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, Italie, 2007

Les organisations internationales et la résolution des conflits

L’évolution du rôle des OI dans la résolution des conflits actuels.

Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle réalité des guerres et des conflits. Pour la plupart il s’agit de conflits internes, de guerres qu’autrefois on aurait appelés « guerres civiles ». Ce genre de conflits, qu’ils soient d’origine ethnique, idéologique ou autre, ne remette pas en cause les frontières internationales d’un pays (le cas de l’Ex-Yougoslavie pourrait être considéré comme une exception à la règle, toutefois les protagonistes eux-mêmes estiment s’être contentés d’avoir rétabli les frontières précédentes sans porter atteinte à la délimitation des frontières internationales).

Nous assistons également à de nombreuses crises politiques qui deviennent violentes du fait du disfonctionnement (voire de l’absence) « d’amortisseurs » politiques qui pourraient les éviter. C’est le cas par exemple des « Failed states ». Enfin nous sommes confrontés à une sorte de conflit atypique qui ne tient en compte d’aucune frontière : le terrorisme.

Il est clair que par rapport à l’époque bipolaire, aujourd’hui beaucoup peuvent faire la guerre. Depuis la fin du XXème siècle, les Etats nationaux ne possèdent plus le monopole de la violence. Les attentats du 11 septembre 2001 ont montré au monde entier comment un petit groupe de terroristes très préparés et décidés, était capable de défier une grande puissance. Face à cette nouvelle réalité, les Etats nationaux paraissent moins forts. D’un autre côté, cette situation vient répondre à la mentalité et à la philosophie générales nées à la fin du siècle dernier : l’on privatise l’économie (en diminuant le rôle de l’Etat) exactement comme on privatise tout et n’importe quoi, y compris la guerre.

Cela dit, même si de nos jours, il est permis à beaucoup d’acteurs de faire la guerre, des acteurs non étatiques et non institutionnels peuvent également travailler pour la paix. En effet, cette dernière possibilité a été prise en considération par la société civile internationale il y a une dizaine ou une quinzaine d’années. A l’époque sont nées plusieurs organisations non institutionnelles avec pour mandat de résoudre les conflits. On dénombre aujourd’hui plusieurs centaines d’organisations de ce type. La Comunità di Sant’Egidio (malgré un parcours particulier qui la distingue des autres), fait partie de ces groupes d’acteurs.

L’approche non institutionnelle naît de la prise conscience que, dans cette nouvelle ère internationale, le contexte des relations internationales n’appartient plus seulement a un cercle restreint de personnes (la diplomatie officielle). Cette nouvelle forme de « diplomatie civile » représente une nouvelle offre d’initiatives à disposition des citoyens et des organisations privées (églises, leaders religieux, universitaires, ONG, journalistes, entrepreneurs…). Ces acteurs n’entendent pas remplacer la diplomatie officielle car ils n’auraient jamais accès aux mêmes ressources, en revanche ils offrent au monde institutionnel ce dont celui-ci semble avoir besoin : des moyens d’action plus flexibles et personnalisés.

Souvent la politique institutionnelle et la diplomatie officielle sont bloquées par des logiques internes. La diplomatie non institutionnelle offre la possibilité d’explorer l’efficacité d’une action éventuelle. En effet pour les Institutions officielles il n’est pas convenable de s’engager et de mettre en jeu son propre prestige dans des actions au résultat incertain. L’approche non institutionnelle peut passer par des voies plus rapides et confidentielles sans qu’il soit nécessaire d’officialiser leur démarche. Explorer de nouvelles pistes et de nouvelles solutions, loin des pressions de l’opinion publique et sans les contraintes d’une négociation officielle présente également un avantage pour les diplomaties officielles. Enfin l’approche non institutionnelle se prête moins au conditionnement des intérêts. Son succès dépend de sa capacité à être plus libre des conditionnements et disposer d’un accès direct aux protagonistes d’une crise sans pour autant susciter de méfiances.

L’émergence de thématiques identitaires et de thématiques « liées à la culture et à la civilisation » a favorisé l’approche non institutionnelle. Les crises internes naissent souvent des conflits qui ne sont pas immédiatement liés à la politique et à l’économie. Par conséquent, il faut prendre en considération des éléments qui échappent à la diplomatie officielle. Les organisations non institutionnelles sont plus mobiles et elles agissent avec plus de liberté. Elles peuvent ainsi mieux appréhender les problèmes d’ordre social, culturel, identitaire, ethnique et religieux.

Il faut néanmoins tenir compte de certaines conditions nécessaires pour qu’une médiation non institutionnelle puisse fonctionner :

  • En premier lieu, l’accord entre les parties : une médiation du type non-institutionnelle ne peut en aucun cas imposer son intervention.

  • Ensuite il y a la capacité à saisir une opportunité : une médiation non institutionnelle peut avoir une chance d’aboutir si elle intervient rapidement ou dès que les tentatives officielles ont échoué. Si la crise est à ses débuts et que la diplomatie officielle des Etats n’a pas encore réagi, il s’agit d’un moment propice à l’intervention d’une médiation. Mais en général ces moments se font rares. Le plus souvent, la médiation prend place lorsque les Etats refusent d’intervenir ou lorsqu’ils sont intervenus sans succès.

Il est parfois très difficile d’envisager une intervention de médiation du type non institutionnel notamment en cas de conflit entre 2 ou plusieurs Etats, où la souveraineté d’un territoire et l’intangibilité des frontières sont remises en cause. Ici la Communauté des Etats intervient en premier lieu, car l’enjeu la concerne au premier degré.

Une autre limite à l’intervention non institutionnelle concerne le terrorisme et la sécurité antiterroriste. En effet, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme les Etats n’acceptent aucune interférences.

Les années 90 ont été marquées par la croissance du nombre d’organisations civiles ou religieuses travaillant sur le terrain. Malgré tout, beaucoup d’entre elles ont eu tendance à renoncer très rapidement à ce type d’action. Pourquoi ?

La première précision à donner est que la résolution des conflits ne sera jamais une activité rentable ni gratifiante dès lors qu’il n’y a jamais aucune certitude quant aux résultats. Une ONG pourra difficilement vivre uniquement de « conflict resolution » : elle ne pourra pas programmer à moyen terme ses actions ni en prévoir les résultats, et il lui sera donc difficile de demander des financements pour la réalisation de ses projets. Ainsi certaines organisations ont décidé de se retirer définitivement ; la plupart d’entre elles se concentrent désormais à l’étude du phénomène ; d’autres se sont spécialisées dans la résolution des micro-conflits locaux, laissant de côté les conflits politiques.

En réalité la « mode » de la résolution des conflits avec l’intervention de la société civile reposait sur un postulat ambigu selon lequel la diplomatie pouvait se privatiser et devenir un nouveau « terrain » de la société civile. L’approche non institutionnelle apparaissait pour certains comme une alternative à la diplomatie officielle. Or, ça n’est pas souhaitable. Tout en voulant ressembler aux grandes ONG humanitaire, beaucoup d’entités de « conflict resolution » ont également tenté d’institutionnaliser leur rôle. Elles ont alors dû faire faces aux même problèmes rencontrés par la diplomatie officielle mais sans avoir les mêmes avantages de la force et de la légitimité du pouvoir politique institutionnel.

Quel est le rôle de la médiation non institutionnelle ?

Malgré ses limites, la médiation civile non institutionnelle a un rôle important à jouer. Il suffit d’avoir en tête le cadre de référence et de savoir où l’on va. Une règle importante à ne jamais oublier est que le « rôle non institutionnel » doit obligatoirement être synchronisé avec le « rôle institutionnel » et officiel y compris celui des organisations internationales (ONU et autres agences régionales). Il ne peut en aucun cas exister une vraie stratégie de succès dans la résolution des conflits sans l’appui de tout le monde. La synergie est absolument nécessaire même pour éviter les superpositions et pire, les compétitions.

Cette synergie n’est pas seulement une question « d’optimisation » ou de « bonne pratique », elle est aussi une condition de succès ou de faillite. Dans des conflits complexes, il est nécessaire de mettre en jeu toutes les ressources efficaces pour la solution.

L’histoire de la médiation pour le Mozambique, lancée pour 27 mois par la Communauté de Sant’Egidio est un parfait exemple et il représente un cas d’école pour tout le monde.

Au début de ce processus, les chancelleries occidentales étaient convaincues qu’il n’y aurait pas de solution à la guerre sans que d’abord soit trouvée une solution à l’apartheid dans la République sud-africaine. Les deux crises étaient liées par des raisons historiques et politiques. Après une longue observation sur le terrain des enjeux réels, Sant’Egidio comprend qu’en réalité il existe des causes endogènes au conflit qui ont fait de celui-ci un conflit permanent. Sant’Egidio prend donc l’initiative de pénétrer dans le monde particulier et contradictoire du Frelimo (le régime afro-marxiste) puis dans celui de la Renano (la résistance armée). L’objectif était alors de comprendre la façon dont les deux parties justifiaent leur lutte. Quelle était leur compréhension du conflit ? Les afro-marxistes avaient trouvé, dans cette doctrine, la base de leur nationalisme et la grammaire du pouvoir. Les rebelles appelés Khmer noirs par la presse occidentale spécialisée, étaient un mouvement aux contours obscurs et sans représentation à l’étranger mais , qui en même temps, étaient convaincus d’incarner le malaise de la population contre le régime.

Par-dessus tout il y avait le poids de la mémoire, le sentiment oppressant des trahisons, notamment entre les anciens frères d’armes qui avaient combattu ensemble contre les portugais. Cet aspect était décisif dans toutes les crises : on se trouve face à une culture de la guerre, à un style de vie et à la force du sentiment de se considérer en victime.

Sur quoi, aurait-on pu s’appuyer ? Sur l’amour pour sa propre terre, pour la nation et rechercher les intérêts communs aux différentes parties. Puis, de là, passer à l’envie d’un destin commun et d’un même désir pour le futur.

À cet égard il est essentiel de comprendre la psychologie d’un rebelle, qui, privé de tout contact avec le monde extérieur, se retrouve enfermé des années durant, dans sa propre logique antagoniste. Quant au régime, la vraie question avait trait aux conséquences destructrices du vide laissé par la fin des idéologies.

Le pari de Sant’Egidio a été celui de la transposition du conflit du terrain armé à celui de la politique, de la transformation de l’homme de guerre en homme politique. Il est clair que l’aspect humain est important et inévitable.

Dans le cas du Mozambique, après 16 ans de guerre sans merci, il fallait recréer un dénominateur commun, une nouvelle conception de « ce qu’ils avaient en commun », en mettant de côté, dans un premier temps, ce qui divisait. Il fallait également reconvertir à une démocratie consensuelle, des ex-combattants qui avaient tous misé sur une victoire militaire. Il fallait sortir progressivement de la culture de l’ennemi et trouver une mémoire commune à partager : voici pourquoi l’aspect humain et l’aspect politique étaient à ce point interdépendants.

Pour atteindre ces objectifs, la médiation faite par Sant’Egidio a été menée de façon confidentielle et sans aucune pression extérieure pendant 27 mois. D’un côté il s’agissait de prendre tout le temps nécessaire pour parvenir à concrétiser la transformation du « combattant au politique » ; d’un autre côté il fallait prendre tout le temps nécessaire pour retranscrire l’ensemble des décisions au sein d’un document politique approprié. Tout au long des négociations Sant’Egidio était en contact avec les diplomaties des Etats concernés. Vers la fin de la négociation, les diplomaties officielles ont été progressivement appelées à prendre place autour de la table des négociations. Tout accord de paix nécessite des garantie et un arbitrage.

Cette synergie fut appelée par l’ancien secrétaire général Butros Ghali : « un inédit mixte entre institutionnel et non institutionnel » et aussi d’après une « formule italienne » :

« La Communauté a travaillé discrètement pendant des années afin de faire rencontrer les deux parties : elle a mis en jeu tous ces contacts. Elle a joué un rôle particulièrement efficace parce qu’a su impliquer tout le monde dans la négociation. Elle a mis en œuvre toutes ses techniques en harmonie avec le travail officiel des gouvernements et des organismes intergouvernementaux. Sur la base de l’expérience du Mozambique, a été créée la nouvelle terminologie « la formule italienne » pour décrire ce mélange, unique en son genre, d’activités pacificatrices gouvernementales et non gouvernementales. Le respect pour les parties en conflit, pour les parties impliquées sur le terrain a été fondamental dans le succès de cet travail ».

Le modèle

Quel est donc la méthode que l’on peut proposer ? Quelle approche ressort de cette longue expérience de médiation de Sant’Egidio ?

La première question concerne le profil du médiateur. Le médiateur non institutionnel présente l’avantage de ne pas avoir d’intérêts particuliers à défendre. Il semble « faible », dépourvu des moyens classiques de la diplomatie traditionnelle. Bien que cela puisse apparaître comme un handicap, en réalité ce n’est pas le cas : il représente au contraire la garantie pour les parties de pouvoir s’exprimer sans pression aucune.

Cette question est très importante : à la différence des processus institutionnels, ceux dirigés par les organisations non-institutionnelles se caractérisent par une plus grande liberté pour les parties mais aussi par une plus grande responsabilisation. Souvent, les médiateurs institutionnels ont tendance à s’imposer, à faire une « threatning mediation ». Il est indéniable que dans certaines circonstances, une telle approche est très utile, mais presque jamais au début du processus.

Le médiateur non institutionnel est perçu comme plus impartial. Celui dont le sentiment est qu’il appartient aux parties de contrôler le processus de paix : cet élément est important parce que les parties au conflit ont alors le sentiment que le processus est « leur processus de paix » (ownership).

Dans certains cas, la communauté internationale décide de sanctionner une ou les parties d’un conflit pour les pousser à négocier. Il peut s’agir de sanctions économiques, ou relatives la fourniture d’armes. Or, il est essentiel que le médiateur ne prenne pas position et reste neutre par rapport à ces décisions. Son impartialité se mesure beaucoup sur cet aspect. Un sujet « punitif » ne peut pas être médiateur. Par conséquent l’on peut concevoir combien il possible pour un médiateur non institutionnel de tirer avantage du fait que les sanctions soient normalement décidées au niveau international.

Le secret d’un bon médiateur est de parvenir à impliquer toutes les parties dans la responsabilité de la réussite du processus sans que pour cela elles ne soient obligées de défendre leurs propres positions. Les parties doivent s’approprier le processus surtout si l’objectif est qu’elles le mettent en œuvre. On ne peut pas imposer la paix à ceux qui n’en veulent pas.

L’une des caractéristiques de la médiation non institutionnelle réside dans sa capacité à être la plus fidèle possible à ses interlocuteurs : il ne s’agit pas de fonctionnaires qui changent mais au contraire des mêmes personnes qui restent et établissent un rapport stable avec les parties.

Il est absolument nécessaire de percevoir la réalité du conflit exactement comme il est vécu par les parties sur le terrain. Pour comprendre, il n’est pas nécessaire de commencer par les combattants. Malgré la folie qui existe pendant une crise, il y a aussi le désir de paix des populations, et surtout de la partie la plus pauvre. Puis il faut écouter les protagonistes de la guerre sans tirer de conclusion hâtive. Coller à cette réalité ne veut pas dire sortir de sa propre impartialité, mais, au contraire, essayer d’atteindre les racines les plus profondes de la crise.

La médiation, c’est n’est pas un jeu d’échecs. Il faut prendre en compte les personnes qui ont des vrais sentiments, des humiliations, des frustrations. Écouter et communiquer avec persévérance sert aux parties pour leur permettre d’entrer dans un nouveau monde : celui de l’accord possible. Même si deux parties acceptent d’entrer dans un processus de paix, il ne faut pas oublier que pour les deux parties il s’agit d’un vrai risque.

L’habileté du médiateur est de convaincre les parties que l’accord est avantageux pour tous, même s’il faut renoncer à quelque chose. Il n’existe pas d’échappatoires faciles. Le médiateur doit savoir que le recours à la guerre a été un choix difficile qui n’a pas été pris avec légèreté. Il n’existe pas d’un côté des conflits sauvages qui apparaîtraient sans explication et d’un autre, des guerres qui seraient soi disant « civilisées ». La guerre est toujours une tragédie sans retour.

Être formé à écouter signifie construire lentement un pont entre les gens que l’on ignore et que l’on déteste, mais aussi entre le médiateur et les parties elles-mêmes. Il faut établir une relation de respect, dépourvue de toute superficialité. Bien que cela puisse sembler banal, il s’agit en fait d’une qualité très rare.

Le moment d’écrire noir sur blanc les devoirs précis à accomplir est une étape dont les parties se méfient parce qu’elle fixe leurs responsabilités. Mais il représente en même temps, un moment magique où l’on commence à entrevoir la possibilité d’une solution. Ici le rôle du médiateur est très clair : la proposition écrite est de sa responsabilité. Mais on ne peut passer à cette phase sans avoir donné au préalable le temps à la parole. Souvent dans les médiations institutionnelles les parties sont mises face à texte à la rédaction duquel elles n’ont pas participé. Aujourd’hui un certain « technicisme » du texte est à la mode : des accords toujours plus similaires. Il s’agit là d’une grave erreur.

La flexibilitéest une autre caractéristique de la médiation non institutionnelle. Cela signifie que le cadre des négociations peut inclure tout ce qui est susceptible d’aider. Des experts, des institutions, des gouvernements, des organisations de différente nature peuvent êtres appelés à apporter leur contribution. Il s’agit d’une caractéristique en lien avec celle de la synergie. Les médiations institutionnelles se déroulent, au contraire, dans le cadre limité des fonctions officielles. Il est très difficile de changer ou d’adapter le cadre, même si les choses ne se déroulent pas correctement ou empirent.

La gestion du temps est également une caractéristique importante du médiateur non institutionnel. Il faut du temps pour prendre au sérieux un interlocuteur. Souvent plusieurs échanges entre les parties sont nécessaires. Parfois il faut plusieurs mois pour organiser une première rencontre. Les institutions ne disposent pas du temps nécessaire et ne peuvent pas être toujours prêtes à réagir quand il le faudrait. Les organisations non-institutionnelles peuvent se permettre cette élasticité. La gestion du temps n’est pas seulement une question de quantité mais aussi de patience. La patience et la continuité sont de vraies capacités et constituent des atouts indispensables.

Beaucoup d’accords ont échoué parce qu’on n’avait pas donné le temps aux parties en conflit de se les approprier ou parce que le médiateur avait imposé une date butoir pour terminer le processus.

L’absence de recherche à tout prix du succès est un autre trait important de la médiation non institutionnelle.

La recherche à tout prix du succès se transforme dans beaucoup de cas en un « boomerang ». Les médiateurs peuvent être exposés au chantage de la part des parties en conflit qui vont exercer une pression car elles savent que le médiateur doit réussir, pour sa réputation. Cette pression de la réussite peut faire perdre toute efficacité à la médiation elle-même.

Un médiateur non institutionnel a lui aussi une réputation à tenir : il se présente comme pacificateur et il doit donc respecter ce rôle. Mais il est tout de même plus libre qu’un médiateur institutionnel car il peut laisser aux parties la responsabilité du processus de paix sans faire l’objet de chantages de leur part.

Il faut rappeler que les responsables d’un processus de paix sont toujours les deux parties en conflit : il est possible de les aider, de les accompagner mais ce sont elles qui, dans la finalité, doivent prendre la responsabilité de signer l’accord et de le mettre en pratique. Si cette volonté (qui doit se construire progressivement) n’existe pas, l’accord peut ne pas aboutir.

Ajoutons cependant qu’un accord doit toujours être garanti par des arbitrages institutionnels afin de surveiller l’application de l’accord lui-même.

Parvenir à la reconnaissance mutuelle entre les parties est une des étapes les plus importantes du processus de paix. Au début d’un processus, les parties ne se reconnaissent pas réciproquement. En général, la partie au gouvernement donne à la partie rebelle un statut inférieur. Au contraire la partie rebelle utilise la négociation pour acquérir un statut plus important et paritaire. La médiation institutionnelle a tendance à négliger cet aspect pourtant fondamental.

Il faut prévoir un premier rapprochement pendant lequel la médiation doit permettre aux parties de se reconnaître et d’accepter un terrain commun.

Un médiateur non institutionnel se présente à la table des négociations avec une faiblesse apparente. Il est évident qu’une organisation de la société civile ne dispose pas des moyens d’un Etat. Elle n’a, par exemple, pas la possibilité d"exercer des pressions, ni de signer des chèques de compensation. Pour autant, cette faible médiation ne doit pas donner l’impression d’avoir un agenda caché.

Il s’agit d’une force morale qui s’impose par ses propres moyens.

Le professionnalisme des médiateurs est très important. Malgré tout, si « professionnalisation » signifie « faire de la médiation, un métier », ce type de transformation peut être contreproductif pour les organisations de la société civile qui se sont données comme mandat la résolution des conflits.

L’organisation non institutionnelle qui se présente comme « professionnelle de la médiation » est fragilisée par la limitation même de son mandat. Dans ce cas les médiations doivent obligatoirement aboutir avec succès, sous peine pour l’organisation - ou la personne qui la dirige - de perdre toute crédibilité. De cette façon, on cumule les faiblesses de la médiation institutionnelle. Il est des cas où d’ex-politiques deviennent présidents de fondations ou institutions pour la résolution des conflits.

Une autre leçon très importante quand il s’agit de travailler pour la paix est de savoir que « malgré toutes les similitudes, chaque situation est différente des autres et il n’est pas possible de répéter toujours les mêmes techniques. Si une même approche est souhaitable, s’il est possible de tracer un model, une reproduction pure et simple est impossible. »

L’un des principaux défauts des médiations institutionnelles tient au choix des parties à inviter à la table des négociations.

Ici un vrai problème se pose : quand il y a un conflit en cours beaucoup des parties ont le sentiment d’avoir quelque chose à dire et non pas seulement ceux qui se battent. Il faut toujours prendre largement en considération la contribution que peuvent apporter les parties n’ayant pas pris les armes, les structures traditionnelles d’une société qui sont restées neutres… D’un autre côté, faire assoir à la même table les combattants et les membres de la société civile non impliqués dans les combats, comporte un vrai risque d’instrumentalisation du processus. En effet, une table composée d’acteurs d’importance variable s’expose au risque des jeux politiques et aux instrumentalisations des parties les plus fortes qui essayent d’influencer les parties les plus faibles.

S’il semble moralement opportun de faire participer tout de suite aux négociations les « troisièmes parties » (société civile, politique…), cela peut compliquer politiquement le processus. Il faut en effet que les parties qui se battent soient mises seules face leurs responsabilités, au moins au début.

Un autre thème très important est celui du lieu de la négociation. Il faut choisir un lieu pour la rencontre et un lieu pour les négociations.

A l’heure actuelle il est à la mode de choisir comme lieu un pays proche géographiquement de celui qui est en guerre. La justification qui est donnée est que chacun doit pouvoir être en mesure de résoudre ses problèmes.

Nous pensons que choisir un pays voisin est très négatif et contraire à toutes les règles classiques de la diplomatie : les pays frontaliers sont souvent impliqués dans le conflit ou ils ne sont jamais vus par les parties comme complètement neutres.

Le lieu de la rencontre doit être le plus impartial possible et évoquer l’intérêt pour la paix. Il convient en outre, que le médiateur (institutionnel ou non institutionnel) ait la maîtrise du lieu de la médiation : faire une médiation quand on est trop proche du terrain du conflit signifie s’exposer aux pressions.

Les lieux de la rencontre peuvent être interprétés comme un message : prenons comme exemple, lorsque les Algériens (musulmans) et le FIS ont été reçus à Rome en 1995 à la Communauté de Sant’Egidio. Pour les musulmans le fait d’avoir accepté le geste et l’invitation de la part d’une communauté chrétienne dans une ville symbole de la chrétienté était déjà le signe d’une volonté de dialogue.

Conclusion

En conclusion nous pouvons affirmer que :

  • Mettre le plus grand nombre des personnes autour d’une table ;

  • Imposer ce que la communauté internationale exige ;

  • Préparer des documents selon les techniques déjà reproduites ailleurs ;

  • Aller trop vite ;

  • Prévoir un agenda des conversations ainsi que le début et la fin des négociations ;

Tout cela conduit à l’échec.

Il existe une méthode même si il n’y a pas de règles absolues. S’il existe un espace pour les organisations non institutionnelles, la présence institutionnelle est aussi un facteur clé dans la mise en œuvre d’un processus de paix. La synergie entre l’institutionnel et le non institutionnel est essentiel.

Il y a des moments où la présence des institutions et des gouvernements est fondamentale pour garantir les accords, pour les implémenter et pour le contrôler.

Combien d’accords échouent après la signature !

Il faut aussi avoir la patience de suivre un accord pendant un temps assez long.

L’accompagnement d’un processus ne se termine pas avec la fin des échanges. Il est nécessaire que les acteurs internationaux et gouvernementaux fournissent un effort continu de présence et vérification pour soutenir chaque processus de paix.

Chaque processus se compose de plusieurs étapes :

  • Il y a le moment des contacts ;

  • Celui de la recherche des interlocuteurs ;

  • Celui de la patience des premiers contacts ;

  • Celui de la construction du bon climat de confiance ;

  • Celui du choix du lieu.

Pour tout cela le « non institutionnel » a toutes les chances de réussir.

Puis il y a le moment de la diplomatie, de la garantie et de l’arbitrage, qui est et reste l’espace des institutions.

Entre les deux il y a toute la période des rencontres dans laquelle il faut faire preuve de synergie et coopération entre tout le monde.

Chaque processus de paix est certainement une occasion aussi de faire évoluer des pays en guerre vers la démocratie. Le dialogue et la négociation sont une forme d’apprentissage de la démocratie : se reconnaître, se confronter, accepter le pluralisme des idées et des positions, représentent un réel enjeu de démocratie même pour ceux qui se sont battus pendant des années. De la médiation peut naître la nouvelle cohabitation du futur pour tout un peuple.

Notas

  • Mario Giro est responsable des Relations interntationales au sein de la Communauté Sant’Egidio.