Lazare LUFAKALYO, RDC, septembre 2014
Les conflits dans les espaces frontaliers des Etats de la sous-région des Grands Lacs Africains.
Introduction
Les pays de la sous région des Grands Lacs sont marqués par une dynamique régionale très complexe avec des clivages locaux et des conflits nationaux qui prennent souvent des dimensions transfrontalières.
Depuis les années 1960, chaque fois qu’un conflit a eu lieu dans un des États de la région, l’équilibre des pays voisins a été lui aussi menacé. C’est le cas du génocide rwandais de 1994 qui a eu des répercussions sur le déclenchement du premier conflit au Zaïre (RDC).
En 1996-97, la situation au Rwanda et au Burundi a contribué à l’embrasement de la sous région : les Banyamulenge, une population Tutsi d’origine Rwandaise, revendiquaient la citoyenneté zaïroise et un espace territorial propre à eux (Oka, 2002, Katembo, 2010). Au cours de cet affrontement, sept autres armées de pays africains et nombreux groupes rebelles sont intervenus prétextant défendre les uns la cause de la minorité Tutsi-Banyamulenge, les autres l’intangibilité des frontières de la RDC héritées de la colonisation mais avec des agendas cachés.
Les efforts de l’ONU pour ramener la paix dans la région ont abouti à la cessation officielle des hostilités en 2003-2004 et à l’engagement des pays de la région dans le processus de consolidation de la paix, par le biais de la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL). Seulement voilà que malgré la mise en œuvre de mécanismes de contrôle de la déstabilisation régionale, le défi de la construction de la paix durable persiste. Les violences entraînent des pertes en vies humaines, des déplacements de populations dans tous les sens, la destruction des infrastructures de base et le pillage économique.
Tous les pays de la région sont encore confrontés à l’injustice sociale, au manque de démocratie ainsi qu’au problème de gestion des zones frontalières indispensable pour maintenir une paix durable.
A titre illustratif, le conflit opposant les Bafuliru aux Barundi et aux Banyarwanda de la RDC, dits Banyamulenge, qui vivent de part et d’autre des zones frontalières du Burundi, de la RDC et du Rwanda. Le conflit susmentionné, vieux d’une dizaine d’années, ne cesse de faire des victimes dans les espaces frontaliers de la plaine de la Ruzizi et la violence qui le caractérise mérite d’être comprise et analysée minutieusement.
Cette étude vise à analyser les causes profondes des conflits qui opposent les trois tribus citées plus-haut et dont les conséquences négatives ensanglantent les zones frontalières de la région des Grands Lacs africains. Identifier les enjeux de ces conflits violents apparaît nécessaire afin d’entrevoir des pistes d’actions pour leur transformation.
Pour ce faire, nous aurons recours à deux outils d’analyse : l’arbre à conflit et le triangle des conflits liés aux ressources. Les enjeux et les actions à entreprendre seront ensuite traités selon le concept de ‘’pays-frontières’’ de Ousmane Sy (2009).
Pour mieux circonscrire cette analyse, le terrain de travail sera limité à l’espace géographique à cheval sur la rivière Ruzizi qui sépare les trois pays de la Régions des Grands Lacs (Rwanda, Burundi, RDC) et dont les populations sont liées par des rapports socio-économiques et culturels.
1. Contexte géographique.
La région des Grands Lacs africains est une entité géopolitique organisée autour d’une suite de lacs dont le lac Victoria, Edouard, Kivu, et Tanganyika lesquels constiituent les frontières naturelles entre les pays qui les entourent. À savoir, le Kivu qui relève de la RDC, le Burundi, le Rwanda, la pointe Ouest du Kenya, le sud de l’Ouganda et le Nord-Ouest de la Tanzanie. Tous ces pays sont peuplés de nombreuses ethnies parmi lesquelles nous avons les Hutu (Bantous), les Tutsi (non-Bantous) et les Twa ou pygmées.
Au cœur de cette région, se trouve la province du Kivu, située dans la partie Est de la République Démocratique du Congo et qui a une frontière avec les territoires Burundais de Cibitoke, Bubanza et Bujumbura, les territoires de Cyangugu au Rwanda. ‘Le Kivu est une ‘province jadis florissante, convoitée pour ses richesses minérales, traditionnel creuset de migrations transfrontalières, agitée de longue date par des flambées de violences interethniques en particulier entre Hutu et Tutsi originaires du Rwanda et du Burundi voisins’ (La documentation Française, Online).
2.Les zones frontalières concernées par le conflit.
Les ethnies Hutu et Tutsi vivent des deux côtés de la rivière Ruzizi. Pour la petite histoire sur les migrations de la région, les Hutu du Kivu (Bafuliru, Babembe, Barega, Bashi, etc.), considérés comme autochtones, seraient venus du Royaume de Bunyoro en Ouganda avant les années 1885 et d’après loi de 1981 sur la nationalité congolaise, leur nationalité ne pourrait être autre que congolaise. Par contre, les Rwandophones (les Banyamulenge et les Barundi) seraient quant à eux, issus de mouvements migratoires datant d’après la mort du roi Léopold II en 1908, et considérés soit comme des immigrants acceptés par l’administration coloniale belge, soit comme des immigrants clandestins, soit comme des réfugiés sans papiers (Depelchin, 1974, p.32 ; Ruhimbuka, 2001, p. 28-27).
Les conflits politiques dans cette région n’ont pas permis la clarification de la situation des ethnies, au contraire ils ont contribué à leur enlisement et à leur complication du fait de mouvements migratoires à double sens et de l’infiltration continue des Banyarwanda et des Barundi dans la région (en particulier dans la plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu.) Les visées de leur migration sont diverses : terre, pouvoir, commerce ou simple vol de bétails pour retourner ensuite au Rwanda ou au Burundi.
Les conflits persistants qui découlent de cette confusion sur la nationalité vont culminer en 1996 par un déchaînement de combats, de massacres interethniques, de pillages, de viols impliquant une dizaine d’armées de la région et une multitude des milices constituées sur une base ethnique. Les Banyarwanda (peuple Rwandophone) et les Barundi (population qui parle Kirundi) continuent à s’identifier par rapport à leurs pays d’origine alors qu’ils vivent sur les territoires congolais. Les deux ethnies se feront aider par les armées et les gouvernements rwandais et burundais pour revendiquer la reconnaissance de la nationalité congolaise et le territoire. Les Barundi, quant à eux, ne revendiquent que le territoire.
Cependant, en dépit de tous ces conflits, de la ruralité et de l’explosion démographique, les populations des deux ethnies de la région traversent la rivière Ruzizi pour aller chercher du travail comme main d’œuvre agricole, faire des petits commerces ou enseigner afin d’améliorer leurs conditions de vie. Des jeunes traversent pour poursuivre leurs études et des malades pour recevoir des soins médicaux appropriés. Les échanges socio-économiques et culturels entre les populations des espaces transfrontaliers sont donc intenses malgré les tensions et les conflits au sommet des États de la région.
3.Les acteurs du conflit, les groupes stratégiques ; leurs diversités et leurs contradictions.
Les États et leurs armées, les groupes ethniques et les populations, les réfugiés ou les déplacés, l’ONU et ses missions de paix dans la région (MONUSCO), la CUA et les organisations régionales CIRGL, les représentants des associations de la société civile locale, les ONG et les bandes armées constituent les principaux acteurs du conflit des Grands Lacs :
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Les acteurs politico-militaires du Rwanda interviennent pour soutenir les Tutsi du Congo. Depuis 1996, le régime de Kigali considère que les camps de réfugiés Hutu à proximité constituent une menace pour leur sécurité. Leurs armées vont donc soutenir la rébellion en majorité Tutsi de AFDL pour s’attaquer aux camps, chasser le président Mobutu du pouvoir et par la suite multiplier les expéditions militaires à l’Est de la RDC, soit pour soutenir les différents mouvements rebelles naissants (RCD, CNDP et M23 essentiellement formés de Tutsi comme l’AFDL), soit en alliance avec les dirigeants politiques de Kinshasa pour poursuivre les rebelles Hutu déjà dispersés et affaiblis dans la forêt du Congo à environ 200 km du Rwanda. Le régime de Kigali se fait déjà défenseur de la minorité Tutsi à tel point que même si on menace des Tutsis burundais, c’est le Rwanda qui réagit avec le plus de ferveur. À travers les médias sont relayées les ambitions d’expansion territoriale et, sur le terrain, l’ armée rwandaise viole l’intégrité territoriale de son voisin, pille les ressources naturelles (diamant, coltan, or, bois rouges et ébène).
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Le gouvernement du Burundi et son armée brillent par leur ambiguïté. Ils font le choix du Rwanda de peur d’être renversés du pouvoir. Les intérêts politiques font que les dirigeants du Burundi ménagent le Rwanda et attaquent avec lui la RDC pour poursuivre les rebelles du FNL sur le territoire congolais mais aussi pour piller les richesses de la contrée et positionner leurs militaires dans un des quartiers de Kiliba, afin de contenir les attaques des rebelles. Paradoxalement, avec la RDC, ils exploitent en commun la pèche sur le lac Tanganyika.
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Les dirigeants politiques de la RDC et leur armée sont fragilisés par la déliquescence de l’ État. Ils ont moins d’initiative pour creuser le fond de la question de la terre et la nationalité. Ils fournissent moins d’effort pour stopper les menaces ou pour protéger les Hutu une fois menacés par les Tutsi. L’armée et les pouvoirs locaux se rallient aux positions du gouvernement qui est accusé de mauvaise gouvernance des ressources minières et naturelles du pays. Ce qui fait observer l’irrationalité dans l’affectation des deniers publics aux services autres que la santé, l’éducation, les infrastructures routières, les salaires et la création d’emplois. Il s’en suit des phénomènes de clientélisme, de favoritisme et l’instrumentalisation de certains responsables communautaires (chefs coutumiers) et institutionnels sur une base ethnique. Cette instrumentalisation provoque méfiance et discrimination lesquelles à leur tour sont utilisées pour faire voir aux uns et aux autres que telle ethnie représente le malheur de l’autre, et doit par conséquent disparaître.
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Les peuples d’origine ethnique Tutsi (Banyamulenge, Barundi) et les Hutu entretiennent de bonnes relations depuis longtemps. Les populations restent très actives dans les petits commerces et se débrouillent pour leur survie. Les Tutsi, par exemple, sont solidaires lors des élections politiques dans tous les pays de la région pour soutenir et élire l’un des leurs. Ils traversent régulièrement la rivière Ruzizi afin d’aller voter pour les candidats de leur ethnie. Pour les Barundi, le problème n’est pas la cohabitation pacifique avec les autres Congolais mais celui de la reconnaissance de leur autorité sur la collectivité de la Plaine de la Ruzizi telle qu’établie par les colons belges vers 1928. De façon générale, les populations de la région ont toutes des besoins à satisfaire (que ce soit la terre ou tout autre moyen pour leur survie) et elle en deviennent vulnérables au point de se laisser instrumentaliser par les politiques et les milices de leurs pays respectifs.
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Les réfugiés et les déplacés internes sont souvent pris pour cibles par les parties en conflit. Ils sont à la fois les victimes et la conséquence desdits conflits.
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Les Nations unies et ses missions spécialisées (MONUSCO), les organisations régionales - comme la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) et l’Union Africaine - et la Communauté Internationale, même s’ils n’ont pas un langage commun soutiennent les efforts en faveur de la paix et de la stabilité dans la région, en combattant les milices et les bandes armées. Ils financent également des conférences de médiation et de réconciliation inter-communautaires au plan local comme au plan régional.
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La CIRGL est censée imaginer des actions susceptibles de ramener une paix durable dans la région. Elle a pour objectif ambitieux de « lancer un processus dans le cadre duquel les dirigeants des pays de la région des Grands Lacs chercheront ensemble à dégager un accord sur un certain nombre de principes - relations de bon voisinage, stabilité, paix, développement, etc.- et définiront et mettront en œuvre une série de programmes d’action en vue de mettre fin au retour cyclique des conflits et d’apporter à l’ensemble de la région une paix durable, la stabilité, la sécurité, la démocratie et le développement. » (Relief web). Sous ses auspices, les leaders de onze États de la sous-région se rencontrent et signent des accords tels que la Déclaration de paix de Dar-es-Salaam (2004) et le Pacte de Nairobi (2006).
Dans un cadre régional de la CEPGL, des projets d’intérêt commun ont été lancés sans trop de succès. Seule la libre circulation transfrontalière des personnes et de leurs biens semble être garantie.
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Les groupes armés (Mai Mai, FDLR et FNL) ne sont pas dans la logique des peuples qui s’entendent, et ont leurs propres intérêts et leur agenda. Leur argumentaire est autre/ailleurs. Certains sous-traitent le travail des acteurs politico-militaires et d’autres s’improvisent en protecteurs des ‘communautés ethniques’ sans mandat de celles-ci.
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Les groupes de la société civile (ONG, associations, Églises) qui n’appartiennent ni aux gouvernements ni à la population mais se disent représenter les populations ‘forces vives’ (sans mandat de celles-ci) prennent une part active dans les conflits à travers leurs discours, déclarations et positions pour ou contre l’une ou l’autre des parties en conflit. Certains membres de la société civile, des églises et des organisations de droits de l’homme essaient de sensibiliser la population à ne pas céder aux discours politiques des dirigeants.
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Les organisations de Droit de l’Homme dénoncent les attitudes négatives des dirigeants, des groupes -milices et militaires - nationaux. Par rapport aux acteurs politiques, les dirigeants et les membres de la société civile entretiennent des relations difficiles. En tant qu’avocats du peuple, ils sont exposés à la méchanceté des dirigeants politiques. Ce qui fait que les uns sont haïs en personne, voire tués par les services du gouvernement, tandis que d’autres se rallient au pouvoir et jouent le jeu du gouvernement en prétendant représenter la population par des ‘nous’ trompeurs.
D’une manière générale, les acteurs se définissent à travers leurs intérêts respectifs et leurs contradictions. La plus grande particularité des conflits transfrontaliers dans la plaine de la Ruzizi est la qualité volatile et fluctuante des alliances entre acteurs primaires. Tantôt les miliciens collaborent avec l’État Congolais, tantôt ce dernier fait alliance avec le gouvernement rwandais ou burundais comme ce fut le cas lors des opérations militaires conjointes pour traquer les miliciens. Tantôt c’est le Rwanda et le Burundi qui coalisent pour envahir la RDC ou empêcher l’invasion de l’autre à partir de son territoire.
Les causes profondes et les incompatibilités du conflit.
La conflictualité dans l’Est du Congo s’inscrit dans la logique de l’instrumentalisation des ethnies de la région, la victimisation, les discours politiques et les frontières. Elle renvoie aux mouvements migratoires depuis l’époque coloniale et à l’histoire du peuplement de la plaine de la Ruzizi par les ethnies Tutsi venues du Rwanda et du Burundi pour servir de main-d’œuvre locale dans les entreprises de la place. L’héritage historique fait des fréquents mouvements migratoires transfrontaliers un véritable mode de vie des populations de cette sous-région. Ils contribuent à poser les bases des situations conflictuelles au niveau régional. Le Rwanda va brader/ignorer les griefs historiques et identitaires pour pousser une partie de sa population à aller s’installer en RDC.
Le Burundi, fait de même pour maintenir son emprise sur la ville frontière de Gatumba, le secteur de Kiliba-ONDS en RDC et soutenir les Congolais d’origine burundaise à asseoir leur pouvoir dans la collectivité-chefferie congolaise de Luberizi-Mutarule. Le pouvoir en RDC instrumentalise les controverses d’ordre coutumier autour de l’accès à la terre pour confronter les populations dites ‘autochtones’ à celles considérées comme des ‘étrangers’ ou des ‘immigrants’ (L. N’Sanda Bulela (s.d.).
De la manipulation ethnique à l’instrumentalisation de l’histoire pour nourrir la peur et renforcer leur légitimité et leur pouvoir, les dirigeants politiques étalent la mauvaise gestion des affaires foncières et la mal gouvernance (Rapport de Crisis Group du 23/07/2013).
D’une manière globale, les incompatibilités sources de conflits seraient la gestion de la terre, des frontière et du voisin. Les dirigeants des États de la région, en particulier le Rwanda, ont besoin de ces richesses pour asseoir leur pouvoir et surtout élargir leurs zones d’influence au-delà de leurs frontières dans une région riche en minerais, dont les terres peuvent aussi servir de déversoir. Les dirigeants de la RDC, invoquant des lois et normes peu claires, refusent le droit à la terre et au pouvoir coutumier aux peuples Tutsi d’origine burundaise et rwandaise. De par ces positions, ils paraissent résister à la tentative de la révision des frontières et du partage égal des ressources selon le principe de l’Union Africaine consacrant la souveraineté et le respect de l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation. Les dirigeants congolais tirent leur pouvoir de la terre et des richesses du pays et ils ne sont pas disposés à les partager avec d’autres.
Comme on peut le constater, les trois parties poursuivent des objectifs incompatibles qui les mettent en confrontation violente à l’image du conflit violent qui persiste entre deux ethnies de la zone frontalière de Mutarule, située à l’est de la RDC, tout près du Burundi.
Analyse de la violence structurelle en présence
Le conflit ‘de Mutarule’ est à la fois un problème ethnique propre à la RDC et un problème régional. Il oppose deux groupes ethniques constitués de Barundi et de Banyarwanda (Banyamulenge) qui s’affrontent régulièrement pour les terres et le pouvoir (Crisis Group, HRW, 2014, RFI publiée le 7/6/2014). Récemment, dans la nuit du 6 au 7 juin 2014, au moins trente civils de l’ethnie Bafuliru, majoritairement des femmes et des enfants ont été tués à l’arme blanche et par balles, pour la plupart alors qu’ils dormaient dans une église protestante après avoir participé à une assemblée générale de fidèles (ibid.).
Cette violence serait consécutive à l’exclusion des Barundi et Banyarwanda du droit à la terre et au pouvoir. Ce type de tensions conduit à des assassinats non revendiqués (cas du chef de la collectivité-chefferie de la Plaine de la Ruzizi, le Mwami Ntabagoye Kinyoni d’origine Burundaise Tutsi tué chez lui le 27 Octobre 2012), ainsi qu’à des déplacements des populations vers le Burundi et les villages voisins de Sange, Bwegera, Luvungi, et Uvira. Il s’ensuit une crise humanitaire et alimentaire au sein des populations de la zone.
L’outil du Triangle de la violence va nous permettre d’analyser les éléments et les relations qui les lient en rapport avec les comportements, les structures et les perceptions.
Concernant les comportements hostiles, les attaques et menaces ont été violentes et ont entraîné le pillage des biens et ressources ainsi qu’une discrimination sociale. Les forces de l’ordre en majorité d’origine Tutsi (burundaise et rwandaise) ont procédé à des massacres et rapidement assuré la protection des leurs au moment où les milices ethniques des Bafuliru s’organisaient pour venger leurs compatriotes, barricadaient les routes et s’adonnaient à la chasse aux sorciers.
La particularité dans ce conflit est que il n’y a pas de guerre totale, mais des expéditions punitives et meurtrières de la part des militaires et des milices de deux ethnies Tutsi qui entraînent la non reconnaissance des droits des individus de vivre en paix.
Du point de vue des structures, le manque de clarté ou de transparence des lois en matière de gestion des terres et de la nationalité favorise les hostilités.
La violence vient de la non-reconnaissance aux Barundi et aux Banyarwanda du droit à la terre et au pouvoir à cause de lois et de dirigeants qui ne les protègent pas totalement.
Les lois existantes ne paraissent pas comprises ni appliquées correctement par les tenants du pouvoir. La commission mixte de vérification/surveillance de sécurité des frontières de la CIRGL semble ne pas répondre proportionnellement aux besoins sécuritaires de base des individus.
Ce qui favorise les perceptions tendant à l’exclusion sociale et à la déshumanisation de l’une ou l’autre ethnie. Les peuples Tutsi d’origine burundaise et rwandaise, toutes tendances confondues, sont traités d’étrangers, d’envahisseurs du territoire congolais et d’ennemis des Bafuliru. On s’observe une tendance de la part de chaque groupe ethnique à un repli sur lui-même ; chacun fréquente son quartier, son église et de moins en moins les autres tribus. La méfiance entre les ethnies s’installe et les peuples Tutsi voient dans les peuples Bafuliru et autres des ‘génocidaires’, des ‘sanguinaires’.
Les gouvernements de la région traitent cette question des terres et du pouvoir sous l’angle ethnique et politique ignorant même que leur mauvaise gouvernance ne fait qu’attiser la persistance de cette violence.
Lecture des principaux enjeux dans le conflit et des pistes d’action pour leur transformation.
Les enjeux majeurs du conflit consistent à contenir les dérives territoriales expansionnistes, à décourager le recours aux moyens illégaux et criminels (insécurité, discrimination et exclusion, propagande, manipulation / utilisation perverse des communautés ethniques, des armées nationales, mouvements migratoires transfrontaliers de Tutsi) pour revendiquer les droits et/ou pour accéder aux biens et services dans l’espace frontalier notamment : l’identité, la terre, les ressources naturelles et l’emploi.
La notion de frontières devra être comprise non pas comme barrières entre les pays de la région, comme lignes névralgiques de l’affrontement et des contestations mais comme une opportunité de contact et d’échanges socio-économiques et culturels transfrontaliers.
L’identité régionale pourra servir de liens entre les populations frontalières, faire tomber les frontières psychologiques entre les 3 nations sœurs, garantir la sécurité frontalière afin de mieux satisfaire les besoins des 3 pays, de garantir la paix, la libre circulation des personnes, les échanges, et le développement, etc.). Pour ce faire les États et leurs dirigeants de part et d’autre de la zone frontalière, devront instaurer une société juste et démocratique, soucieuse du bien- être social de la population locale.
Pistes d’action en perspective.
La transformation par le conflit se traduira par une gestion commune des zones frontières et une intégration de proximité des communautés frontalières pour un changement social et politique positif.
Un dialogue rationnel au sein des espaces frontaliers permettrait l’émergence de structures logiques ou d’un cadre d’échanges et de concertations entre les trois États (Burundi, RDC et Rwanda) et les sociétés civiles de part et d’autre de leur frontière. Il s’agirait d’énoncer et de reconnaître les causes des relations historiques conflictuelles entre les ethnies de la région et la nécessité de vivre ensemble en paix.
Considérant que les populations sont instrumentalisées par les politiques, il faudra les atteindre directement ou indirectement pour déconstruire les préjugés sur l’identité, modifier leur perception des « autres » comme ennemis ou destructeurs économiques, utiliser la langue Swahili dans la zone ‘Swahili’ comme moyen fédérateur et mener des actions communes d’amélioration des conditions de vie des populations de la sous-région brisant ainsi la perception des ’’frontières-barrières’’. Cette démarche va aider à la création d’un intérêt commun autre que des ressources pour lesquelles on se battrait.
Pour créer harmonie et équilibre, il est important de renforcer la société civile et d’impliquer les dirigeants des États et leurs partenaires afin de les amener à concevoir des lois ‘d’exception’ spécifiques au contexte des zones frontalières. Ces lois et normes favoriseraient l’intégration des communautés, la justice structurelle, la satisfaction des besoins fondamentaux, y compris la sécurité, le social et l’économique. Tel serait le cas de dispositions légales portant par exemple, sur une identité régionale, sur la redéfinition de la notion de bien commun et des frontières, sur les mariages interethniques, etc.
Comme tous les États de la région sont confrontés aux problèmes de sous-développement, de sous-équipement et à l’insatisfaction des besoins fondamentaux, il faudra redynamiser les activités de l’ensemble régional la CEPGL. Cette dernière pourra veiller à la mise en œuvre des projets d’intégration régionale, d’intérêt commun et de gestion commune et concertée (infrastructures frontalières ; moulin régional d’un coté de la frontière, école de l’autre côté de la frontière, source d’eau potable, barrages Ruzizi Sinelac au Burundi, installation au Congo, etc.) pour satisfaire les besoins des populations. Il sied à signaler que les populations vivant de la terre et de l’élevage pourront voir créer des économies qui ne seront plus liées à la terre pour que la jeunesse ne soit plus désœuvrées ni tentée de rejoindre des bandes armées.
Pour ces dernières, il faudra chercher à transformer leur motivation et l’enjeu derrière cette motivation. Comme elles font la guerre pour contrôler les minerais et disposer des moyens permettant de satisfaire leurs besoins (écoles, bourse,..), il faudra ; les dividendes de la paix doivent aussi leur profiter si l’on veut les amener à faire autre chose que la guerre. Ne dit-on pas que c’est le besoin rend manipulable ?!