Jean Marichez, Grenoble, mars 2006
Guerre par actions civiles - Guerre non violente
Ces expressions sont des oxymores, figures de style qui consiste à assembler deux mots contradictoires pour leur donner plus de force ou pour faire comprendre une idée particulière. Nous les utilisons comme des images pour faire comprendre les caractéristiques de ces résistances et surtout de leur aspect stratégique, difficile à exprimer simplement.
Une stratégie civile, qui se donne toutes les chances de réussir, conduit à une lutte intense qui s’exerce sans armes, par des actions civiles donc sans violence. C’est une épreuve de force dans laquelle les adversaires jettent toute leur puissance. Comme pour la guerre, elle suppose une préparation et une véritable organisation nationale (prise en charge par l’État lorsque c’est possible), de la recherche, du renseignement, des compétences, de la formation des leaders, des processus de communication, des moyens matériels, des technologies nouvelles, etc. Comme pour la guerre, ce combat nécessite des objectifs, des stratégies, une organisation, des soutiens étrangers, de la logistique, une mobilisation générale. Comme pour la guerre il mobilise toutes les forces vives d’une nation, il engage chaque citoyen dans une traversée difficile, qui exige de la rigueur et de la discipline. Il y a des morts, la répression est parfois terrible. Ce mot permet de faire comprendre à chacun ce qui lui est demandé, ce qui est majeur. Il s’agit de ne pas tromper la population. Si nous voulons qu’elle agisse de manière suffisamment puissante et cohérente, enjeu difficile, nous devons lui proposer les mots qu’elle comprend et non ceux que nous aimons. Enfin, l’utilisation de cette image de guerre participe à la communication vers l’ennemi qu’il s’agit de « dissuader ».
Toutes les caractéristiques de la guerre sont bien présentes y compris la violence physique puisque l’adversaire la pratique tandis que les résistants ne la pratiquent pas. Si on ne les a pas clairement présentes à l’esprit, on ne peut pas comprendre ces stratégies et l’on s’expose à de mauvaises appréciations qui conduisent à la victoire de l’adversaire (Tien an men, Birmanie, Kosovo, Tibet…). Pour l’Intifada de 1988, comme pour d’autres résistances de masse racontées dans ce dossier, nos récits ne traduisent pas l’intensité et la difficulté de la lutte. Il faut en parler avec ceux qui étaient sur le terrain pour comprendre l’indicible.
Pour ceux qui n’aiment pas le mot « guerre », Gandhi lui-même qualifie de guerre sa campagne non-violente de désobéissance civile à l’impôt sur le sel, et, lorsqu’il la termine, il dit : « Pendant douze mois, nous avons développé une mentalité de guerre, nous avons parlé de la guerre et de rien d’autre que de la guerre… » (The Collected Works of Mahatma Gandhi, vol. 45, p. 305 et 306). Le concept de « Guerre non-violente » a aussi été utilisé par Gene Sharp (La guerre civilisée p. 127). On parle également de guerre psychologique, de guerre aux trafiquants de drogue, de guerre froide, etc.
Pour autant, il n’est pas question de toujours parler de guerre. Cette formulation a une fonction de pédagogie et de communication. De plus, certaines luttes ne seront pas forcément des guerres si elles ne requièrent ni intensité ni durée, ou si elles ne dépassent pas le stade défensif ou dissuasif, comme dans le putsch des généraux d’Alger.