Montargis, août 2007
La médiation en Afrique, un outil au service de la lutte contre la pauvreté
En Afrique du Centre et de l’Ouest, 80% de la population est d’origine rurale. Ainsi, le développement rural est une priorité dans la lutte contre la pauvreté. Cette population composée de petits producteurs et d’entrepreneurs ruraux, dont des femmes et des jeunes, s’est petit à petit structurée en Organisations Paysannes. Afin que leurs préoccupations d’améliorer leurs conditions de vie soient effectivement prises en compte lors de l’élaboration des politiques et stratégies de développement agricole et rural, elles se sont regroupées en plates-formes de concertation d’abord au niveau national, puis au niveau régional.
Ainsi est née la PROPAC, Plateforme Régionale des Organisations Paysannes d’Afrique Centrale qui couvre les pays suivants : Angola, Burundi, Cameroun, Congo Brazzaville, Gabon, Guinée-Équatoriale, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé et Tchad.
En parallèle, plusieurs bailleurs tels l’Union Européenne, le Ministère Français des Affaires Etrangères, le Fonds International de Développement Agricole (FIDA), le Fonds de Développement des Nations-Unies pour les Femmes (UNIFEM), constataient que le grand nombre d’acteurs intervenant dans la mise en œuvre du développement rural (gouvernements, organisations régionales et internationales, donateurs et partenaires du développement, organisations paysannes, centres de recherche) faisait que les actions étaient trop souvent menées en ordre dispersé. Il arrive même que plusieurs organismes fassent la même chose au même endroit ou, pire, mènent des programmes contradictoires. En conséquence, les actions entreprises n’ont pas le résultat escompté.
Il a donc été décidé de créer Le HUB (1), une plate-forme destinée à aider les acteurs du monde rural à mettre en cohérence leurs programmes et leurs actions de développement rural. La création de cette plate-forme vise entre autres le renforcement des organisations paysannes au niveau régional.
Consciente qu’une meilleure gestion des conflits - à la fois les conflits internes et les conflits de communication avec l’extérieur - renforcerait le rôle et l’efficacité des organisations paysannes et des réseaux que les regroupent, la PROPAC a sollicité le soutien technique et financier du HUB pour former ses cadres (qui sont des élus) à la médiation. Le CMFM, centre de médiation et de formation à la médiation (2) fut chargé de mettre en place un plan d’action de formation. Nous avons commencé par organiser à Paris un atelier d’une semaine pour Mme Atangana, présidente de la PROPAC, et M. Mayaky, directeur exécutif du HUB. Ils y ont découvert que la médiation n’est pas seulement un moyen de prévenir et résoudre les conflits, mais que s’y former permet d’être, dans l’esprit même de la médiation, présent à soi et aux autres. Et que cette logique de position se traduit par une plus grande innovation dans les réponses que nous pouvons donner aux situations professionnelles, sociales ou personnelles auxquelles nous sommes confrontés.
Suite à cet atelier de sensibilisation, a été mis en place un programme de formation intensive sur trois semaines qui s’est tenu à Yaoundé, au Cameroun, du 31 janvier au 21 février 2006.
Cette formation a été conduite dans la méthodologie spécifique du CMFM : une formation essentiellement pratique autour de mises en situation de médiations basées sur des désaccords et des conflits réels que les participants rencontrent au quotidien, notamment dans leur environnement socioprofessionnel. Quatorze personnes venant des différents pays de la Plate-forme, dont quatre femmes, ont constitué un groupe très riche en apports. Ils ont découvert avec enthousiasme que la médiation est un espace-temps où il est possible de désinvestir les conflits de la lourde charge émotionnelle qu’ils génèrent, en leur donnant un sens, ce qui permet de sortir de la confusion et d’exprimer de façon responsable et constructive nos différences.
Les aspects de la médiation qui les ont le plus frappé est que les médiateurs ne se prononcent ni pour l’une ni pour l’autre des parties, ne donnent pas de conseil, mais « accompagnent » les parties, pour qu’elles trouvent par elles-mêmes leur solution. Ce qui est une des différences majeures avec leurs modes traditionnels de règlement de conflit, où souvent un tiers est appelé à intervenir. Dès les premiers exercices, les participants se sont exprimés sur leurs valeurs. Il est apparu que l’appartenance à la communauté, la solidarité du groupe et le respect des aînés étaient des valeurs fondamentales… parler de leurs ressentis personnels leur aura pris un peu plus de temps, mais nous avons pu faire des analyses de pratique d’après des enregistrements vidéo ce qui a été un outil précieux. La Formation leur a permis de se connaître un peu mieux, c’est-à-dire de devenir un peu plus conscients de leurs rapports avec autrui, de reconnaître leurs sentiments, d’accepter leurs émotions, pour établir un dialogue plus structuré, avec des outils nouveaux : reconnaissance mutuelle de valeurs et d’aspirations, le respect des différences, l’acceptation de ses responsabilités.
Le témoignage le plus important est le leur. Dans son rapport de fin de stage Mme Atangana, présidente de la PROPAC, écrit : « La médiation considérée comme un cadre de recherche de consensus, de cohésion sociale et de paix intérieure doit donc aider les cadres paysans à mieux gérer les relations humaines dans leurs interventions quotidiennes orientées vers le milieu rural afin de se débarrasser de la faim et de la pauvreté selon les objectifs du millénaire pour le développement. Entendue dans ce sens, la médiation est un instrument qui devra permettre aux leaders paysans de se recadrer constamment, de savoir s’assumer dans un climat de confiance et de respect mutuel lors des dialogues multi-partenaires… (dans) la recherche d’une coopération plus productive… pour améliorer la vie du paysan et son environnement (…) Il est urgent aujourd’hui que les Organisations Paysannes se dotent de cet important outil qu’est la pratique de la médiation, pour une nouvelle gestion des relations plus porteuse de consensus et d’espoir ».
A la suite de cette formation, des demandes « urgentes » de formation, ont été exprimées par différents pays concernés, notamment par le Cameroun, le Gabon, la République Centrafricaine, le Rwanda, et le Tchad. Un accord-cadre vient d’être signé entre le CMFM et le HUB, afin de {{promouvoir la formation à la médiation de responsables des organisations paysannes, visant la création d’un centre de médiation et de formation pour la région.
Commentaire
La médiation est un moyen d’éviter des conflits qui sur le long terme peuvent freiner les activités de développement. La médiation et le dialogue permettent de mieux encadrer les activités de développement et de travailler ensemble plus facilement. Ainsi les efforts sont mieux canalisés.
Notes
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Aureldi Morelba Pacheco, Ingénieur, formatrice CMFM chargée du projet.
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(1) Le HUB : Plate-forme Pour le Développement Rural et la Sécurité Alimentaire en Afrique de l’Ouest et du Centre. www.hubrural.org
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(2) Le CMFM, Centre de médiation et de formation à la médiation, fut chargé en 1984 par le procureur de la République de Paris de mettre en place la première expérience de médiation pénale pour le parquet, pratique qui continue à ce jour. CMFM, 38 rue de la Colonie, 75013 Paris. Tél. 01 44 64 84 70. cmfm@freesurf.fr - www.cmfm.fr