Florence Croidieu, Paris, 2002
La coordination de l’aide internationale dans les situations de reconstruction de la paix : leçons de la Banque mondiale
La Banque mondiale a cherché à définir les éléments indispensables pour que la coordination de l’aide internationale soit efficace dans le cadre de la reconstruction post-conflit.
Mots clefs : Initiatives de coopération politique internationale pour la paix | Aide financière internationale pour la paix | Financer la construction de la paix | Banque Mondiale | Gouvernement national et paix | Organisation humanitaire et paix | Institution financière internationale | Réformer les rapports sociaux
Dans une logique de réflexion sur son rôle dans les pays sortant d’un conflit, la Banque mondiale tente de déterminer les domaines pour lesquels elle possède un avantage par rapport à d’autres acteurs internationaux. Parmi ces avantages dits comparatifs (cf. fiche sur les avantages comparatifs de la BM dans les situations post-conflit), la Banque estime qu’elle a souvent montré sa capacité à coordonner l’aide internationale, en particulier en favorisant la mobilisation de cette aide, en définissant un cadre d’action commun aux bailleurs de fonds internationaux et en renforçant les capacités de coordination des gouvernements.
Cette fiche s’inscrit dans cette logique et présente, à partir d’une lecture critique de rapports du Département d’Evaluation des Opérations de la Banque mondiale, une analyse des réflexions de cette dernière sur la coordination de l’aide internationale dans les situations post-conflit.
Du fait de la multiplicité et de la complexité des conflits sur la scène mondiale, aucun acteur international ne se permet plus, aujourd’hui, d’intervenir seul pour porter assistance à un pays sortant d’un conflit. En effet, l’ampleur du travail de reconstruction implique, dans chaque cas, un travail de collaboration et de coordination.
Cependant, rien n’est moins évident que de coordonner les activités et les programmes de l’ensemble des acteurs présents dans un pays sortant d’un conflit. Tout d’abord parce qu’ils sont souvent en nombre très important. A titre d’exemple, en Bosnie-Herzégovine, plus de soixante bailleurs bilatéraux et multilatéraux étaient présents. Mais surtout, parce que leurs intérêts divergent. Les situations post-conflit regroupent des acteurs civils, économiques, politiques et militaires, qui n’ont pas les mêmes raisons de participer à l’effort de reconstruction.
Ces divergences sont à l’origine de rivalités pour la direction des efforts de reconstruction et de coordination de l’aide. Forte de ses expériences, la Banque mondiale a cherché à définir les éléments indispensables pour que la coordination de l’aide soit efficace dans le cadre de la reconstruction post-conflit.
I. Les clefs de la coordination selon la Banque mondiale
1. Un engagement rapide et coordonné des principaux acteurs de la reconstruction
Les acteurs impliqués dans l’effort de reconstruction doivent à tout prix avoir coordonné leurs actions et mobiliser des fonds avant la signature des accords de paix. Ainsi, ils peuvent travailler ensemble à l’écriture de rapports sur la situation du pays et sur les éléments à intégrer aux programmes de reconstruction.
2.Une reconstruction multidimensionnelle et multi-sectorielle
La reconstruction post-conflit ne concerne pas seulement les infrastructures. L’effort de reconstruction sert aussi à rebâtir des institutions et à encourager la réconciliation. Les activités mises en place lors de cet effort sont très variées. Ce peut être un soutien institutionnel, une assistance technique, l’organisation d’élection ou un soutien à la démocratie, le financement d’ONG locales ou des mesures d’ordre macro-économiques, etc… La coordination de l’aide doit reposer sur ce principe de multi-dimensionalité afin que la reconstruction post-conflit soit homogène et complète.
3. Des liens entre économie et politique
Lors de la reconstruction post-conflit, les processus économiques et politiques doivent s’informer l’un l’autre. Sinon, il y a un risque que le processus de paix, qui repose, selon la Banque mondiale, sur trois piliers (le politique, l’économique et le militaire), manque de cohérence.
4. Consulter et impliquer tous les partis intéressés
De nombreux acteurs, aussi bien nationaux qu’internationaux, sont concernés par un processus de paix. Les coordinateurs de l’aide et de l’effort de reconstruction doivent développer une approche participative incluant les responsables du gouvernement, les groupes ethniques, les partis politiques, les ONG, le secteur privé et tout autre acteur concerné par le conflit et sa résolution. Selon la Banque mondiale, la mise en pratique cet effort d’intégration est nécessaire, mais difficile, du fait de la relative rapidité de l’évolution des entités politiques et économiques post-conflit et des différences entre les intérêts de chacun.
5. Des accords tripartites
Les partis en cause dans le conflit doivent être associés à la communauté des bailleurs dans l’effort de reconstruction. Chacun doit être amené à reconnaître une part de responsabilité. Le processus de dialogue favorise la transparence sur des sujets parfois sensibles et complexes. Il permet aussi à la communauté internationale de déterminer quels sont les problèmes les plus urgents et de planifier leur résolution. Enfin, ce procédé, favorise la communication sur les rôles et responsabilités respectifs de chacun des partis impliqués dans la reconstruction et la coordination de l’aide.
6. Pour de nouveaux types de mécanismes et procédures de coordination
Chaque situation post-conflit a des défis qui lui sont propres. Pour les résoudre et pour répondre à des demandes propres à chaque situation, de nouveaux types de procédures de coordination et de financement peuvent être nécessaires. Globalement, les receveurs de l’aide aimeraient voir les bailleurs adopter des procédures plus flexibles et plus rapides. Ils aimeraient aussi que ces derniers aident les institutions locales et les travailleurs, en particulier dans les sociétés post-conflit où le chômage est très important.
II. Evaluation de la légitimité de coordonner l’aide et du rôle de la Banque mondiale
1. Pourquoi coordonner l’aide internationale ?
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Une approche coordonnée des bailleurs de fonds permet de faire une évaluation globale des dommages et des besoins du pays.
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Elle favorise la mobilisation des fonds.
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Elle permet d’optimiser l’effort de reconstruction en évitant que plusieurs actions similaires soient menées en parallèle et que certains besoins ne soient oubliés.
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Elle facilite la collaboration avec les autorités nationales.
2. Evaluation du rôle de la Banque mondiale
La Banque mondiale a souvent été amenée à jouer un rôle de coordination du fait de sa maîtrise des problèmes macro-économiques. D’autre part, sa présence ancienne, dans de nombreux pays, au travers de ses missions résidentes a souvent été considérée comme un avantage, du fait de l’important degré de connaissance de la situation qu’elle implique. Enfin, la relation privilégiée de la Banque avec le FMI a souvent joué en se faveur, du fait de la crédibilité que cela lui donne aux yeux des donateurs.
Ceci dit, bien que nombreuses études de cas (Bosnie Herzégovine, Salvador, Sri Lanka, Cambodge…) témoignent des avantages comparatifs de la Banque mondiale dans la coordination de l’aide internationale, il existe aussi des cas où sa présence et son travail ont été très critiqués. Ce fut, par exemple, le cas en Ouganda. Il fut reproché à la Banque de s’être concentrée sur les réformes macro-économiques aux dépens des programmes de réduction de la pauvreté. La Banque fut aussi critiquée pour avoir utilisé une approche économique standardisée de la coordination plutôt qu’une approche adaptée aux situations post-conflit. Des ONG soulignèrent, enfin, le décalage entre la rhétorique et la réalité concernant les avantages de la collaboration entre acteurs et soulignèrent le besoin d’une meilleure communication et diffusion de l’information sur les activités de la Banque mondiale.
Conclusion
La coordination de l’aide est primordiale. La fragmentation de l’aide, le manque de coordination et les accords bilatéraux peuvent s’avérer très néfastes à la construction de la paix. La fragmentation peut conduire à des disparités sectorielles et à des goulets d’étranglement. Elle est aussi une source de pression pour les autorités et les institutions affaiblies par la situation. Enfin, la fragmentation peut conduire à l’exploitation économique et politique des divisions internes au sein de la communauté des bailleurs.
Une bonne coordination de l’aide extérieure peut aussi limiter les risques de corruption. Dans les pays sortant d’un conflit, la faiblesse des institutions et du gouvernement, le manque de légitimité politique, de crédibilité morale et/ou de compétences administratives de la classe politique et la faiblesse de la bureaucratie, peuvent favoriser la corruption. Parmi l’ensemble des méthodes utilisées pour la combattre, il semble que la meilleure politique, pour les bailleurs, soit de soutenir la construction des institutions locales et de fournir une assistance technique pour la mise en œuvre de meilleures régulations internes dès le début de l’effort de reconstruction. Le coût d’une telle assistance est, en effet, bien moindre que ses bénéfices pour la communauté internationale et le pays en reconstruction.
Notes
À lire :
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Département d’évaluation des opérations, Aid coordination and post-conflict reconstruction : the West Bank and Gaza experience, Banque mondiale, Washington : 1999.
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Département d’évaluation des opérations, The World Bank’s experience with post-conflict reconstruction, Banque mondiale, Washington: 1998.
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Le rapport complet (112 pages) « The World Bank’s experience with post-conflict reconstruction » est disponible sur Internet: lnweb18.worldbank.org/