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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’analyse Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, août 2006

Messieurs les militaires et messieurs les civils, encore un petit effort !

Vers une conscience européenne de sécurité et de défense.

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Peut-on vraiment hésiter aujourd’hui, en matière de relations internationales, de sécurité et de paix, entre unilatéralisme et multilatéralisme, entre repli sur soi et effort d’intégration, ou encore entre réflexe identitaire et mondialisation ?

La question peut-elle être, en même temps : « Moins d’Europe ou plus d’Europe ?  » Les bases d’une Europe unifiée comme seule réponse possible au défi de la guerre et de la paix ayant été jetées par les Pères fondateurs, nous sommes contraints d’aller jusqu’au bout d’une logique qui ne concerne pas uniquement les intérêts étroits de notre continent – ce qui n’est déjà pas mince ! - mais bien la situation mondiale : la sécurité et la défense sont l’affaire de tous. Elles doivent à la fois intéresser le citoyen dans toutes leurs dimensions et faire l’objet de la plus grande attention de la part des instances qui ont la responsabilité de poursuivre la construction, complexe mais incontournable, de l’Europe politique.

Le séminaire que nous avons organisé avec l’association « Civisme Défense Armée Nation » (CiDAN), les 15, 16 et 17/10/2003, en un lieu symbole, au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, puis à Klingenthal, pour encourager le développement d’une conscience européenne de sécurité et de défense, nous suggère trois réflexions qui peuvent orienter les efforts de construction de la paix.

I. Question d’alliance.

Notre recherche s’est rapprochée de celle d’une organisation comme le CiDAN, principalement animée par d’anciens militaires, sur fond d’une conviction partagée avec une autre institution, la Fondation Charles-Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme : il ne saurait être question de traiter de construction de la paix en ignorant le point de vue des militaires. Dans la perspective d’une « assemblée mondiale de citoyens », réunie dans le cadre, précisément, d’une « alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire » que soutient cette fondation, il est apparu indispensable de constituer un « collège de militaires ». Ce qui était en jeu, ce n’était pas l’exploitation automatique, en quelque sorte, de « dividendes de la paix », supposés résulter de la fin de la guerre froide, mais, plus globalement, la prise en compte du besoin de sécurité qu’expriment les sociétés humaines.

Il est difficile de nier que, sur notre continent européen, nous avons su répondre à ce défi par un processus d’intégration qui, s’il n’a pas résolu tous les problèmes, a permis de renoncer à la guerre comme mode de résolution des conflits, depuis plus de cinquante ans. La démarche qui consistait, après deux guerres mondiales ayant atteint des sommets d’inhumanité, à accompagner l’affirmation « Plus jamais ça ! » d’un processus de dialogue et de coopération destiné à contraindre les anciens adversaires à entreprendre, selon les termes de la Déclaration Schuman de 1950, des « réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » peut être observée comme une « méthode ». Cette logique, qui associe la sécurité et le développement, globalement source de bienfaits, a eu un effet stabilisateur sur toute une région et est évoquée désormais comme marche à suivre pour parvenir à la constitution d’autres pôles régionaux de stabilité dans le monde. Il en est ainsi explicitement question dans le cas de l’Amérique du sud, où des pas très significatifs ont été faits dans ce sens avec un début de « marché commun » - le « Mercosur » - mais aussi du Moyen-Orient, là plutôt sous la forme d’un vœux que font certains à la place des belligérants, avec la conviction que ceci pourrait hâter la sortie du conflit.

C’est bien le processus d’alliance qui est une clé de la paix. Nous le soulignons, par exemple, auprès de différents partenaires colombiens que nous accompagnons dans leurs efforts pour sortir leur pays de son conflit interne. Nous avons nous-mêmes rejoint, dans ce pays, une démarche dénommée : « Alliance pour l’éducation à la paix » afin que nos actions, dans ce domaine, soient plus efficaces. D’une manière générale, il est certainement déterminant d’en faire une règle fondamentale de la stratégie de la paix que devrait prioritairement s’imposer le milieu des ONG qui est le nôtre.

II. Moins de militaire et davantage de civil.

Cette construction européenne se réalise sur une toile de fond qui, dans une perspective historique encore plus large, montre le glissement progressif du recours à la force et aux moyens militaires vers les solutions à caractère politique et diplomatique. Si le siècle qui vient de s’achever reste marqué par deux grands conflits mondiaux, il est aussi celui qui aura vu les tentatives les plus ambitieuses d’organisation de la paix au niveau mondial. « Les hommes [s’étant] donné des juges pour éviter de se battre sur des questions d’intérêt, les nations peuvent bien s’en donner pour éviter d’ensanglanter des champs de bataille » ; c’est ainsi qu’Aristide Briand s’exprimait devant l’assemblée de la SDN en 1929 pour évoquer les efforts visant à « faire l’économie des guerres » et que l’on retrouvera après la seconde guerre mondiale sous la forme du projet encore plus élaboré de l’Organisation des Nations unies. Cette évolution est si profonde qu’elle a permis à certains observateurs de considérer que l’on se dirige vers la « fin de l’ordre militaire ». Ceci représente une véritable « révolution intellectuelle et politique » dont les travaux du séminaire de Strasbourg / Klingenthal nous ont aussi fait prendre la mesure.

Logiquement, ce que la table ronde sur le point de vue des militaires a mis en évidence, est la cohérence et la solidité d’une organisation et une tradition qui font aussi « la force des armées » et expliquent donc l’efficacité de l’institution. Celle-ci se caractérise par son professionnalisme et si l’on a évoqué la suppression du service national en France - globalement pour en souligner les aspects négatifs - c’était beaucoup moins pour reprendre la vieille antienne sur le risque « d’aventure » que ferait courir l’existence d’une armée de métier, que pour regretter la perte du lien que la conscription assurait avec la nation. Il y avait un peu du lapsus révélateur dans les propos du président de cette table ronde lorsque, dans ce contexte, il a enchaîné sur l’esprit de défense après l’esprit militaire. En effet l’enjeu qui était au centre de la rencontre est moins la sauvegarde d’un esprit qui, en la circonstance, s’apparenterait à « l’esprit de corps », cet attachement, ce dévouement au groupe auquel on appartient, que le développement d’une conscience, c’est-à-dire aussi, fondamentalement, d’une capacité à porter un jugement de valeur sur des actes liés à la nécessité de la sécurité et d’une défense.

Si le temps des levées en masse est bien révolu, il importe de rappeler, face à cette tendance longue à la « démobilisation » du citoyen, dans tous les sens du terme, que l’armée ne remplit son rôle que par délégation, à la fois, de chaque citoyen et de la nation toute entière. Mais l’heure est plutôt à la montée de la société civile et ce sont les actions citoyennes de nature sociale, économique et politique de celle-ci qui peuvent être déterminantes. La part que prennent les ONG à la résolution des conflits peut l’être particulièrement et il fallait entendre, récemment, tel commandant des forces françaises au Kosovo rappeler les autres acteurs à leurs responsabilités pour mesurer le degré de reconnaissance de l’utilité de leurs actions. Beaucoup reste à faire néanmoins pour atteindre un autre palier qui consisterait à investir davantage dans ces processus de résistance civile non armée qui, dans un certain nombre de cas, ont permis d’éviter la guerre. Il s’agirait bien d’enrichir l’offre stratégique par un effort de réflexion et de recherche sur les actions civiles de défense et de paix. Madame Trautmann, ancienne ministre, s’est prononcée clairement en faveur d’un volontariat civil dans son intervention.

III. Un problème de gouvernance

Les débats de Strasbourg / Klingenthal ont souligné la spécificité des questions de sécurité et de défense. Outre le rappel des exigences de rigueur et d’efficacité, référence fut faite aux valeurs au nom desquelles on estimera devoir lutter ou se défendre et qui exigent une discipline. En même temps, nos sociétés se caractérisent par une complexité toujours plus grande, notamment du jeu des différents acteurs concernés ; à côté des militaires, non seulement les politiques et les diplomates, mais aussi les entreprises, les médias et, plus récemment encore, comme nous venons de le souligner, les associations. Et le militaire attend de plus en plus des différents acteurs de la société que chacun, dans son cadre et à son niveau, assume pleinement ses responsabilités. C’est particulièrement le cas du politique, la nature de la mission confiée aux militaires réclamant du pouvoir auquel ils sont soumis qu’il fixe clairement les objectifs et la direction et que chacun joue son rôle.

En ces temps de forte contestation de la crédibilité, voire de la légitimité, du politique, n’est-on pas devant un problème manifeste de gouvernance, tel qu’il nous permet de mieux comprendre la signification et l’intérêt de ce concept ? Il s’agit bien, en effet, de repenser la gestion de nos sociétés, de concevoir autrement l’art de gouverner lorsque les systèmes de régulation politique ne sont plus à l’échelle de notre humanité et qu’une architecture nouvelle est à inventer. S’entendre sur les raisons d’agir c’est faire l’état des grands défis mondiaux. Relever ceux-ci ne peut se faire sans la coopération de tous étant donné leur caractère systémique et l’interdépendance entre les actions à conduire.

Mais de telles évolutions ne pourront se produire sans que les acteurs soient formés à une approche intégrée et partenariale. Sur le plan de la formation, Maurice Bertrand, haut fonctionnaire de l’Etat français mais aussi des Nations unies et qui enseignât également à l’Ecole Nationale d’Administration et à l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève, dans son essai sur « La fin de l’ordre militaire », soulignait que le succès de l’évolution qu’il percevait dépendrait « des progrès qu’auront fait les idées nouvelles dans les esprits » et que « le perfectionnement de cet outillage intellectuel représente donc un enjeu fondamental ». Nous essayons de relever ce défi en tant qu’école de la paix, en insistant sur le caractère global de ce concept de paix, chaque citoyen étant plus que jamais appelé à se définir comme « citoyen du monde ». C’est, en particulier, ce qu’il faudrait viser au niveau de l’université en compensant les risques d’hyperspécialisation, inhérents à sa vocation, par le développement du travail en réseau qui encourage la coopération, voie de l’avenir.

IV. Le défi de l’Union européenne

L’Union européenne est une somme de défis que des peuples et des nations libres ont choisi de relever ensemble pour, globalement, vivre des relations apaisées et vivre mieux. En réalité, si tel est bien le résultat – et c’est déjà un acquis remarquable dans l’histoire des hommes ! – cette construction demeure un pari qui lui vaut, inévitablement, la double critique de l’atteinte à la souveraineté nationale et de l’arrogance technocratique. Il en sera ainsi tant que les bénéficiaires de ce projet n’auront pas fait leur les éléments structurants fondamentaux de cette nouvelle communauté. La réponse au besoin de sécurité par la constitution d’une défense effectivement européenne - c’est-à-dire intégrée et devenant un véritable instrument d’une politique étrangère autonome et assumant ses choix - en est un et d’importance. Si le séminaire de Strasbourg / Klingenthal a souligné que cette conscience de sécurité et de défense doit donc être suscitée et entretenue chez les citoyens européens, il a aussi laissé voir que l’avenir est à une combinaison croissante des moyens militaires et des initiatives civiles.