Nathalie Cooren, Paris, mars 2006
Atelier de paix en Inde : « Action pour la paix et recherche de sens par la non-violence »
L’objectif général de cette rencontre est de parvenir à faire en sorte que les divers acteurs de paix locaux identifient en commun des enjeux majeurs de la paix en Inde, tout en favorisant la capitalisation du savoir-faire sur la méthode non-violente de gestion des conflits.
Mots clefs : Théorie de la non-violence | Dialogue inter-religieux pour la paix | Capitalisation de savoirs faire pour la paix | Résolution non violente des conflits | Résistance non violente | Action non violente | Echanges entre des acteurs de paix | Travailler en Alliance | Dialogue entre les acteurs de paix | Gandhi | Martin Luther King | S'opposer de façon non-violente à la guerre | Enrichir les échanges sociaux | Inde
L’art de la paix, enjeu majeur de notre siècle, renvoie notamment à « la conduite de la transition de la guerre à la paix, de la gestion violente à la gestion non-violente des sociétés »(1). Or, face à l’inefficacité des procédures actuelles, voire à leur totale impuissance, ainsi qu’au choix d’une réponse à la violence par la violence trop souvent opéré en cas de conflits, l’initiative Irenees entend proposer une méthode sérieuse en vue non seulement de repenser la paix mais également de concevoir de nouveaux modes d’action.
A cet égard, et en continuité avec son projet d’Alliance d’Artisans de paix, Irenees a accédé à la demande de partenaires locaux en organisant des rencontres régionales destinées à permettre la mise en commun des réflexions et expériences des différents acteurs qui se préoccupent de l’art de la paix dans des situations de conflit, que ce soit dans un contexte de reconstruction de la paix après la guerre ou de prévention de la guerre par la gestion des conflits.
En ce sens, une rencontre prévoyant l’organisation d’un atelier de paix aura lieu entre « Irenees » et « Pipal Tree »(2) au mois de novembre 2006 - à Fireflies Ashram, Bangalore - et sera notamment l’occasion de relever un double défi :
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Réunir autour d’une même table des acteurs de paix s’identifiant en termes d’identités religieuses distinctes et dépasser ainsi les obstacles aux dialogues, inhérents à toute société multireligieuse. Il s’agit de contribuer à développer les contacts entre adeptes de religions différentes en suscitant des échanges bilatéraux et multilatéraux afin de nouer des relations de confiance et pénétrer le sens des grands courants de la vie religieuse, intellectuelle et politique des différentes communautés de croyants.
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Faire en sorte que les diverses communautés religieuses, à travers ces dialogues et contacts, se comprennent davantage et puissent travailler ensemble plus étroitement en abordant des questions communes d’enjeux majeurs, tels que la construction de la paix en termes d’Alliance.
En un mot, le défi consiste - dans un pays où les divers acteurs de paix locaux ont tendance à inscrire leur travail dans une démarche plus individualiste que collective - à réunir des croyants d’appartenance religieuse différente afin de leur apprendre à se connaître, à dialoguer et de les inciter à réfléchir sur des questions communes ainsi qu’à traiter en concertation les conflits facteurs de division.
I. L’identification commune d’enjeux majeurs pour la paix par des acteurs « dispersés »
Huit problématiques, concernant l’identification d’enjeux majeurs pour la paix en Inde, ont été retenues par les organisateurs de la rencontre - Henri Bauer d’Irenees, Siddhartha et John Anugraha de Pipal Tree :
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1/ Droits des enfants ;
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2/ Conflits interreligieux ;
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3/ Logement et conditions de vie dans les bidonvilles ;
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4/ Endettement des paysans : le problème des suicides ;
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5/ Gestion de l’eau ;
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6/ Lutte contre le sida ;
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7/ Médias et paix ;
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8/ L’appropriation du pouvoir par les femmes (empowerment).
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L’Inde est un continent aujourd’hui en pleine ébullition économique et les acteurs de paix indiens ont tendance à vouloir évoluer de façon très rapide ainsi qu’à servir leurs intérêts dans une démarche davantage identitaire que collective, « en travaillant non pas contre les autres » mais « sans les autres ».
L’un des enjeux de l’art de la paix étant de parvenir à travailler et avancer ensemble sous forme d’Alliance, Irenees a considéré qu’il était prioritaire de commencer par encourager les différents acteurs de paix en ce sens, afin de les amener à découvrir les similitudes de leurs défis et les convergences de leurs objectifs.
Tel est l’un des buts de l’organisation d’un atelier de paix dans cette partie du globe.
Pour ce faire, une cinquantaine d’acteurs de paix - de milieux socio-professionnels différents (3) et en provenance de l’ensemble du sous-continent indien - seront conviés à participer à cette rencontre, afin de présenter leurs réflexions, initiatives et savoir-faire en matière de construction de la paix puis en débattre, échanger, partager et s’enrichir pour finir par identifier des transversalités et des convergences.
L’atelier donnera lieu à l’élaboration sur place d’un dossier - composé des interventions des uns et des autres, des travaux de groupes, de la présentation des organismes présents, de quelques entretiens - qui viendra enrichir le site < irenees.net>.
A l’issue de cette rencontre, Irenees pourra inviter quelques-uns des participants à faire partie de l’Alliance d’Artisans de paix et au site web de ressources < irenees.net>, l’objectif étant à terme, de parvenir à concrétiser des partenariats.
II. Favoriser la capitalisation de la méthode de gestion non violente des conflits
A l’heure actuelle, les conflits (4) sont aussi multiples que variés et l’expérience des atrocités commises dans le passé n’ont malheureusement nullement permis d’éviter que l’Histoire ne se reproduise, que le recours à la violence ne continue d’être le moyen le plus utilisé pour tenter de mettre fin à une situation conflictuelle.
A ce triste constat s’ajoute celui de conflits d’un genre nouveau (5), le plus souvent intra-étatiques, et dont la principale cible s’avère être la population civile (6). Les exemples récents sont extrêmement nombreux (Irak, Liban …) de conflits qui engendrent de véritables catastrophes humanitaires, décimant des populations entières.
Or, est-il tout à fait aberrant de considérer que la gestion des conflits puisse avoir lieu de façon non-violente ? Est-il totalement insensé de penser qu’un conflit puisse se résoudre sans que l’une des parties n’ait d’autres choix que de massacrer l’autre pour assurer sa survie ? Si une réponse toute tranchée est loin d’être évidente et si l’utilisation de la force peut parfois être nécessaire dans un premier temps pour imposer la paix, nombreux sont ceux qui ont foi dans la possibilité de limiter de manière raisonnée la destructivité inhérente à tout conflit par le biais d’actions non-violentes.
N’est-ce pas également l’intime conviction des artisans de paix présents aux quatre coins du monde et qui chaque jour tentent de tout mettre en œuvre pour parvenir à l’édification d’un monde en paix ?
En ce sens la méthode non-violente de gestion des conflits et différences proposée et développée par nos partenaires en Inde retient tout notre intérêt. Elle défend l’idée selon laquelle il est possible d’obtenir la paix par négociations et consensus entre acteurs d’un conflit, à la différence d’une méthode qui privilégie la construction de l’image de l’autre en tant qu’ennemi justifiant le combat pour le dominer.
La non-violence refuse la violence mais il ne s’agit nullement de pacifisme : celui-ci s’oppose à toute forme de violence tandis que le non-violent l’admet dans certaines circonstances ; le pacifisme “dénonce les horreurs de la guerre sans proposer des moyens réalistes pour y mettre un terme : [seulement la] guerre ne mérite pas uniquement une condamnation, elle exige une atlernative ” (7). Or la non-violence met en œuvre quant à elle, une résistance active : il n’est pas question de nier l’existence ni la réalité même des confrontations, mais bien au contraire d’adopter une vision différente du conflit en tant que tel, de chercher à gérer la situation de façon consensuelle - en tenant compte des sentiments, des besoins et des valeurs de toutes les parties -, et à proposer des méthodes non-violentes pour agir efficacement contre la violence. L’action non-violente permet de “vivre les conflits comme des occasions de construire des relations plus justes et plus équilibrées.” (8)
A cet égard, la méthode non-violente de gestion des conflits est à l’opposée de celle qui prône la construction de l’image de l’autre tel un ennemi à abattre, car cette dernière ne résout un conflit que ponctuellement et par la violence. Une violence inévitable dès lors qu’il s’agit d’anéantir la partie adverse pour que cessent les hostilités. Si dans un cas le processus peut être délicat et le compromis difficile à trouver, dans l’autre, la radicalité de la méthode ne constitue nullement un gage de paix durable, bien au contraire, la frustration de la partie lésée laissant craindre que la situation de tension entre les acteurs ne s’éternise pour finalement exploser à nouveau. En effet, « toute la difficulté réside dans la maîtrise de la confrontation vitale afin que celle-ci ne se dégrade pas dans l’exercice de la violence » (9), étant entendu que « la violence crée la peur qui elle-même engendre la violence. »
Historiquement, la non-violence puise ses racines essentiellement dans l’enseignement de Bouddha puis dans les écrits et les combats de Gandhi en Inde et de Martin Luther King aux Etats-Unis. Aujourd’hui nombreux sont ceux qui oeuvrent à leur tour au développement d’une approche non-violente de la gestion des conflits afin que triomphe l’édification d’une paix durable et authentique pour tous.
La mise en place d’un véritable « art de la paix » - entendu comme « l’art de gérer pacifiquement les conflits » - doit permettre « la construction d’une communauté mondiale autour de valeurs et objectifs communs » (10), condition sine qua non pour éviter que le recours à la violence ne continue d’être la solution de facilité et faire en sorte que la diversité et les contradictions inhérentes à toute société puissent être gérées dans le respect et la solidarité.
Or, la méthode de gestion non-violente des conflits entend constituer une réponse à cet enjeu majeur du XXIè siècle : parvenir à vivre en paix ensemble quelles que soient nos différences, nos contradictions et désaccords sans tomber dans l’escalade d’une violence meurtrière.
III. conclusion
La rencontre en Inde sera l’occasion d’approfondir cette méthode dans une démarche collective et de l’enrichir des savoirs et de l’expérience de l’ensemble des acteurs de paix qui y participeront ; elle permettra de faire un pas de plus vers l’élaboration d’une expertise internationale destinée à l’élaboration progressive d’un art de la paix.
Notes
(1) : Pierre Calame, « Mission Possible. Penser l’avenir de la planète », Ed. Charles Léopold Mayer, Paris, 2003.
(2) : « Pipal Tree » est un groupe basé à Bangalore et qui travaille sur des questions de pluralisme culturel, paix inter-religieuse, citoyenneté, gouvernance et spiritualité de la terre.
(3) : Les participants de cette rencontre pourront être constitués de militants, d’ONGs travaillant pour la paix, d’intellectuels, d’experts, de responsables religieux, de responsables politiques etc.
(4) : On entend par “conflit”, l’affrontement de deux ou plusieurs volontés individuelles ou collectives qui manifestent les unes à l’égard des autres une intention hostile et une volonté d’agression, à cause d’un droit à retrouver ou à maintenir. Ces volontés essaient de briser la résistance de l’autre, éventuellement par le recours à la violence.
(5) : Les guerres contemporaines souvent qualifiées de “nouveaux conflits” font référence à des affrontements qui semblent inédits parce qu’ils sont destructurés, font une majorité de victimes civiles et emploient un armement peu classique, faisant parfois appel au terrorisme. Voir Site : www.icrc.org.
(6) : « Les pertes civiles représentent dans les conflits récents, 90 % des pertes totales, alors que la proportion était inverse, pour la première guerre mondiale, entre civils et militaires. », Général Jean Cot, « Parier pour la paix », Ed. Charles Léopold Mayer, Paris, 2006.
(7) : Lexique de la non-violence, 1988, Alternatives Non-Violentes (ANV), avec le soutien de l’IRNC (Institut de recherche sur la Résolution non-violente des conflits).
(8) : Voir site : www.non-violence.ch/doc/dossier/nonviolence.html
(9) : Général Jean Cot, « Parier pour la paix », Ed. Charles Léopold Mayer, Paris, 2006.
(10) : Pierre Calame, « Mission possible. Penser l’avenir de la planète », Ed. Charles Léopold Mayer, Paris, 2003.