Cluj, Roumanie, 2007
Absence d’une vision commune de la formation à la paix
Il existe de nombreuses manières d’envisager la formation la plus efficace possible au travail de paix et à la transformation de conflits. Une vision du monde, des opinions, des valeurs et des cultures différentes empêchent les formateurs de s’accorder sur des normes conceptuelles communes quant à ce que les intervenants doivent acquérir pour intervenir de manière efficace à tous les niveaux du conflit.
Ces visions divergentes sont en partie dues à ce que le domaine de la formation à la paix est relativement nouveau et que les personnes qui s’y intéressent disposent de formations très diverses. Mais c’est justement cette diversité qui fait la richesse dont le domaine de la formation peut s’inspirer afin d’offrir une large palette de bon sens, savoirs et expériences. Certains experts recommandent une préparation fondée sur la spiritualité quand d’autres ont une approche plus pragmatique et prennent plus en compte les éléments pratiques nécessaires à l’action sur le terrain. Pour certains, le travail de paix est un domaine à part entière, pour d’autres ce n’est rien d’autre qu’une extension d’autres domaines déjà existants. Certains formateurs insistent sur l’importance du professionnalisme, d’autres souhaitent que les futurs travailleurs de paix n’oublient jamais que leur démarche vient avant tout de leur vocation. Si tous reconnaissent que tous ces éléments doivent intervenir dans la formation, la part de chacun dépend du contexte de chaque conflit mais aussi des mandats des organisations déployées.
Un exemple évident de ce que nous venons de dire est l’usage de la terminologie. Même si de nombreux acteurs utilisent les mêmes termes, leur signification peut fortement varier. Ainsi, le terme rétablissement de la paix (peacemaking) dans la terminologie de l’ONU sert généralement à définir les activités décrites dans l’article 33 de la Charte de l’ONU : négociation, enquête, médiation, conciliation, arbitrage, et règlement judiciaire. Récemment, cependant, cette notion a été utilisée comme un synonyme d’imposition de la paix (peace enforcement) pour décrire les opérations militaires visant à faire accepter, de force, un cessez-le feu aux parties prenantes d’un conflit. À cela nous devons ajouter que les stratégies utilisées pour atteindre les objectifs nombreux et variés liés à la lutte contre la violence et la promotion de la paix positive sont très diverses. Ainsi, quand certaines rejettent dans tous les cas la coopération entre le civil et le militaire, affirmant que la collaboration avec ceux qui ont été formés par des méthodes violentes d’intervention est un moyen injuste pour une fin louable, d’autres accueillent cette initiative avec enthousiasme.
Tomber d’accord sur des normes communes devient de plus en plus difficile et en même temps de plus en plus nécessaire alors que les exigences de la communauté internationale augmentent : la demande en matière de présence de civils dans les zones de conflit ne cesse d’augmenter, et ce particulièrement lorsque la violence est au plus fort. Bien que des groupes comme les Brigades de paix internationales interviennent au niveau des communautés dans les zones de conflit depuis plus de 25 ans, divers organisations et organismes régionaux consacrent leurs efforts à créer des capacités civiles destinées à des interventions à grande échelle (1). La coordination de telles forces civiles demande, certes, davantage de financement et d’organisation, mais elle présente une véritable chance de se passer de manière non-violente de l’intervention militaire généralement acceptée.
Un compromis doit être trouvé sur les concepts, les stratégies et les valeurs du travail de paix (ou du moins sur la nature et l’étendue des différences entre les acteurs), pour faciliter la prise de décisions politiques à l’égard des interventions. Ce défi concerne aussi la manière dont le travail de paix doit être présenté au grand public. Sans un langage approprié, la légitimité du travail de paix peut être remise en cause, notamment par ceux pour qui l’intervention relève du domaine militaire. Il est évident qu’on ne peut trouver une terminologie adaptée à tous les publics ; pour autant, décrire le travail de paix en des termes inaccessibles au plus grand nombre risque de causer du tort à ce domaine. Si le travail de paix n’est pas compris et si l’on ne s’engage pas à le présenter de manière accessible, il devient presque impossible d’envisager des interventions à grande échelle qui impliquent un grand nombre d’acteurs. Il est important pour l’avenir du travail de paix que ceux qui mettent en place les pratiques sur le terrain trouvent de manière cohérente comment élargir le champ les capacités d’intervention non-violente (2).
Notes
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Tiré de l’ouvrage : « Formation à la paix, Formation des adultes au travail de paix et à l’intervention civile de paix lors de conflits » ; Auteurs :Robert Rivers, Giovanni Scotto, Jan Mihalik et Frode Restad. Ouvrage réalisé dans le cadre du projet ARCA. Le projet ARCA (Associations and Resources for Conflict Management Skills) a été mis en place afin de contribuer directement à l’amélioration de la qualité, contenu et méthodologies des formations à la paix et à la transformation de conflits. Le projet, financé par la Commission Européenne, Socrates/Grundtvig1, comptait avec la participation 13 organisations originaires de 11 pays européens, dont le MAN (Mouvement pour une Aternative Non-violente), France.
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(1) : Voir le site Web de Nonviolent Peaceforce : www.nonviolentpeaceforce.org et celui du Centre international pour les opérations de paix : www.zif-berlin.org/.
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(2) : EPLO (European Peacebuilding Liaison Office) est l’exemple d’une organisation européenne qui s’efforce de parvenir à cette cohérence. À l’initiative de nombreuses organisations européennes, elle travaille à la promotion de la construction de la paix, et la diffuse de manière accessible à tous. EPLO s’efforce également de maintenir soutien et cohérence politiques au niveau des institutions européennes.