Fiche de notion Dossier : Gene Sharp - Trois livrets pratiques pour la non-violence

, Boston, avril 2003

Glossaire des termes importants de la lutte nonviolente

Abstention civile :

Terme désignant tout acte de noncoopération politique.

Accommodement :

L’un des mécanismes de changement qui peuvent se produire dans le cadre de la lutte nonviolente lorsque les adversaires ont choisi, s’il en était encore temps, d’accepter un compromis et d’accéder à certaines des exigences des résistants nonviolents. L‘accommodement se produit lorsque le régime auquel on s’oppose n’a ni changé d’attitude ni subi de réelle coercition nonviolente : le régime estime simplement souhaitable de se mettre d’accord autour d’un compromis. L’accommodement peut résulter d’actions qui, si elles avaient duré, auraient pu conduire au retournement, à la coercition nonviolente, ou à la désintégration du système ou du régime.

Action civile :

Terme synonyme d’action nonviolente menée à des fins politiques.

Action nonviolente :

Technique générale de pression par protestation, résistance et intervention sans violence physique.

Cette forme d’action peut être menée à travers :

  • a) des actes d’omission, c’est-à-dire de refus, de la part des résistants, d’accomplir des actes qu’ils exécutent en temps normal, soit parce que cela est habituel soit parce qu’ils y sont contraints par loi ;

  • b) des actes commis, c’est-à-dire des actes que les résistants n’exécutent pas en temps normal, soit parce que cela n’est pas habituel, soit parce que la loi ou la règle le leur interdit ; ou

  • c) une combinaison des deux.

Cette technique comprend une multitude de méthodes spécifiques qui se regroupent en trois catégories principales : la protestation et la persuasion nonviolente, la noncoopération, et l’intervention nonviolente.

Armes nonviolentes :

Les méthodes propres à l’action nonviolente.

Autorité :

Qualité qui permet aux jugements, décisions, recommandations et ordres de certains individus ou institutions d’être acceptés, reconnus comme justes et exécutés par d’autres dans l’obéissance ou la coopération. L’autorité est l’un des principaux outils du pouvoir mais n’est pas synonyme de ce dernier.

Blocage économique :

Arrêt des activités économiques d’une ville, d’une région ou d’un pays, à une échelle suffisamment large pour entraîner une paralysie économique. Les mobiles de ce type d’action sont généralement politiques.

Ce type d’action peut être réalisé au moyen d’une grève générale des travailleurs tandis que le patronat, les institutions d’affaires et commerciales, ainsi que les petits commerçants ferment boutique et cessent leurs activités.

Boycott :

Noncoopération sociale, économique ou politique.

Coercition nonviolente :

L’un des mécanismes de changement dans le cadre de l’action nonviolente, par lequel les exigences des résistants sont obtenues au corps défendant des oppresseurs ; ces derniers ont perdu le contrôle de la situation du fait de la noncoopération et la défiance généralisées des résistants. Les oppresseurs, toutefois, gardent leurs postes officiels et le régime n’a pas encore été désintégré.

Compétences et connaissances :

L’une des sources de pouvoir politique. Le pouvoir du dirigeant repose sur les compétences, les connaissances et les capacités des personnes et groupes constituant la société (ressources humaines) et sur le besoin qu’a le dirigeant de ces compétences, connaissances et capacités.

Confiance en soi :

Capacité à gérer ses propres affaires, à former ses propres jugements, et à fournir à soi-même, à son groupe ou à son organisation, indépendance, autodétermination et autosuffisance.

Conversion :

Changement de point de vue de la part de l’adversaire à l’égard des résistants nonviolents. Ce changement de point de vue intervient lorsqu’une lutte nonviolente a été menée et que le pouvoir considère qu’il est juste d’accepter les conditions des résistants nonviolents. Il s’agit là de l’un des quatre mécanismes de changement occasionnés par l’action nonviolente.

Défiance civile :

Puissant rapport de force nonviolent obtenu par des actes de protestation, de résistance ou d’intervention menés à des fins politiques.

Défiance politique :

Application stratégique de la lutte nonviolente afin de démanteler une dictature et de la remplacer par un système démocratique.

Cette forme de résistance par noncoopération et par défiance mobilise les ressources de la population opprimée dans le but de restreindre puis d’anéantir les sources du pouvoir du régime dictatorial. Ces sources sont fournies par les groupes et institutions désignés comme « piliers de soutien » (voir ci-dessous).

Lorsque la défiance politique est employée avec succès, elle peut rendre la nation ingouvernable par un régime dictatorial actuel ou futur et ainsi préserver ses institutions démocratiques contre toute nouvelle menace.

Désintégration :

Il s’agit du quatrième mécanisme de changement dans la lutte nonviolente dans lequel les agresseurs sont non seulement contraints mais leur système et leur gouvernement est désintégré et tombe sous l’effet de la noncoopération et de la défiance massives. Leurs sources de pouvoir sont réduites ou supprimées par la noncoopération à un degré si extrême que le système ou le gouvernement se dissout simplement.

Désobéissance civile :

Violation délibérée mais pacifique de lois, décrets, règles, ordonnances, ordres politiques ou militaires, etc.

Il s’agit généralement de lois tenues pour immorales, injustes ou tyranniques. Il arrive cependant parfois que des lois régulières et moralement justes soient violées en signe d’opposition à la politique menée par le gouvernement visé.

Grève civile :

Arrêt de l’activité économique organisé pour des raisons politiques. Les travailleurs ne sont pas les seuls à pouvoir se mettre en grève, mais les étudiants, travailleurs libéraux, commerçants, cols blancs (y compris les employés du gouvernement) ainsi que les membres de la haute société, peuvent en faire autant.

Grève :

Réduction ou arrêt de travail délibéré, généralement temporaire, pour exercer des pressions sur les employeurs afin d’obtenir des résultats économiques ou parfois sur un gouvernement afin d’atteindre un objectif politique.

Groupe de revendication :

Groupe de la population en général, dont les doléances sont les enjeux du conflit et sont défendus par les résistants nonviolents.

Insurrection nonviolente :

Soulèvement populaire politique dirigé contre un régime établi, tenu pour oppresseur. L’insurrection consiste en l’utilisation massive de noncoopération et de défiance.

Intervention nonviolente :

Vaste ensemble de méthodes d’action nonviolente qui, lors d’une situation de conflit, permet d’empêcher, par des moyens nonviolents, les activités du régime oppressif. Ces méthodes se distinguent à la fois des protestations symboliques et de la noncoopération. L’intervention visant à empêcher est la plupart du temps physique (comme dans un sit-in) mais peut également prendre une forme psychologique, sociale, économique ou politique.

Jiu-jitsu politique :

Processus spécifique qui peut être employé au cours d’une lutte nonviolente afin de modifier les relations de pouvoir. Le jiu-jitsu politique consiste à retourner contre les oppresseurs la violence qu’ils emploient à l’égard des résistants nonviolents, afin d’affaiblir leur situation de pouvoir et de renforcer celle des résistants. Ceci ne peut marcher que lorsque la répression violente est confrontée à une défiance nonviolente sans faille (sans violence ni reddition). Dans ces conditions, la violence répressive employée par les oppresseurs a un effet catastrophique.

En conséquence, les parties tierces, les groupes de mécontents et même les alliés des oppresseurs risquent de changer leur point de vue sur la situation. Ces changements d’opinion peuvent occasionner à la fois le retrait de leur soutien au régime oppressif et une plus grande adhésion à la cause des résistants nonviolents. Il peut en résulter la condamnation quasi-unanime du régime oppressif, une opposition interne parmi les membres de ce régime, et une résistance accrue. Ces changements peuvent même modifier profondément les rapports de force en faveur du camp nonviolent.

Le jiu-jitsu politique ne fonctionne pas dans tous les cas de lutte nonviolente. Lorsqu’il n’est pas employé, la modification du rapport de force dépend alors beaucoup de l’étendue de la noncoopération.

Liberté (politique) :

Situation politique qui rend possible la liberté de choix et d’action pour les individus. Elle permet également aux individus et aux groupes de prendre part aux décisions concernant la conduite de la société et du système politique.

Lutte nonviolente :

Engagement dans un conflit précis au moyen de formes vigoureuses d’action nonviolente, en particulier contre des adversaires déterminés, habiles, et capables de répression.

Lutte stratégique nonviolente :

Il s’agit de la lutte nonviolente lorsqu’elle s’applique en fonction d’un plan stratégique élaboré après analyse d’une situation de conflit, des forces et faiblesses des groupes en lutte, de la nature, des possibilités et des besoins requis par et pour la conduite d’une lutte nonviolente, et tout particulièrement, des principes stratégiques de ce type de lutte. Voir aussi : stratégie globale, stratégie, tactique et méthode.

Mécanismes du changement :

Il s’agit des processus à travers lesquels le changement est obtenu lorsque la lutte nonviolente atteint son but. Les quatre mécanismes de changement sont la conversion, le compromis, la coercition nonviolente et la désintégration.

Méthodes :

Il s’agit des moyens d’action retenus parmi les techniques de lutte nonviolente. Il existe près de 200 méthodes spécifiques identifiées et il y’en a sûrement plus. Elles se regroupent en trois catégories : protestation et persuasion nonviolente, noncoopération (sociale, économique et politique) et intervention nonviolente.

Noncoopération :

Vaste catégorie de méthodes d’action nonviolente qui incluent la restriction délibérée, l’interruption, ou le retrait de la coopération sociale, économique ou politique (ou l’association de plusieurs) avec une personne, une activité, une institution, ou un régime considérés comme inacceptables.

Les méthodes de noncoopération comprennent des sous-catégories : la noncoopération sociale, la noncoopération économique (boycotts économiques et grèves du travail) et noncoopération politique.

Nonviolence (religieuse et éthique) :

Convictions et comportement de diverses sortes qui interdisent tout acte de violence, pour des raisons religieuses ou éthiques. Dans certains cas, ce n’est pas seulement la violence physique qui est interdite mais également les pensées ou les mots hostiles. Certains mouvements de pensée encouragent de plus à avoir des attitudes et comportements positifs à l’égard de ses ennemis ; certains vont même jusqu’à rejeter la notion d’ennemi.

De tels croyants peuvent souvent prendre part à des luttes nonviolentes aux côtés de gens qui mènent des luttes nonviolentes pour des raisons pragmatiques. Ils peuvent également choisir de ne pas le faire.

Piliers de soutien :

Ce terme désigne les institutions et sections de la société qui fournissent au régime en place les sources nécessaires au maintien et à l’extension de son pouvoir.

Il peut s’agir de la police, des prisons, des forces militaires qui appliquent les sanctions, des autorités religieuses et morales qui donnent au régime son autorité (légitimité), des groupes de travailleurs, des groupes d’affaire et d’investissement qui fournissent les ressources économiques, ou d’autres sources identifiées du pouvoir politique.

Pouvoir politique :

L’ensemble des influences et pressions disponibles permettant de mettre en œuvre les politiques officielles d’une société. Le pouvoir politique peut être exercé par les institutions gouvernementales ou, en opposition au gouvernement, par des groupes et organisations dissidents. Le pouvoir politique peut être directement appliqué dans le cadre d’un conflit, mais il peut également être mis de côté pour être utilisé plus tard.

Protestation et persuasion nonviolentes :

Vaste ensemble de méthodes d’action nonviolente. Il s’agit d’actions symboliques visant à exprimer des oppositions ou à tenter de persuader le public (par exemple des veilles, des marches ou des piquets de protestation). Ces actes vont au-delà de l’expression verbale d’opinion mais ne vont pas aussi loin que l’action de noncoopération (telles qu’une grève) et l’intervention nonviolente (telle qu’un sit-in).

Résistance civile :

Synonyme de résistance nonviolente avec un objectif politique.

Ressources humaines :

Terme employé ici pour indiquer toutes les personnes et groupes qui obéissent aux « dirigeants » (c’est-à-dire le groupe qui dirige l’État), coopèrent avec eux ou les aident à satisfaire leur volonté. L’évaluation des ressources humaines implique de connaître la proportion de ces personnes et groupes par rapport à la population totale, ainsi que l’étendue, la forme et l’indépendance de leurs organisations.

Le pouvoir d’un dirigeant dépend de la disponibilité de ces ressources humaines, qui constituent dès lors l’une des diverses sources de pouvoir.

Ressources matérielles :

Il s’agit là d’une autre source de pouvoir politique. Le terme renvoie aux notions de propriété, de ressources naturelles, de ressources financières, de système économique, de moyens de communication et de modes de transport. Le degré de contrôle qu’en a la classe dirigeante aide à cerner l’étendue et les limites de son pouvoir.

Sanctions :

Punitions ou représailles, violentes ou nonviolentes, imposées soit parce que la population n’a pas réussi à agir de la manière escomptée ou espérée, soit parce que la population a agi d’une manière inattendue ou interdite.

Les sanctions nonviolentes ne sont généralement pas, contrairement aux sanctions violentes, de simples représailles pour désobéissance mais visent plutôt un objectif précis. Les sanctions représentent une source de pouvoir politique.

Sources du pouvoir :

Elles sont à l’origine d’un pouvoir politique. Elles comprennent l’autorité, les ressources humaines, les compétences et les connaissances, les facteurs intangibles, les ressources matérielles et les sanctions. Elles proviennent de la société. Chacune de ces sources est étroitement dépendante de l’acceptation, de la coopération et de l’obéissance de la population et des institutions de la société. Lorsque le dirigeant a à sa disposition ces sources de pouvoir, il est puissant. Mais si ces sources de pouvoir s’affaiblissent ou se tarissent, la puissance du dirigeant s’affaiblira ou s’effondrera.

Stratégie globale :

La manière la plus générale de concevoir la réalisation d’un objectif dans le cadre d’une lutte, en définissant un certain type d’action. La stratégie générale sert à coordonner et diriger toutes les ressources appropriées et disponibles (humaines, politiques, économiques, morales, etc.) en vue d’atteindre ses buts dans un conflit.

D’autres stratégies plus limitées peuvent être appliquées à l’intérieur de la stratégie globale afin de réaliser des objectifs plus mineurs dans le cadre de phases subordonnées de la lutte générale.

Stratégie :

Un plan permettant la conduite d’une phase ou d’une campagne importante, dans le cadre d’une stratégie globale. Une stratégie consiste à définir fondamentalement comment mener la lutte dans une campagne spécifique, et comment ses différentes étapes doivent être organisées ensemble afin de contribuer le plus efficacement possible à la réalisation des objectifs visés.

La stratégie opère à l’intérieur de la stratégie générale. Les tactiques et méthodes spécifiques d’action s’emploient pour des opérations à plus petite échelle qui engagent la stratégie sur une campagne spécifique.

Tactique :

Plan d’action limité dont l’objectif est, dans une phase brève du conflit, d’employer de la manière la plus efficace possible les moyens d’action disponibles, afin d’atteindre un objectif spécifique et limité. Les tactiques sont utilisées au service d’une stratégie plus large, elle-même située dans l’une des phases du conflit global.

Violence :

Violence physique exercée contre d’autres êtres humains qui entraîne des blessures ou la mort, ou les menaces d’employer une telle violence, ou tout acte relié à de telles attitudes ou menaces.

Certains courants religieux ou éthique de la nonviolence considèrent que le terme de violence recouvre une réalité beaucoup plus large. Cette définition plus étroite pour laquelle nous optons n’empêche pas les membres de ces courants religieux ou éthiques de travailler avec des personnes ou des groupes pratiquant la lutte nonviolente sur des bases plus pragmatiques.

Notes

  • Publication à Boston, MA : The Albert Einstein Institution, Avril 2003.