Germain-Hervé MBIA YEBEGA, France, février 2015
République centrafricaine. Le triomphe des inconvenances !
L’incompatibilité des projections de bon nombre de responsables politiques et de mouvements rebelles centrafricains avec les dynamiques de fond à l’œuvre dans leur pays crée nécessairement des obligations de responsabilité, chez les voisins de la RCA, le vide politique et sécuritaire généré par les inconstances de responsabilité dans ce pays étant fatal, bien au-delà de ses propres frontières.
Introduction
Un « Forum national de Bangui pour la réconciliation et la reconstruction nationales » devrait être organisé en janvier 2015, suite aux conclusions du dernier « Forum de réconciliation nationale inter-centrafricain de Brazzaville », tenu les 21-23 juillet 2014. Une rencontre de la dernière chance, troisième étape d’un processus interne censé avoir été amorcé par le respect strict du contenu de l’accord de cessation des hostilités de Brazzaville, puis, l’organisation tout aussi hypothétique de consultations populaires dans les 16 préfectures du pays, afin de mieux impliquer l’ensemble de la population aux nécessités d’une « réappropriation nationale » des impératifs de sortie de crise. Rien n’est pourtant acquis sur le terrain, comme le confirment la continuation des affrontements des groupes armés, et la suspension (de fait) de la deuxième étape du processus de la stratégie nationale de réconciliation. Le discours de la présidente Catherine Samba-Panza le 27 décembre 2014, lors de la journée de concertation des forces vives de la nation à Bangui semble clairement l’indiquer. L’hypothèse d’une prolongation de la Transition est désormais clairement envisagée, le Médiateur de la Transition ayant été saisi à cet effet. Ce qui est très loin de réjouir l’ensemble des partenaires stratégiques de la RCA, et replace les Centrafricains et les États de la sous-région Ceeac face à leurs responsabilités devant l’histoire.
L’embarras des partenaires stratégiques
Pendant le « Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique » (15-16 juillet 2014), Hervé Ladsous, le Secrétaire général adjoint des Nations unies en charge des opérations de maintien de la paix a affirmé l’urgence de mettre un terme à la transition en RCA « avant août 2015 ». Il rejoint en cela les préoccupations du Secrétaire général, rapportées lors du Forum de Brazzaville. Le Commissaire à la sécurité et à la paix de l’Union Africaine n’y est pas non plus passé par quatre chemins, pendant ces assises : les partenaires bilatéraux et multilatéraux de la RCA sont impliqués de manière significative, et il revient aux responsables politiques de ce pays à s’engager résolument, dans le processus de sortie de crise qui a ses contraintes.
Quelques semaines avant le forum de Brazzaville, c’est dans une ambiance de relatif désintérêt que le sommet UE-Afrique s’est déroulé au début du mois d’avril à Bruxelles. Dans l’évaluation de la complexité (technique, financière, humaine, matérielle et logistique) de la mise sur pied de la Minusca, les acteurs déterminants du système international ont posé leurs conditions, en espérant au mieux que les apparences d’un certain retour aux standards de la normalité qu’ils édictent soient assurées au plus tôt. La France avait préalablement posé le principe d’une élection présidentielle dans ce pays grandement déstructuré, en mars 2015. Elle avait également fixé un ordre de bataille en quatre points que sont :
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la poursuite de l’aide humanitaire d’urgence,
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la relance du secteur économique et social,
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l’appui à la consolidation du processus démocratique et au rétablissement de l’État de droit,
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l’appui à l’administration pour le rétablissement de l’autorité de l’État et la remise en marche des fonctions fondamentales du gouvernement.
Voilà donc une reconfiguration nouvelle du sentiment de grande lassitude et d’agacement, modérément masqué d’ordinaire, par les commodités de langage des communiqués finaux.
La France, prise dans l’étau des contraintes de la guerre dans ce pays qui lui est pourtant familier, n’a cessé de mobiliser l’Union Européenne pour qu’elle se résolve enfin, à commettre un contingent d’environ huit cent Hommes, dont le quota a été atteint au courant du mois de juin. Sous commandement français, cette force disposait d’un mandat de six mois, dans un contexte où il est à observer à nouveau, une dégradation de la situation sécuritaire, notamment à l’intérieur du pays : certains experts y faisant cas d’ailleurs de la « face cachée du conflit en RCA ». Le déploiement de la Minusca le 15 septembre rentre dans le processus long et laborieux, du retour à une certaine stabilité que n’a plus connu le pays depuis trois décennies.
Depuis les premières mutineries ayant marqué les présidences Kolingba et Patassé à Bangui, les Nations unies et l’Union Européenne ont mobilisé des contingents de troupes dans le cadre d’opérations d’interposition n’ayant pas été suivies de véritable retour à la paix. L’incompréhension dont font montre ces acteurs de la scène internationale, face à la récurrence de faits de rébellion et de distension des liens sociaux dans ce pays n’étonne donc pas. Les opinions européennes ne s’habituent pas de même à cette situation, qui ne rentre pas dans l’ordre d’échelle des priorités qui sont les leurs. Les problèmes d’instabilité sont fort anciens en RCA. Des zones entières de non-droit ont d’ailleurs préexisté à l’avènement à l’indépendance. Barthélémy Boganda n’y était pas allé de main morte, préconisant à la veille de celle-ci l’union pure et simple des anciennes colonies de l’AEF (Afrique Equatoriale Française). L’ensemble des dirigeants ayant pris en mains les rênes du pays après lui n’a guère été mieux inspiré, les nombreux revers de fortune qui y font demeure exprimant l’absence d’existence d’un État à même d’assurer ses responsabilités régaliennes.
Responsabilités centrafricaines et sous-régionales
Dans le dernier accord de cessation des hostilités de Brazzaville, les belligérants centrafricains s’engagent « à renoncer à tout projet de partition de la RCA » (art. 3.d). Le flou des dispositions de la composition de la Commission de suivi de l’accord (art. 8) et des modalités de sa saisine (art. 9), l’inexistence d’un cadre approprié de contrôle et de pression sur les protagonistes nous remettent dans la précarité de cette diplomatie des petits États, qu’il nous est arrivé de dénoncer par ailleurs en la qualifiant de théâtralement spectrale.
Nous assistons en RCA à une véritable quadrature du cercle, dans le déroulement du processus de sortie de crise. Une grande partie des responsables politiques est constituée de gens suspectés d’avoir commis ou fait commettre de graves crimes, ce qui oblitère leur confiance aux résolutions du processus en cours. Les pressions exercées sur la probabilité d’une partition du pays en est un des effets. Sans véritable projet politique, ils veulent s’assurer les garanties d’une sécurité assortie de moyens substantiels d’enrichissement économique et matériel. Cette catégorie de gens ne peut participer de manière déterminée, au processus de réconciliation et de construction dans lequel le pays est engagé. Ces opérateurs de nuisance font valoir les ressources (en armes) en leur disposition, pour faire pression sur une classe politique nationale éclatée, discréditée et incapable de s’organiser à bon escient. Les Centrafricains se retrouvent ainsi pris en otages, ce d’autant plus que les partenaires naturels de la RCA, les pays de la sous-région directement concernés par leur drame qui est un drame collectif, font valoir certaines limites de leurs capacités de projection.
Alors que les chefs d’État du continent étaient rendus à Bruxelles pour plaider l’octroi d’une aide – conditionnée - de l’Europe face aux manifestations d’un certain chaos en RCA, se préparait l’annonce à N’djamena, de l’une des pires nouvelles qu’il nous ait été donné d’apprendre ces derniers mois. Il ne s’agit rien moins que du départ des troupes tchadiennes de la RCA, Idriss Deby s’étant drapé du voile de la feinte offuscation, suite aux doutes nombreux portés à la respectabilité de ses troupes sur le terrain. Cette annonce se doublera en mai, de la fermeture de la frontière entre les deux pays.
Il n’est pas non plus possible d’effectuer une lecture des événements en RCA sans prendre en compte la dégradation substantielle de l’insécurité transfrontalière entre le Cameroun, le Nigeria, le Tchad et la RCA. Quid donc de la position fort taiseuse de l’Angola (membre de la Ceeac) dans le règlement de la crise en RCA, bien qu’une présence significative d’un contingent angolais dans la Minusca ait été récemment annoncée ? Il ne faut point être de grand sens et d’énergie pour en constater la vanité. Comment donc des pays d’une même sous-région, aux intérêts communs immédiats et vitaux peuvent-ils penser l’Afrique globale alors qu’il leur est bien éprouvant d’assurer aux frontières qui leur sont communes, les garanties d’une sécurité minimale? Comment s’abstenir de s’interroger sur l’impossibilité supposée de mobiliser en Afrique, des fonds nécessaires au paiement des arriérés de salaires - au demeurant modestes - des fonctionnaires centrafricains, et permettre ainsi dans l’urgence, le redémarrage des services publics?
Toutes ces questions méritent des réponses urgentes, et l’application effective des résolutions des différentes rencontres qui se sont tenues sur la RCA, depuis trois ans, pour ne faire cas que des plus récentes.
Une guerre de la pauvreté sévit en RCA. Cette pauvreté est stratégique, structurelle et matérielle. Elle est le miroir d’un certain échec des problématiques de projet de société et de gouvernance dans ce pays. Elle se résoudra par la mise en perspective des exigences de sécurité et de paix, avec celles du développement.
Dans sa dimension sécuritaire proprement dite, et à l’échelle de la sous-région, la vision qui peut se dégager d’une politique efficace de sécurité commune nécessitera de manière obligatoire, une révision et une réhabilitation totale des missions, attributions et dotations en ressources des forces de défense et de sécurité. Cette « révolution » à l’échelle de chacun des États sera aussi celle de toute la vie politique de ces États. Elle les disposera, ainsi que les regroupements d’États, à une meilleure prévisibilité des choses, à l’échelle de la sous-région.
Pour l’heure, l’incompatibilité des projections de bon nombre de responsables politiques et de mouvements rebelles centrafricains avec les dynamiques de fond à l’œuvre dans leur pays est effarante. Elle créé nécessairement des obligations de responsabilité, chez les voisins de la RCA, le vide politique et sécuritaire généré par les inconstances de responsabilité dans ce pays étant fatal, bien au-delà de ses propres frontières.
Notes
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« République centrafricaine. Le triomphe des inconvenances », Sidwaya, No 7846 du 03 février 2015, P. 5