John Stewart, Johannesburg, Mai 2007
Zimbabwe, démilitarisation des rapports sociaux, démocratisation du pouvoir, respect des droits de l’Homme
Des initiatives concrètes pour la transformation profonde d’un pays en crise : défis et risques. Témoignage d’un résistant.
Exposé
Le défi au Zimbabwe comme au Swaziland est de moderniser sans perdre les valeurs traditionnelles. Comment passer de l’autoritarisme à la démocratie ?
Les associations communautaires, au Zimbabwe, se renforcent pour défier les carences du Gouvernement. Le pouvoir est entièrement monopolisé par l’élite en place à la tête du Gouvernement et il n’existe aucun espace pour la négociation.
L’action des organisations est rendue très difficile car les gens agissent avant tout pour survivre : ils n’osent pas s’opposer ouvertement au Gouvernement. Cette peur est d’autant plus justifiée que des forces de police et des milices ont été déployées partout dans le pays terrifiant la population. Cette situation peut donner lieu à une véritable guerre civile, mais actuellement seule une des deux parties est armée. Et la partie armée - celle du gouvernement - terrorise le reste de la population.
Face à cette situation d’immobilisme NOVASC (Nonviolent Action and Strategies for Social Change) oeuvre notamment pour :
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1/ Renforcer les capacités des organisations et des medias qui travaillent pour le changement et la démocratisation du pouvoir.
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2/ Former des leaders communautaires dans le domaine de la médiation. Au début médiation communautaire en formant les policiers puis cela a été interdit de plus en plus.
NOVASC travaille pour ce faire avec 2 coalitions :
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Une association des victimes de la violence, pour qu’elles puissent se représenter elles-mêmes.
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Une coalition qui s’occupe du lobby et de la sensibilisation.
Le but est de parvenir à réussir une transition de la situation actuelle.
Durant ces 5 dernières années la question de l’appropriation des terres a été centrale pour le Gouvernement en place. De 1980-2000, un processus de réforme du système agraire a été mené. En 2000, une coalition nationale a été formée, à la suite de laquelle le Gouvernement a pris conscience qu’il perdait le soutien d’un très grand nombre et a encouragé l’occupation des terres ; mais la répartition de celles-ci s’est faite au profit des personnes restées fidèles au gouvernement, sans tenir compte de leurs compétences dans le domaine agricole.
Concernant l’avenir du Zimbabwe, aujourd’hui une initiative des présidents de l’Afrique australe émerge pour aider le président sud africain à intervenir comme médiateur. Mais la médiation devrait avoir lieu entre les deux groupes en conflit. Or, pour cela encore faudrait-il que le gouvernement du Zimbabwe reconnaisse ce conflit, ce qui n’est pas le cas : il ne reconnaît que le conflit avec le gouvernement britannique, pas celui avec sa propre population.
Quant à la détérioration économique, elle est le résultat d’une propagande bien menée« Soit les britanniques (et/ou les européens) soit nous ! ». Cette tactique consiste à limiter le choix des options. On peut comparer cette propagande avec une publicité que j’ai vue au Brésil, montrant la photo d’une balle de revolver à côté d’un tube de rouge à lèvre, et cette question : « Quel choix pour la vie ? ».
L’utilisation de la domination anglaise par Mugabe est toujours en vigueur pour légitimer sa façon de gouverner ou pour le moins afin de limiter les options de changement. Il rend fréquemment responsable l’interdiction de voyager faite par les Britanniques à plus de 185 officiels du Zimbabwe, comme la principale raison de la catastrophe économique au Zimbabwe. Il utilise la tactique du bouc émissaire pour dissimuler le fait qu’en 3 ans, le rendement agricole a chuté de 18 % par rapport à ce qu’il était en 1999, alors qu’une telle détérioration découle directement de sa politique de redistribution des terres…Comme je l’expliquais plus haut, celles-ci furent concédées aux sympathisants du régime quelles que soient leurs compétences en agriculture. Si les institutions internationales refusent d’accorder des prêts au Zimbabwe c’est parce que le leadership n’arrive pas à régler sa dette.
Autre raison : La pression internationale des années 90 : le Zimbabwe étant dans une économie globale il essaye de se créer des liens avec la Chine et l’Iran. L’Asie et l’Europe se sont enrichies en fermant les frontières alors que nous sommes censés développer notre économie en les ouvrant. Mugabe a tellement affaibli le Zimbabwe qu’il ne lui a laissé d’autre choix que d’être exploité par d’autres… Récemment la découverte de diamants va encore aggraver les conflits.
Debates
Jacqueline :
Au Rwanda : 90 % de la population est agricole. Le problème des terres existe. Pour y remédier, nous avons des formations de coopératives non agricoles pour tenter d’orienter des populations jeunes vers d’autres activités.
Salomao :
Au Mozambique, le problème majeur que nous avons avec la réforme agraire concerne des endroits stratégiques. Des gens sont expulsés de leurs terres à cause du changement. Celui qui veut un lopin de terre doit d’abord obtenir l’approbation de la communauté. Un amendement positif au niveau de la loi existe toutefois, selon lequel si une personne a vécu dans un endroit entre 5 et 10 ans, le lopin de terre lui appartient. Et si l’Etat veut malgré tout le récupérer, il doit verser au propriétaire une compensation.
Henri :
Comment vois-tu le Zimbabwe dans les années à venir ?
John :
On pourrait arriver à une situation encore pire, où l’un des leaders militaires créerait une situation répressive. Une révolte est possible. Je pense que l’élite du gouvernement au Zimbabwe commence déjà à lutter. La question cruciale aujourd’hui est de savoir comment permettre la participation de plusieurs groupes pour la formation du Gouvernement ? Ce à quoi nous voulons parvenir avec l’ensemble des organisations de la société civile c’est une façon précise de négocier des solutions : exposer tout sur la table et discuter pour se mettre d’accord sur une convention nationale. Mais l’élite refuse ce genre de processus. Nous pourrions arriver à une guerre civile mais je ne pense pas qu’il soit possible qu’une force extérieure utilise le peuple du Zimbabwe pour destituer le Gouvernement. Pour moi, la meilleure perspective est la négociation et le dialogue. Il faut impulser une dynamique de négociation. Créer une forme de pression sur l’élite au pouvoir au niveau de la transition. Même si cela prendra du temps…
Henri :
Tu sembles mettre l’accent sur le rôle de la communauté internationale pour le changement au Zimbabwe, plus que sur le rôle des populations du Zimbabwe elles-mêmes, ce qui dans la situation actuelle du pays est tout à fait compréhensible. Cependant, en Afrique, la communauté internationale – concrètement les Etats-Unis et l’Europe, ainsi que la Chine aujourd’hui – a eu un rôle discret, voire inexistant lors des crises sociales, politiques ou militaires. Il suffit de penser au Rwanda hier, au Soudan aujourd’hui. Ces pays semblent davantage intéressés par les ressources de l’Afrique que par la situation de ses populations. Pour quelles raisons la communauté internationale interviendrait-elle au Zimbabwe ?
John :
L’Afrique du sud a le pouvoir de faire pression sur le Zimbabwe… Mais la seule solution que je vois serait d’encourager les pays de l’hémisphère sud à faire pression, notamment les pays africains. Le Zimbabwe n’intéresse pas la Communauté internationale. En revanche l’action internationale globale peut donner une certaine impulsion à l’action régionale. Je pense que l’Afrique du sud est en train, depuis 1994, de jouer efficacement un rôle de leader régional. L’espoir de l’Afrique vient de l’Afrique !
Claske :
Le Gouvernement du Zimbabwe est-il plus radical que ne l’était celui de l’Afrique du sud à l’époque de l’apartheid ?
John :
Il existe aujourd’hui au Zimbabwe des unités spéciales qui capturent les personnes et les torture notamment…
Jacqueline :
Les dirigeants n’ont pas la maturité nécessaire en Afrique… ils sont récupérés par les dirigeants des pays développés et ils hypothèquent ce que nous avons en Afrique…
John :
L’instabilité de la région est souvent motivée par cette dynamique d’exploitation des ressources. Les pays d’Asie comme de la Corée du sud ont fermé leurs frontières pour se développer comme beaucoup de pays européens. C’est une question qui a trait au pouvoir.
Salomao :
Comment faire en sorte que nous puissions éviter cette situation ? Dans la plupart des cas les grandes puissances sont derrière les pays africains uniquement pour exploiter leurs ressources.
Notes
Instabilité de la région. Monopolisation du pouvoir par l’élite au pouvoir. Absence de sens du bien commun chez des dirigeants politiques. Aucun espace pour la négociation. Oppression de la population. Problème de la répartition des terres au profit des personnes restées fidèles au gouvernement sans prise en compte des compétences dans le domaine agricole. Situation économique désastreuse. Exploitation de la part des pays occidentaux des ressources naturelles de l’Afrique au dépit de ses populations. Défi majeur à l’heure actuelle : comment permettre la participation de plusieurs groupes pour la formation du gouvernement (ouverture du jeu politique). Impulser une dynamique de négociation et de dialogue en faisant pression sur le régime en place. Encourager également les pays de l’hémisphère sud à faire pression.