Cluj, Roumanie, 2007
Défis liés aux perceptions et aux cultures dans la formation à la paix
Les défis liés aux perceptions et aux cultures se rapportent à la manière dont les facteurs sociétaux et culturels influencent la perception du conflit par les intervenants et au problème que cela pose dans la formation à la paix.
La formation à la paix est un moyen approprié de préparer de façon efficace des individus à avoir une influence positive sur le conflit. Cette formation à la paix englobe différentes méthodes d’apprentissage en vue de préparer plus efficacement les individus à avoir cette influence bénéfique. Si la formation à la paix est vue comme un moyen approprié de transformer les conflits, il est alors crucial de se renseigner sur les présupposés et fondements culturels des approches utilisées. Comment les intervenants de paix doivent-ils être formés pour adopter une démarche sensible à la culture de la zone dans laquelle ils interviennent ? Comment garantir que la façon dont les intervenants de paix et les formateurs interprètent la réalité d’un conflit soit adaptée aux objectifs de leur travail ? Jusqu’à quel point les formateurs et les organisations de formation sont-ils capables d’analyser un conflit convenablement pour développer en conséquence leurs stratégies d’intervention et offrir une formation appropriée répondant aux besoins d’un cadre bien précis ?
L’une des manières de réduire les complexités de la réalité consiste à la décrire dans des termes mécanistes. Pour faire simple, selon le mécanisme, l’univers peut être découpé en composantes individuelles que l’on peut alors analyser sans observer leur connexion les unes aux autres et à l’ensemble (Capra 1996, p. 6) (1). Toutefois, ce type d’analyse fragmentée, qui n’interprète pas comment tous les éléments d’un conflit se rapportent les uns aux autres et aux causes profondes du conflit dans l’ensemble du système, est trop souvent à l’origine de mauvaises pratiques.
La « pensée nouvelle » dans le domaine du développement, les approches systémiques de gestion des problèmes mondiaux et les innovations dans le domaine de la construction de la paix et de la transformation des conflits ont mis en question les fondements du paradigme mécaniste. Selon ces disciplines, la transformation sociale avisée peut être obtenue de meilleure façon en combinant la réflexion stratégique à l’appréciation de la complexité systémique, ainsi qu’à des stratégies participatives, à un dialogue continu et à l’ouverture et l’adaptation aux retours d’information du terrain. (2)
Néanmoins, beaucoup ont encore tendance à penser la plupart du temps en termes de chaînes d’actions et de réactions et de résultats que l’on pourrait obtenir de manière linéaire. Ceci est vrai en partie dans le domaine de la formation à la paix. La métaphore de la boîte à outils – largement utilisée dans la formation à la paix – va dans ce sens. Selon cette vision, la formation devrait principalement s’appliquer à doter les intervenants de paix d’outils et de compétences leur permettant de changer la réalité sociale dans laquelle ils travaillent. De nombreuses compétences sont en effet nécessaires à un travail de paix efficace. Cependant, la mise au point d’outils pour transformer des résultats de conflit spécifiques reste dans un cadre de perception qui ne permet pas d’apprécier la complexité de la gestion de conflits violents. En outre, les objectifs et présupposés implicites à l’origine de l’utilisation de tout « outil » de travail de paix particulier sont rarement définis. Ceci entrave le développement de la réflexion personnelle chez les intervenants de paix. (3)
Une bonne partie de ces perceptions se rapportant à la gestion du conflit sont enracinées dans les différentes perceptions culturelles de la réalité. Par exemple les valeurs d’individualisme et la conception linéaire du temps prédominent dans de nombreuses cultures occidentales, alors que le collectivisme et la vision cyclique du temps imprègnent largement nombre de cultures orientales. Il est évident que de telles différences ont des effets marqués sur la manière dont l’efficacité est jugée dans les formations à la paix. Récemment, au cours d’un exercice de formation pour une grande organisation impliquée dans l’intervention non-violente, un groupe multiculturel a dû résoudre un exercice visant à transformer un conflit de groupe. À la fin de l’exercice, un participant originaire d’Amérique du Nord était satisfait parce que le groupe avait atteint une issue spécifique désirée, tandis qu’un participant africain ne l’était pas car la décision prise – bien qu’elle fût considérée comme appropriée – ne tenait pas compte du point de vue de certaines personnes. Ceci n’est qu’un exemple visant à souligner le fait qu’en formant à la paix, il faut être conscient des avantages que les différentes cultures ont à offrir et de l’importance de ne pas évaluer les performances des participants au moyen d’une perception culturelle unique.
De plus en plus, des formateurs et des experts dans le monde entier travaillent ensemble dans le cadre de différents programmes de Master en études de paix et de résolution des conflits et dans d’importants instituts. Ils constituent de vastes réseaux de personnes travaillant dans la construction de la paix et la transformation des conflits, qui permettent de faire le lien entre le Sud et le Nord. Pourtant, un nombre considérable de formateurs internationaux sont originaires de pays du Nord/occidentaux, ou sont formés selon des méthodes et des approches spécifiques de ces régions du monde, ce qui, en soi, n’est pas nécessairement un problème. Le défi se présente lorsque les formateurs ne développent pas la conscience et la sensibilité nécessaires à l’approche des présupposés qu’ils véhiculent. Ce qui fait une différence cruciale, c’est certainement si la formation présente certaines pratiques comme « les bons outils » ou si elle les présente comme des produits issus de visions « occidentales » du monde qui ont bien fonctionné dans de nombreuses zones de conflits. Si les perceptions culturelles ne sont pas équilibrées et les formateurs ou intervenants de paix commencent à imposer leur mode de pensée aux autres, un défi politique émerge sous forme d’« impérialisme culturel ».
« Je me trouve personnellement en difficulté lorsque des experts et des formateurs internationaux se présentent à moi, formateur ayant une expérience locale, et me disent ce que j’ai à faire. Ils ont un air de supériorité – même s’ils ne se présentent pas comme étant supérieurs car ce n’est pas politiquement correct – parce qu’ils parlent un meilleur anglais, sont plus âgés ou viennent de pays pacifiques et s’imaginent donc que tout le monde devrait adopter leurs méthodes. Ces attitudes génèrent une dynamique de pouvoir précaire entre les formateurs et entre les formateurs et les participants. Pour moi, une personne est l’experte de sa propre vie. Une femme illettrée de Sierra Leone assise à côté d’un homme titulaire d’un doctorat de la meilleure université au monde est toujours l’experte de sa propre vie. Dans ce cas, il est absolument essentiel que l’expert international écoute ce qu’elle a à lui apprendre. » Gal Harmat, Université de Tel Aviv.
Ces défis ne représentent qu’une partie des défis ayant trait à la perception et à la culture. Cependant, même si ces deux composantes peuvent être source de difficultés, la communication interculturelle et l’analyse de ses propres perceptions du monde peuvent constituer deux des aspects les plus créatifs de toute formation internationale à la paix. Dans l’idéal, ce type de formation donne à des participants de cultures variées l’occasion de réfléchir ensemble et de partager leurs points de vue et idées implicites qui permettent la création de moyens innovants et intégratifs de construire la paix.
Notes
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Tiré de l’ouvrage : « Formation à la paix, Formation des adultes au travail de paix et à l’intervention civile de paix lors de conflits » ; Auteurs :Robert Rivers, Giovanni Scotto, Jan Mihalik et Frode Restad. Ouvrage réalisé dans le cadre du projet ARCA. Le projet ARCA (Associations and Resources for Conflict Management Skills) a été mis en place afin de contribuer directement à l’amélioration de la qualité, contenu et méthodologies des formations à la paix et à la transformation de conflits. Le projet, financé par la Commission Européenne, Socrates/Grundtvig1, comptait avec la participation 13 organisations originaires de 11 pays européens, dont le MAN (Mouvement pour une Aternative Non-violente), France.
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(1) : La médecine occidentale contemporaine, qui voit le corps comme une machine et a tendance à négliger la manière dont les états physique, émotionnel et spirituel agissent les uns sur les autres, est un exemple typique de ce paradigme.
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(2) : Les approches systémiques de la transformation des conflits représentent un bon exemple de cette pensée (Wils et al., 2005).
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(3) : Ce point a été particulièrement souligné par Bush et Folger (2005) dans le domaine de la médiation.