Morgane Auge, Pierre Bardin, Emmanuel Bargues, Christelle Bony, Claire Grandadam, Nicholas Zylberglajt, Paris, juin 2006
La constitution de réseaux argentins en France
L’arrivée des exilés argentins ayant connu des expériences similaires a favorisé la constitution de réseaux de solidarité argentins en France.
Les associations et autres organisations d’exilés argentins en France ont mis l’accent sur la dénonciation des violations des droits de l’Homme par le régime dictatorial en Argentine. En règle générale, la dénonciation de ces violations a eu deux objectifs. D’une part, il s’agissait de promouvoir la solidarité parmi les exilés argentins. D’autre part, elle entendait éveiller un intérêt pour la cause argentine au sein de la société française et a fortiori dans le monde occidental.
De nombreuses organisations d’exilés
Les organisations au sein desquelles se sont organisés les exilés argentins pour leur activité de dénonciation étaient nombreuses. En ce qui concerne les associations à vocation générale, les plus importantes ont été :
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le Centre Argentin d’Information et de Solidarité (CAIS) ;
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la Commission Argentine des Droits de l’Homme (CADHU) ;
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la Commission de Solidarité des Parents des Prisonniers, Disparus et Tués en Argentine (CO.SO.FAM).
Du côté des associations fondées sur une identité professionnelle, peuvent être mentionnés :
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les Travailleurs et Syndicalistes Argentins en Exil (TYSAE) ;
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l’Union des Journalistes Argentins Résidants en France (UPARF).
Très tôt après le coup d’Etat, de nombreux professionnels du droit, consternés par la situation argentine, se sont en outre mobilisés en France. L’Association Internationale des Juristes Démocrates a ainsi rapidement envoyé un de ses membres en Argentine pour élaborer un rapport et faciliter les contacts entre juristes et avocats, afin de leur fournir de l’assistance. La coopération et l’entraide entre avocats et juristes français et argentins en France, très importante, a conduit à la création du GAAEF, le Groupe d’Avocats Argentins Exilés en France, qui, jusqu’en 1983, a œuvré à récolter et à diffuser de l’information sur les cas de répression en Argentine visant les confrères encore dans le pays, organisant de nombreuses réunions, bulletins, communiqués et publications. Ces organisations étaient très actives, notamment le CAIS et la CADHU, dans leur rôle d’information et de dénonciation vis-à-vis de la société française. Elles ont publié des bulletins d’information et organisé des manifestations pour tirer la sonnette d’alarme sur ce qui se passait en Argentine.
Certains préfèrent rester à l’écart
Certains exilés ou réfugiés ont toutefois préféré rester à l’écart de ces réseaux de solidarité ou de militants, et, en tous cas, ne se sont pas engagés dès leur arrivée. Ils participaient de temps en temps aux quelques grandes réunions qui s’organisaient à Paris sans faire partie des associations. Cette attitude s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, elle semble résulter des difficultés rencontrées lors du processus d’intégration qui les absorbaient. Un certain éparpillement sur l’ensemble du territoire ne favorisait d’autre pas le militantisme. Les difficultés d’apprentissage de la langue, pour les Argentins, ont aussi joué leur rôle, requérant de gros efforts. En outre, en dehors de toute considération matérielle, la dimension psychologique du traumatisme vécu a pu se traduire par une volonté de rompre, au moins un certain temps, avec un passé fortement douloureux. La difficulté de communiquer l’expérience vécue, que ce soit à l’entourage ou à des tiers, était importante. Enfin, pour obtenir le statut de réfugié en France, les candidats étaient tenus de signer une déclaration par laquelle ils renonçaient à toute activité politique préjudiciable à la France. Ceci a pu décourager certains militants (le sujet fait débat). D’un autre côté, l’effet intégrateur de certains centres d’hébergement, comme celui de Massy, qui ont favorisé la constitution de réseaux, apparaît très fort et explique a contrario le faible engagement de ceux qui ne bénéficiaient pas de telles facilités.
Un manque de coordination entre réseaux français et argentins
Il semble par ailleurs que les réseaux d’Argentins n’ont pas toujours eu beaucoup de relations avec les réseaux français, même quand ils militaient pour la même cause. A l’époque un certain manque de coordination existait entre les structures existantes. Des tentatives de contact entre Français et Argentins ont eu lieu et certaines ont réussi, notamment pour les organisations juridiques. La CADHU, déjà citée, a travaillé en collaboration avec des militants français comme ceux faisant partie du CSLPA (Comité de soutien aux luttes du peuple argentin). D’autres ont échoué, comme le rapprochement entre le CAIS et le CSLPA. Sans entrer dans les raisons de ces échecs, il convient de noter qu’ils ont pu nuire à la construction de réseaux de solidarité franco-argentine à but militant. Le sujet mérite qu’on s’y arrête.