Karine Gatelier, Grenoble (France), October 2005
La paix libérale
La paix libérale, modèle de l’assistance internationale dans la transition.
L’échec du putsch conservateur d’août 1991 scelle définitivement le sort de l’URSS. Les dirigeants de plusieurs républiques soviétiques qui s’étaient opposés aux réformes des années 80 et au sécessionnisme précoce des républiques baltes sont contraints de changer de stratégie et déclarent l’indépendance de leur république. C’est le cas de l’Ouzbékistan comme de ses voisins d’Asie centrale. La période de transition politique et économique qui s’est alors ouverte a accueilli favorablement les Nations Unies, les institutions financières internationales, les organismes intergouvernementaux et les organisations non-gouvernementales. Ce choix s’est traduit par une assistance technique, des recommandations politiques et des investissements directs sous forme de prêts et de subventions.
Consensus autour de la paix libérale
Un unanimisme s’est installé autour du modèle économique libéral dans un contexte de triomphe face au socialisme : le libéralisme pour garantir une paix positive. Cette paix libérale repose sur le postulat que le système libéral permet un développement durable et évite les conflits. Le libéralisme devient alors une stratégie sécuritaire, fondée sur l’idée de créer des interdépendances et intensifier les liens économiques entre les Etats. Mais en faisant des instruments économiques libéraux et des pratiques démocratiques les outils du maintien de la paix, ce modèle confond développement et sécurité.
Les fondements idéologiques de l’assistance internationale reposent sur l’extension du marché (marketization) fondée sur des modèles de monétarisation qui dictent la stabilisation macro-économique, la privatisation et la libéralisation financière. Le second modèle d’intervention est la démocratisation bâtie sur les concepts d’élections libres, de multipartisme, de société civile, de liberté de la presse et plus récemment de décentralisation et de délégation de pouvoir.
L’évolution générale va dans le sens d’une réduction considérable du rôle de l’Etat au bénéfice du secteur privé, cette orientation étant due au soutien financier des institutions internationales.
Les conditionnalités et leurs contradictions
L’assistance internationale s’est vue soumise à un certain nombre de conditionnalités :
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Politiques : « bonne gouvernance » et critique de ceux qui ne se conforment pas.
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Economiques : les réformes économiques sont un pré-requis au programme global d’assistance.
Le cas de l’Ouzbékistan est intéressant car il endosse tôt le statut de « non-réformateur » et pourtant devient un allié essentiel des Etats-Unis dans la « Guerre contre le terrorisme », au lendemain du 11 septembre 2001. Les deux Etats signent un accord de partenariat stratégique en mars 2002, suivi pour l’Ouzbékistan de la signature d’un Staff Monitored Program du FMI portant sur des réformes majeures dans les domaines de l’agriculture, des banques, de la libéralisation commerciale et la convertibilité de la monnaie nationale. Quelques mois plus tard, l’Ouzbékistan ne tenant pas ses promesses, les experts du FMI quittaient le pays et la critique internationale s’abattait sur lui. Certaines ONG d’analyse de conflits (International Crisis Group en l’occurrence) ont appelé les pays donateurs à ne plus accorder de prêts à moins de changements macro-économiques conformes aux programmes du FMI, et d’intensifier les liens avec la société civile pour augmenter la pression sur le gouvernement. La confusion était donc scellée entre politique et conditionnalités économiques : la Banque Mondiale classe elle aussi les systèmes politiques des pays en transition en rapportant la situation des réformes économiques à l’évaluation des libertés civiles et politiques.
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Puis les conditionnalités militaires se sont ajoutées à partir des attentats de Manhattan : l’aide américaine est conditionnée par la volonté affichée des pays à rejoindre la « guerre contre le terrorisme » ce qui a donné lieu à un nouveau classement des pays et, ironiquement, ceux qui étaient les moins avancés sur le plan politique et économique étaient les plus coopératifs en matière militaire et/ou logistique.
Agenda vers la paix libérale
Modèle économique libéral
Le choix de la thérapie de choc a rapidement été fait, contrairement aux pays d’Europe centrale et à la Chine. Les conditionnalités macro-économiques ont été prescrites par le FMI et les conditions structurelles imposées par la Banque Mondiale. Les réformes se sont concentrées sur la stabilisation macro-économique, la libéralisation des prix (énergie, immobilier, produits de première nécessité) et le démantèlement des institutions du système communautaire. L’objectif des réformes institutionnelles est de garantir le fonctionnement des lois, des régulations et des institutions d’une économie vers le libre marché. Le secteur social étant jugé non viable, il a été l’objet d’une rationalisation des dépenses et d’une redéfinition des priorités vers l’aide aux pauvres. Dans ce même objectif, la responsabilité des services sociaux a été transférée vers les pouvoirs locaux qui n’en ont ni les moyens ni l’expérience. Enfin il a été conseillé de geler les allocations aux plus pauvres et de lancer des plans de travaux publics. L’éducation et la santé ont été concentrées à un niveau élémentaire de satisfaction des besoins fondamentaux.
Démocratisation
La bonne gouvernance pour les pouvoirs publics signifie la responsabilité démocratique à travers des élections multipartites, la liberté de la presse, l’expansion de la société civile, le respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit ; pour les entreprises, la réforme des services publics, la décentralisation et la lutte anti-corruption.
Cependant, les élections multipartites ne se sont pas avérées être une garantie de changement positif des régimes. Cette politique a donc été réorientée vers la promotion de la société civile pour exercer une pression sur le système politique et obtenir son ouverture. Les fonds étrangers ont ainsi afflué pour créer des organisations capables de tenir ce rôle ce qui a eu pour conséquence de multiplier le nombre d’organisations dont le domaine d’activités reflétait les préoccupations des bailleurs de fonds, produisant ainsi une dépendance vis-à-vis du financement étranger. De plus, ces actions ont la vision à court-terme des bailleurs et les ONG passent leur temps à boucler des dossiers de demandes de subventions. Les récupérations des initiatives de la société civile par les Etats ne sont pas rares (State capture).
En perspective…
Une source d’inégalités et des risques de conflit.
Cette période de transition coïncide avec une augmentation de l’insécurité, de la pauvreté et des inégalités, particulièrement dans les pays qui ont le mieux suivi les recommandations des institutions financières. L’analyse des causes de cette situation reflète la querelle idéologique des types de développement :
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La Banque Mondiale l’explique par la dislocation sociale et économique, l’effondrement de la production et des revenus tant de l’Etat que des ménages ; ces inégalités sont analysées comme inversement proportionnelles au déploiement des réformes ce qui rend les institutions légales responsables.
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Pour d’autres, les inégalités sont causées par l’échelle des réformes structurelles et le retrait de l’Etat c’est-à-dire des causes nouvelles.
L’accroissement des inégalités a aujourd’hui atteint un niveau jugé dangereux du fait du ressentiment et des tensions entre les groupes sociaux. Plus le niveau d’inégalités est important moins la croissance produit un effet sur la réduction de la pauvreté, quel que soit le taux de croissance (selon une étude Cornia and Court pour UNU/WIDER). Dans ces conditions, l’inégalité revêt un impact politique et social sur la criminalité et la stabilité politique. Conséquences d’une politique économique excessivement libérale, elles pourraient être jugulées par des politiques spécifiques.
Les politiques des institutions internationales ont sans doute été irréalistes, visant à des réformes irréversibles elles se sont fondées sur le démantèlement des institutions centralisées. De plus, les politiques jugées saines par les bailleurs internationaux n’ont pas été les plus adaptées pour les gouvernements. Aujourd’hui, les gouvernements sont enfermés dans des politiques réactives pour réduire les effets des réformes et ne peuvent avoir de visions plus larges d’investissement dans le capital humain par exemple.