Cyrille Rolande BECHON, Cameroun (Yaoundé), 2005
L’absence de conflits armés est-elle synonyme de paix ?
Telle est la question à laquelle cet article se propose de répondre en analysant la situation du Cameroun et la politique de « Paix et stabilité » menée par M. Paul Biya. L’auteur analyse comment le manque de démocratie et l’impunité de la classe dirigeante qui pourrait être à l’origine de graves conflits internes au pays est compensé par la répression systématique du régime au nom de la paix et de la stabilité. Cette politique a pour résultat d’empêcher tout conflit mais empêche aussi et surtout les citoyens de connaître une véritable paix.
Mots clefs : La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | S'opposer à l'impunité | Cameroun
L’absence de conflits armés est-elle synonyme de paix ? C’est une question qui nous semble tout à fait appropriée au regard du contexte social, économique et politique du Cameroun à l’heure actuelle et depuis quelques années.
Après les crises des années 90 - caractérisées par les opérations « villes mortes » et les violents affrontements entre jeunes et forces de sécurité - et les revendications populaires de 2008 abusivement appelées « émeutes de la faim » ; toutes les deux fortement et excessivement réprimées par le pouvoir en place à Yaoundé depuis 32 ans, la sauvegarde de la paix et le maintien de la stabilité sont devenus les seuls arguments politiques du régime que conduit M. Paul Biya.
Aussi, la gestion globale du pays dans tous les secteurs est guidée par « la sauvegarde de la paix » et « le maintien de la stabilité » si l’on s’en tient aux différents discours des gouvernements successifs de Yaoundé.
En effet, les dirigeants camerounais ont tellement parlé de « paix » et de « stabilité » qu’on en est arrivé à la conclusion selon laquelle le mieux être des camerounais et l’amélioration de leurs conditions de vie ne sont pas vraiment des priorités.
Ces dirigeants parviennent même, ce qui est ahurissant, à sacrifier l’avancement de la démocratie et la consolidation de l’Etat de droit à l’autel d’un mécanisme de pérennisation au pouvoir masquée par les fameux slogans de « Paix et stabilité ».
A titre d’illustrations : les réunions publiques des organisations de la société civile et même des partis politiques sont régulièrement interdites ; les manifestations publiques, autres que celles du parti au pouvoir sont systématiquement interdites avec l’appui des forces de l’ordre, parce que disent-ils, elles menaceraient la « paix et la stabilité » ; les populations victimes de déguerpissement ou de destruction de leurs habitations sans indemnisations doivent se taire ; elles ne doivent pas manifester leur mécontentement et exiger des changements, au nom de la paix et de la stabilité. Face aux confiscations de leurs marchandises et la destruction de celles-ci, les commerçants/sauveteurs doivent se taire. Sans eau ni lumière dans les ménages depuis des mois et malgré les factures que les citoyens payent, ils doivent se taire au nom de la « paix et la stabilité ». Certains ont volé et gardé par devers eux d’énormes deniers publics avec la complicité du système, d’abord ils ont un traitement de faveur parce qu’ils ne sont pas punis (la loi sur le Tribunal Criminel Spécial protège ceux qui ont volé plus de 50millions de francs parce qu’ils ne doivent pas être emprisonnés) et ensuite le citoyen ne doit pas savoir ce qui est fait de l’argent récupéré à ces derniers. Les jeunes par milliers sortis des grandes écoles et autres instituts supérieurs doivent se contenter des traditionnels discours du 10 février - discours dans lesquels il est surtout rappelé que la « paix et la stabilité » sont sacrés pour le Cameroun. On a même entendu dire que Paul Biya était la seule personne capable de diriger le Cameroun pour la paix et la stabilité.
Pourtant, les dépenses militaires couronnées par la hausse des salaires des hommes en tenues et le recrutement dans l’armée camerounaise se présentent comme des priorités ces dernières années. Depuis 2012, Nouveaux Droits de l’Homme Cameroun et ses partenaires africains et internationaux se mobilisent chaque année, les 14 avril précisément, pour manifester et demander à leurs Etats respectifs de réduire les dépenses militaires et d’investir dans les besoins humains. Le Cameroun ne semble pas vouloir s’inscrire dans cette logique.
En définitive, et en poussant la réflexion, on serait tenter de convenir avec le Cardinal Christian Tumi que la PAIX est d’abord une Paix intérieure avant d’être extérieure. In fine l’absence de conflit ne signifie pas que le citoyen est en paix car même en situation de non conflit, un parent qui ne peut pas faire manger sa famille ou tout simplement soigner son enfant ne peut pas être en PAIX. Dans le même ordre d’idées, quelle serait la différence entre un enfant tué par balle lors d’un conflit armé et un autre mort de faim ou par manque de soins parce que l’argent aurait été confisqué par un régime.
De même, les conflits seraient évités et la paix sauvegardée si le bien être des populations et l’amélioration des conditions de vie de celles-ci étaient le principal objectif des gouvernements.
L’éradication de l’impunité, le partage équitable des richesses nationales, l’amélioration de l’accès à la justice, la protection des personnes vulnérables, la liberté d’expression et de manifestation et surtout l’alternance politique par un système démocratique fiable seraient donc des éléments essentiels de maintien de la paix et de la stabilité.