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, France, December 2016

L’Assemblée générale de l’ONU ouvre la porte à un traité d’interdiction des armes nucléaires

Les prémices d’une avancée concrète dans le processus du désarmement nucléaire multilatéral.

Keywords: | | | | | Désarmement nucléaire pour la paix |

Pour la première fois depuis deux décennies, la communauté internationale s’est retrouvée à la Première commission de l’ONU pour adopter ou rejeter une proposition concrète de résolution destinée à faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire. Une large majorité d’États – issue du mouvement de l’initiative humanitaire – soutenue par la société civile a ainsi proposé qu’en 2017, un instrument juridique pour interdire les armes nucléaires soit négocié et ce, malgré une forte opposition des puissances nucléaires. C’est ainsi une véritable bataille argumentaire sur les objectifs et les conséquences de cette résolution instituant ce futur traité qui a été réalisée, par les différentes parties, durant cette 71e Assemblée générale de l’ONU.

Introduction

On observe depuis vingt ans une absence criante d’avancée concrète dans le processus du désarmement nucléaire multilatéral avec, comme causes principales, le blocage de la Conférence du désarmement (CD) - l’organe principal du désarmement de l’ONU - et la non-mise en oeuvre des engagements pris dans le pilier désarmement du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Comme chaque année, la Première commission « Désarmement et sécurité internationale » de l’Assemblée générale de l’ONU (AGNU) a siégé pour adopter des résolutions de travail. Au total, ce sont 25 textes ayant trait aux armes nucléaires qui ont été soumis aux 193 États membres. Outre la traditionnelle résolution sur la « Création d’une zone exempte d’armes nucléaires dans la région du Moyen-Orient » (adoptée sans vote), il faut relever la résolution (L.65) déposée par le Canada, l’Allemagne et les Pays-Bas (« Traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes et autres dispositifs explosifs nucléaires »). La L.65 crée un processus, qui apparaît parallèle aux travaux de la CD, pour 2017-2018 avec un groupe préparatoire d’experts chargé de préparer ce futur Traité. Si cette résolution a été approuvée (177 pour, 10 abstentions, 1 contre), les interrogations (Irlande notamment) furent nombreuses, notamment sur le caractère peu inclusif du groupe (25 États sur 193) et donc sur la faible transparence dans laquelle se dérouleront ces travaux.

Et comme c’est le cas depuis 20121, des résolutions2 ont été déposées par le mouvement dit de « l’Initiative humanitaire ». Ces résolutions appellent « clairement à la poursuite d’un instrument juridique pour interdire » les armes nucléaires, comme l’a souligné l’Ambassadeur de France A. Guitton3. Cette demande d’interdiction est matérialisée par la résolution « L.41 – Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire » dont le but est d’ouvrir en 2017 la négociation d’un traité d’interdiction des armes nucléaires. Cette résolution très nettement a focalisé les débats entre les partisans d’un traité d’interdiction et les tenants d’une approche traditionnelle4. En effet, 70 ans après la toute première résolution de l’ONU dont l’une des mesures phares était « d’éliminer, des armements nationaux, les armes atomiques », elle marque sans aucun doute un moment historique du désarmement nucléaire.

1. L’initiative humanitaire, une approche « étape par étape »

Depuis 2010, les États non dotés d’armes nucléaires manifestent l’intention de peser dans le jeu des négociations en vue de parvenir à un monde exempt d’armes nucléaires. Cette volonté diplomatique (notamment du Mexique, de l’Autriche, du Costa Rica, de l’Afrique du Sud et de l’Irlande) s’est traduite dans le document final de la 8e Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (RevCon) de 2010 qui mentionne « la Conférence se dit vivement préoccupée par les conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire qu’aurait l’emploi d’armes nucléaires ». Ces mots ont ouvert la porte au mouvement de « l’Initiative humanitaire ».

Ces États ainsi que la société civile ont engagé un vaste mouvement de prise de conscience du lien entre le danger de la détonation d’une arme nucléaire et ses conséquences humanitaires. Ce premier acte s’est traduit par des conférences intergouvernementales5 successives (Oslo6 en 2013, Nayarit7 et Vienne en 2014) et par une réaffirmation du droit de tous les États à mettre en oeuvre le désarmement nucléaire, comme l’a rappelé en 2014 le ministre des Affaires étrangères S. Kurz : « Le désarmement nucléaire est une tâche globale et une responsabilité collective. Comme État membre engagé dans le Traité de non-prolifération nucléaire, l’Autriche veut réaliser sa part pour atteindre les objectifs de ce traité »8. Le deuxième acte fut l’annonce à la Conférence de Vienne9 de « l’Austrian Pledge » (Engagement autrichien) devenu le « Humanitarian Pledge »10 (Engagement humanitaire) pour lui donner une portée internationale. L’objectif de ce texte est d’étendre l’impératif humanitaire dans toutes les enceintes de l’ONU, d’encourager les États parties au TNP à réaffirmer leur engagement en faveur de ce traité et de réfléchir à la manière de combler le vide juridique qui entoure actuellement les armes nucléaires. Une centaine d’États cosigna ce texte au cours de la 9e RevCon (mai 2015). Tout aurait pu se « terminer » lors de cette RevCon, si un document final faisant la part belle à cette initiative – que laissaient présager les premiers drafts11 – avait été accepté. Mais l’impossibilité de trouver ce consensus sur un document final signa un nouvel échec12 du TNP. Dès lors, les membres de « l’Initiative humanitaire » vont faire avancer leur stratégie à la 70e AGNU et ouvrir un troisième chapitre.

En décembre 2015, la résolution 70/33 « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire »13 est votée par 135 voix à la 70e AGNU. Ce texte crée sur l’année 2016 un Groupe de travail à composition non limitée14 (OEWG). La notion « non limitée » signifie que les sessions15 sont ouvertes à tous les États (contrairement à la CD qui n’est ouverte qu’à 65 États) et à la société civile. Cet OEWG va étudier « sur le fond les mesures juridiques concrètes et efficaces » et « les dispositions et normes juridiques nécessaires à l’instauration d’un monde exempt à jamais d’armes nucléaires ».

Avec plus de cent États par session, cet OEWG fut un succès en terme de participation. Le paragraphe n° 67 est la principale recommandation de son rapport - soutenue par 107 États16, soit une nette majorité17. Il « recommande, avec le soutien d’un grand nombre de pays, la convocation en 2017 par l’Assemblée générale d’une conférence ouverte à tous les États et à laquelle participeraient et contribueraient les organisations internationales et la société civile, afin de négocier un instrument juridiquement contraignant interdisant l’arme nucléaire de manière à aboutir à leur totale élimination »18. Ce paragraphe est issu des documents de travail19 (WP14, WP17, WP36) déposés et des nombreuses interventions nationales ou faites au nom de différents groupes.

Pour les partisans de la dissuasion, cette recommandation signe un échec de leur action. Le P5, lui, s’est discrédité une fois de plus en pratiquant la politique de la chaise vide (notons aussi l’absence de l’Inde, du Pakistan, d’Israël et de la Corée du nord). Ce sont les États-Unis en premier qui manifestèrent leur opposition à cette recommandation et au rapport en général qui fut transmis à la 71e AGNU : « C’est pourquoi nous rejetons le rapport de l’OEWG qui a récemment achevé ses travaux. Les États-Unis appellent tous les États à rejeter les efforts irréalistes visant à interdire les armes nucléaires »20. Le P5 a fait aussi par la suite une déclaration commune exprimant sa « profonde préoccupation face aux efforts visant à poursuivre les approches du désarmement nucléaire qui méconnaissent le contexte stratégique mondial. »21

La recommandation n° 67 étant l’aboutissement de « l’Initiative humanitaire », ses membres ont logiquement ouvert un nouveau chapitre en octobre 2016, à la 71e AGNU : celui de l’interdiction totale et complète des armes nucléaires.

2. La résolution L.41

Le 22 septembre, c’est devant l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement, que le ministre des Affaires étrangères autrichien a très symboliquement proclamé : « Nous devons nous débarrasser de toutes les armes nucléaires ! L’expérience montre que la première étape pour éliminer les armes de destruction massive est de les interdire grâce à des normes juridiquement contraignantes. Ensemble avec d’autres États membres, l’Autriche déposera un projet de résolution visant à convoquer des négociations sur un instrument juridique juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en 2017. » Ce projet de résolution (L.41) « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire »22 a été déposé23 le 28 septembre à la Première commission de l’AGNU. Le texte rappelle et souligne l’importance du TNP et « note avec satisfaction » les travaux de l’OEWG, « se félicite du rapport » et « réaffirme qu’il est urgent de progresser sur le fond dans les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire ». Ce texte :

  • Recommande d’élaborer les mesures juridiques concrètes et efficaces nécessaires à l’instauration d’un monde exempt à jamais d’armes nucléaires pour renforcer le régime de désarmement et de non-prolifération nucléaires en soulignant l’importance des trois piliers du TNP.

  • Recommande « les diverses mesures qui pourraient contribuer à faire progresser les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire », telles que les mesures de transparence.

  • « Décide d’organiser, en 2017, une conférence des Nations unies ayant pour objectif la négociation d’un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète » du 27 au 31 mars et du 15 juin au 7 juillet 2017 et de présenter à sa 72e session « un rapport qui lui permettra d’évaluer les progrès accomplis dans le cadre des négociations et de décider de la marche à suivre ».

Le 27 octobre 2016, sur les 193 États membres24 de l’ONU, le texte a été approuvé à une large majorité : 123 votes pour, 38 contres et 16 abstentions.

Rouge= vote « Non » ; Vert= « Oui » ; Jaune= « Abstention » ; Blanc= non présent. Crédit : Future of Life (le Groenland, possession danoise aurait dû être en rouge)

3. Les objectifs d’un futur traité

L’une des raisons de la stagnation du processus multilatéral sur le désarmement nucléaire est l’absence de feuille de route portée par une majorité claire et définie. Le Traité d’interdiction complète des Essais nucléaires (TICE) est le dernier instrument juridique multilatéral ouvert à la signature en 1996, mais qui n’est toujours pas en vigueur. Depuis, aucune autre étape n’a été franchie. Évidemment, il y a eu des actions de désarmement unilatérales (France, Royaume-Uni), bilatérales (Russie, États-Unis). Des résolutions ont été prises, des engagements approuvés lors des deux RevCom du TNP (2000 et 2010), mais ceux-ci n’ont soit pas été mis en œuvre (les 13 étapes du plan de 2000) ou ne le sont que de manière trop lente. Enfin, la CD est depuis 20 ans dans un état de mort clinique, aucun agenda de travail n’ayant pu être voté.

Devant le constat amer relevé dans la L.41 « consciente de l’absence de résultats concrets, depuis vingt ans, dans les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire menées dans le cadre de l’ONU », il est évident que « l’initiative humanitaire » a revitalisé le processus du désarmement nucléaire multilatéral. En effet, si l’on observe les débats réalisés lors des OEWG (2013 et 2016) et les trois conférences humanitaires, on constate d’une part toujours plus d’États participants (avec la société civile) et d’autre part que les réflexions ont permis d’aborder le fond du problème : comment parvenir au désarmement nucléaire ?

Par quel processus25 ? C’est ce qui a permis de faire ressortir une proposition (L.41) acceptée par une majorité d’États.

Cette résolution a donc atteint un premier objectif : annoncer la fin de deux décennies de paralysie. L’Ambassadeur du Mexique à l’ONU, J. Lómonaco, lors de l’approbation du rapport de l’OEWG en est persuadé : « C’est la contribution la plus importante au désarmement nucléaire depuis deux décennies. » L’objectif est de créer une interdiction globale et complète des armes nucléaires, renforçant le régime du TNP. Au vu des 21 éléments retenus, dans le rapport de l’OEWG, les points suivants devraient être présents dans ce futur traité :

  • 1. Obligations et interdictions générales

  • 2. Définition des armes nucléaires

  • 3. Interdictions relatives à l’emploi ou à la menace de l’emploi d’armes nucléaires

  • 4. Interdiction de la mise au point et de la production

  • 5. Déploiement

  • 6. Visite, transit, survol, stationnement et Déploiement

  • 7. Matières nucléaires

  • 8. Financement et fourniture de matières fissiles

  • 9. Aide, encouragement et incitation à la réalisation d’activités interdites

  • 10. Victimes et environnement

  • 11. Déclarations

  • 12. Phases d’élimination

  • 13. Vérification

  • 14. Droits et obligations des particuliers

  • 15. Respect des obligations et secrétariat

  • 16. Règlement des différends

  • 17. Mesures d’application au niveau national

  • 18. Protocole facultatif relatif à l’assistance en matière énergétique

  • 19. Coopération, assistance pour l’exécution des obligations découlant du traité

  • 20. Relation avec d’autres accords internationaux

  • 21. Coopération militaire

Pour les tenants de « l’initiative humanitaire », cela permettra de combler le « vide juridique »26 qui ressort du TNP. Ce « vide juridique », « fait allusion à l’absence d’interdiction générale du développement, de la possession et de l’utilisation des armes nucléaires telle qu’elle est établie dans des régimes d’interdiction d’armes comparables »27. Ce « vide » a été reconnu par les 127 États cosignataires de l’Engagement humanitaire, qui note : « Nous appelons tous les États parties au TNP à renouveler leur engagement pour l’urgence et la pleine mise en œuvre des obligations existantes en vertu de l’Article VI, et à cette fin, à identifier et à prendre des mesures efficaces pour combler le vide juridique pour l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires » ; puis réaffirmé par 139 États qui ont voté la résolution 70/48 « Engagement humanitaire en faveur de l’interdiction et de l’élimination des armes nucléaires » (7 décembre 2015), qui « demande à l’ensemble des États de recenser les mesures efficaces propres à combler le vide juridique eu égard à l’interdiction et à l’élimination des armes nucléaires ».

Le TNP, en effet, n’est pas un traité complet prévoyant toutes les obligations contraignantes ou non en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaires. Par exemple, ce régime n’envisageait pas l’interdiction complète des essais nucléaires. Il autorisait (article V) « les avantages pouvant découler des applications pacifiques, quelles qu’elles soient, des explosions nucléaires ». La création du TICE est ainsi venue combler ce « vide » d’interdiction et – même si ce traité n’est pas encore en vigueur – à renforcer le TNP en devenant « une norme universellement acceptée contre les essais nucléaires »28. La volonté d’une majorité d’État d’obtenir un Traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes et autres dispositifs explosifs nucléaires procède de la même logique. Ces mesures ont comme objectif de consolider le TNP qui est ce « môle de l’ordre nucléaire mondial »29.

Les États – et alliés – qui utilisent la dissuasion nucléaire dans leur doctrine de sécurité, s’opposent à l’existence de ce « vide ». Le Canada30 ainsi ne reconnaît pas que « des progrès accomplis dans le domaine du désarmement nucléaire peuvent être réalisés par des efforts visant à combler un vide juridique » soulignant que « le TNP fournit une base juridique suffisante pour parvenir à un monde exempt d’armes nucléaires par la négociation ». Pourtant on observe que les articles I et II du TNP interdisent la fabrication et l’acquisition d’armes nucléaires pour les États non dotés et autorisent le transfert de technologies entre les États dotés. C’est le cas entre Américains et Britanniques sur les ogives et missiles et entre les français et les britanniques sur la modernisation des ogives via le programme de Simulation. Il n’y a donc pas d’interdiction complète de fabrication, d’acquisition et de transferts de technologie ; ni évidemment d’interdiction totale de la possession de ces arsenaux.

Enfin, dernier objectif, ce traité d’interdiction doit être le point de départ d’un processus global de désarmement nucléaire, c’est-à-dire d’élimination des armes nucléaires. Pour B. Fihn, directrice de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires – ICAN, « Il établira une nouvelle norme juridique internationale puissante, stigmatisant les armes nucléaires et obligeant les nations à prendre des mesures urgentes sur le désarmement »31. Cette norme aura donc un effet direct sur les États qui en deviendront membres ; mais aussi influencera les pratiques des autres États qui n’en seront pas parties. À titre d’exemple, les Conventions d’interdiction des mines antipersonnel et des armes à sous-munitions ont eu un impact32 sur les politiques d’utilisation des États-Unis et de la Chine, alors qu’ils n’en sont pourtant pas membres. De même, on peut observer dans un autre domaine, celui du droit de la mer, que la norme établissant le concept de zone économique exclusive (créée à la 28e AGNU le 16 novembre 1973) fut au départ rejetée par de nombreux États (comme le Royaume-Uni) pour des raisons dites de sécurité ; puis au final ralliée par l’ensemble des États de la Communauté internationale.

Le processus d’élimination globale devra être ainsi institué dans un second temps ; mais, il ne faut pas omettre que les États dotés « ont pris sans équivoque [l’engagement] de procéder à l’élimination totale de leurs arsenaux nucléaires » (Document final du TNP de 2000) et ont accepté des mesures (par exemple n°4, n°5 du document final du TNP de 2010) pour réduire et éliminer tous les types d’armes nucléaires qu’ils détiennent. Ce futur traité viendra donc en parallèle de ces mesures et en aucun cas ne s’y substituera.

Évidemment, nul ne peut garantir qu’un traité fonctionnera pleinement et assurera qu’il sera mis un terme au problème ciblé. Par exemple, le traité ENMOD, Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles – est un accord multilatéral imparfait et oublié33 ! Pourtant en 1976, sa mise en œuvre semblait importante et bénéficiait du soutien des États-Unis, de l’URSS, et même de la Chine. Si l’on prend le cas du TNP, on voit bien que celui-ci fonctionne très bien s’agissant des piliers non-prolifération et usage pacifique de l’énergie nucléaire ; mais montre de réelles difficultés d’application du pilier désarmement nucléaire. Donc à la question de savoir si un traité d’interdiction aura un effet sur le processus de désarmement nucléaire, « il est prématuré de préjuger de l’issue [d’une] négociation […] qui devrait être achevée en juillet 2017 »34 ! Mais qui aurait pu préjuger de l’issue des négociations de l’accord climatique de la COP 21 ? Du traité sur les mines antipersonnel ? Ou encore du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, avant le début des négociations ?

4. Les conséquences

S’il aboutit, ce processus de désarmement multilatéral aura comme première conséquence de renforcer le TNP et non de le diminuer comme le pensent ses détracteurs. Le TNP fournit un cadre dans lequel le P5 est maître du jeu et interprète comme il l’entend sa possession quasi indéfinie de l’arme nucléaire. Dès lors on comprend la posture de la France, qui « s’oppose à l’interdiction des armes nucléaires, qui ne lui permettrait plus d’arguer de la légitimité prétendument conférée à ces armes par le TNP »35. Il est intéressant de noter aussi le débat qui existe entre les partisans et les opposants de ce futur instrument juridique à l’égard du TNP. La France s’exprimant au nom des États-Unis et du Royaume-Uni, a réitéré « qu’une interdiction des armes nucléaires risque d’affaiblir le processus d’examen du TNP en rendant le consensus impossible, créant ainsi un monde beaucoup moins sûr ». Or, il faut remarquer que le consensus – donc l’adoption d’un document final - n’a été atteint que lors des RevCon de 1995, 2000, 2015 ; celles de 2005 et 2015 étant des échecs. Mais, même quand il y a « succès », on peut s’interroger sur celui-ci, car les mesures acceptées ne sont pas respectées36.

Le rapport de l’OEWG est précis concernant le lien entre le futur traité d’interdiction et le TNP : « Le OEWG a en outre estimé que la recherche de telles mesures, dispositions et normes devait compléter et renforcer le régime du désarmement nucléaire et de la non-prolifération, y compris les trois piliers du Traité. » La L.41 reprend cette assertion « réaffirme l’importance du TNP » et « par conséquent, les arguments et les craintes que le processus mine le TNP sont injustifiés et infondés », a pris soin d’indiquer l’ambassadeur de Malaisie37.

Mais on notera surtout les conséquences que ce traité aura sur l’Alliance atlantique (OTAN). L’impact sera réel sur la politique de dissuasion nucléaire menée par l’OTAN. Ce n’est pas l’existence de cette organisation qui est visée, mais bien sa politique nucléaire, comme en atteste un document38 diffusé par les États-Unis. Washington prouve ainsi bien l’efficience de ce traité en indiquant que 9 des 21 éléments proposés (du rapport de l’OEWG) « pourraient avoir un impact direct sur la capacité des États-Unis à respecter leur engagement de dissuasion élargie sur les membres de l’OTAN (comme d’Asie et du pacifique) » comme « sur celles [France et Royaume-Uni] des autres États dotés d’armes nucléaires ». Autre effet, cela « pourrait rendre impossible la planification nucléaire, la formation nucléaire, le transit lié aux armes nucléaires dans l’espace aérien comme sur les mers territoriales ». Ainsi, la question se posera pour les États-Unis de savoir comment transporter les futures B61-12 qui sont destinées à être stockées en Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Italie et Turquie ! Ce document note que ce traité impactera à la fois les signataires et non-signataires. Ce futur instrument juridique semble donc bien cohérent – contrairement aux dires des opposants – avec le TNP, dont l’article VI demande à ses membres de s’engager « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces » !

Cette législation enfin, concernera également les institutions bancaires et les industriels de l’armement :

  • Avec cette nouvelle norme, les institutions financières devront adapter leur politique d’investissement du secteur de la défense. C’est une obligation pour ces institutions si elles veulent respecter leur politique de responsabilité sociétale des entreprises ; un argument aujourd’hui majeur en terme d’image et de création de business.

  • Des législations nationales pourraient naître pour interdire les investissements dans les entreprises d’armement nucléaire. L’exemple norvégien pourrait ainsi être suivi. Depuis 2004, l’adoption de directives déontologiques à l’intention du Fonds de pension de l’État norvégien39 fait que dix sociétés internationales ont été exclues en raison de leur implication dans la fabrication de composants d’armes nucléaires.

  • Comment les industriels de défense trouveront-ils des prêts bancaires, si les banques prennent en compte cette norme ? Par exemple, le groupe Safran qui est impliqué dans la production du système propulsif du missile intercontinental français M51, s’est vu accorder des prêts par des banques allemandes (Deutsche Bank Allianz, Commerzbank), hollandaises (ABP, ING Group) et suisse (UBS) situées dans des États susceptibles d’adhérer à cette future norme. Même si les principaux flux d’argent viennent de banques américaines et françaises pour Safran, il est évident que cet industriel sera confronté à des difficultés nouvelles.

L’interdiction des armes nucléaires rendra incontestablement ce marché plus compliqué pour les industriels et donc par effet domino le maintien ou le développement des arsenaux plus difficiles pour les États.

5. Les votes des puissances nucléaires

Alors que les États dotés (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine) ou disposant d’armes nucléaires (Israël, Inde, Pakistan, Corée du nord) ont adopté une position commune en ne participant pas aux sessions de l’OEWG ; on peut observer que leurs votes furent différents à la Première commission, même si au final tous semblent d’accord sur un point : le consensus est essentiel !

5.1. Le P4 plus Israël

Les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et Israël ont voté « Non ». Il existe, pour les quatre États dotés, depuis le début de « l’initiative humanitaire », une alliance de principe forte, malgré les failles qui ont pu se manifester avec la participation de Washington et de Londres à la Conférence humanitaire de Vienne. Cette position commune peut interpeller, alors même que la confiance entre ces acteurs semble peu présente… Le Royaume-Uni a exprimé clairement son inquiétude vis-à-vis de la Russie : « Au cours des deux dernières années, on a assisté à une augmentation inquiétante de la rhétorique russe au sujet de l’utilisation d’armes nucléaires et de la fréquence des exercices nucléaires. »40 Nous sommes encore une fois devant des attitudes schizophréniques, où ces États dotés d’armes nucléaires pour se contrer ont la volonté commune de faire échouer un processus qui interdirait les armes de l’adversaire !

La déclaration du P5 (16 septembre) dans laquelle quatre de ces États exprimaient déjà « leur profonde préoccupation face aux efforts visant à poursuivre les approches du désarmement nucléaire », n’était que le début d’une escalade verbale. La France41, au nom des États-Unis et du Royaume-Uni (P3), a répété la volonté « d’œuvrer en faveur d’une approche progressive étape par étape », indiquant que « négocier une prohibition internationale des armes nucléaires ne rapprochera aucunement de l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires » et « n’améliora pas en soi la sécurité internationale ». Elle concluait en se disant « consterné[e] par le fait que le débat sur le désarmement ait pris une telle direction ». La Russie42 a surenchéri arguant que les armes nucléaires sont « absolument légitimes », que « cette priorité accordée à l’interdiction des armes nucléaires serait un pur acte de propagande » tout en partageant les conclusions du P3 qu’il y aurait des « répercussions mortelles et destructrices qui porteraient atteinte au TNP si cette résolution était adoptée ».

Nous pouvons relever pour les États-Unis, des arguments qui s’opposent les uns aux autres au fil de leur argumentaire. Dans son intervention au Débat général (3 octobre), F. Rose, Secrétaire d’État adjoint, dit qu’il ne reconnait pas la notion de « vide juridique » et de fait la nécessité d’un traité d’interdiction. Mais quelques jours plus tard, T. Countryman43, sous-secrétaire adjoint au département d’État, écrit que « la raison pour laquelle le désarmement est difficile n’est pas qu’il y ait un fossé juridique dans le TNP. Le désarmement est difficile parce que nous avons déjà terminé la partie facile » ! De plus, critiquer le fait que ce futur instrument stigmatisera les armes nucléaires, relève du bon sens et de la logique du discours du président Obama à Hiroshima. Enfin, il est cocasse de voir par ailleurs F. Rose utiliser l’argument selon lequel la majorité de la population mondiale est en faveur de la dissuasion, et que c’est cette majorité qui doit être prise en compte et non celle du nombre d’États. Non seulement ces populations n’ont jamais été consultées (pensons à minima aux Chinois et aux Nord-Coréens, …) ; mais aussi, c’est écarter l’une des règles fondatrices de l’ONU : Un État égale une voix.

5.2. La France

Concernant la position spécifique française, certains arguments donnés par ses représentants44 au cours de leurs déclarations méritent d’être soulignés :

  • « J’insiste sur ce point : seul un dialogue constructif et ouvert peut nous aider à progresser. Il n’y a rien de positif à attendre de la tendance croissante au contournement de la machinerie du désarmement. » (03/10) Il est étrange de suggérer que le OEWG, qui a induit la L.41, est un contournement de la machinerie du désarmement, celui-ci étant issu de la résolution 70/33 de l’AGNU ; et d’autre part pour la France (et ses partenaires du P3) de poursuivre des travaux avec un organe subsidiaire (le Groupe d’experts gouvernementaux) pour impulser un traité interdisant la production de matières fissiles au vu de la résolution L.65.

  • « Un tel traité, s’il venait à se matérialiser, serait inefficace pour le désarmement et déstabilisateur pour la sécurité [et] aurait de plus un effet déstabilisateur sur l’intégrité du TNP, [pourrait] ouvrir une brèche en matière de non-prolifération […] et induirait une pression inégale sur les différents États dotés » (14/10) : Il est difficile d’imaginer comment ce traité pourrait être « déstabilisateur pour la sécurité ». En effet de quelle sécurité parle-t-on ? Celle exprimée par 123 États pour qui les armes nucléaires posent un problème de sécurité ? Ou celle de la France (via son ministre de la Défense et de sa loi de finance 2017) qui s’interroge face aux « pays tentés par une stratégie jouant sur les rapports de puissance militaire, notamment la Chine et la Russie » ? Comment un traité interdisant des armes nucléaires pourrait-il déstabiliser et ouvrir la voie à la prolifération nucléaire ? Au contraire, il renforcera le TNP, en comblant le vide juridique et en renforçant la lutte contre la prolifération. Sans doute par « pression inégale », la France entend-elle qu’elle serait (avec les États-Unis et le Royaume-Uni, dans une moindre mesure l’Inde et Israël) la cible d’ONG. Donc, selon cette logique, il ne serait pas juste que Paris soit « victime » du travail de plaidoyer des ONG. D’un côté, il est évident que les pays de l’OTAN seront la « cible » des ONG, et de l’autre, il ne tient qu’aux P3 de travailler activement pour créer une pression sincère et complète auprès des autres puissances nucléaires. Cette crainte est donc injustifiée, car elle tend à faire croire que c’est aux seules ONG de créer une pression pour aider à la mise en œuvre du désarmement nucléaire.

  • « Négocier une prohibition internationale des armes nucléaires ne nous rapprochera aucunement de l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires. » (27/10) Il n’y a aucune utilité à interdire les armes nucléaires si celles-ci sont déjà éliminées. Le droit doit être créé pour faire évoluer une problématique et non pour entériner le fait que celle-ci n’existe plus.

  • « L’interdiction de l’arme nucléaire n’améliorera pas en soi la sécurité internationale » (27/10) : Dès lors doit-on s’interroger sur le bien-fondé de la volonté de la communauté internationale d’avoir interdit les armes biologiques (1975), les armes chimiques (1997), les mines antipersonnel (1999), les armes à sous-munitions (2010) et de vouloir réguler le commerce des armes par un traité (2014) ?

Enfin, on peut s’interroger sur les propos de l’Ambassadeur Guitton. En effet, elle souligne que la « politique de dissuasion [de la France] est strictement défensive » (03/10). Dans les faits, c’est faux. La France a dans sa stratégie d’emploi de l’arme nucléaire une option qui se nomme « un avertissement de nature nucléaire ». Cette frappe serait effectuée en premier, avant d’être attaqué, avec l’objectif de « rétablir la dissuasion » ! De plus, l’Ambassadeur mentionne : « nous affirmons notre intention de ne jamais nous engager dans une telle course aux armements. » (27/10). Or le chef du gouvernement, M. Valls, a déclaré précisément le contraire : « Pendant toute la Guerre froide, la France a fourni un effort considérable pour ne pas être distancée par les deux grandes puissances de l’époque. Mais désormais, elle fait la course en tête pour les technologies de dissuasion »45 ! Une parole qui va à l’encontre de la ligne diplomatique française et qui n’a jamais fait l’objet d’une correction.

5.3. Les puissances nucléaires asiatiques

Il est remarquable de noter que trois puissances nucléaires d’une même région – la Chine État doté au sens du TNP, l’Inde et le Pakistan, deux États non membres du TNP – dont les arsenaux sont en augmentation, ont adopté une position commune : l’abstention !

L’Inde et le Pakistan ont un positionnement assez proche. Ils considèrent qu’il faudrait débuter les négociations d’une Convention d’interdiction des armes nucléaires, regrettent le non-fonctionnement de la CD, signifiant ainsi leur intérêt pour la notion de consensus – tout en appréciant les efforts de dialogues offerts par les dépositaires de la L.41. Ce vote est donc presque logique.

En revanche, la position de la Chine est étonnante. En effet, son Ambassadeur46 a souligné que « le désarmement nucléaire doit être poursuivi selon un processus dit d’étape par étape, sur la base du respect des principes du maintien de la stabilité stratégique mondiale et d’une sécurité sans entrave pour tous » et il critique la possibilité de créer de « nouvelles cuisines », ce qui reviendrait à affaiblir les mécanismes internationaux de sécurité actuels (notamment le TNP). Clairement, au vu de ses critiques, son vote aurait dû rejoindre la position du P4.

Enfin comment interpréter le vote nord-coréen ? Comme un pied-de-nez à l’ONU ? Ce vote ne semble pas « sérieux », sachant que cet État prône l’importance du consensus au sein de la CD ; ce qui n’est évidemment pas le cas ici.

6. Les votes des membres de l’OTAN et des États bénéficiant d’une dissuasion nucléaire élargie

Sur les 38 États ayant voté « Non », nous trouvons, 27 des 28 membres de l’OTAN, plus l’Australie, la Corée du Sud et le Japon, qui bénéficie d’une dissuasion nucléaire dans le cadre d’une alliance militaire avec les États-Unis. Ces 30 sur 38 États représentent donc l’écrasante majorité des opposants à ce traité.

Pour les membres de l’OTAN, adhérer à cette résolution remettrait en cause la politique de dissuasion, qui est la garantie principale de sécurité de l’Alliance. Les Pays-Bas sont le seul État à ne pas avoir suivi cette ligne politique, en se prononçant par une abstention. Ce vote est certes ultra minoritaire (1 sur 28), mais il vient déconstruire la solidité politique de l’OTAN, car il montre qu’un de ses membres (sur le territoire duquel sont stationnées des armes nucléaires) peut avoir une position différente : « Les Pays-Bas continueront de faire de leur mieux pour jeter un pont entre ceux qui soutiennent le concept de négociations précoces sur une interdiction des armes nucléaires et ceux qui s’y opposent ». Ce vote est le résultat d’une forte pression des ONG de ce pays, ainsi que d’une volonté du Parlement de soutenir ce futur instrument juridique. En effet, ce Parlement a adopté en avril 201647 une motion à la majorité qui demandait au gouvernement de soutenir les négociations sur un traité international interdisant les armes nucléaires.

Relevons une nouvelle fois cette attitude schizophrénique adoptée par les Pays-Bas et la Norvège dans une intervention commune : « un monde exempt d’armes nucléaires exigera l’adoption d’un instrument juridiquement contraignant » mais il « existe des désaccords sur le calendrier, le séquençage et les modalités nécessaires pour que ce cadre juridiquement contraignant »48 puisse se mettre en place. Ces 2 États de l’OTAN sont donc d’accord pour un traité, mais plus tard…

La Belgique a une position claire sur cet instrument juridique : « Nous engager dans des négociations sur un traité interdisant les armes nucléaires ne peut venir que comme un élément constitutif final permettant de garantir un monde libre d’armes nucléaires » soit à un moment ou « nous aurons atteint le point de minimisation où le nombre d’armes sera réduit à un nombre très faible »49. Bruxelles qui veut que tout soit établi sur la base du consensus et d’une sécurité commune (mais ne semble pas vouloir entendre l’insécurité ressentie par les États de « l’Initiative humanitaire ») accepte donc un traité, futur, quand les arsenaux seront au plus bas. Encore faut-il savoir ce que signifie ce « point de minimisation » ? Il est sans doute différent pour la France (qui dit être à un niveau de stricte suffisance avec un arsenal de 300 ogives), de celui des États-Unis ou de la Chine. Enfin, vouloir attendre, ne signifie rien d’autre que de repousser une mesure, à laquelle cet État semble souscrire…

Autre enseignement de ce vote : un « Non » ne signifie pas forcément une absence de participation aux négociations de 2017. C’est ce que l’on peut observer avec le Japon. Son ministre des Affaires étrangères, F. Kishida, a indiqué que ce vote était dû à l’absence de consensus sur cette résolution. Pour autant, il mentionna par la suite : « à l’heure actuelle, j’espère participer activement aux négociations et présenter fermement notre position »50. Cette posture laisse donc entendre que certains États, même sous le régime de la dissuasion élargie, pourraient donc bien être présents et participer à ces négociations en 2017.

7. Le reste du monde

Si l’on observe une carte, on voit que ce sont les États de l’hémisphère sud qui ont voté en faveur de la L.41 ; au nord, seule l’Asie centrale avec quelques États européens ayant fait ce choix.

Sur les 33 États d’Amérique latine et des Caraïbes, 29 ont voté favorablement, deux (Guyana, Nicaragua) se sont abstenus et deux (Honduras, Haïti) ne se sont pas prononcés. Les 4 grandes organisations de ce continent se sont positionnées favorablement pour l’interdiction des armes nucléaires :

  • La Communauté caribéenne (CARICOM, soit 14 États, dont la Guyana est membre fondateur) : « Le CARICOM est fermement convaincu qu’une interdiction mondiale des armes nucléaires peut contribuer à la réalisation et au maintien d’un monde sans armes nucléaires et appuie donc la recommandation faite à l’Assemblée générale par le OEWG de lancer un processus multilatéral pour la négociation d’un instrument contraignant pour l’interdiction des armes nucléaires en vue de leur élimination totale. »51

  • L’Organisme pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraïbes (OPANAL) : « nos membres s’attendent à ce que les événements marquant le 50e anniversaire du Traité de Tlatelolco soient plus qu’une célébration. Ils pourraient bien être le tremplin d’une année qui peut apporter des progrès spectaculaires dans notre effort commun pour éliminer la plus grande menace à notre survie. »52

  • La Communauté d’États latino-américains et caraïbes (CELAC) : « La CELAC accueille en outre de manière positive le rapport de la dernière session du OEWG en août dernier, dans lequel ce groupe a recommandé à l’Assemblée générale de convoquer une conférence en 2017 ouverte à tous les États, aux organisations internationales et à la société civile afin de négocier un instrument juridiquement contraignant pour interdire les armes nucléaires, conduisant à leur élimination totale. »53

  • L’Union des nations sud-américaines (UNASUR) : « En ce qui concerne le désarmement nucléaire, l’UNASUR se félicite de la recommandation adoptée par le OEWG pour que la 71e Assemblée générale convoque une conférence en 2017 ouverte à tous les États, aux organisations internationales et à la société civile pour négocier avec eux l’accord le plus large possible d’un instrument juridiquement contraignant pour interdire les armes nucléaires. »54

Dépositaire de la résolution L.41, le Brésil a souligné (intervention du 17 octobre) que ce processus devait être considéré par le P5 comme s’inscrivant dans leur démarche du « step by step », puisque « ce traité fera partie d’un processus graduel qui commencera par définir des interdictions fondamentales qui seront suivies par des dispositions d’élimination et de vérification ». Une étape juridique qui est nécessaire pour l’Équateur, car cela créera « une base juridique et une norme juridique pour engendrer leur élimination ».

L’Afrique, avec 54 États (soit 28% des membres de l’ONU), s’est positionnée favorablement à la L.41 : « À cet égard, le Groupe se félicite du rapport de l’OEWG chargé d’élaborer des propositions visant à poursuivre les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire. »55 Au total, il y a eu 44 « Oui, 3 abstentions (Mali, Maroc, Soudan) et aucun vote négatif. Relevons que 7 États (Bénin, Djibouti, Liberia, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Seychelles, Sud Soudan) n’ont pas pris part au vote. Il est a priori envisageable que certains de ces États votent « Oui » lors du vote de l’Assemblée générale (décembre 2016), et notamment le Sénégal. Son représentant avait ainsi déclaré lors du Débat général (10 octobre) en Première commission : « Ma délégation se félicite du rapport de l’OEWG, soutient ses recommandations, y compris la convocation d’une conférence des Nations unies en 2017 ». Alors que pour l’Afrique du Sud, ce futur traité d’interdiction fournira une base solide pour conclure de futurs arrangements juridiques pour assurer et maintenir un monde exempt d’armes nucléaires ; le Maroc (son opposé géographique et proche des États-Unis) explique son vote (abstention) par l’absence de consensus (tant sur le rapport de l’OEWG que pour cette résolution), tout en ne rejetant pas ce futur processus. Mais, l’Ambassadeur B. Eloumni semble faire preuve d’un peu plus de sensibilité pour l’approche du P5, celle du « step by step », si l’on en croit sa remarque (27 octobre) « Nous demeurons attachés à l’élimination totale des armes nucléaires par un processus complet mais patient et efficace »

Le positionnement des États de la zone exempte d’arme nucléaire d’Asie centrale est également éclaté entre deux votes pour (Turkménistan, Kazakhstan), deux votes d’abstention (Kirghizstan, Ouzbékistan) et une absence de positionnement pour le Tadjikistan. Remarquons aussi l’absence de vote de la Mongolie, seul État au monde reconnu comme État exempt d’arme nucléaire par le P5.

L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) est le seul groupe régional dont tous les membres ont voté « Oui », démontrant une forte solidité de groupe, une poursuite du soutien aux recommandations émises par le OEWG et une volonté de mettre un terme à la paralysie globale : « Nous avons le choix soit de faire avancer collectivement les mécanismes pour le plus grand bien de l’humanité, soit de rester dans l’impasse en l’absence de volonté politique, ce qui risque de nuire à l’humanité. »56 La Malaisie, qui est l’un des principaux acteurs de ce groupe, a souhaité bien faire entendre (intervention du 11 octobre) que ce processus va permettre de « renforcer l’engagement en faveur du désarmement nucléaire prévu à l’article VI du Traité, tout en soutenant le pilier non-prolifération du Traité. Par conséquent, les arguments et les craintes que le processus mine le TNP sont injustifiés et infondés ».

Parmi les européens, non membres de l’OTAN, les votes positifs de l’Autriche et de l’Irlande sont peu surprenants au vu de leurs engagements passés. On note en revanche chez les micros États une division nette entre les « Oui » (Lichtenstein, San Marin, Malte) et les « Non » (Andorre, Luxembourg, Monaco). Si le Vatican pouvait voter, on sait qu’il aurait approuvé cette résolution, vu son intervention (11 octobre, débat général), qui relève la recommandation n° 67 établie par le OEWG et souligne que « nous devons travailler instamment et sans relâche pour trouver le chemin juridique à l’élimination de toutes les armes nucléaires ».

L’éclatement de la Scandinavie est une spécificité européenne. Trois États (Norvège, Suède, Finlande), trois votes différents : Non, oui, abstention. L’opposition Norvégienne est récente, la Norvège ayant lancé « l’Initiative humanitaire » avec la première conférence humanitaire en 2013. Mais, ce refus est sans doute « obligatoire » comme membre de l’OTAN. Oslo pense aussi que sans la participation des États nucléaires, ces négociations n’auront pas d’impact. La Suède a largement fait évoluer sa position, depuis la nomination de M. Wallström, comme ministre des Affaires étrangères. Elle a fait savoir que son vote devait se placer dans un contexte plus large, celui à la fois de la détérioration de la sécurité et de l’impasse existante dans le désarmement nucléaire. Elle ajoute qu’étant « favorables à toute mesure légale efficace qui ferait une différence, conduisant à un désarmement efficace […] nous croyons que nous avons l’obligation d’essayer, conscients des défis que cela implique ». Un vote qui résonne comme une volonté de ne fermer aucun processus. Si l’on étend l’analyse à l’ensemble des pays nordiques, le Danemark et l’Islande, membre de l’OTAN, ont voté « Non ». Mais la déclaration (17 octobre) de l’ambassadeur islandais faite au nom de ces 5 États, souligne le travail réalisé à l’OEWG : « Malgré le manque d’accord, les délibérations du Groupe de travail ont montré un ferme engagement à faire progresser le désarmement nucléaire. » 57

8. Les pressions diplomatiques

Très clairement, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France (possiblement la Russie) ont exercé depuis début octobre une forte pression sur tous leurs alliés et États avec lesquels ils ont des relations pour que ceux-ci n’expriment pas un vote positif. La presse a largement rapporté que les diplomates américains ont mené « une campagne agressive pour empêcher les États non nucléaires d’interdire ces armes atomiques »58, le Japon, la Corée du Sud, la Norvège et les Pays-Bas étant particulièrement visés.

Il était assez logique de voir l’Amérique latine et les Caraïbes voter « Oui » (29 États sur 33) vu son histoire (première zone exempte d’arme nucléaire depuis 1967) et son soutien indéfectible à « l’Initiative humanitaire » depuis le début de celle-ci. Par conséquent, les abstentions de la Guyana et du Nicaragua apparaissent aller à contre-courant et à l’inverse du positionnement des organisations (CARICOM, CELAC, Opanal, UNASUR) dont ces États sont membres. Doit-on dès lors y voir un jeu de pression de la part des Britanniques (sur leur ancienne colonie de Guyana) et des États-Unis sur le Nicaragua ?

La France a, quant à elle, envoyé des « lettres de préoccupation » a différentes missions diplomatiques francophones d’Afrique. Mais cette pression a également visé les eurodéputés pour qu’ils votent « non » à une résolution du Parlement européen approuvant la L.41. Le ministère des Affaires étrangères français a en effet adressé une lettre d’instruction59 aux 74 eurodéputé(e)s français(es) pour leur demander de rejeter cette résolution. La notion de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif semble avoir été largement oubliée…

Conclusion

La résolution L.41 soutenue par une large majorité d’État, sera sans aucun doute approuvée par un vote de confirmation en décembre 2016 à l’Assemblée générale de l’ONU. Quelques États peuvent faire varier leur position, mais, rien ne semble indiquer une remise en cause du vote effectué le 27 octobre 2016. Malgré les oppositions fortes et les postures d’abstentions (hormis de la Corée du Nord) des États dotés d’armes nucléaires, rien ne peut garantir pourtant une absence totale de leur participation aux futures négociations. La décision de Londres comme de Washington de participer à la 3e conférence humanitaire (Vienne, 2014) est une preuve que même face à une opposition dite solide et commune du P5, une sensibilité nationale peut prendre le dessus et rompre cette posture de groupe. Concernant les États bénéficiant d’une dissuasion élargie, il semble que soit acquise une participation du Japon (qui a voté non) et des Pays-Bas qui se sont abstenus. D’autres États, reconnaissant l’importance de la dissuasion dans leur concept de sécurité, pourraient donc aussi suivre.

Enfin, à l’image de l’explication de vote de la Suède, même des États qui doutent pourraient être présents : « ce processus sera-t-il le moyen le plus efficace pour atteindre l’objectif d’un désarmement nucléaire complet ? Le fait est que nous ne le savons pas aujourd’hui. Mais compte tenu des enjeux, nous croyons que nous avons l’obligation d’essayer, et nous sommes conscients des défis que cela implique. » L’année 2017 sera une année diplomatique dense, avec l’ouverture de la première session des négociations en mars. Elles se « poursuivront » sans aucun doute lors de la première commission préparatoire du TNP (mai), pour se terminer au mois de juillet, avec un possible instrument juridique qui devra faire ensuite l’objet d’un processus de ratification.

Notes

  • Cette note d’analyse a été publiée au GRIP (www.grip.org/fr/node/2181) par Jean-Marie Collin, qui y est chercheur associé.

  • 1La Nouvelle-Zélande a déposé le 21 octobre 2013 (68e session AGNU) la résolution « Les conséquences humanitaires des armes nucléaires » soutenue par 125 États. Pour rappel en 2012 la Suisse déposa la résolution « Dimension humanitaire du désarmement nucléaire » (soutenue par 35 États) lançant le mouvement aujourd’hui connu sous le nom « d’Initiative humanitaire ».

  • 2L.23, Conséquences humanitaires des armes nucléaires, L24, Engagement humanitaire pour l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires.

  • 3Explication de vote de la France au nom des États-Unis, du Royaume-Uni, 27 Octobre 2016.

  • 4Les puissances nucléaires et les États bénéficiant d’une dissuasion élargie.

  • 5Il faut noter aussi les débats dans les parlements et organisations interparlementaires (OSCE, UIP) permettant de nourrir la réflexion et de créer une confrontation entre le niveau législatif et exécutif, comme au Pays-Bas et en Norvège.

  • 6Collin Jean-Marie, « L’impact humanitaire des armes nucléaires : un nouveau forum du désarmement ? », 2013, Note d’Analyse du GRIP.

  • 7Collin Jean-Marie, « Conférence de Nayarit sur l’impact humanitaire des armes nucléaires : un point de non-retour ! », 2014, Note d’Analyse du GRIP.

  • 8Kurz Sebastian, « Paradigm Shift in Nuclear Disarmament is overdue », 13 février 2014.

  • 9Collin Jean-Marie, « 3e conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, un nouveau cycle d’actions », 2015, Note d’Analyse du GRIP.

  • 10icanfrance.org/lengagement-autrichien/ signé par 127 États.

  • 11Collin Jean-Marie, « La neuvième Conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire : l’échec est-il total ? » AFRI, Volume XVII, 2016.

  • 12Collin Jean-Marie, « Traité de non-prolifération nucléaire : L’échec de 2015 mènera-t-il au succès de la Première Commission ? », Rapport du GRIP 2015/4.

  • 13Résolution A/RES/70/33

  • 14Nous retiendrons ici l’acronyme anglais de OEWG pour Open-ended working group. Un premier OEWG fut créé en 2013, résolution 67/56, pour élaborer « des propositions visant à faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire. »

  • 15Voir les éditions 2016 Les Lettres du PNND et de l’Observatoire des armements pour des analyses sur les sessions de février, mai, août : www.pnnd.org/fr

  • 1611 États au nom de l’ASEAN, 33 au nom de la CELAC, 54 au nom du Groupe africain, 5 au nom des Iles du pacifiques plus l’Irlande, l’Autriche, la Nouvelle-Zélande et Malte.

  • 17Les États membres de l’OTAN ou bénéficiant d’une dissuasion élargie, et particulièrement l’Australie, menèrent une bataille diplomatique forte pour ne pas voir figurer le terme « majorité des États » dans le paragraphe n°67.

  • 18Rapport « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire », ONU, 2016.

  • 19WP14 : « Elements for a treaty banning nuclear weapons » déposé par les Fiji, Nauru, Palau, Samoa et Tuvalu. WP17 « A legally-binding instrument that will need to be concluded to attain and maintain a world without nuclear weapons: a prohibition on nuclear weapons » déposé par le Mexique. Le WP36 « The Legal Gap: Recommendations to OEWG on taking forward nuclear disarmament negotiations » déposé par 125 États.

  • 20Friedt Anita, « Building Towards a Nuclear Weapon Free World », 29 Août 2016.

  • 21Déclaration commune de la Conférence du P5, 15 septembre 2016.

  • 22Résolution A/C.1/71/L.41

  • 23Par l’Autriche, le Mexique, l’Afrique du Sud, l’Ireland, le Brésil et le Nigéria.

  • 24Voir la liste complète sur « Breakdown of L.41 Voting Result », ICAN.

  • 25ILPI/UNIDIR, « A prohibition on nuclear weapons – A guide to the issues », 2016.

  • 26A./AC.286/WP5 « The legal gap, the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons and different approaches on taking forward nuclear disarmament negotiations », soumis par l’Autriche, 22 février 2016 et A/AC.286/WP36 « The Legal Gap, Recommendations to the OEWG on taking forward nuclear disarmament negotiations », déposé par 126 États, 4 mai 2016.

  • 27ILPI – UNIDIR, « A prohibition on nuclear weapons – A guide to the issues », 2016.

  • 28Ministère des Affaires étrangères, « Corée du Nord, Essai nucléaire » 7 janvier 2016.

  • 29Chevènement Jean-Pierre, « Désarmement, non-prolifération nucléaires et sécurité de la France », Rapport d’information du Sénat n° 332, 24 février 2010.

  • 30A/AC.286/WP.20 « Reflections on the Legal Gap for the elimination and prohibition of nuclear weapons », déposé par le Canada, 12 avril 2016.

  • 31ICAN, « UN votes to outlaw nuclear weapons in 2017 », 27 octobre 2016.

  • 32En juin 2014, les États-Unis ont annoncé qu’ils ne produiraient plus de mines antipersonnel, y compris pour remplacer les stocks existants. La Chine a exprimé son soutien aux objectifs humanitaires du traité d’Ottawa et soutient activement les activités internationales de déminage.

  • 33Mampaey Luc, « COP 21, ENMOD et le 6 novembre : la paix et la guerre pour enjeux », Éclairage du GRIP, 5 novembre 2015.

  • 34Finaud Marc, « The UN vote on a nuclear weapon ban : A moment of truth ? », GCSP, 31 octobre 2016.

  • 35« Deux questions à Marc Finaud », Lettre d’information n° 6 PNND/Obsarm.

  • 36Salander Henrik, « Reviewing a Review Conference: Can there ever be a successful NPT RevCon? » European Leadership Network.

  • 37Intervention du 11 octobre 2016.

  • 38ICAN « US pressured NATO states to vote no to a ban », 1er novembre 2016.

  • 39Par sa taille, c’est le deuxième fonds souverain du monde, qui accueille les surplus d’actifs norvégiens issus du pétrole et du gaz naturel.

  • 40Intervention britannique, 14 octobre 2016.

  • 41Explication de la France au nom des États-Unis, du Royaume uni, 27 Octobre 2016.

  • 42Transcription officieuse de la déclaration de la Russie, débat général, 4 octobre 2016.

  • 43Countryman Thomas, « The Goal Remains the Same », 31 octobre 2016.

  • 44Lire à ce titre les déclarations de l’Ambassadeur Alice Guitton (3 et 27 octobre 2016), et du Représentant permanent adjoint Louis Riquet (14 octobre 2016).

  • 45Discours de Manuel Valls, Premier ministre, Le Barp, 23 octobre 2014

  • 46Intervention Ambassadeur chinois Wang Qun, 10 octobre 2016.

  • 47Lettre du PNND/OBSARM n° 18, « Le Parlement fait trembler la posture nucléaire du gouvernement ! », avril 2016.

  • 48Première commission, ONU, Intervention commune, 17 octobre 2016.

  • 49Intervention à l’OEWG, 24 février 2016.

  • 50« U.S, Japan oppose and China abstains as U.N. votes to launch talks on nuclear arms ban », Japan Times, 28 octobre 2016.

  • 51Intervention de Trinidad et Tobago au nom du CARICOM, 3 octobre 2016.

  • 52Intervention du Secrétaire General de l’OPANAL, 11 octobre 2016.

  • 53Intervention de la République dominicaine au nom de la CELAC, 7 octobre 2016.

  • 54Intervention de la République de Bolivie au nom de l’UNASUR, 13 octobre 2016.

  • 55Intervention du Nigéria au nom du Groupe Afrique.

  • 56La République d’Indonésie au nom de l’ASEAN, 26 octobre, 2016.

  • 57Explication de vote de la Suède sur la résolution L.41, 27 octobre 2016.

  • 58Colum Lynch, « U.S. Seeks to Scupper Proposed Ban on Nuclear Arms », Foreign Policy, 21 octobre 2016.

  • 59Collin Jean-Marie, « La France a fait pression sur ses eurodéputés », ICAN France.