Astrid Fossier, Paris, December 2007
Statut juridique des associations chinoises
Comment parler d’autonomie des associations chinoises si leur droit d’exister n’est pas encore garanti? Les lois qui régissent les associations constituent le principal obstacle à leur existence.
Statut juridique des associations chinoises
Comment parler d’autonomie des associations chinoises si leur droit d’exister n’est pas encore garanti? Les lois qui régissent les associations constituent le principal obstacle à leur existence.
Selon l’article 35 de la constitution de la République populaire de Chine, les citoyens jouissent de la liberté d’association. Cette liberté est une base légale fondamentale pour l’émergence d’une société civile dans quelque pays que ce soit. Et si cette liberté d’association était restée lettre morte jusqu’au début des années quatre-vingt, elle commença à prendre corps en Chine après les réformes.
Un ensemble de textes juridiques vient aujourd’hui règlementer l’enregistrement et la gestion des associations chinoises. La règlementation en vigueur à l’heure actuelle, a remplacé celle instaurée en octobre 1989 par le gouvernement et qui fut alors fortement influencée par les manifestations de Tiananmen et la répression des mouvements pro-démocratiques. La promulgation de nouvelles lois en 1998 a été le fruit d’un long processus de concertation qui commença avec l’annonce faite en 1996 par le ministère des affaires civiles de la création d’un groupe de travail pour l’élaboration de nouvelles règlementations sur les associations et organisations non-étatiques. En raison de la sensibilité du parti sur la question, l’adoption de ces lois fut lente et difficile. Effectivement, le gouvernement encourageait d’une part les « forces sociales » (Shehui Liliang) à répondre aux besoins de sa population qu’il était dans l’incapacité de satisfaire, et d’autre part, toujours sous l’influence des évènements de Tiananmen, il était inquiet, en autorisant la liberté d’association, de libérer des forces qu’il risquait de ne pouvoir maitriser par la suite. Les lois qui furent finalement adoptées reflètent cette inquiétude et peuvent être vues comme une sorte de compromis :
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La règlementation sur l’enregistrement et la gestion des organisations sociales (shehui tuanti dengji guanli tiaoli) adoptée lors de la huitième session plénière du comité permanent du Conseil d’état le 25 septembre 1998.
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La règlementation sur l’enregistrement et la gestion des entreprises populaires non-commerciales (minban feiqiye danwei zhanxing tiaoli) adoptée lors de la même session plénière.
Le contenu de ces deux règlementations fixe les conditions nécessaires à la création d’une organisation sociale ou d’une entreprise populaire non-commerciale, règlemente leur gestion et définit le contrôle auxquelles elles peuvent être soumises (1).
Pour parachever la mise en place du système de gestion des organisations sociales privées, le gouvernement créa en 1999 le bureau de gestion des organisations citoyennes (minjian zuzhi guanli ju) au sein du ministère des affaires civiles, succédant à la division des organisations sociales (shehui tuanti chu). La création de ce bureau et l’adoption de règlementations reflétait à la fois le désir du gouvernement de contrôler ce secteur à l’influence grandissante, mais aussi son besoin de donner une base juridique et administrative plus solide aux organisations sociales qui pouvaient lui être si nécessaires.
L’intérêt principal de ces règlementations réside dans la définition qu’elle donne des associations chinoises. Comme nous l’avons vu, elles sont classées en deux types. Les organisations sociales sont définies comme étant des groupes volontaires de citoyens réunis autour d’un objectif commun et développant des activités non lucratives. Cette définition ressemble fortement à la description des associations inscrites dans la loi française de 1901 : « Une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un autre but que celui de partager des bénéfices ». Et si l’aspect non-gouvernemental n’est pas évoqué dans la définition des organisations sociales chinoises, l’article 3 vient préciser la dimension non-étatique de ces organisations en excluant les structures suivantes :
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Les « organisations du peuple » (aussi appelées organisations de masse) participant à la conférence consultative du peuple chinois (comme la Ligue de la Jeunesse Communiste ou la Fédération Chinoise des Syndicats du Commerce).
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Les « organisations sociales » approuvées directement par le Conseil d’état (comme l’Association des Avocats de Chine).
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Les groupes pouvant être considérés comme des organisations « internes » à des institutions existantes ou à des entreprises.
En ce qui concerne les entreprises populaires non-commerciales, elles sont définies comme étant des « organisations sociales développant des activités sociales à but non lucratif, gérées par des entreprises et des unités de travail institutionnelles, des groupes sociaux et autres forces sociales, ou encore par des citoyens utilisant des moyens non-étatiques ».
Il faut savoir que ces deux grandes catégories, les organisations sociales et les entreprises populaires à but non-lucratif ne sont pas figées. Elles se divisent en sous catégories selon leur forme organisationnelle ou leur domaine d’activité.
Les règlementations de 1998 fixent toutes les procédures liées à leur enregistrement. Tout d’abord, selon ces deux textes, deux entités différentes sont responsables de la gestion des associations chinoises : le Ministère des Affaires Civiles ainsi que le Parti et autres départements gouvernementaux correspondants à l’échelon administratif concerné (national, provincial, préfectoral etc). Les responsabilités de chacun sont réparties comme suit :
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Responsabilités du Ministère des Affaires Civiles :
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a. Formuler les principes, politiques et règlementations concernant la gestion des organisations sociales et des entreprises populaires non-commerciales, et s’assurer de leur application.
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b. Gérer l’enregistrement des associations et le contrôle annuel auquel elles sont soumises (que ce soit des associations chinoises ou étrangères).
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c. Définir les modes de financement des associations.
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d. Superviser les activités des associations et vérifier que celles-ci sont conformes à la loi.
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Responsabilités du Parti et des autres départements gouvernementaux :
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a. Valider le choix des présidents, vices-présidents, directeurs exécutifs et des secrétaires généraux des associations.
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b. Examiner et valider la nature des activités.
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c. Superviser le travail de tous les jours.
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d. Contrôler les finances.
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On voit que même si les associations semblent avoir une indépendance totale en matière de financement, elles sont toujours soumises à un fort contrôle de la part des autorités. Les deux textes stipulent qu’avant même de voir leur dossier de demande d’enregistrement analysé, les organisations sociales et les entreprises populaires non-commerciales doivent recevoir l’aval des autorités administratives compétentes et avoir un « sponsor officiel », soit souvent une agence gouvernementale travaillant dans le même domaine. Ce « sponsor » est appelé « Unité professionnelle de référence » (Yewu zhuguan), ou « belle-mère » (popo) en langage parlé. Lorsque ces deux conditions sont remplies, alors seulement le dossier peut-être examiné.
Les procédures à suivre pour enregistrer une association à but non-lucratif sont relativement contraignantes, notamment pour les organisations sociales. Effectivement, celles-ci doivent répondre aux critères suivants :
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Compter 50 membres individuels ou plus de 30 membres institutionnels. Si les deux catégories de membres sont mélangées, alors l’association doit compter au minimum 50 membres.
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Avoir un nom standard qui n’offense pas la moralité publique et qui ne contienne pas, sauf accord express, le mot « Chine » ou les expressions « de Chine », « de toute la Chine » etc.
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Être dotée d’une capacité organisationnelle.
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Disposer d’un siège fixe.
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Être composée de membres compétents et qualifiés dans le domaine d’action choisi.
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Avoir une masse juridique et un source de financement. Les associations au niveau national doivent disposer d’un minimum de 100 000 CNY (2) pour assurer leurs activités, et les associations au niveau local doivent quant à elles disposer d’un minimum de 30 000 CNY.
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Être juridiquement responsables.
Les conditions requises pour tout enregistrement sont relativement contraignantes, au niveau administratif comme au niveau financier. Toutefois, c’est de trouver une unité professionnelle de référence qui représente l’obstacle majeur pour l’enregistrement des associations, un grand nombre d’entre elles rencontrant de grosses difficultés à trouver un organisme près à jouer le rôle de garant auprès du Ministère des Affaires Civiles. Beaucoup d’organismes ne veulent pas engager leur responsabilité auprès d’associations dont la viabilité n’est pas garantie. Les organisations qui ne trouvent pas d’unité professionnelle de référence n’ont donc comme unique solution que de s’enregistrer en tant qu’entreprise commerciale auprès du Bureau du Commerce et de l’Industrie ; et lorsqu’une demande d’enregistrement est rejetée, aucune procédure d’appel n’est possible.
Ainsi la difficulté de trouver un organisme garant ajoutée aux autres restrictions qu’implique la législation explique le faible nombre d’associations officiellement répertoriées. Selon des statistiques du ministère des Affaires Civiles, sur la totalité du territoire, le nombre d’organisations sociales enregistrées serait d’environ 300 000 en 2007, alors que selon NPO Networks (3), une plate-forme d’associations chinoises, le nombre d’associations non-enregistré s’élèverait à deux millions. Quant au nombre d’entreprises populaires à but on-lucratif, leur nombre serait d’environ 159 000.
Un point qui nous semble particulièrement important et contraignant pour les associations est la règlementation sévère de leur domaine d’activité. Une étape importante pour l’enregistrement d’une association est l’étude par le parti du registre d’activité de l’association. En dehors des obligations énoncées dans l’article 3 de respecter la constitution, les lois de l’état, les règlementations et politiques ; de ne pas s’opposer aux principes de base de la constitution (à savoir notamment la dictature du parti unique) ; de ne pas porter atteinte à l’unité, la sécurité et l’harmonie ethnique ou aux intérêts de l’état, de la société, d’autres organisations ou des citoyens, et enfin de ne pas offenser la moralité publique ; aucune mention n’est faite de domaines d’activités particuliers qui seraient interdits aux associations. Cette absence de précision laisse tout pouvoir aux cadres du Parti et aux autorités qui examinent en premier lieu la demande d’enregistrement de l’association, de lui accorder ou non, et selon des critères purement subjectifs, la possibilité d’avoir un statut légal. Cela soumet le développement de la société civile chinoise à des décisions arbitraires extrêmement dommageables. L’article 13 souligne ce pouvoir de l’agence d’enregistrement et de gestion des associations dans son alinéa 1, mais énonce aussi dans l’alinéa 2 une autre restriction très dangereuse :
« Article 13 : L’agence d’enregistrement et de gestion des associations n’approuvera pas les dossiers dans les cas suivants :
- 1. Si la preuve est apportée que les objectifs et le domaine d’action d’une organisation sociale ne correspondent pas à l’article 3 (« les organisations sociales doivent observer la constitution, les lois et les règlementations et politiques nationales ; ne doit pas s’opposer aux principes de base de la constitution ni porter atteinte à l’unité, la sécurité et l’harmonie ethnique du pays etc ».)
- 2. Si dans le même échelon administratif existe déjà une autre organisation sociale travaillant dans un domaine identique ou similaire, il n’est pas nécessaire qu’une seconde soit créée. (…) »
L’alinéa deux de cet article nous montre que le gouvernement n’est pas favorable à ce que plusieurs associations œuvrent sur le même thème dans une même aire géographique. Cette restriction nous parait être révélatrice de la manière dont le gouvernement appréhende le phénomène associatif. Effectivement, si plusieurs associations travaillent dans le même domaine, elles peuvent alors décider de s’allier pour plaider leur cause auprès du gouvernement et des instances décisionnelles. C’est ainsi la vision du monde associatif comme un contre-pouvoir potentiel qui pousse à la méfiance le gouvernement chinois. Cette situation semblerait toutefois être en train d’évoluer, puisque selon certaines sources du Ministère des Affaires Civiles, un texte de loi aurait été défini, il serait à l’heure actuelle au stade pilote dans certaines régions.
Notes
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(1) : Il existe un autre texte législatif adopté en 1999 : la réglementation sur l’enregistrement et la gestion des institutions non-commerciales (shiye danwei). Or ces organisations étant financées par l’état, nous avons décidé de ne pas les inclure dans notre étude.
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(2) : 1 € = 10,85 CNY (au 10/12/2007).
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(3) : Non-Profit Organisations Network.