Jean-Marie COLLIN, Michel DRAIN, Bernard NORLAIN, Paul QUILES, France, avril 2015
Les opportunités pour parvenir à un monde sans armes nucléaires ?
Le processus de désarmement mondial avance très souvent par à coup. Ceux-ci sont le fait de prises de positions fortes qui redonnent un nouveau souffle, de posture d’État ou encore de processus parallèles qui peuvent amener à une nouvelle prise de conscience sur la nécessité d’aller vers un monde sans armes nucléaires.
Le processus de désarmement mondial avance très souvent par à coup. Ceux-ci sont le fait de prises de positions fortes qui redonnent un nouveau souffle, tel le discours de Prague du Président Obama en avril 2009, de posture d’État ou encore de processus parallèles qui peuvent amener à une nouvelle prise de conscience sur la nécessité d’aller vers un monde sans armes nucléaires.
Le processus d’indépendance de l’Écosse du 16 septembre 2014 aurait pu donner une impulsion sans précédent au désarmement mondial. En effet, en octobre 2012, le Premier ministre britannique David Cameron, avec le Premier ministre nationaliste de l’Écosse Alex Salmond, du SNP (Scottish National Party), avait prévu la tenue d’un référendum le 18 septembre 2014. La question était simple : “Êtes-vous d’accord pour que l’Écosse devienne un pays indépendant ?” Le « Non » l’a emporté. La victoire du « Oui » aurait signifié l’indépendance de l’Écosse, mais aussi la fin de la dissuasion britannique. En effet, la base des sous-marins britanniques se trouve en Écosse, à Faslane. En cas d’indépendance, la future Constitution écossaise prévoyait que cette base serait dénucléarisée, obligeant les Britanniques à relocaliser leurs sous-marins. En raison du coût et de l’absence de réelle base, tout porte à croire que le Royaume-Uni aurait été dans l’obligation d’abandonner sa composante nucléaire, ce qui aurait probablement enclenché un processus de remise en cause de l’utilité des armes nucléaires et renforcé la cause du désarmement nucléaire mondial.
Toujours dans les limbes des discussions internationales, se trouve la création d’une « zone exempte d’armes nucléaires et d’armes de destruction massive » au Moyen-Orient. Depuis plus de 50 ans cette création est discutée et proposée chaque année à l’Assemblée générale de l’ONU. Mais, malgré les obligations faites en 2010 lors de la dernière conférence d’examen du TNP, celle-ci reste encore lettre morte.
L’espoir se porte aussi sur la création d’une « zone exempte d’armes nucléaires » en Arctique, parallèlement avec la zone existante au pôle sud, où toute activité militaire est interdite. Les parlementaires de nombreux pays se sont saisis de ce sujet, mais pas leurs gouvernements.
L’Autriche, en raison de son implication dans le second conflit mondial, défend une politique de neutralité et anti-nucléaire. Disposant d’une constitution dans laquelle il est inscrit le refus du nucléaire tant civil que militaire, Vienne pourrait bien être l’État européen qui donne un coup de fouet à la politique mondiale du désarmement nucléaire en 2015.
La zone exempte d’armes nucléaires et d’armes de destruction massive du Moyen-Orient
La nécessité d’établir une « zone exempte d’armes de destruction massive » (ZEAN) au Moyen-Orient est apparue au début des années 1960, à partir d’une proposition égyptienne. Depuis, ce vœu est repris chaque année par Le Caire dans le cadre des résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU. Cette zone doit interdire la possession, la fabrication et les essais des armes nucléaires, chimiques et biologiques. L’originalité de cette zone est donc, à la différence des autres ZEAN, d’interdire toutes les armes de destruction massive, pour mettre sur un “pied d’égalité” Israël, seul État de cette région disposant d’un armement nucléaire et tout État possédant un arsenal chimique et biologique.
Outre son importance sur le plan de la sécurité internationale, la création d’une telle zone fut la raison qui permit d’obtenir la prorogation du Traité de non-prolifération nucléaire pour une durée indéfinie en 1995. En effet, les pays Arabes ont alors accepté que cette prorogation ne soit pas mise aux voix, à condition que cette future zone soit créée.
Il est certain que l’instauration d’une zone exempte d’armes de destruction massive permettrait de renforcer les engagements et les mécanismes de non-prolifération applicables à tous les pays de la région. Par ailleurs, cette zone serait assortie des garanties de sécurité auxquelles les États dotés d’armes nucléaires reconnus par le TNP se sont engagés, à savoir ne menacer d’une attaque nucléaire aucun des pays de la zone. Cette assurance de sécurité permettrait de freiner la prolifération d’armes de destruction massive, en neutralisant l’un des principaux motifs d’adoption des politiques de dissuasion nucléaire.
En mai 2010, lors de la conférence des États parties au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), un Document final fut établi par consensus. Celui-ci prévoyait des mesures concrètes pour parvenir à la création de ZEAN/ZEAMD au Moyen-Orient:
La convocation, courant décembre 2012, d’une conférence à laquelle prendraient part tous les États du Moyen-Orient, « en vue de la création au Moyen-Orient d’une zone exempte d’armes nucléaires et de toutes autres armes de destruction massive ».
La désignation d’un pays hôte pour recevoir cette conférence. En octobre 2011, la Finlande fut choisie comme futur pays organisateur.
La nomination d’un facilitateur pour préparer la conférence. C’est le Secrétaire d’État adjoint au Ministère des affaires étrangères de la Finlande, Jaakko Laajava, qui fut choisi.
Ces différentes avancées, ainsi que les multiples réunions tenues au cours de l’année 2012 avec tous les pays concernés de la zone, portant à la fois sur le format de la conférence et sur son ordre du jour, laissaient présager la possible création de cette zone. Selon l’ambassadeur Laajava, « tous les pays du Moyen-Orient, y compris l’Iran, avaient déclaré leur intention d’être présent, à l’exception d’Israël, craignant d’être l’isolé et critiqué pour sa politique nucléaire ». Israël n’a jamais été favorable à la création de cette zone et n’a fait part à aucun moment en 2012 de son souhait de participer à cette action.
Malgré son importance, la conférence fut annulée par les États-Unis, « en raison de la situation actuelle au Moyen-Orient et de l’absence de consensus entre les pays concernés. Nous pensons qu’un profond fossé subsiste dans la région entre les différentes approches sur la sécurité régionale et l’organisation du contrôle des armes. Ces différences de points de vue peuvent être comblées par un engagement commun et un accord entre les différents États de la région. Des États extérieurs ne peuvent imposer un processus à la région pas plus qu’ils ne peuvent dicter le résultat d’une telle initiative ».
Ce report a été jugé inacceptable par les pays arabes. À l’heure actuelle, malgré les encouragements du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, la réunion n’a toujours pas eu lieu.
La zone exempte d’armes nucléaires en Arctique
L’Arctique devient un sujet central des relations internationales. Il faut dire que cette région du monde concentre les deux grands maux du XXIe siècle : le réchauffement climatique et la militarisation, notamment nucléaire ; le premier engendrant le second. La fonte des glaces libère les passages du Nord-Ouest (Russie) et du Nord-Est (Canada) permettant un gain de temps des transports maritimes, une exploration et une exploitation des ressources gazières, pétrolières, minérales et halieutiques. Dans le même temps, la dématérialisation des frontières - auparavant symbolisée par les glaces - va provoquer un vide sécuritaire pour les cinq nations (Canada, Danemark, Norvège, Russie et États-Unis) qui se partagent les régions côtières de l’Arctique. Ces faits ont et auront comme conséquence une militarisation (renforcement des patrouilles militaires canadienne, démonstration russe) accrue des territoires et de l’océan Arctique (nombreuses patrouilles de SNLE américains, russes, britanniques et français).
La volonté de créer une zone exempte d’armes nucléaires en Arctique s’appuie principalement sur un lobbying des ONG (Pugwash, PNND) et des parlementaires danois et canadiens. Leur objectif est de parvenir à ce que les pôles nord et sud (en raison du Traité de l’Antarctique de 1959) soient tous les deux exempts d’armes nucléaires. L’Arctique jouit d’un environnement plus propice à une sécurité coopérative, en raison de la multiplication future des liaisons maritimes.
L’une des premières actions politiques en faveur de la création d’une zone exempte d’armes nucléaires dans l’Arctique date de novembre 2008, avec la déclaration du député Holger Nielsen au Parlement danois : « Les tensions s’enveniment toujours lorsque les parties impliquées détiennent des armes nucléaires. L’Arctique réunit toutes les conditions nécessaires pour en faire une zone à haute tension. Par conséquent, le gouvernement danois devrait prendre l’initiative d’un traité faisant de l’Arctique une zone exempte d’armes nucléaires ». En 2011, au moment de son accession au pouvoir, le gouvernement social-démocrate du Danemark lança une série de consultations avec d’autres nations circumpolaires pour sonder l’intérêt suscité par la création d’une telle zone. Au Canada, Larry Bagnell, ancien membre du Parlement, suggéra qu’une proposition de loi soit formulée en faveur de cette zone dans l’Arctique. C’est ainsi qu’une proposition de loi (n°C-629) fut présentée le 15 février 2011, prévoyant de rendre illicite toute détention, fabrication, essai, stockage, transport ou déploiement d’armes nucléaires dans l’Arctique canadien. La proposition fut rejetée, mais l’initiative parlementaire contribua à attirer l’attention sur cette question au niveau gouvernemental.
Si la mise en place d’une telle zone apparaît extrêmement complexe, principalement en raison de son importance stratégique pour les patrouilles des SNLE, on ne peut pas pour autant l’exclure. Malgré leur complexité, de nombreux traités ont été signés au cœur de la Guerre froide, comme le Traité de l’Antarctique en 1959 ou le Traité de 1972 interdisant de placer des armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive sur le fond des mers et des océans ainsi que dans leur sous-sol). Les multiples pourparlers qui ont eu lieu ces dernières années sur ce sujet - principalement entre parlementaires - ont permis de renforcer des liens, de mieux comprendre les attentes des différentes parties et d’enclencher un nouveau processus de prise de conscience des enjeux sécuritaires en Arctique, notamment au sein du Conseil de l’Arctique1, où il existe une forte volonté de coopération et de discussion. C’est ainsi que des accords sur des procédures de sauvetage et de recherche ont été signés depuis 2013.
L’Autriche, premier État européen exempt d’arme nucléaire
À la suite de la seconde guerre mondiale, l’Autriche a appliqué une politique internationale dite de neutralité. Juridiquement, cela s’est traduit par une loi (Neutralitätsgesetz), adoptée le 26 octobre 1955, après les négociations avec les vainqueurs du conflit et par l’entrée en vigueur du Traité d’État concernant le rétablissement d’une Autriche indépendante et démocratique, signé à Vienne. Cette ligne diplomatique est toujours appliquée, ce qui explique la non appartenance de l’Autriche à l’Alliance militaire de l’OTAN.
L’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl a fait naître au sein de l’opinion publique autrichienne un début de prise de conscience des conséquences transfrontalières des retombées radioactives. Dans le même temps, se trouvant au milieu de la confrontation Est/Ouest, l’Autriche a toujours craint les conséquences d’un conflit nucléaire. L’opposition à ces armes et plus généralement au nucléaire, s’est ainsi largement renforcée au fil des années.
Cette position a été juridiquement entérinée le 13 août 1999 avec l’adoption par le Parlement d’une loi constitutionnelle fédérale, votée à l’unanimité, qui décrète qu’en Autriche, « il est interdit de produire, stocker, transporter, tester ou employer des armes nucléaires. Il est également interdit de créer des installations pour le stationnement d’armes nucléaires. »
L’amendement constitutionnel réaffirme, en outre, l’interdiction de construire et d’exploiter des centrales nucléaires sur le territoire et il comprend une disposition garantissant une compensation appropriée en cas de dommages causés par un accident nucléaire sur son territoire.
Cette politique ouvertement anti-nucléaire civil et militaire a un impact direct sur le processus mondial de désarmement nucléaire. L’Autriche est, en effet, un des États clé qui essaye de faire accélérer au sein de l’ONU le processus de mise en œuvre d’un monde sans armes nucléaires. C’est cette même motivation qui a conduit Vienne à organiser la Troisième conférence sur l’Impact humanitaire des armes nucléaires, les 8 et 9 décembre 2014. Cette conférence avait pour objectif de comprendre les impacts et les risques de la détonation d’une arme nucléaire et d’entendre l’opinion des 156 États présents sur le projet de traité d’interdiction ou d’élimination des armes nucléaires.
Notes
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Image tirée de l’article en ligne « Un monde sans arme nucléaire, une utopie ? » www.toulouse7.com/2010/07/28/un-monde-sans-armes-nucleaires-utopie/
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1Le Conseil de l’Arctique, créé en 1996, regroupe les huit Etats arctiques (la Russie, la Norvège, le Danemark, l’Islande, le Canada, les Etats-Unis, la Finlande et la Suède), six organisations internationales représentant les peuples autochtones de l’Arctique et des États disposant du statut de membre observateur comme la France, l’Allemagne, la Pologne, les Pays-Bas, l’Espagne et le Royaume-Uni. Ce conseil à six groupes de travail spécialisés dans des domaines comme la surveillance, l’évaluation et la prévention de la pollution dans l’Arctique, le changement climatique, la conservation de la biodiversité et l’exploitation durable, la prévention et les préparatifs d’urgence, les conditions de vie des résidents de l’Arctique.