Karine Gatelier, Grenoble, juin 2007
Le processus de paix tadjik : les succès du protocole militaire
Comment les négociations entre militaires ont permis de surmonter la méfiance entre politiques ?
Dès 1994, soit moins de 2 ans après le début du conflit, il est apparu aux belligérants que la solution ne pouvait être trouvée par la voie militaire. Cette conviction a été déterminante dans la participation aux négociations des parties au conflit et a permis une avancée et une efficacité régulière au sein d’une structure – la Commission de réconciliation nationale (CRN) – qui a été imaginée pour l’application de l’accord de paix et la perspective de mener une réflexion sur les réformes des institutions étatiques. Elle était composée de 4 sous-commissions (réfugiés, questions politiques, juridiques et militaires) dont le mandat de chaque sous-commission était décrit dans un protocole joint à l’accord de paix.
Le protocole sur les questions militaires représente un exemple de succès de management des militaires et du désarmement, cette fiche vise à éclairer les raisons d’un tel succès.
Le protocole sur les questions militaires visait à la fois à intégrer les multiples forces armées dans une armée unifiée et à promouvoir la démobilisation. La mise en œuvre de ce protocole militaire a été un succès. La raison principale du succès réside dans la collaboration créative entre les principales formations militaires opposées – le gouvernement et l’Opposition tadjike unie (OTU). Leur capacité à travailler ensemble et à accepter des points de vue différents ont aidé à trouver des solutions efficaces. La collaboration a été mise en place dès septembre 1994 avec la création d’une commission conjointe de cessez-le-feu. Le travail de négociation pour la Commission conjointe pour le cessez-le-feu a créé à la fois un mécanisme et des habitudes de travail en coopération qui ont facilité le travail au sein de la CRN par la suite.
Au nombre des objectifs prioritaires se trouvait en bonne place la préparation de la loi d’amnistie générale, le cadre légal pour la libération des membres de l’opposition et la garantie de l’amnistie à plus de 5000 combattants de l’OTU.
L’accord militaire se focalisait sur le redéploiement de la milice de l’Opposition (OTU) en 10 zones pour les enregistrer en vue de leur future intégration soit à l’armée tadjike, soit dans d’autres services. Une loi d’amnistie pour les combattants de l’OTU a été exigée puis garantie et le gouvernement a effectivement libéré tous les membres de l’OTU emprisonnés. En 1998, tous les membres de l’OTU étaient réintégrés et les chefs de l’Opposition ont annoncé la fermeture des camps d’entrainement militaire.
L’étape suivante était l’intégration de la milice de l’OTU dans les forces armées nationales réalisée par l’établissement d’unités militaires provisoires composées de soldats de l’OTU. La stratégie d’unités séparées a été choisie dès les premières étapes de l’unification pour réduire le potentiel conflictuel entre combattants habitués à s’affronter les uns les autres. La dernière étape a été leur intégration au Comité de protection des frontières nationales.
Le principal obstacle rencontré par les dirigeants politiques réside dans le caractère inhabituel pour eux de travailler avec des chefs militaires qui avaient reçu un soutien plus important pendant la guerre. Pour le surmonter, ils ont décidé d’impliquer directement dans le processus de paix les commandants qui avaient de l’autorité sur leurs soldats et sur les populations. Il était effectivement fondamental de reconnaître le rôle que certains militaires pouvaient jouer dans le processus de paix. Dans le cas tadjik, les organisations internationales et les populations civiles ont soutenu et permis ce partenariat. Ce type d’option doit être identifié dans chaque mise en œuvre de processus de paix. Le compromis et les formes inhabituelles de collaboration peuvent se révéler être des moyens efficaces de mener à bien des taches comme le désarmement et la démobilisation.
Le processus était souvent difficile et a éprouvé les capacités des dirigeants politiques.
La condition la plus importante du succès : la coopération des commandants sur le terrain. Ils bénéficiaient de la pleine loyauté des combattants comme des populations civiles sur les territoires qu’ils contrôlaient. Ainsi ils étaient suivis par les premiers comme les seconds dans toutes leurs décisions dans le cadre du processus de paix.
La confiance a pu se développer parce que les militaires respectaient les autres commandants par opposition aux politiques qui éprouvent généralement de la suspicion les uns à l’égard des autres. C’est pourquoi la confiance entre les militaires et leur relation s’améliorant à mesure des négociations, ils ont donné l’impulsion aux politiques pour poursuivre la mise en œuvre de l’Accord général et ainsi conserver le contrôle politiques sur le processus de paix. Cependant tous les commandants militaires n’étaient pas favorables aux dispositions et aux résultats concrets. La plupart de ces réticences ont été résolues par les membres les plus expérimentés des groupes de travail de la CRN et les représentants du Conseil national de Sécurité. Dans de rares cas seulement, la stratégie de négociations a été associée à l’emploi ou la menace de la force armée.
Ce succès est cependant à nuancer dans la mesure où ce mécanisme de la CRN, s’il a permis une avancée efficace des négociations, a également contribué à instaurer un déficit démocratique. En effet, son mode de fonctionnement n’était ni transparent ni sur la base d’une large participation.
Commentaire
Outre le protocole militaire, la Commission pour la Réconciliation nationale comprenait un protocole sur les réfugiés et 2 protocoles pour les questions politiques et juridiques.
Le protocole sur les réfugiés
En quelques 3-4 mois, des dizaines de milliers de réfugiés sont rentrés d’Afghanistan et des autres républiques ex-soviétiques. Les maisons ont été massivement reconstruites, les propriétés illégalement occupées ont été rendues et la réhabilitation sociale des réfugiés et leur réintégration a été achevée grâce à la participation de la Mission d’Observateurs de l’ONU (UNMOT), le UNHCR, les gardes frontières russes, la Force collective de maintien de la paix de la CEI (CIS/PKF) ainsi que plusieurs agences internationales.
Le relatif succès de l’application du protocole sur les réfugiés vient des effets incitatifs du contexte politique renouvelé par le processus de paix et de la situation dégradée en Afghanistan, auxquels s’est ajouté un programme de retour bien doté.
Le protocole politique
Ce protocole a rencontré de nombreuses difficultés principalement dues au principe selon lequel les anciens combattants se partageraient les postes gouvernementaux. Un tiers d’entre eux étaient réservés aux représentants de l’OTU. L’application du protocole a été retardée pour plusieurs raisons. Une pression considérable pesait sur les parties pour trouver une solution. Les 2 chefs des formations opposées, Rahmonov et Nuri, ont déployé des qualités politiques considérables pour atteindre un compromis acceptable. Les sujets d’inquiétude de part et d’autre étaient nombreux mais ils ont disparu à mesure qu’ils se révélés infondés.