Karine Gatelier, Grenoble, juin 2007
Le processus de paix tadjik : des origines du conflit au processus de paix
Une entrée et une sortie relativement rapides du conflit.
Cette fiche a pour objectif d’expliciter les conditions dans lesquelles le processus de paix au Tadjikistan s’est mis en place et par conséquent d’éclairer le conflit tadjik lui-même.
I. Causes et dynamiques du conflit
Les lendemains de l’indépendance du Tadjikistan ont vu s’installer un climat de compétition pour le pouvoir à la tête de l’Etat, plus ou moins pacifique, qui s’est d’abord traduit par de fréquentes manifestations dans l’espace public, sur fond de campagne électorale pour les premières élections pluralistes du pays. Parmi les candidats se trouvait un ancien dirigeant du Parti communiste, Imamali Rahmonov, qui remporta cette élection. Les autres candidats contestèrent cette victoire immédiatement. Les tensions se sont progressivement exacerbées jusqu’à ce que les différentes factions, d’inspiration mafieuse pour certaines et possédant une milice, prirent les armes. Moins d’une année après l’indépendance, le Tadjikistan se trouvait en proie à une violente guerre civile :
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50.000 personnes étaient tuées la première année ;
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600.000 déplacées à l’intérieur du pays ;
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80.000 cherchaient refuge à l’étranger.
Les principales parties au conflit étaient composées de formations politiques, capables de mobiliser des milices armées, principalement sur la base de leur appartenance régionale. De nouvelles alliances virent à cette occasion le jour, qui se sont scindées en 2 factions :
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La faction islamo-démocrate composée des Gharmis (ville de Gharm), des Pamiris (Pamir, province autonome du Haut Badakhshan) et de quelques personnalités d’intellectuels de Pendjikent. Le parti politique dominant cette formation, dès la fin des années 1980, est le Parti de la Renaissance Islamique (PRI), parti islamiste dont l’idéologie est proche des Frères Musulmans égyptiens ou du Jamiat-é islami afghan. Les dirigeants de ce mouvement politique sont des Gharmis. L’essentiel du pouvoir de cette faction est tenu par le PRI mais les 3 composantes étaient représentées lors des négociations de paix.
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La faction dite des « Conservateurs » formée des Léninabadis et des Koulabis. La province de Léninabad (Nord) est le fief communiste tadjik ; elle a fourni tous les premiers secrétaires du PC depuis 1946. La province de Koulab (Sud) est faiblement développée et même économiquement marginalisée déjà à la période soviétique. Elle a été cependant associée au pouvoir communiste (dans les années 1970) pour élargir sa base.
En dépit d’un élément régionaliste fort dans l’identification des belligérants, aucune tendance sécessionniste n’était mise en avant. Le conflit n’était pas structuré sur un affrontement entre groupes régionaux ou ethniques. Il s’agissait d’une guerre civile relativement classique dans sa dimension de contestation et de concurrence pour le contrôle de l’Etat, de ses ressources et des principes sur lesquels bâtir le nouvel Etat : séculier ou islamique, démocratique ou autoritaire.
Vu l’héritage historique et politique du Tadjikistan, le pays a manqué de mécanismes politiques de gestion des conflits à un moment où la concurrence, du fait de l’avènement de l’Etat indépendant, était acharnée. Par ailleurs la géographie du pays pose un réel obstacle à la communication autant qu’à l’intégration sociale et économique.
C’est bien l’Union soviétique qui est à l’origine des réalités sociales, économiques et politiques du Tadjikistan contemporain : ses frontières, bien entendu, puisque ce sont celles de la république soviétique fédérée. La répartition de la population sur le territoire tient en partie au manque de main d’œuvre et aux déplacements de population forcés mis en œuvre par les autorités soviétiques dans les années 1930, avec notamment des échanges de populations entre régions. Ces politiques ont exacerbé la concurrence entre les régions en mettant en valeur les disparités socio-économiques et leur perception par les populations. Dans les années 1980, la main d’œuvre a été recrutée dans les autres républiques, donnant lieu à une forte augmentation du chômage et de la pauvreté. Ainsi les populations jeunes ont été marginalisées et attirées par les milieux criminels pour certains. La corruption s’est amplifiée, trouvant ses multiples expressions dans le népotisme, le vol et les pots de vin, et surtout l’émergence d’une mafia qui a pris le contrôle d’activités économiques illégales, à grande échelle, s’appropriant souvent les ressources de l’Etat grâce à la participation des dirigeants. C’est ainsi que des fiefs se sont de facto constitués, tenus par des personnalités obscures et hors-la-loi. Ces mafia ont ensuite pris leur essor avec la formation de milices et ont pu bénéficier de l’érosion du contrôle légal.
Le Tadjikistan se trouvant à un carrefour géopolitique, les dynamiques régionales constituent une composante importante du conflit : la Russie et les républiques postsoviétiques voisines ont soutenu la faction conservatrice. La faction islamo-démocrate, aussi appelée l’Opposition tadjike unifiée (OTU) reçut les soutiens des leaders du Nord de l’Afghanistan. L’Iran assura principalement un rôle de médiateur bien qu’il partageait avec la Russie un objectif commun de minorer le rôle dans la région des Etats Unis et de la Turquie. Les intérêts de ces acteurs étrangers convergeaient dans la crainte que les Talibans menacent le Tadjikistan. Ce consensus a pu suffire pour préserver un certain degré de stabilité.
II. La mise en place des négociations et les débuts du processus de paix
Dès 1994, il était devenu clair qu’il n’existait pas de solution militaire au conflit. Toutes les factions avaient compris que poursuivre les combats posait une menace profonde à l’existence-même de l’Etat tadjik et à la survie de son peuple en tant que nation. L’intervention et la médiation d’acteurs internationaux ont rencontré l’intérêt des parties au conflit et ont répondu à leurs besoins de trouver une autre voie à la résolution du conflit. C’est ainsi que la Commission de Réconciliation nationale (CRN) a été mise sur pied. Le conflit a pris alors un tournant définitif lorsque cette Commission s’est réunie pour la première fois et qu’à cette occasion les leaders politiques exilés les plus en vue sont rentrés au pays.
C’est dans le cadre de le CRN que très tôt les discussions ont pu débuter et par la suite ne se sont pas interrompues, alors même que les combats se poursuivaient.
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D’une part, une habitude, et on peut même parler d’une culture, de négociations s’est installée, améliorant, à mesure qu’elles avaient lieu leur efficacité.
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D’autre part, le point fort de ce processus de négociations a été la participation des militaires, en particulier des commandants qui, sur le terrain, avaient une vraie influence sur les populations. Leur participation et le relais qu’ils constituaient sur le terrain ont permis de faciliter la mise en œuvre de l’accord par la suite.
Commentaire
La guerre civile au Tadjikistan est remarquable à double titre :
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De par la rapide escalade de violence qui conduit à la guerre en 1992 ;
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De par sa résolution, relativement rapide également, par une solution négociée en juin 1997.
Le conflit tire avant tout ses origines des dynamiques de la lutte de pouvoir que se livre la nouvelle classe de personnalités politiques issue des réformes soviétiques à la fin des années 80. Lors de l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, d’une part, le Tadjikistan comptait de nombreux mouvements politiques. Or trop peu de mécanismes étaient en place pour maîtriser cette diversité politique et les dirigeants de ces nouveaux mouvements avaient peu d’expérience et de pratique du compromis politique. D’autre part, la concurrence entre les régions tadjikes, au temps de l’URSS, a généré des tensions qui ont alimenté le conflit par la suite. Cette double réalité a été exacerbée par les pouvoirs externes qui ont soutenu les différentes factions (souvent des acteurs secondaires du conflit). En même temps, ils se sont avérés être des ressources vitales au processus de paix.