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Modus Operandi
En librairie
Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo
Premier témoignage
Oui, j’habite Grenoble et je me déplace beaucoup dans un village pour travailler. J’ai déjà vécu dans ce village et tout le monde me connaît, sait que je suis quelqu’un de bien, que je ne fais pas de problème, que je suis gentille avec tout le monde, avec les voisins, tout le monde m’aime et j’aime tout le monde. On est tous respectés, on me respecte, on respecte la religion. Et je respecte aussi leur religion. Depuis l’attentat qui a été fait par Mohammed Merah les gens du village me voient, m’insultent, me crachent dessus. Certains me disent « rentrez chez vous terroristes, pourquoi vous êtes là ? » Cela m’a angoissée. Avant j’avais une vie normale, en paix. Mais depuis cette histoire, tout a changé. Je ne suis plus respectée, tout le monde me regarde de travers. Des gens qui me semblent venus d’ailleurs et de n’importe où. Tout le monde me voit comme une terroriste.
C’est avec mon foulard.
Il n’y en a pas d’autres. À ce moment-là j’étais la seule qui avait le foulard.
Oui.
Second témoignage
J’ai été convoquée à la sécurité sociale suite à un arrêt de travail, pour un contrôle avec un médecin de la sécurité sociale et je me suis présentée. Je porte un foulard assez long. Et tout de suite, j’ai compris qu’on allait partir sur quelque chose d’un petit peu compliqué, puisque les premières questions ont été : de quelle origine est votre mari ? De quelle origine êtes-vous ?
Je suis convertie, et on a continué toute la discussion sur cela. On n’a pas parlé une seule fois pendant tout l’entretien des raisons pour lesquelles j’étais en arrêt maladie.
La discussion a tourné autour de l’Islam et de ma conversion : à quel âge je me suis convertie ? Si je m’étais convertie à l’islam à cause de mon mariage avec un musulman ? Ce qui n’était pas le cas. Le médecin a spécifié qu’il noterait sur mon dossier que j’étais convertie. Sur mon dossier médical de la sécurité sociale sera notifiée sous mon nom : convertie à l’islam à l’âge de 16 ans. C’est un petit peu spécial par ce qu’on arrive pour autre chose et on est hors cadre. On ne s’y attend pas. Pourtant, je n’ai aucune difficulté à parler de ma religion, de ma foi, de ma pratique, mais là ce n’était pas dans ce cadre et donc j’ai été un petit peu bloquée, surprise, cela m’a un peu touchée. Donc après ça été de mal en pis puisqu’il a commencé aussi à me demander : de quelle religion étaient mes enfants ? C’est étrange de demander cela, j’avais envie de répondre qu’ils étaient bouddhistes. Mais je ne pense pas qu’il l’aurait très bien pris et je me suis retenue.
Et puis il m’a demandé aussi si ça allait avec ma famille puisque j’étais convertie. Je n’ai aucun souci avec ma famille. Il m’a même demandé s’ils n’étaient pas un petit peu inquiet avec ce qui se passe en Syrie. Je lui ai fait comprendre qu’il n’y avait pas de rapport… Et que mes parents allaient très bien. Et que tout allait très bien entre eux et moi. Donc des questions qui n’ont rien à voir avec ma convocation à la sécurité sociale.
Je ne sais pas ce qu’il attendait. J’ai surtout l’impression d’avoir été fliquée : on faisait ma fiche religieuse. Est-ce que je vais partir en Syrie faire le Jihad ? Cela ressemble étrangement à cela, le fait qu’on parle de mes enfants aussi, cela m’a un petit peu touchée. En plus on est dans une situation où on vient parce que… oui la sécurité sociale paye mon arrêt de travail, donc je suis un peu dépendante de ces personnes-là. On se sent coincée.
Ce n’est pas une situation agréable, je suis ressortie avec un malaise puisqu’on n’a même pas parlé de ma situation de malade entre guillemets. C’était vraiment hors cadre. Ces propos, ces comparaisons à d’autres personnes, à d’autres situations.
On m’a aussi demandé de quelle branche de l’islam j’étais. Ce n’était vraiment pas le contexte, pas le lieu pour parler de cela en tout cas. Voilà. Sinon je n’ai aucune difficulté à discuter de tout cela mais là, à ce moment-là, c’était malvenu et j’avais vraiment l’impression qu’on me fliquait, qu’on me fichait. Il a d’ailleurs dit qu’il allait noter sur mon dossier qu’effectivement j’étais convertie à l’islam. Je pense que dans mon dossier médical cela n’a aucun rapport.