changement. L’éducation à la paix tente de mieux discerner les structures de violence par l’esprit critique. Elle se doit également de proposer des scénarios pour un monde plus pacifié et de les confronter aux réalités.
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Le sentiment et la raison. L’éducation à la paix vise à provoquer la prise de conscience et l’engagement au risque de la partialité éventuellement. C’est indispensable pour déboucher logiquement sur l’action politique. Néanmoins, elle doit se soumettre en permanence à un contrôle de rationalité qui élimine les incertitudes.
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La forme et le fond. Peut-on, en effet, concevoir qu’une éducation à la paix soit dispensée dans un cadre appartenant aux structures de violence ? Un système d’enseignement traditionnel peut-il convenir à l’apprentissage de ce qui relève de la paix ? L’effet peut être contraire à ce qui est recherché ; on en viendra à douter que l’école soit le lieu adéquat et on s’orientera vers une formation parallèle. C’est pourtant l’école qui est l’endroit où l’on peut le mieux joindre les enfants.
L’éducation à la paix comprise comme un ensemble de travaux éducatifs en lien avec la pédagogie, les études sur la paix et la recherche sur les conflits, les mouvements pour la paix et les politiques de paix, peut-elle se contenter d’une sorte d’improvisation au gré des événements et des circonstances et de l’inspiration de quelques utopistes isolés ou de quelques esprits éclairés ?
Peut-on changer le monde sans changer l’éducation ?
Porto Alegre, janvier 2003 : un nouveau Forum social mondial se réunit sous le slogan « Un autre monde est possible ! » et Marcelo G…, professeur de pédagogie à l’Université pontificale du Rio Grande do Sul, soutient la première thèse brésilienne sur l’éducation à la paix. A d’autres temps correspondent depuis quelques années de nouveaux paradigmes : la « mondialisation » ou la « globalisation » soulignent le fait que nos initiatives « ici » ont désormais des répercussions quasi immédiates « là-bas » et réciproquement ; « vivre ensemble » est le défi que nous devons relever aussi bien au niveau local qu’au niveau global dans notre « village planétaire » ; la « bonne gouvernance » n’est pas la dernière marotte de la Banque Mondiale mais une nécessité que l’on voit s’imposer face à toutes les structures de pouvoir. La « culture de la paix » a acquis une dimension publique en 2000, proclamée par l’ONU : Année internationale pour une culture de la paix, et à partir du Manifeste 2000 pour une culture de la paix et de la non-violence. Il s’agit d’un texte élaboré par un groupe de Prix Nobel de la paix pour souligner la responsabilité individuelle face au respect de la vie, dans la pratique de la non-violence, la lutte contre l’exclusion, la défense de la liberté d’expression et la diversité culturelle, la promotion d’un mode de consommation responsable et d’un modèle de développement durable, la participation et le respect des principes démocratiques, dans le but de créer collectivement de nouvelles formes de solidarité. La paix est ainsi une réalité qui se développe chez l’être humain, dans l’esprit des individus et qui se manifeste par des « valeurs, attitudes, comportements et styles de vie » (ONU, 1999, p.3).
Quel rôle peut jouer l’éducation dans une situation de crise ouverte, voire de conflit ? Nous nous sommes interrogés à propos de la situation en Colombie, au double plan interne et international. Convaincus qu’il faut préparer les jeunes générations à construire un autre avenir, nous avons posé la question : « L’éducation peut-elle changer la société colombienne ? » En réalité, il s’agissait d’affirmer cette nécessaire ambition et d’orienter l’ensemble des structures éducatives et des acteurs de la société concernés – jusqu’aux entreprises - des politiques et des pratiques éducatives, formelles ou informelles, dans une telle direction stratégique. De même, constatant certains aspects d’internationalisation de fait du conflit (développement des cultures illicites et du narcotrafic, situation des otages et droit international humanitaire, lutte contre le terrorisme, stratégies régionales) nous avons souligné les interdépendances et entrepris, dans le cadre de projets scolaires permettant, par exemple, la communication et l’échange entre établissements français et colombiens, une action de sensibilisation visant la prise de conscience d’une co-responsabilité internationale. Notre approche pédagogique ambitionne de proposer une autre manière d’enseigner et d’ouvrir les établissements scolaires sur le monde. Favorisant la pédagogie de projet, chaque classe travaille sur une problématique élaborée par l’équipe pédagogique de manière transdisciplinaire. Les thématiques sont variées, mais se rapporte principalement au développement durable : le commerce équitable, la comparaison entre l’agriculture traditionnelle indigène en Colombie et le modèle agricole en France… L’accompagnement pédagogique se déroule sur une année scolaire et favorise la mise en réseau d’une dizaine d’établissements scolaires de l’Académie de Grenoble engagés dans ce projet, notamment par le partage d’expériences.
N’est-il pas temps d’innover vraiment ? C’est la raison d’être même de l’Ecole de la paix qui s’adresse à des publics très divers et tente d’être fidèle à sa vocation - « promouvoir des relations sociales, locales, nationales et internationales plus pacifiques [ par] l’information et l’éducation des citoyens », comme le mentionnent ses statuts – en répondant aux défis du vivre ensemble. Dans des configurations extrêmement variées, elle est conduite à proposer des animations, « sur mesure » en quelque sorte, à des élèves dans le cadre scolaire, à des adolescents soumis à des mesures de réparation pénale, à des étudiants et à des stagiaires complétant leur cursus universitaire, à un collectif de parents et d’enseignants mobilisés contre la violence, à des agents d’un service de transport en commun, à des travailleurs sociaux et à des formateurs qui, à leur tour, utiliseront certains outils pédagogiques, à des militants d’un parti politique, etc. Elle affine les contenus et dispose progressivement de matériaux multiples lui permettant de présenter des « parcours thématiques » et de faire de nouvelles propositions. L’évolution logique consisterait à concevoir de véritables « classes de paix » pour des ensembles de personnes ayant les mêmes intérêts (ou des intérêts proches les uns des autres), désirant acquérir de l’expérience et des connaissances dans le domaine de la culture de la paix ou de la paix, recevant un enseignement ou une formation par un ou des membres compétents ayant la marque de l’Ecole de la paix. L’idée et le terme de « classes de paix » se réfèrent évidemment à d’autres formules recourant à une certaine spécialisation et ayant fait leurs preuves dans des domaines différents, par exemple : les classes dites « de découverte », « vertes », « de neige », « d’environnement ». En réalité, selon les publics concernés, les thèmes abordés et les circonstances, on pourrait proposer des modules à « géométrie variable » : véritable « classe » au sens plein du terme, « atelier » laissant une plus grande souplesse ou « laboratoire » associant plutôt la réflexion et l’action sur un territoire ou autour d’un processus.
Il y a quelques années, dans un « Appel aux universités pour un savoir commun » lancé par Michel Serres, celui-ci imaginait « un tronc pédagogique commun qui réunirait, petit à petit, tous les hommes, en commençant par les étudiants [et] favoriserait l’avancée de la paix ». « Peut-on donc imaginer que les universités du monde consacrent la première année d’enseignement à un programme qui permettrait aux étudiants de toutes les disciplines et de tous les pays d’avoir un horizon semblable de savoir et de culture ? A leur tour ils le propageraient. » Ceci fait penser à ce que suggérait le Conseil national des programmes, il y a une dizaine d’années, pour sortir d’un cloisonnement trop strict des disciplines et pour que les experts chargés d’orienter la refonte des contenus d’enseignement au collège s’organisent autour de trois grands « pôles disciplinaires » : « l’expression », « la connaissance de l’homme » et « la connaissance du monde ». Ce qu’il proposait s’apparentait donc à une petite révolution culturelle mais les résistances au changement devaient rester fortes dans certaines disciplines. D’où l’intérêt des avancées que traduisent les instructions pédagogiques officielles récentes qui, notamment, à propos d’éducation au développement et à la solidarité internationale (bulletin officiel [B.O.] n° 30 du 24 juillet 2003) et d’éducation à la citoyenneté (B.O. n° 42 du 17 novembre 2005), insistent sur la nécessité, en particulier, de « faire comprendre les grands déséquilibres mondiaux et [à] permettre la réflexion sur les moyens d’y remédier, afin que tous les peuples et toutes les personnes aient le droit de contribuer au développement et d’en bénéficier » et « d’inciter les élèves à agir et à vivre ensemble à travers des actions concrètes leur permettant de construire des espaces de citoyenneté ». Les moyens invoqués sont aussi bien les « itinéraires de découverte au collège », les « travaux personnels encadrés au lycée », les « parcours civiques », etc. de nature à mener les jeunes à s’engager dans des actions concrètes.
Des lauréats du Prix Nobel de la paix avaient donc affirmé, dans un Appel pour les enfants du monde, en juillet 1997 : « Ensemble, nous pouvons bâtir une culture de la non-violence pour l’être humain, qui donnera de l’espérance à l’humanité toute entière et surtout aux enfants de notre monde ». A leur suite, l’Assemblée générale des Nations unies a proclamé la décennie 2001-2010 « décennie internationale de la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde ». Cette résolution invitait tous les Etats membres à « prendre les mesures nécessaires pour que la pratique de la non-violence et de la paix soit enseignée à tous les niveaux de leurs sociétés respectives, y compris dans les établissements d’enseignement ». En 2002, la Coordination française pour la Décennie a lancé une campagne nationale « Education à la non-violence et à la paix à l’école » qui est certainement, à ce jour, la démarche la plus complète visant l’introduction de l’éducation à la paix dans un système éducatif. Plus de cinquante organisations ont ainsi confié à un groupe de travail le soin de définir les compétences à développer (« centrées sur soi, sur l’autre, sur le groupe, sur l’organisation sociale et sur le monde »), d’analyser les différentes étapes de l’apprentissage (« à l’école maternelle, à l’école élémentaire et au collège »), de proposer des modalités de mise en œuvre et d’évaluation des démarches pédagogiques pour les élèves et les jeunes (depuis l’acquisition des connaissances et des notions de base jusqu’au travail d’approfondissement à partir des problèmes concrets vécus par les élèves), mais aussi d’envisager les formations nécessaires des adultes, personnels enseignants et encadrants. Des bases sont indiscutablement jetées pour contribuer à repenser un système globalement, dans cette perspective qui nous intéresse.
A-t-il jamais été facile de parler de la paix ? On constate également, tout particulièrement aujourd’hui, combien il est difficile d’enseigner, voire d’éduquer.
C’est un acteur, réalisateur et producteur de cinéma américain qui le disait récemment, en quelque sorte, à propos de la contestation de la guerre que conduit actuellement son pays : « Faire des sermons, ça ne marche jamais. Mieux vaut poser des questions ». Au même moment, s’exprimait dans un grand quotidien de notre pays un professeur qui voit que « le lycée brûle » et que « c’est peut-être tout simplement la civilisation qui part en fumée. Et la civilisation, au sens tout simple d’être capable de vivre en société, cela s’apprend » Et il estimait qu’il faut « formuler un projet naïf, mais d’une exigence déjà si intense et si ferme : retrouver des règles acceptables, retisser des liens, redonner l’envie de vivre ensemble, en paix. »
Or, pour reprendre les réflexions du sociologue Bruno Latour dans son essai lucide : « Guerre des mondes - offres de paix », il ne faut pas se méprendre sur l’offre de paix car « le monde commun est à composer progressivement, il n’est pas déjà constitué… [il est] devant nous, comme une tâche immense qu’il va nous falloir accomplir peu à peu ». Dans l’incontournable travail de « négociation », dans cette « construction de l’universalité » qu’il présente d’ailleurs comme un véritable combat, il souligne que « c’est la tâche du diplomate d’aider les parties à ce conflit – et [que] son offre de médiation peut échouer ». A nous donc de compléter cette affirmation par la tâche de l’éducateur.
Où l’on voit que – l’accord s’étant fait sur ce que l’on entend par la paix - le problème est bien celui du rôle d’une éducation capable de relever le défi. Car si la fabrication des hommes est la vraie tâche de la politique, c’est aussi la vraie tâche de l’éducation. Si l’école rend libre, ce n’est pas seulement par l’affirmation et la défense de droits, c’est aussi par le pouvoir qu’elle doit donner de créer et de construire.
La paix ne doit donc pas être laissée aux idéalistes ; il faut que ce soit l’affaire des personnes réalistes. Ainsi, une « école de la paix » à l’échelle du monde pourra d’autant moins se borner à défendre des valeurs, car construire la paix c’est aussi donner les moyens politiques, économiques, organisationnels, du formidable changement du monde qui est en cours.