Astrid Fossier, Paris, juin 2003
Le Dalaï Lama, un messager de paix
Le dalaï lama, chef temporel et spirituel, décline son combat pour la paix autour de la démocratisation de son gouvernement, de la préservation de la culture tibétaine et de l’approche bouddhiste de la paix.
Sa Sainteté le Dalaï Lama peut être considéré comme l’acteur majeur de la paix au Tibet. Il est aujourd’hui à la tête du gouvernement tibétain en exil, représentant à la fois la communauté tibétaine hors du Tibet et la lutte de tous les Tibétains pour la paix.
Dalaï est un mot issue de la langue mongol signifiant « océan » et Lama signifie en indien « guru, maître spirituel ». Ensemble, les deux termes sont traduits « Océan de sagesse ». C’est une des appellations parmi d’autres désignant le chef spirituel et temporel du Tibet. Le premier Dalaï Lama fut un roi sage Tibétain à qui les maîtres de l’Asie de l’époque, les Mongols, donnèrent le titre de Dalaï, lui confiant le statut de maître spirituel du bouddhisme. C’était en 1391. Depuis, les règles sont immuables. Dès qu’un Dalaï Lama meurt, les maîtres spirituels Tibétains partent à la recherche de sa réincarnation. Pour mener cette recherche, des techniques de divination sont utilisées, ainsi que la consultation des oracles. Lorsque la réincarnation, un enfant de sexe mâle, est trouvée, il est soumis à plusieurs tests, notamment ceux de reconnaissance d’objets ayant appartenu à son prédécesseur.
Tenzin Gyatso, Dalaï Lama actuel, est né le 6 juillet 1935 dans le village de Takster, au Nord-est du Tibet, dans l’ancienne province de l’Amdo, aujourd’hui province du Qinghai. Agé d’à peine trois ans, il fut reconnu comme étant la réincarnation du XIIIème Dalaï Lama, Thupten Gyatso.
Lorsque, en 1933 Thupten Gyatso entra dans sa dernière méditation, le Tibet se retrouva sans chef politique ni spirituel. Avant de chercher un successeur, les autorités tibétaines devaient choisir un régent qui occuperait la vacance du pouvoir. Le choix de Réting Rimpoché fut la première disposition prise par l’Assemblée nationale tibétaine, et également le seul aspect politique dans la mort de ce chef du Tibet. Ce qui se passa ensuite fut de l’ordre du religieux, des traditions séculaires tibétaines : c’était le début de la quête du nouveau Dalaï Lama. Les règles régissant la recherche de la nouvelle incarnation d’un Dalaï Lama sont les mêmes depuis des siècles, mêlant la pratique de la divination et la consultation des oracles. Ces recherches peuvent durer plusieurs mois.
Les premiers éléments qui menèrent les chefs religieux tibétains à reconnaître en Tenzin Gyatso, enfant de trois ans, la réincarnation du XIIIème Dalaï Lama, furent une série de formation nuageuse qui se forma au Nord-est de Lhassa. Les moines habitués à lire les signes s’interrogèrent sur les formes de ces nuages. Dans le même temps apparut dans la chapelle où repose la dépouille du XIIIème Dalaï Lama un énorme champignon, sur le pilier Nord-est de la pièce. Les présomptions allaient bon train quand le corps lui même du Dalaï Lama défunt, traditionnellement tourné vers le Sud, se pencha légèrement vers le Nord-est ! Face à toutes ces coïncidence, le régent Réting Rimpoché décida du début de la quête. Accompagné des membres du Kashag, l’Assemblée Nationale tibétaine, il alla au bord du lac sacré de Lhamo Latso. Il y eut une vision extrêmement nette, distinguant sur la surface de l’eau les trois lettres de l’alphabet tibétain A, Ka et Ma. D’autres dignitaires virent se dessiner sur les eaux du lac les toits d’or et de jade d’un monastère, les contours d’un petit hameau blotti au creux de hautes montagnes ainsi que le toit de tuile bleu d’une modeste ferme. Fortes de ces indices, trois expéditions quittèrent Lhassa en 1936, l’une vers le Sud-est, l’autre vers l’Est et la troisième en direction du Nord-est. La mission en route vers le Nord-est était menée par Ke-Tsang Rimpoché. Trois mois plus tard, elle arriva en vue du monastère de Koum Boum, aux toits d’or et de jade, dans lequel s’était déjà rendu le XIIIème Dalaï Lama. Proche de ce monastère se trouvait un hameau dont l’une des fermes était recouverte de tuiles bleues. Les membres de l’expédition cachèrent leur identité et entrèrent dans cette ferme. Ils furent accueillis par la famille et surtout par un petit garçon parlant la langue de Lhassa et qui devina leurs noms. L’ensemble de ces signes étaient plus que positif, mais les moines n’en décidèrent pas moins de retourner à Lhassa pour comparer leurs découvertes avec celles éventuelles des autres missions. Deux enfants semblaient être liés au XIIIème Dalaï Lama, ainsi lorsque la mission de Ke-Tsang Rimpoché se rendit à Takster pour la seconde fois, la visite était décisive. Il s’agissait pour l’enfant de Takster de reconnaître des objets ayant appartenu à Thupten Gyatso. Ce qu’il fit sans erreur. Il était donc temps de l’emmener à Lhassa pour des vérifications plus profondes. Après quelques complications dues à la présence d’émissaires chinois désireux d’influer sur le choix du Dalaï Lama, Tenzin Gyatso arriva en 1939 à Lhassa et fut confirmé en tant que réincarnation de Thupten Gyatso la même année. Il avait alors six ans.
Il devint moine et reçut une éducation de haut niveau qui allait le préparer à être le chef spirituel et politique de son pays. Aujourd’hui le Dalaï Lama reconnaît cependant que l’éducation qu’il reçut en matière de politique était trop archaïque par rapport au monde alentour. Ce fut une erreur que le Tibet paya cher, celle de son désir de rester couper du monde.
En 1949, lorsque la Chine envahit le Tibet, il fut nécessaire de donner les pleins pouvoirs au Dalaï Lama encore jeune, afin que la Chine ait face à elle un interlocuteur représentant la totalité du peuple tibétain. Les tentatives de négociations du Dalaï Lama avec la Chine échouent mais il n’en reste pas moins persuadé que la lutte non-violente était la seule alternative possible. Mais face à la montée de la violence au Tibet, il dut fuir en Inde en 1959.
Depuis 1960, le Dalaï Lama dirige le gouvernement tibétain en exil. Son statut fait de lui l’ambassadeur de la cause tibétaine auprès de tous les gouvernements étrangers et organisations internationales. C’est en hommage à son combat pacifique qu’il a reçu en décembre 1989 le prix Nobel de la paix.
C’est à la fois en tant que leader politique et chef spirituel que le Dalaï Lama décline son combat pour la paix. L’aspect politique de sa lutte est la démocratisation du régime tibétain, avec notamment comme objectif de modifier le statut de Dalaï Lama : « Je dis depuis 1969 que l’institution du Dalaï Lama peut continuer ou disparaître. Ceci dépendra des souhaits du peuple tibétain. Si elle continue, la question qui se pose est de savoir s’il faut ou non respecter la tradition ou choisir de nouvelles méthodes. Il y a plusieurs possibilités. L’une d’elle serait de choisir un Lama qui a déjà fait ses preuves pour me remplacer (…). Si cette formule est adoptée je choisirais mon successeur de mon vivant. Ce serait une bonne chose. Cela éviterait les querelles ! ». Modifier les méthodes de choix du Dalaï Lama permet non seulement d’éviter les querelles, qui on s’en doute ont été nombreuses depuis que cette institution existe, mais aussi d’éviter de choisir quelqu’un qui se révélerait avec le temps inapte à la conduite du pouvoir. Cependant, comme le souligne Tenzin Gyatso : « Le choix d’un futur Dalaï Lama est sous la responsabilité de la génération suivante ».
Un des autres aspects de la lutte du Dalaï Lama pour la paix au Tibet est celui de la lutte pour la préservation de la culture et de l’identité tibétaine. Il en parle en ces termes : « Le parcours que j’effectue avec les Tibétains nous entraîne à lutter pour nos droits. Certains peuvent penser que cette lutte est uniquement politique. Il n’en est rien. Nous, les Tibétains, nous sommes les héritiers d’une culture qui nous est propre, à l’instar des Chinois qui ont hérité de la culture de leurs aïeux. Nous respectons la culture chinoise qui remonte à tant de siècles en arrière. Toutefois, bien que nous éprouvions un profond respect pour les Chinois, bien que notre lutte ne soit pas dirigée contre les chinois, les six millions de Tibétains que nous sommes ont également le droit de maintenir vivante leur propre culture, aussi longtemps qu’elle ne blessera pas les autres. Sur le plan matériel, nous avons pris du retard. Mais dans le domaine des sciences de l’esprit et dans le domaine de la pensée, nous sommes riches. Nous, les Tibétains, nous sommes bouddhistes et nous pratiquons le bouddhisme dans son intégralité. Aussi avons nous le devoir de lui conserver sa forme active et vivante. Au siècle dernier, nous étions une nation paisible, animée par une seule culture ? Aujourd’hui, et nous le déplorons, notre pays, notre culture sont écrasés depuis ces dernières décennies. C’est au nom de l’amour que nous portons à notre culture, à notre pays, que nous revendiquons le droit de les préserver (…). Si nous souhaitons apporter notre contribution aux hommes de cette planète, il nous faut préserver notre culture et notre nation. C’est la raison pour laquelle je poursuis mon chemin ». C’est dans cette objectif que le Dalaï Lama soutient un grand nombre de projets d’écoles tibétaines et de villages d’enfants en Inde, ainsi que des centres culturels tibétains à travers le monde.
Enfin la réflexion qu’il a élaboré sur la construction tibétaine de la paix est profondément ancrée dans les principes du bouddhisme. Selon les croyances bouddhistes, il n’y a pas de créateur. Cela implique que toute chose dépend entièrement des individus, c’est le principe du Karma qui dit que l’on récolte ce que l’on a semé. Ainsi pour que la paix existe entre les hommes il faut avant tout qu’elle existe en eux. « Nous évoquons beaucoup la paix. Tout le monde lui accorde une importance capitale. Mais, pour que la paix ait une chance d’exister, l’atmosphère générale doit être de même nature. C’est pour atteindre cet objectif que chacun de nous doit adopter une bonne attitude. Car, fondamentalement, la paix doit d’abord naître en nous même ».
Ainsi à quoi sert le désarmement des nations si les armes sont à l’intérieur du cœur de chacun ? A quoi servent le progrès et les facilités matérielles si les hommes sont encore près à tout perdre par ignorance ? Ces mesures ne serviront à rien, dit le Dalaï Lama, tant que les hommes n’auront pas compris que les racines de la paix sont en soi.
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