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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, mai 2003

Bonne Gouvernance

Bonne gouvernance et Etat de droit en Afrique sont menacés.

Si tous les conflits et toutes les crises ne se transforment pas en guerre, on assiste aujourd’hui en Afrique à des affrontements armés chaotiques imprévisibles, sans agendas et où la notion de droit est exclue dans la conduite des acteurs en conflit. Ainsi les victimes des combats, les personnes fragiles, les femmes et les enfants, ainsi que les réfugiés se voient souvent privés des droits élémentaires d’être traités comme des êtres humains.

La question des violations des droits humains - posée par des organisations internationales et des associations africaines de défense des droits de l’homme - se trouve au centre de tous ces conflits. Mais elle touche au premier chef les pouvoirs politiques et les Etats dans la mesure où elle interroge avec acuité les aspects vécus de la bonne gouvernance et de la démocratisation des pouvoirs politiques. Ainsi les problèmes portant sur les luttes inter-ethniques, identitaires, foncières et culturelles sont une mise en danger réelle de la paix civile.

A ces questions de gouvernance et d’Etat de droit, on associe aussi le fait que la police, l’armée ou les structures administratives empêchent les individus d’exercer leurs droits civiques et politiques élémentaires dont la liberté d’opinion et surtout ceux liés à la citoyenneté. Les restrictions des libertés d’expression et de la presse, la négation des droits des réfugiés qui fuient les combats, l’extorsion des soins destinés aux réfugiés ou aux déplacés, le viol massif d’enfants et de femmes ainsi que l’enrôlement des enfants dans la guerre constituent autant de griefs qui pèsent sur la notion d’Etat de droit. D’autant plus que ces abus s’exécutent dans un climat d’impunité générale et quasi-officielle. Il est alors certain que laisser faire de telles injustices trahit de graves problèmes de transparence politique et de gouvernance des Etats concernés.

Mais si cette question de gouvernance est au cœur des crises de l’Etat, il convient de la poser par l’autre bout, c’est-à-dire en amont, avant les abus signalés ci-haut et en partant des besoins profonds et réels des sociétés africaines. Pourquoi se bat-on réellement en Afrique, et en particulier dans les Grands Lacs ? Est-ce simplement pour des questions de pouvoir politique ?

Les réponses à ce questionnement sont multiples. Le faible taux d’alphabétisation, la pauvreté massive des régions rurales et le sentiment que la distribution des richesses nationales est injuste, les causes politiques liées à l’effondrement de l’ordre public et de l’autorité civile sont des causes et des occasions des conflits.

C’est donc aux déséquilibres historiques exprimés à travers des injustices culturelles, économiques et politiques que sont dûs les conflits armés. De même, la forme d’Etat africain telle qu’elle est vécue dans la plupart de pays, ne constitue pas un cadre de coexistence harmonieuse entre les destins des communautés et le genre de pouvoir.

Pareille analyse a des implications sur la résolution des conflits. Elle suppose que l’enjeu de la résolution durable devrait prendre en considération la correction de ces déséquilibres en faveur des victimes du système. On peut alors émettre des réserves sur ce qui est observé dans la plupart de ces processus où on constate que les préoccupations fondamentales des sociétés sont noyées dans des problématiques internationales à la mode (dès le début des années 90), notamment celles du multipartisme, de la démocratisation et des élections pluralistes dans le but de construire des Etats démocratiques. Mais quel Etat et quelle démocratie si les formes institutionnelles de ces deux entités sont justement cause de conflit ? Ceci est vrai pour d’autres conflits observés sur le continent où le processus électoral seul est présenté comme suffisant pour restaurer la paix et la concorde civiles alors que les germes de conflit sont de nature plus profonde et plus complexe que le simple verdict des urnes.

Cette critique suggère une séparation entre le traitement (médiatique) des faits dramatiques observés et la compréhension des enjeux souvent cachés et très complexes. Dès lors, le processus perd de son efficacité en s’attachant à vouloir résoudre les crises par leurs manifestations politiques – souvent simples conséquences des problèmes qu’on ne voudrait pas aborder - sans tenir compte de l’aspect culturel pourtant fondamental.

En conséquence, la résolution des conflits et la réconciliation, comme le montre aussi le cas de la Sierra Leone, se réduisent alors à la rencontre des acteurs « d’en-haut » - les leaders politiques - et à l’organisation des élections avec tous les risques de manipulations. Ces étapes sont d’importance, mais elles gagnent à être précédées de la construction des rapports de confiance à la base des communautés ; en intégrant les facteurs et les acteurs « d’en-bas », les combattants qui ont causé les plus d’atrocités de façon gratuite et les victimes rurales ou urbaines, celles-là mêmes qui portent les stigmates les plus douloureuses aussi bien de la guerre que des frustrations économiques et sociales.

Cette remarque entraîne des questionnements significatifs sur la gestion du pouvoir. Que voudrait alors dire la bonne gouvernance, la bonne conduite des affaires publiques sur un territoire où les instruments politiques, comme les élections, sensées prouver la démocratie, sont justement générateurs des tensions et des crises ? Comment et avec quels arguments légitimer « l’Etat de droit » là où la forme d’organisation qu’est l’Etat post-colonial s’est accaparé tout l’espace public en ne laissant aux autres formes d’organisation sociale que sont les ethnies, le pouvoir traditionnel, les associations, les syndicats et donc la Société Civile, par exemple, ni la possibilité de s’exprimer sur cette conduite des affaires publiques ni celle d’agir ? L’emprisonnement ou l’exécution des défenseurs des minorités, par exemple, pose néanmoins une question de droit humain d’actualité : des groupes ethniques possèdent-ils des droits humains ? L’auto-détermination est-elle un droit qu’un groupe doit avoir dans un Etat qui lui dénie la possibilité de vivre décemment ?

L’Etat de droit y apparaît donc être cette société où culturellement les Africains sont simplement libres de toutes contraintes et sereins ; c’est-à-dire une forme d’organisation sociale et politique à l’écoute d’autres modes d’organisation du pouvoir et des richesses ; ou encore une communauté où les hommes, les femmes, les enfants, les jeunes et les vieux auraient leur propre place en tant que membres à part entière. Ces conditions peuvent alors donner tout leur sens à des élections et à d’autres sophistications de l’organisation de l’Etat. La bonne gouvernance au sein d’un Etat de droit, prenant sens dans ce contexte, devient l’expression de la transparence de la gestion politique, économique et sociale des sociétés africaines. Dans ces conditions, l’Etat et le gouvernement qui le gère deviennent légitimes aux yeux des citoyens qui peuvent leur faire confiance ; celle-ci étant entendue comme la condition sine qua none de l’expérimentation vécue de la bonne gouvernance. On peut alors parler de richesse politique ou de victoire sur la pauvreté politique.