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, Paris, julio 2012

Enjeux de la paix en Afrique : solutions africaines aux problèmes africains ?

Comment comprendre la paix en Afrique ? De quoi s’agit-il lorsque ces Africains parlent de la paix ? Quelle est l’intelligence de la paix qu’ont les sociétés africaines ?

Keywords: Capitalización de conocimientos prácticos (savoir faire) para la paz | Elaborar métodos y recursos para la paz | Trabajar la comprensión de conflictos | Las dificuldades de una cultura de paz en una población que ha vivido la guerra | Educar a los niños a la paz | Prácticas tradicionales de construcción de paz | Dialogo entre los actores de paz | Respeto de los derechos de los niños | Memoria y paz | Seguridad y paz | Etica y responsabilidad de los militares | Sociedad Civil Local | Militares | Comunidad Internacional | OTAN | | Favorecer el acercamiento entre militares y civiles | | Promover una cultura de paz | Poner en práctica iniciativas de mediación | Sostener reparaciones morales de los efectos de la guerra | Apoyar dinámicas de reconciliación después de una guerra | Reconstruir la cohesión social | Apoyar la organización de sociedades civiles locales | Demobilizar y desarmar a los ex combatientes | Región de los Grandes Lagos

Cette réflexion a été inspirée du travail d’inventaire réalisé pour le compte du portail irenees.net sur les acteurs africains engagés dans les efforts de construction de la paix, leurs thématiques de travail et certaines de leurs analyses. L’inventaire réalisé jusqu’ici n’a pas été systématique et ne se veut pas du tout exhaustif, il est continu. Il a surtout été réalisé à l’issue des rencontres lors des missions sur le terrain en Afrique. Comment comprendre la paix en Afrique ? De quoi s’agit-il lorsque ces Africains parlent de la paix ? Quelle est l’intelligence de la paix qu’ont les sociétés africaines ?

L’éclatement des crises politiques et des conflits armés, à la suite de la libéralisation du contexte politique et des premiers échecs de démocratisation des régimes au début de la décennie 90, a vu émerger des acteurs d’un type nouveau dans le champ de la paix. Ce sont des ONG - organisations non gouvernementales – très actives sur les questions de la paix. Dans les sillages des ONG de développement ou de celles de protection des droits humains (liberté de la presse, droits politiques, etc.), elles sont progressivement devenues des interlocuteurs des Etats, des institutions sous-régionales voire de l’Union Africaine et des Organisations non gouvernementales internationales du Nord et des organismes bilatéraux ou multilatéraux, tout en s’organisant en coordinations nationales, sous-régionales et continentales en se professionnalisant jusqu’à tomber dans l’excès inverse de devenir – pour certaines – des institutions bureaucratiques ou encore des sortes de bureaux d’études à la recherche continuelle des marchés de l’aide internationale.

En constituant le socle de la société civile africaine à l’échelle de tous les pays africains, à côté d’autres formes organisationnelles (associations, syndicats, églises, etc.), les ONG sont devenues des acteurs incontournables de la paix. Elles réalisent des actions, produisent des analyses, assurent des formations, formulent des propositions et recommandations aux gouvernants et institutions chargées de prendre des décisions.

A côté des ONG, des institutions de recherche adossées aux universités ou fonctionnant comme des thinks-tanks ont également émergé comme d’importants acteurs de la paix en proposant des analyses théoriques ou des réflexions tirées des expériences vécues dans différents pays. Ainsi l’Afrique du Sud post-apartheid, dans le sillage de son travail national de justice, vérité et réconciliation, a pris littéralement le leadership et est devenue un important pôle de la dynamique de la paix avec d’importants centres de production d’analyses qui comptent et pèsent dans les débats sur les conflits et la paix sur le continent africain.

Qu’il s’agisse des actions opérationnelles (soins de santé aux victimes de violences armées, chantiers de réinsertion socio-économique des ex-combattants ou des victimes de conflits, groupes de médiation, etc.), du travail pédagogique (formations, outils pédagogiques de la paix, etc.) ou des analyses et des recherches (ONG et institutions de recherche), l’idée maîtresse qui ressort peut être résumée dans cette formule que j’ai souvent entendue dans les sillages de l’Union Africaine : « african solutions to african problems », des solutions africaines aux problèmes africains. Une volonté de ne pas « copier coller » les recettes formulées ou pensées ailleurs au grand mépris des réalités continentales, locales mais une recherche des pistes originales sinon adaptées aux contextes des pays concernés. Cela est loin d’être simple ni acquis.

Quant aux tendances que prennent les initiatives et les analyses de paix observées et entreprises par ces groupes d’acteurs, elles s’orientent vers des axes thématiques majeurs que j’ai regroupés en quatre ensembles :

  • la gestion et la transformation des crises, des tensions et des conflits ;

  • la gestion de la période post-conflit ;

  • la gouvernance, le développement durable et la justice comme piliers de la paix ;

  • la paix, les cultures et la culture de la paix.

1. Gestion et transformation des crises, des tensions et des conflits

Ce premier axe couvre aussi bien la sécurité humaine, la prévention, la médiation que la résolution des conflits. Il mobilise tout un ensemble d’acteurs, de thématiques et de pratiques aussi variées que des études d’alertes précoces, des outils pédagogiques, des missions de médiation, des conférences-débats ou encore des activités ou manifestations socio-culturelles destinées à la transformation non violente des crises.

Sous ce bloc thématique il y a d’abord une réflexion de fond sur les forces de sécurité et de défense (FSD), comprenant l’armée, la police et la gendarmerie, ainsi que son rôle dans la sécurité des personnes et de leurs biens en temps de guerre ou de non guerre. Ceci va du contrôle démocratique de ces forces, de l’exécution de leur tâche de maintien de l’ordre et de la sécurité commune, de leurs relations avec la nation toute entière dont elles sont l’émanation ainsi que de leur contribution aux opérations humanitaires multinationales dans des contextes de conflit ouvert.

Dans ce cadre, par exemple, le colloque international des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) organisé en novembre 2010 à Dakar par l’Etat-major général des armées du Sénégal en partenariat avec la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, la Fondation Konrad Adenauer et le Bureau des Nations-Unies pour l’Afrique de l’Ouest – comme une sorte de bilan des 50 ans d’indépendance des Etats africains francophones - a permis de poser clairement la question des relations civilo-militaires.

Si dans la plupart des pays africains des progrès ont été réalisés pour une interaction positive des militaires avec l’environnement civile afin de faire de ces forces un soubassement de la sécurité et de la paix nationales dans un lien armée-civils-nation solide il reste encore un grand nombre d’autres pays dans lesquels subsistent des tensions alimentées par une violence régulière des militaires ou policiers contre les populations civiles. C’est ainsi que les ONG de défense des droits de l’homme ou de résolution des conflits, les institutions sous-régionales, les universités de recherche ou les instituts de recherche ne désespèrent pas dans leurs efforts de voir se mettre en place un nouvel environnement marqué par le concept de sécurité humaine, environnement dans lequel la sauvegarde des droits de la personne dans les domaines économique, alimentaire, sanitaire, environnemental, physique, communautaire et politique (protection des libertés et des droits humains fondamentaux) serait largement garantie (1).

Moyen de résolution des conflits, la médiation est une des thématiques traitées en Afrique comme pilier de la construction de la paix. La médiation est un processus de dialogue et de négociation dans lequel un tiers aide deux ou plusieurs parties en conflit qui consentent de gérer ou de résoudre leur différend sans recourir à la force. Plusieurs organisations, institutions et personnalités sont impliquées dans la médiation pour régler les différends sur le continent. Les travaux de Laurie Nathan, Directeur du Centre pour la Médiation à l’Université de Pretoria en Afrique du Sud, soulignent un certain nombre de défis et posent quelques questions clés. L’Afrique a besoin de médiateurs, d’institutions de médiation et d’un haut niveau de médiation s’il faut des solutions africaines aux problèmes africains. Et la médiation est une spécialisation et non de la diplomatie.

Le but général est de permettre aux parties concernées d’aboutir à des accords qu’ils trouvent satisfaisants. Là où des organisations internationales interviennent en médiatrices dans les situations de violence réelle ou imminente, le but ne devrait pas être conçu simplement comme celui de prévenir ou de mettre fin aux hostilités, mais d’assurer une paix durable et une stabilité à long terme. Il est donc essentiel de s’attaquer aux causes profondes du conflit. Une telle tâche est extrêmement difficile dans les guerres civiles parce que les causes sont multiples, complexes et profondément enracinées alors que les belligérants recherchent la déroute des adversaires plutôt que d’arranger la situation. Face à pareille démarche de fond, la médiation internationale a souffert d’un manque de professionnalisme, d’expertise et de rigueur (2).

Si de nombreuses médiations ont échoué, estime Laurie Nathan, c’est parce qu’on ne procède pas de façon appropriée en particulier dans l’identification des médiateurs. La médiation est une spécialisation qui nécessite des aptitudes diplomatiques, certes, mais de la professionnalisation dans ce domaine. Elle exige, comme tout métier, un haut niveau de formation et d’expérience ainsi que de la crédibilité. Ainsi par exemple, de nombreux travaux s’interrogent sur ses chances de succès lorsqu’un ancien auteur de coup d’Etat est désigné médiateur dans des conflits armés. Que transmettrait-il en terme d’éthique ou de crédibilité de médiation ?

Au cours des trois dernières décennies les médiateurs ont peiné à résoudre le conflit en Angola, au Burundi, aux Comores, en République Démocratique du Congo (DRC), en Côte d’Ivoire, au Kenya, au Lesotho, au Libéria, à Madagascar, au Mozambique, au Rwanda, en Sierra Leone, en Somalie, au Soudan, en Ouganda et au Zimbabwe. Les enjeux sont de taille dans ces situations : le succès ou l’échec de la médiation détermine si les pays restent enfermés dans les guerres ou s’ils peuvent s’engager dans un chemin de réconciliation et de reconstruction. Dans le cas du Rwanda, les négociations assurées sous la médiation de la Tanzanie en 1992-1993 se sont écroulées et ont été balayées par le génocide. Au Kenya, paradoxalement, la médiation menée par Kofi Annan en 2008 a empêché un glissement dans le prolongement de la violence. Dans d’autres cas, comme le RDC, les résultats ont été un mélange de succès et d’échec, tant la guerre et la paix cohabitent en prévalant dans différentes parties du pays.

Là où la médiation a réussi et a été fructueuse, le contenu et la qualité de l’accord de paix a un impact positif et cela se ressent sur la justice, la sécurité ou l’exercice du pouvoir. La qualité de la médiation donne le ton pour le tournant de la paix que veut prendre un pays.

Si l’amélioration et la professionnalisation de la médiation sont une nécessité, Laurie Nathan propose quelques critères et des conditions :

  • une mise en place d’un système d’évaluation des médiateurs, en particulier par rapport à leurs aptitudes dans ce domaine ;

  • tirer des leçons sur les erreurs commises précédemment, surtout en ce qui concerne l’appréciation politique ;

  • susciter de bonnes connaissances afin de former et de faire des recherches afin d’alimenter ces dernières ;

  • comprendre l’approche basée sur la confiance : construire une relation entre le processus de médiation et les médiateurs.

La difficulté à résoudre durablement le conflit dans la région des Grands Lacs, particulièrement à l’Est de la République Démocratique du Congo, pousse à s’interroger sur les médiations, les nombreux accords de paix signés depuis les années 2000 et la transformation des acteurs impliqués ainsi que de la transformation de la nature des conflits eux-mêmes.

Cette mise en interrogation de la façon dont l’ensemble du processus a toujours marché jusqu’ici, à savoir les médiations, les négociations politiques entre belligérants, les accord de paix aboutissant systématiquement au « partage du pouvoir » politique et économique en intégrant les belligérants dans l’armée et dans l’élite politico-administrative pour le partage du pouvoir sans aucun critère d’exigence ressemble d’avantage à un blanchiment politique de la violence, à la prime à la violence et à la consécration de l’impunité qu’à une recherche de paix durable.

Que le conflit soit devenu durable (déjà bientôt deux décennies) est aujourd’hui source d’interrogation sur le caractère volatile de la paix conclue à l’issue de ces multiples négociations, médiations et accords de paix. Les conflits ont muté tout comme les stratégies de leurs acteurs. Mais les stratégies de la paix, en particulier celles des négociations, des médiations ou des accords de paix, l’ont-elles été autant ? N’a-t-on pas cherché à résoudre un conflit imaginé par les experts en ignorant le vrai ou ne sommes-nous pas en train d’appliquer des « recettes » qui ne marchent plus ? En somme, comment faisons-nous les choses pour espérer une paix durable et un avenir meilleur ? C’est un tel questionnement qui motive un centre de recherche d’une université de Goma à ce que les populations qui expérimentent ces conflits expliquent leur analyse aux experts et leur disent comment ils pourraient construire la paix si on leur laissait l’occasion de le faire. Ne serait-ce pas cela la paix à la base, imaginée et construite depuis la base ?

2. Gestion de la période post-conflit

Cette seconde thématique regroupe le pardon, la réconciliation, la réinsertion et la réintégration qu’il s’agisse des victimes (femmes violées, enfants soldats, réfugiés, etc.) que des auteurs des violences une fois réconciliés avec la société. La paix illustre les initiatives et les réflexions entreprises dans ce cadre avec l’objectif de recoudre les fissures sociales occasionnées par les ravages de la violence. Au cœur de la construction de la paix après le conflit se trouve la reconstruction de la relation de confiance entre les individus, les communautés ou les Etats les uns envers les autres. Confiance en soi et confiance en l’autre. Attitude positive où les personnes impliquées dans une relation croient mutuellement en l’une et en l’autre, la confiance n’est pas une donnée naturelle, surtout lorsqu’elle a été mise à mal par la méfiance occasionnée par la violence et le conflit. Ainsi le pardon et la réconciliation cherchent à transformer les attitudes, les structures, les relations et les comportements.

D’autres thèmes meublent cette construction de la paix, à savoir le développement socio-économique, la bonne gouvernance, la réforme de la justice et des institutions de sécurité, la culture de la justice, de la vérité et de la réconciliation. Le développement socio-économique englobe la reconstruction matérielle et une gestion économique saine et équitable ainsi qu’une répartition équitable des bénéfices des programmes de réduction de la pauvreté. La réduction de la pauvreté destinée à tous les pays en vue d’atteindre les « Objectifs du Millénaire » est devenue une sorte de feuille de route au cours des années 2000. Mais pour de nombreux pays sortant des conflits, ces objectifs demeurent hypothétiques et procèdent d’un énorme défi qu’ils ne relèveront sans doute pas. Enormément d’efforts sur la santé, l’éducation ou l’emploi restent encore à faire au point que les moyens pour les atteindre manquent et le calendrier est très peu réaliste. Néanmoins il a été important de fixer ces échéances et cette feuille de route afin d’évaluer la paix dans les pays sortant des conflits.

La question de la protection des civils et des droits humains se trouve au centre des préoccupations des organisations et des associations africaines de défense des droits de l’homme. Elle touche, au premier chef, à la nature et à la façon dont s’exercent les pouvoirs politiques au sein des États africains dans la mesure où elle interroge avec acuité les aspects vécus de la bonne gouvernance et de la démocratisation de ces pouvoirs. Sont-ils un gage de la paix ? Par ailleurs, les problèmes de violences exercées par des acteurs non étatiques (groupes armés et groupes d’extrémistes religieux) dans de nombreuses régions comme la bande sahélo-saharienne, par exemple, constituent une mise en danger réelle de la paix civile. Exerçant cette violence en dehors du cadre et des normes des Etats ou des armées étatiques, ces acteurs introduisent des défis tout à fait nouveaux dans la construction de la paix. La paix n’est plus question des Etats seuls !

Les inquiétudes soulevées autour de la gouvernance et de l’État de droit, gage de la paix et de l’harmonie sociale, proviennent également du fait que la police, l’armée ou les structures administratives empêchent les individus d’exercer librement leurs droits civiques et politiques élémentaires. Les restrictions des libertés d’opinion, d’expression et de la presse, l’extorsion des soins humanitaires destinés aux blessés et handicapés de guerres, le viol massif d’enfants et de femmes ainsi que l’enrôlement des enfants dans la guerre ou leur esclavage économique comme main-d’œuvre ou sexuel pour les chefs de guerre constituent autant d’enjeux de concrétisation de la paix et de l’État de droit. D’autant plus que ces abus s’exécutent dans un climat d’impunité quasi-officielle. L’engagement contre de telles injustices est une recherche de transparence politique et de meilleure gouvernance.

Si aborder la gouvernance et la transparence touche à la dénonciation des failles de l’État ou des excès des structures de violence non étatiques, il convient de signaler que cet exercice a le mérite de poser la question de la participation des Africains à la gestion de la chose publique et celle de la « redevabilité » des gouvernants et des pouvoirs publics.

Dans la même dynamique de participation aux processus politiques, la reconstruction post-conflit pose la question de la démocratisation et des processus électoraux comme socles de la paix. Les populations africaines ont non seulement intégré les cycles électoraux, en dépit de la qualité de l’organisation globale qui reste à améliorer, mais elles portent également de plus en plus un regard critique sur les enjeux électoraux, sur les comptes à demander aux élus et surtout elles font désormais la distinction entre les élections comme processus technique à organiser et le poids ou le sens politique qu’il faut leur donner afin qu’elles soient un facteur de paix et non une cause de conflit. Là demeure le sens du tact, de la maturité et de la pédagogie que doivent avoir les institutions occidentales qui accompagnent les processus électoraux en Afrique. Les Africains ont compris qu’il ne faut pas seulement attendre des résultats des élections mais que pour être facteurs de paix, elles doivent être préparées et avoir une suite : information et formation des électeurs, des agents électoraux, des témoins ainsi que des formations politiques (partisans) et la maturité du personnel politique prête à accepter la défaite sans mauvaise foi ou la victoire dans un esprit constructif.

La construction de la paix en période post-conflit comprend enfin la réforme du secteur de sécurité. Il s’agit en réalité de doter l’armée, la police, les renseignements et la gendarmerie des compétences techniques et d’une éthique professionnelle afin qu’ils oeuvrent au profit de la consolidation de la paix. Plusieurs Etats africains ont connu ce programme, certains l’expérimentent alors que d’autres devront le faire. L’objectif est de faire de ces forces non un ennemi mais un allié du civil et de la paix nationale. Ce programme s’accompagne non seulement des mesures de réduction et de contrôle des armes afin qu’elles ne se retrouvent pas illégalement entre les mains des civils mais surtout assure le succès du DDR : le désarmement, la démobilisation et la réintégration des soldats. Plusieurs activités et analyses abordent les DDR en en pointant les chances et les failles. Parmi les chances : la possibilité de voir les ex-belligérants retourner à la vie civile. Et au nombre de lacunes le caractère limité en « kit » et l’absence de suivi ou d’accompagnement des personnes concernées qui, mal réinsérées dans la vie civile, se sont vite retrouvées dans des milices, des groupes armés ou reconverties en « coupeurs de route ».

3. La gouvernance, le développement durable et la justice piliers de la paix

Cet axe prend en compte d’un côté la dimension socio-économique et écologique des ressources rares ou des ressources naturelles et de l’autre côté la redistribution équitable de leurs revenus. En effet, certaines ressources ont un lien direct avec les conflits parce qu’elles sont disputées ou parce qu’elles alimentent toutes formes de trafics (armes en particulier) ou encore parce que leur exploitation occasionne la violence. Ainsi leur meilleure gouvernance, leur exploitation viable et leur accès équitable à tous est une piste pour une paix durable sur le continent africain.

Des initiatives sur la transparence des revenus des ressources naturelles et de leur redistribution ainsi que leur traçabilité ont non seulement fait courir des risques vitaux à plusieurs personnes devant la violence des Etats ou des compagnies qui officiaient dans l’opacité mais ont aussi poussé ces derniers à commencer à publier leurs bénéfices bien que ces publications soient souvent incomplètes. Le réchauffement climatique et les crises environnementales, intégrées dans des préoccupations de paix et de stabilité du continent enrichissent eux aussi les débats.

A des échelles diverses et variées, de nombreux pays sont concernés par les crises relatives à la gestion des ressources naturelles (conflits fonciers, disputes autour des ressources minières ou de l’eau, etc.), du fait des crises socio- économiques causées par la paupérisation, qu’elles soient imputables à la mauvaise gestion des États ou aux conséquences des conflits armés. Ce qui constitue des préoccupations pour asseoir la paix au niveau du continent.

De l’autre côté, le travail de cet axe embrasse la dimension politique pour une bonne gouvernance par l’Etat et par ses services (sécurité, justice, défense, protection des droits humains, etc.) pour assurer des relations harmonieuses au sein de la communauté (locale ou nationale).

Le travail sur la justice se focalise sur la lutte contre l’impunité envers des auteurs de crimes qui détiennent une parcelle de pouvoir. Ce sentiment de l’existence de l’impunité exclut ces groupes de la catégorie des citoyens et en fait des personnes à part, au-dessus de la loi. Mais, par ailleurs, le recours à la justice se veut aussi une démarche de réparation avec l’ambition que la punition du coupable s’effectue dans le triple objectif de sa resocialisation, de la réparation globale de la victime et du rétablissement de la paix sociale.

Dans une telle optique où la justice n’est pas seulement punitive mais réparatrice, la violence exécutée dans le cadre d’un conflit est davantage une atteinte aux personnes et aux relations interpersonnelles. La justice post-conflit a, par conséquent, pour but d’identifier les besoins et les obligations de chacun des protagonistes. Elle se conçoit alors comme un processus impliquant, de manière active, toute la communauté. Par le dialogue, on encourage la réciprocité et le partage des émotions. La responsabilisation concrète de tous conduit à la recherche de solutions consensuelles, tournées vers l’avenir et destinées à réparer tous les préjudices. Les résultats, tout autant que le processus, apparaissent ici essentiels. Cette philosophie de la justice est véhiculée à travers l’expérience de la Commission Justice, Vérité et Réconciliation inaugurée en Afrique du Sud post-apartheid et qui est reprise par plusieurs pays sortant des conflits.

4. Les cultures locales et la culture de la paix

Cette dernière composante concerne aussi bien les aspects liés aux pratiques (traditions, indigènes) des communautés à construire la paix que la protection de ces mêmes communautés et de leur savoir-faire dans des domaines aussi variés que la conservation des équilibres environnementaux ou sociétaux. Au cœur de cet axe se trouve ce principe de « solutions africaines aux problèmes africains » en mobilisant les connaissances locales (« indigenous knowledge »), le savoir-faire et les aptitudes des populations concernées dans la résolution des conflits et la construction de la paix.

C’est sur ce principe qu’est par exemple basée la conception de l’Union Africaine d’avoir un comité des Sages, des Aînés ou « Elders » comme médiateurs dans les litiges politiques majeurs, en estimant comme dans la majorité des sociétés africaines que dans la famille les Aînés sont au centre de la paix sociale et de l’harmonie familiale. La mobilisation du savoir-faire local inspire aussi le recours que font de nombreuses institutions et ONG à la connaissance qu’ont les peuples pygmées de la gestion durable des ressources forestières car ce peuple a la forêt tropicale comme habitat et donc en maîtrise le secret.

Par ailleurs sur le continent africain, il se renforce de plus en plus l’idée de rechercher des pistes nouvelles de construction de la paix dans les cultures ou les traditions de chacun des peuples. Recourir aux creusets culturels est à la fois la preuve que les conflits connus par le passé par ces sociétés ont été résolus à travers des mécanismes pacifiques. Donc des sociétés capables de paix, de concorde et de justice. L’institution burundaise « Bashingantahe », les juridictions rwandaises « Gacaca » ou l’expérience congolaise des « Barza intercommunautaires » dans le Kivu sont quelques-uns des exemples de ces pistes.

En effet, comme le note Asumpta Naniwe-Kaburahe, les Bashingantahe « ont toujours joué un rôle important dans la société traditionnelle, mais aussi au cours des crises qui ont régulièrement secoué le pays. Ils se sont particulièrement illustrés au cours des massacres d’octobre 1993 en s’interposant entre les protagonistes et en essayant de sauver de nombreuses vies humaines. Dans les régions où existait un corps des Bashingantahe fort et opérationnel, les dégâts en termes de vies humaines ont été relativement limités et les Bahutu et les Batutsi sont restés unis grâce à ces sages » (3). Les Barza communautaires, eux, ont été initiés pour permettre aux différentes communautés ethniques de coexister pacifiquement en évitant que des conflits entre individus ne deviennent des conflits entre ethnies, et que la faute d’un individu ne rejaillisse sur toute sa communauté. Ces mécanismes sont également expérimentés au Burundi.

Quant aux juridictions Gacaca - dont le nom provient du mot « umugaca » qui désigne en kinyarwanda une plante sur laquelle il est si doux de s’asseoir que l’on préférait se rassembler dessus – ce sont des rassemblements dont le but est « de rétablir l’ordre et l’harmonie. L’objectif premier des arrangements était de restaurer l’harmonie sociale, et à un degré moindre d’établir la vérité sur ce qui s’était passé, la sanction du coupable, voire une indemnisation sous la forme d’un présent » (4). Si la mobilisation de ces mécanismes traditionnels peut participer aux stratégies de l’Etat et à la politique de survie d’un régime dans un contexte d’Etat fragile (5), le plus intéressant, me semble-t-il, demeure la créativité, l’inventivité des hommes et leur capacité de les actualiser pour recréer la confiance de vivre ensemble. Et donc d’inventer la paix.

Ces savoir-faire sont capitalisés en tant que contribution de ces communautés à la paix et à la gestion durable des ressources naturelles. Mais bien que ce recours reste très marginal dans les théories et les pratiques globales de construction de la paix ou de gestion durable des ressources naturelles sur le continent, ces cultures locales ont fait émerger de nouvelles dynamiques de paix perceptibles à travers des stratégies et des initiatives de reconstruction des sociétés qui misent sur l’éducation à la paix dès la petite enfance en tant que nouvelles fondations de l’avenir. C’est le cas des organisations non gouvernementales UMUSEKE du Rwanda ou RIO de Bukavu, en République Démocratique du Congo qui oeuvrent à l’élaboration de méthodes et d’outils pédagogiques d’éducation des enfants à la paix : la culture de la paix. Car apprendre à des jeunes élèves qui ont hérité de leurs parents les traumatismes des violences extrêmes (massacres, génocides, viols, etc.), à porter un regard critique sur la guerre, les rumeurs, leurs causes… permet de former les enfants à questionner l’histoire des aînés alors qu’on attend d’eux d’adopter les schémas vécus par les anciens, n’est-ce pas cela construire l’avenir ? N’est-ce pas cela ré-ouvrir les chemins bouchés du dialogue ?

Selon ces initiatives, l’idée de la cohabitation pacifique entre communautés et groupes ethniques différents doit s’inculquer très tôt et s’enraciner maintenant pour anticiper la paix de demain. C’est l’option d’assurer la paix en amont, l’avenir de la paix. Mais faire d’une telle option un des leviers de stabilisation nationale ou régionale implique aussi que cette jeunesse grandisse avec des perspectives d’avenir. L’avenir de la paix en Afrique est donc un défi lié à l’état de l’horizon d’avenir et aux politiques ou stratégies d’ensemble à mettre en place pour maintenir cet horizon dégagé en faveur de ces jeunes générations.

Quelle leçon apprise ?

La démarche de tous ces acteurs, basée sur des problèmes très précis, est de tenter de trouver des réponses également adaptées et précises. Mais cette démarche fait souvent face à des obstacles importants en termes de capacités et de compétences face à la complexité des enjeux. Ainsi des initiatives se sont multipliées avec plus ou moins de succès pourrenforcer ces capacités. On voit dès lors se multiplier sur le continent africain des ateliers de « capacity building » qu’annoncent des calicots.

Et dans cette acquisition des capacités et des compétences, les organisations africaines collaborent avec de nombreuses institutions non africaines dont la majorité sinon la totalité sont des pourvoyeuses de ressources financières en appui à la réalisation des programmes. Ces ressources conditionnent la continuité et la durabilité des projets. Or la limite des ressources dans le temps a tendance à fragiliser la construction de la paix. Cette dépendance à des ressources extérieures est de ce point de vue un défi que les acteurs africains sont appelés à relever afin de ne pas compromettre leurs efforts.

Par ailleurs, si sur le terrain de la construction de la paix les institutions et les organisations africaines collaborent avec leurs partenaires occidentaux, on a assisté récemment à des compétitions voire à des malentendus ou des incompréhensions réciproques.

Le premier a concerné la guerre en Libye. Si l’intervention de l’OTAN - dans la façon où elle a été menée, outrepassant le mandat du Conseil de Sécurité de l’ONU – a opposé l’Union Africaine à des responsables de l’OTAN, elle a laissé auprès des responsables africains l’impression que l’opinion de l’Union Africaine a été rejetée par les forces de l’OTAN. Certaines alertes lancées à l’époque par le Mali et l’Union Africaine autour des conséquences sur le risque dans le Sahel n’ont pas été prises en compte. En Afrique, on se demande si l’intérêt et l’agenda de la paix en Afrique sont les mêmes pour l’OTAN ?

La seconde incompréhension concerne les travaux qui sont produits par certaines institutions travaillant sur l’Afrique dans le domaine d’alerte. Les Africains considèrent qu’ils sont là aussi ignorés et que ces institutions n’ont pas la vertu d’apaiser mais au contraire attisent les conflits avec des prévisions trop pessimistes qu’elles ne revisitent jamais lorsque la plupart de temps elles se révèlent fausses. Disposant des moyens de communication que n’ont pas leurs homologues africaines et parce que personne ne les évalue, ces prévisions sont considérées comme la voix qui fait autorité au détriment des organisations africaines silencieuses. La question est de savoir si elles travaillent réellement pour la paix en Afrique.

Notas

  • (1) : Etat-Major Général des Armées, Forces de Défense et de Sécurité au cœur de la sécurité humaine, Colloque international 8-11 Novembre 2010, Dakar, p. 7.

  • (2) : Laurie Nathan, Policy Directions. Towards a new era in international mediation, Pretoria, May 2010. www.crisisstates.com

  • (3) : Asumpta Naniwe-Kaburahe, « L’institution des Bashingantahe au Burundi », in International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA), Justice traditionnelle et réconciliation après un conflit violent. La richesse des expériences africaines, lnternational IDEA Strömsborg, Stockholm, 2009, p. 170.

  • (4) : Bert Ingelaere, « Les juridictions gacaca au Rwanda », in International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA), Justice traditionnelle et réconciliation après un conflit violent. La richesse des expériences africaines, lnternational IDEA Strömsborg, Stockholm, 2009, p.36.

  • (5) : Séverine Bellina, Dominique Darbon, Stein Sundstol Eriksen & Ole Jacob Sending, L’Etat en quête de légitimité. Sortir collectivement des situations de fragilité, Ed. Charles Léopold Mayer, Paris, 2010.