François LAYINGA, RDC, décembre 2015
Les ressources naturelles comme principal facteur du panorama belligérant des Grands Lacs Africains
Les rapports conflictuels entre la RDC et les États limitrophes de la sous-région des Grands Lacs africains auraient une seule et principale cause : l’accès aux ressources naturelles de la RDC.
Introduction
Depuis la fin des années 1990, des études abondent concernant la recrudescence des rapports conflictuels entre la RDC et les États limitrophes de la sous-région des Grands Lacs africains. Ces conflits, de natures politique, diplomatique et militaire, ont, selon de nombreux spécialistes nationaux et internationaux, une seule et principale cause : l’accès aux ressources naturelles de la RDC.
En effet, les ressources de la République Démocratique du Congo, depuis la Conférence de Berlin, du 1er juillet 1885, en passant par l’instauration de l’État Indépendant du Congo (1885-1908) par le Roi des Belges Léopold II, la colonisation belge (1908-1960) et les guerres de ces dix dernières années (1996-2003), constituent une immense source d’attraction des puissances et lobbies étrangers. Ces ressources, par l’intérêt et l’envie qu’elles suscitent, sont, dans une grande mesure, à la base de l’instabilité qui continue à caractériser la sous-région des Grands Lacs, empêchant les Congolais de jouir de leurs droits légitimes de peuple souverain et de nation libre.
Puisque la description des faits conflictuels qui déchirent la RDC de l’intérieur et de l’extérieur dans ses territoires limitrophes des Grands Lacs, fait déjà l’objet de plusieurs études, la présente analyse veut creuser le fond de cette situation dans la rationalité de la causalité prospectuelle. Puisque l’évidence porte sur « Les ressources naturelles comme principal facteur du panorama belligérant des Grands Lacs africains », notre préoccupation consiste à analyser ce fait empirique des ressources naturelles qui est le pivot de la guerre et des guerres entre la République Démocratique du Congo et ses pairs de cette sous-région planétaire.
Ainsi, le présent article entend apporter des éléments de réponses à certaines questions, comme celles de savoir quelles sont les richesses naturelles qui apparaissent comme des enjeux de plus en plus stratégiques ? Et pourquoi des guerres civiles éclatent-elles dans la région des grands lacs ?
1. Ressources naturelles : matière stratégique des relations interétatiques et cause occulte de la déstabilisation internationale de la RDC
Les ressources naturelles acquièrent une importance stratégique du fait de leur valeur économique et de la puissance qu’elles confèrent aux pays qui y ont accès. La ruée des ressources fut l’un des enjeux majeurs de l’entreprise coloniale et a continué de l’être même après la décolonisation1. Roland Marchal et Christine Messiant soulignent que la fin de la guerre froide a considérablement modifié la configuration des relations internationales, avec des conséquences sur les guerres2. La France, en signant, en 1961, des accords de défense avec le Niger par exemple, a cherché à garantir son accès aux précieuses matières premières. Areva, numéro un mondial du nucléaire civil, exploite l’uranium nigérian depuis quarante ans après l’État, Areva deuxième employeur achetait au Niger le kilogramme d’uranium à 27 300 francs CFA (41 Euros), largement en-dessous des prix du marché qui se situent à 122.000 francs CFA le kilo (186 Euros). Ce marché de dupes remonte aux accords de défense de 1961. D’un côté, l’ancienne puissance coloniale garantit la sécurité et la stabilité du Niger. En échange, ce pays lui réserve la primauté sur les ressources minières3. La politique des États-Unis en matière d’accès aux réserves de pétrole est un autre exemple sur la question des ressources naturelles.
Conscients de leur dépendance accrue vis-à-vis de pays politiquement instables du Moyen-Orient, les États-Unis cherchent de nouveaux partenaires stratégiques sur le continent africain. L’émergence de puissances économiques comme l’Inde, le Brésil et surtout la Chine, accentue la pression économique autour de richesses naturelles, les rendant actuellement plus stratégiques que jamais, dans un contexte où la demande des pays du Nord demeure soutenue4.
Au cours de ces dix dernières années, le coltan a occupé la principale scène de toutes les spéculations minières parallèlement au boum du téléphone mobile dont il constitue l’un des composants essentiels. Ce coltan a créé son lot de nouveaux riches au plan interne comme externe, et surtout ses millions de victimes innocentes. Il a, comme le diamant en Angola et en Sierra-Leone, et comme le pétrole en Irak et au Koweït, fait le malheur des populations dont l’avenir a été lourdement hypothéqué. Les guerres ont drainé, avec elles, en amont et en aval, de nouveaux opérateurs dont les appétits ont été sans pareil, tant ils sont ceux-là même qui attisaient les conflits afin de s’emparer des domaines d’exploitation à moindre frais et sans le moindre contrôle5. Des gens sortis de nulle part se retrouvaient, du jour au lendemain, négociants ou exportateurs de coltan, opérant comme prête-noms d’hommes d’affaires et d’officiers rwandais et ougandais. Au cours de années 2000 à 2004, le cours de ce minerai est tellement monté que les nouveaux riches locaux se sont mis à acheter et à construire des résidences, et à se constituer en nouvelle génération des collaborateurs et affairistes sans cœur.
La région des Grands Lacs subit beaucoup d’influences des occidentaux et surtout des États-Unis d’Amérique. Lors de son passage, Russel Feingold, envoyé spécial des Nations Unies, s’exprima à la fois en demandant aux gouvernants congolais de négocier avec le M23, une milice à dominance Ougando-rwandaise, tout en évoquant la souveraineté du Rwanda et de l’Ouganda pour justifier leur refus de dialoguer avec leurs propres rébellions6.
Sur la question des ressources, toutes les forces militaires et politico-militaires se croisent et se ressemblent. L’exemple et la leçon ont été donnés à tout le monde par les armées d’agression du Rwanda et de l’Ouganda, avec la cohorte des crimes et l’ampleur des pillages qu’elles avaient généralisés. Ces voisins belligérants recherchent des minerais, des bois d’œuvre, des pierres précieuses, des animaux, des dollars américains7.
C’est un suicide pour les Congolais de croire à une intégration régionale quand on n’a pas encore assuré et maîtrisé l’intégration nationale, quand on n’a pas encore implanté le sens de la patrie dans les cœurs et les mœurs des services de douane, de renseignement et de l’immigration. Lors d’un atelier régional sur l’intégration du genre, tenu à Nairobi du 25 au 27 mars 2008, la nécessité de mettre en place des mécanismes pour la certification des ressources naturelles a été citée pour la sécurisation, la stabilité et le développement de la sous-région des Grands-lacs. La valorisation et la gestion durable des ressources naturelles peuvent constituer un levier important de réduction de la pauvreté et peser fortement pour le renforcement de la coopération régionale.
Dans ce contexte, les ressources naturelles ont joué un rôle important dans la dynamique des conflits du pays. Elles ont servi à alimenter les conflits de l’époque coloniale, car, les ressources naturelles étaient la finalité principale de l’oppression et de l’exploitation.
2. Les Ressources naturelles : cause de la déstabilisation interne de la RDC
Il existe une corrélation entre la disponibilité des ressources naturelles, d’un côté ; et la guerre civile ou conflit interne de l’autre. La violence, qu’elle soit perpétrée par des régimes répressifs ou par des acteurs non gouvernementaux dans le cadre d’une guerre civile, demeure une forme d’expression conflictuelle des tensions régnant au sein d’une société8. Au début de la période post-coloniale, les nouveaux pays indépendants considéraient les ressources naturelles comme une véritable bénédiction.
Pour les pays producteurs de pétrole, ce sentiment a été renforcé par la crise pétrolière de 1973 qui vit grimper en flèche le prix du baril de pétrole. Mais aujourd’hui, nombreux sont les habitants de pays riches en ressources naturelles qui considèrent cette manne comme une malédiction dont les retombées ne profitent qu’à une poignée de personnes. Le commerce illicite de minerais est la principale source de financement des groupes armés. L’Afrique renferme des réserves essentielles en matières premières qui représentent des enjeux importants pour les États-Unis9. Les guerres menées en réseau dans la région des Grands Lacs constituent un phénomène emblématique qui révèle la complicité entre les élites dominantes du Nord et leurs nègres de service du Sud10.
L’objectif de la nouvelle stratégie des occidentaux (cas de la politique de mainmise sur les matières premières congolaises censées assurer la primauté des États-Unis en matière d’armement nucléaire ainsi que la défense des autres intérêts économiques américains, c’est dans la logique de cette implication américaine que le Rwanda et le Burundi ont été crédités d’une importance stratégique11), n’est pas l’établissement de solides régimes vassaux, ni l’installation d’occupation militaires durables qui contrôleraient les territoires de manière directe, mais bien de déstabiliser les structures de la société, les identités culturelles, de diminuer ou d’éliminer les dirigeants12. Les expériences de l’Irak, de l’Afghanistan et plus récemment, celles de la Libye et de la Syrie, le montrent.
A ce sujet, J. Breinstein révèle :
« Il s’agit de la stratégie du chaos périphérique, de la transformation des pays et des régions les plus vastes en aires désorganisées, balkanisées, dotées d’États-fantômes, des classes sociales dégradées en profondeur, incapables de se défendre, de résister face aux pouvoirs politiques et économiques d’un occident qui peut ainsi impunément s’emparer de leurs ressources naturelles, de leurs marchés et de leurs ressources humaines. Depuis la guerre froide jusqu’à la ‘stratégie du chaos’, l’usage de la violence est quasi permanent au cœur de la machine capitaliste et du choix de ses ‘petites mains’ dans la fabrication des événements profonds. Le génocide rwandais aurait été l’un de ces événements. »13
Un tel mode opératoire qui crée des divisions et entretient la guerre de tous contre tous, terrain favorable au capitalisme du désastre et de la politique de ses petites mains, championnes du principe de « diviser pour mieux régner ». De l’AFDL au M23 en passant par le RCD et le CNDP, les milices créées par les gouvernements rwandais et ougandais et déversées en RDC ont toutes opté pour ce mode opératoire14. Le complot pour l’implosion et la balkanisation de la RDC participe à ce mode opératoire. Il est nécessaire, à partir de ses minorités organisées en conscience, d’opérer les choix politiques nationaux, internationaux, géostratégiques et géoéconomiques sages et intelligents pour sortir de cette situation. Césaire disait : « une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement, est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Celle qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »15
L’opacité des attributions qui font figure d’oukases de Kinshasa alimentent et amplifient les revendications et la méfiance des populations locales pour lesquelles l’enjeu principal est celui du développement sur fond de rivalités locales complexes et de revendications indigénistes16. Les racines des conflits sont loin d’être extirpées aussi longtemps que l’exploitation illégale des ressources naturelles prospèrera.
En Afrique des Grands Lacs, il y a bien plus de conflits plus graves qui durent depuis plusieurs années et ont fait plusieurs millions de morts. Dans différents cas, il s’agit tout d’abord de conflits internes, entre des populations plus au moins voisines qui sont parfois imbriquées les unes aux autres comme au Rwanda entre les Tutsis et les Hutus17. Mais ces conflits internes donnent lieu aux interventions des armées d’États voisins, comme c’est le cas du Congo Kinshasa. La problématique des ressources naturelles dans la région des Grands Lacs africains démontre la quasi absence de l’État. Le rôle de l’État en l’occurrence en RDC, dans la gestion de ses richesses est remis en cause.
La fragilité de l’État congolais et la puissance des États limitrophes de la région des Grands Lacs (le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda) qui vivent grâce aux conflits internes illustre la complexité de cette question. A partir de l’année 1996, les Nations-Unies ont mis sur pied des missions d’enquête et des panels d’enquêteurs pour faire la lumière sur l’exploitation illégale des ressources naturelles du Congo. Ces enquêtes ont mis à nu l’étendue des crimes et des pillages systématiques menés par des puissances étrangères, des sociétés multinationales, des pays voisins du Congo, mais aussi des élites congolaises et des personnalités nationales et étrangères18. Le rapport du Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique (GRAMA) intitulé « La route commerciale du Coltan congolais » précise que les États-Unis s’approvisionnent en Coltan en grande partie au Burundi, au Rwanda, en RDC et en Ouganda. Il décrit le parcours du Coltan depuis les creuseurs artisanaux jusqu’à l’armée américaine en montrant brièvement les implications de différentes sociétés minières installées au Congo et opérant sous couverture étrangère. Chose qui s’observe en ces jours sous une forme beaucoup plus perfectionnée car, les mêmes étrangers pillent en se couvrant dans les branches armées ou des rébellions. Retenons toutefois que si la sous-région des Grands Lacs souffre des situations conflictuelles dans lesquelles la RDC se trouve impliquée, elle n’y est pas toujours étrangère ni victime innocente. Les ressources naturelles acquièrent une importance stratégique du fait de leur valeur économique, et la position de force qu’elles confèrent aux pays qui y ont accès, affaiblit davantage la nation assiégée.
Claske Dijkema considère que : {« si le conflit dans l’est de la RDC a été déclenché par L. Kabila pour des mobiles politiques, son enlisement pourrait cependant être attribué au contrôle des rebelles sur les ressources (or, diamant, coltan, etc). »19 Par ailleurs, de nombreuses mesures ont été prises pour stopper l’exploitation illicite de ces minerais. A l’issue de recherches stratégiques menées par Paul Collier et Anke Hoeffler dans différents pays, ils ont avancé la thèse selon laquelle les États dépendant fortement de l’exportation des matières premières étaient davantage exposés aux risques de guerres orchestrées par les États pauvres en ressources naturelles, mais politiquement et militairement forts20.
3. Effets rentiers des ressources naturelles
La rente est une rémunération liée à un droit de propriété sur une ressource dont la quantité disponible ne dépend pas de la rémunération associée à ce droit21. La rente, comme le soulignent Peguin et Talha22, n’est pas liée à la dotation en ressources d’un pays, elle n’existe que parce que des ressources ont une valeur d’échange. Dans le cas de la plupart des pays en développement, les ressources naturelles sont exploitées par des compagnies étrangères qui reversent la rente aux États lorsqu’ils sont propriétaires. Cela résulte d’une longue histoire qui a déterminé le mode d’insertion des pays en développement dans la division internationale du travail et le commerce international et ne leur a pas permis d’exploiter eux-mêmes leurs ressources, les orientant vers une spécialisation poussée dans l’exportation de leurs ressources naturelles brutes. Depuis la décolonisation, la plupart des pays qui en avaient la possibilité se sont engagés dans un développement fondé sur l’extraction, la transformation et l’exportation de leurs matières premières. Comme le soulignent Sachs et Warner23 les pays richement dotés en ressources naturelles ont, presque sans exception, stagné dans leur croissance économique depuis le début des années 1970.
Les ressources naturelles dans la région des Grands Lacs seraient une nouvelle source de revenus pour les pays qui les possèdent et remettraient en cause le rôle clé de la riche région minière. Ces ressources accusent un impact négatif dans le processus de consolidation de l’organisation régionale lorsque des pays appelés à être des partenaires sont en guerre l’un contre l’autre ou soutiennent des parties adversaires. Le contrôle de ressources naturelles comme le pétrole, le coltan, l’uranium, etc. suscite des tensions dans les communautés (États) et présente des entraves au développement durable et harmonieux dans le respect de l’environnement24. Cet enjeu du double péril contre la paix et le développement est la prolifération des conflits armés au sein de nos populations.
a. En RDC
Les recettes tirées des ressources naturelles ont permis à beaucoup de pays d’accroître leur espace budgétaire, et de faire de l’investissement public un vecteur de croissance à long terme, de diversification de l’économie et de lutte contre la pauvreté. Neuf ans après la fin de la guerre civile, la RDC demeure un État fragile tandis qu’elle dispose d’une grande potentialité en ressources naturelles. Le climat congolo-ougandais reste chargé d’accusations et de suspicions, notamment de pillage des ressources naturelles25. D’aucun n’ignore que le secteur minier a toujours été l’épine dorsale de l’économie nationale de la RDC. Il contribue à la maximisation des recettes de l’État, à la stabilité de la monnaie nationale, au développement administratif des entités administratives décentralisées. Au regard de la situation socio-économique de la R. D.Congo, il faut dire qu’il y a un fossé entre les belles théories sous forme de projets et les résultats sur le terrain.
Force est de constater qu’au lieu d’être un facteur de développement, les ressources naturelles deviennent de plus en plus un facteur de fragilisation de la cohésion nationale. Chaque annonce d’attributions de droit de prospection pétrolière, par exemple, suscite à la fois des attentes, des appréhensions et des suspicions de la part des politiciens et des populations locales. L’exploitation minière artisanale est un phénomène social auquel le gouvernement doit faire particulièrement attention et pour lequel il doit mettre en place des stratégies appropriées afin d’endiguer le pillage des ressources, et ramener les dividendes dans le trésor public pour un développement véritablement humain.
L’exploitation des ressources dans des provinces jusqu’ici marginalisées induira un déplacement de la population, qui ne sera pas sans conséquences sur la géopolitique intérieure et relancera nécessairement le débat sur la répartition nationale de la rente des ressources naturelles. Cela suscite une des questions centrales de la politique congolaise et le partage de la rente des ressources naturelles entre les provinces riches et pauvres26. Les conditions d’exploitation et les stratégies mises en place par les différents opérateurs et réseaux d’exploitation affectent directement et indirectement la vie des populations ainsi que le développement des Provinces de l’est du Congo. Des conséquences de cette exploitation sont observées sur le plan économique, social, culturel et environnemental. Les entreprises qui exploitent les minerais utilisent des méthodes dont les effets auront des conséquences lourdes dans les années à venir.
La libéralisation de l’exploitation des ressources enclenchée en 2002 par la RDC a été essentiellement profitable aux entreprises, qui en ont exporté les bénéfices à l’étranger. Certes, l’augmentation de la production minière et pétrolière a été accompagnée d’une augmentation des recettes fiscales en RDC27, mais dans une proportion inéquitable si l’on considère la richesse exportée et les bénéfices qu’en tirent les entreprises. La majeure partie des rentes minière, pétrolière et forestière sort du pays sans engendrer des retombées positives au niveau local. Le budget de l’État congolais est composé à 15 % de l’Aide publique au développement, à 25-30 % des revenus de l’exploitation du cuivre et du cobalt et à environ 25 % des revenus de l’exploitation du pétrole.
Les défaillances de la gouvernance de ces ressources sont multiples. Il y a le manque de transparence de l’État et des entreprises autour de leurs contrats et de leurs paiements, qui rend difficile, voire impossible, le contrôle social et politique sur la manière dont la rente extractive est perçue et allouée. Mentionnons aussi la corruption et les détournements présents à tous les niveaux de pouvoir, le sous-financement des administrations chargées de faire appliquer les différents cadres juridiques afférant aux secteurs extractifs (Codes minier et forestier notamment)28. Il faut également pointer des régimes fiscaux favorables aux entreprises, qui n’empêchent pas, par ailleurs, ces dernières d’avoir recours à diverses stratégies pour éluder le peu d’impôt qu’elles ont à payer. Quelle est la politique publique que l’État congolais formule autour de ses ressources naturelles ?
b. Au niveau sous-régional
La méfiance entre les pays de la région des Grands Lacs est un frein à une paix durable. Les multiples fractures identitaires, exacerbées par les épisodes de violences extrêmes, ont conduit à un climat de violence généralisée et au traumatisme de communautés entières. Au Rwanda, le travail de mémoire, de réconciliation et de réparation suite au génocide de 1994 et aux crimes du FPR reste inachevé. En RDC, l’afflux massif de réfugiés rwandais en 1994 et la présence de groupes armés congolais et étrangers ont exacerbé la conflictualité communautaire autour de l’accès aux ressources (terres, minerais, etc.). Cette situation perdure, malgré les récents développements survenus depuis 2013 : signature de l’Accord Cadre (février 2013), nomination de Mary Robinson (mars 2013 – juin 2014) puis de Saïd Djinnit (juillet 2014) en tant qu’Envoyé Spécial de l’ONU pour la région des Grands Lacs, extradition du criminel de guerre Bosco Ntaganda à la CPI (mars 2013), déploiement d’une brigade d’intervention de 3000 hommes sous mandat de l’ONU (juin 2013), défaite militaire du M23 (novembre 2013), intention annoncée en avril 2014 par les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) d’abandonner à certaines conditions dont l’ouverture d’un dialogue politique avec les autorités de Kigali, la lutte armée à partir du 30 mai 201429.
Conclusion
Les ressources naturelles se trouvent au cœur des conflits pour les alimenter en permettant l’acquisition des armes. Elles sont l’enjeu de la guerre, car leur contrôle de la région par les groupes rebelles, outre les convoitises qu’elles suscitent, les trafics et les avantages financiers que leur assure ce minerais, leur a permis de s’approvisionner en armes et ainsi de mener une longue guerre. Les pays de la région des Grands Lacs, en particulier l’Est de la République Démocratique du Congo sont frappés par la « malédiction des ressources ». L’occident veut transformer le territoire congolais en théâtres de guerres civiles et en aires désorganisées, balkanisées, dotées d’États-fantômes, de classes sociales dégradées en profondeur, incapables de se défendre, de résister face aux pouvoirs politique et économique d’un occident qui peut ainsi impunément s’emparer de ses ressources naturelles.
La politique minière actuelle du gouvernement de la RDC vise la croissance rapide des résultats économiques du secteur minier. Mais la réalité socio-économique de la population congolaise tant locale que nationale demeure la même. Pour ce faire, il faudrait prendre préalablement des mesures adéquates. L’État congolais doit s’engager effectivement à appliquer les mesures qui sont alignées dans le Nouveau Code minier, pour que les recettes des ressources naturelles puissent jouer leur rôle de vecteur de croissance à long terme, de diversification de l’économie et de lutte contre la pauvreté.
En plus, l’État doit renforcer globalement la traçabilité et la gouvernance des ressources, il est essentiel de prendre des mesures spécifiques pour renforcer les dispositifs institutionnels. Il convient de mettre en place un plan national ou un autre plan stratégique à moyen ou à long terme qui définisse les priorités de développement pour l’ensemble de l’économie. Un pays aussi riche que la RDC doit bénéficier de ses propres ressources . C’est aussi aux Congolais de prendre conscience de la gestion de notre pays. Aucun pays n’est pauvre, mais c’est la volonté commune de sa population d’utiliser ses capacités. La possibilité de profiter de la corruption dans la signature des accords d’exploitation constitue un facteur important qui rend difficile la gestion de la rente des ressources naturelles dans notre pays. Il faut une prise de conscience de l’importance de la volonté politique d’améliorer le système ; il convient également de chercher à influencer le pouvoir exécutif et à mobiliser un soutien plus large de la société civile pour veiller à ce que la gouvernance des ressources naturelles soit améliorée.
Notes
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Image tirée de l’article « RDC : le lien entre l’exploitation des ressources naturelles et le financement du conflit congolais », publié sur Ingeta (www.ingeta.com/rdc-le-lien-entre-lexploitation-des-ressources-naturelles-et-le-financement-du-conflit-congolais/)
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1G. WACKERMANN, Géographie des conflits non-armés, Ellipses, Paris, 2011, p.130
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2R. MARCHAL ET CHRISTINE MESSIANT, Une lecture symptomale de quelques théorisations récentes des guerres civiles, CERI/CNRS-CEA/EHESS, Paris, 2001, p.2
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3Courrier international, Niger - l’affaire Areva ou la fin du monopole français sur l’uranium nigérian, in courrier international, 9 août 2007.
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4M. BAILONI, (dir), Conflits non armés autour des ressources stratégiques naturelles, Ellipses, Paris, 2011, p.139.
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5Etude sur la gestion des ressources naturelles en RDC Cas de la province du Sud-Kivu, Centre d’Etudes, de Documentation et Animation Civique(CEDAC), Janvier 2009, p.21.
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6K.J.P, MBELU, Babanya. (coll.), la question politique des terres congolaises. De l’uranium de L’UMHK au droit de regard sur le sol du Kivu, de l’Ituri et du Katanga, RADC, volume I, n°1, 2014, pp.15-31.
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7Centre d’Etudes, de Documentation et Animation Civique (CEDAC), op.cit. pp.35-36.
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8C. DIJKEMA (traduit de l’anglais par Mathilde Baud), Ressources naturelles stratégiques, fossiles et minières, Ellipses, Paris, 2011, p.2.
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9F. PERROT, La France et les Etats-Unis en Afrique : concurrence ou jeu à deux partition, in Revue des Recherches internationales, n°49, Eté 1997, p.32.
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10Revue Africaine de la Démocratie et de la gouvernance, volume I, n°1, 2014, p.21.
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11BRAECKMAN Colette, L’enjeux congolais, l’Afrique centrale après Mobutu, Paris, Fayard, 1999, p.405.
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12J. BREINSTEIN, L’illusion de la maîtrise impériale du chaos. La mutation du système d’interventions militaires des Etats-Unis, 1ère partie, le grand soir info du 1er juin, 2013.
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13B. LUNGAN, les guerres d’Afrique. Des origines à nos jours, Rocher, Paris, 2013, p.334.
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14J. KANKWENDA Mbaya, et F. MUKOKA Senda, La république démocratie du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, ICREDES, Kinshasa, 2013.
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15A. CESAIRE, Discours sur le colonialisme, présence africaine, Paris, 1955, p.4.
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16Rapport Afrique de Crisis group n°188, l’or noir au Congo : risque d’instabilité à l’opportunité de développement ?, 11 juillet 2012.
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17Y. LACOSTE, Géopolitique des stratégies africaines, Hérodote n°111 ? Tragédies africaines, 4ème trimestre 2003.
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18Centre d’Etudes, de Documentation et Animation Civique(CEDAC), Janvier 2009, pp.3-6.
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19C. DIJKEMA (Sous dir), Ressources naturelles stratégiques, fossiles et minières, Ellipses, Paris, 2011, p.133.
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20P. COLLIER et A. HOEFFLER, On economic causes of civil conflict, in Oxford Economic Papers 50(4); 563-573, 1998.
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21B. GUERRIEN, Dictionnaire d’analyse économique, Paris, La Découverte, 1996.
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22D. PEGUIN, L. TALHA, Pourquoi le régime rentier est-il si rétif au changement ? Une interprétation des facteurs de blocage en termes d’institutions, Actes du Forum de la Régulation. Forum de la Régulation), Paris, 11 et 12 octobre 2001.
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23J. SACHS, A. WARNER, The curse of natural resources, European Economic Review, 45, 827-838. 2001, p.837.
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24Préface de l’ouvrage de l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR), « coopération pour la paix en Afrique de l’ouest : Agenda pour le 21e siècle », sous la direction d’Anatole Ayissi, Nations-Unies-UNIDIR, Genève, 2001.
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25Rapport Afrique de Crisis group n°182, l’année de résistance du seigneur échec et mat ?, 17 novembre 2011.
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26L’article 175 de la constitution Congolaise ne dispose en effet que « la part des recettes à caractère national allouées aux provinces et établie à 40 % »
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27EurAc – Réseau européen pour l’Afrique centrale, Pour un engagement renforcé en faveur de la paix et de la démocratie dans la région des Grands Lacs Mémorandum UE - Législature 2014-2019, octobre 2014, p.9.
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28Stefaan Marysse et Claudine Tshimanga, « La renaissance spectaculaire du secteur minier en RDC : où va la rente minière ? », in Cahiers africains/Afrika Studies n°82 (2013), Musée Royal de l’Afrique centrale/ L’Harmattan, Tervuren/ Paris ; Africa Progress Panel, Équité et industries extractives en Afrique, Rapport 2013 sur les progrès en Afrique, avril 2013.
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29Le 30 mai 2014, quelque 183 combattants FDLR ont rendu leurs armes au Nord et au Sud Kivu. Regroupés depuis lors dans un camp de transit de la MONUSCO à Kanyabayonga (Nord-Kivu), les FDLR refusent leur transfert en dehors du Kivu, vers le camp de transit de Kisangani (Province Orientale) prévu à cet effet. RFI, « Tout est prêt pour la relocalisation des FDLR à Kisangani, selon la MONUSCO », 10 Septembre 2014.
Fiches associées
Fiche de bibliographie : Bibliographie : " Les ressources naturelles comme principal facteur du panorama belligérant des Grands Lacs Africains »
François LAYINGA, RDC, décembre 2015