Montargis, 2000
Une médiation au Val Fourré
Un travail de médiation lié au monde scolaire.
Radouane Atroussy a vécu sa jeunesse au Val Fourré. Scolaire en internat, il a pu ainsi faire la comparaison entre la manière dont les gens de différents quartiers, de différentes cultures, vivaient. Cela lui a permis de prendre du recul lorsque, revenant au Val Fourré, il était sollicité. Déjà, à cette époque, il participait à des associations. Il explique comment, dans une association qu’il fonda avec des copains, les gens venaient les voir pour parler des problèmes et comment lui et ses amis essayaient collectivement de faire de leur mieux, sans avoir conscience du travail qu’ils faisaient : « Pour nous il était clair que nous devions aider les gens qui étaient de notre quartier ; on faisait cela avec les tripes, on ne prenait pas de recul suffisant. Nous étions, c’est vrai, dans une attitude négative, mais en face de nous, il y avait un refus, non moins entier, de tout ce que nous pouvions proposer : même si cela correspondait complètement aux besoins, c’était le refus. Au bout d’un certain temps, j’ai essayé de comprendre pourquoi la coopération n’était pas possible. Je me suis rendu compte de mes propres difficultés, de celles de mes amis aussi, à entrer dans une logique de dialogue ».
À l’occasion de son départ au service, un adjoint au maire lui propose de faire un service civil au Val Fourré. Son expérience de vie associative sur le quartier lui donne alors l’idée de proposer à la municipalité un travail de médiation lié au monde scolaire : « J’ai donc commencé mon travail au service du Développement social des quartiers (DSQ) avec l’idée suivante : je vais essayer de faire de la médiation dans le cadre des établissements scolaires et avec le souci des relations école/habitants, élèves/enseignants, parents/enfants, professeurs/parents… Pour pouvoir me situer de façon adéquate, il me semblait inconcevable d’intégrer l’institution municipale et je me suis dit que le DSQ était un lieu plus neutre. » Radouane a suivi une formation qui lui permet de mieux comprendre le comportement de l’individu face à des crises ou à un malaise. Bien sûr, comme on peut l’imaginer, l’accueil de Radouane par le milieu scolaire est tout d’abord mitigé. Mais l’expérience reste passionnante et tout à fait positive vu les résultats obtenus.
Un cas parmi d’autres
Radouane raconte l’histoire d’une médiation. François est un de ces enfants qu’on qualifie de « perturbateur », aussi bien en classe que dans la cour du collège. Après plusieurs « colles »,il est exclu pour des périodes de plus en plus longues. Des courriers sont envoyés à son père. Celui-ci, commerçant, lassé, décide qu’il gardera son fils à la maison pour l’aider. La principale du collège ne peut se satisfaire de cette situation : l’enseignement est obligatoire. Elle contacte Radouane : « Essayez de faire le lien. Moi, le père ne répond plus à mes courriers ». Radouane va rencontrer le père, qu’il connaît un peu, et lui explique le sens de sa démarche : faire bien comprendre les décisions de l’une et l’autre des parties (le principal d’un coté, la famille de l’autre). Le père affirme avoir tout essayé, mais que l’enfant ne veut rien savoir et continue à faire n’importe quoi au collège. François, lui, impute la responsabilité des événements aux autres élèves de la classe, alors que la principale le désigne comme étant responsable de sa situation. Le père affirme ne plus rien y comprendre, en avoir assez et vouloir garder son fils avec lui.
« Qu’il me parle de sa vie au quotidien… »
Radouane lui demande si son fils est d’accord avec la décision de lui faire arrêter l’école. Le père rétorque qu’il en a décidé ainsi de toutes façons. Radouane propose alors de rencontrer l’enfant pour savoir s’il a vraiment envie de travailler dans le commerce avec son père, mais aussi pour aider à une meilleure compréhension entre le père et le fils et entre l’élève et ses professeurs.
Le père accepte. « Ce que je voulais, souligne Radouane, c’était qu’il me parle de sa vie au quotidien, comment se passait une journée. J’ai trouvé qu’il était très « affectif », qu’il faisait des transferts sur deux enseignants. Il n’avait aucune discussion avec son père et disait qu’il ne pouvait pas parler avec ses profs… D’après lui, dès qu’il ouvrait la bouche, les professeurs se demandaient pourquoi il était là, alors que lui sait bien qu’il était là pour toucher les allocations familiales et pas pour autre chose ». Mais, après discussion, François admet que l’école sert à trouver un travail, que s’il n’y va plus, c’est que son père en a décidé ainsi mais lui-même, finalement, le regrette.
À l’école, au moins, il peut discuter, apprendre des choses : il aime les mathématiques et le dessin d’art. Mais François a peur et n’est pas prêt à dire à son père qu’il n’est pas d’accord avec sa décision. Il sait que son père en a assez des courriers et des coups de fil des enseignants. Il finit cependant par dire à Radouane qu’il aimerait bien faire un BEP de commerce ou peut-être de comptabilité. Radouane l’encourage à le dire son père : « Je pense qu’il pourra l’accepter, tu pourras aussi lui donner un coup de main dans son travail, mais autrement qu’aujourd’hui… » Malgré les réticences du père qui manifeste ses doutes sur l’avenir, une première rencontre est organisée. Le père, la principale, l’enfant, le conseiller d’éducation et Radouane se réunissent. Radouane a pu discuter auparavant avec la principale. Il souhaite qu’elle s’excuse auprès du père de la maladresse de ses courriers qui pouvaient laisser penser qu’elle ne voulait plus de François dans son établissement. En s’excusant et en se remettant en cause, la principale démontre au père qu’elle le respecte. L’explication peut avoir lieu et François réintègre sa classe.
De nouvelles difficultés surgissent trois semaines plus tard, mais moins graves qu’autrefois. François explique qu’il a été insulté et bousculé par un professeur avec lequel il a des problèmes. Radouane parle alors avec les autres élèves de la classe : « François, il est super, c’est quelqu’un de balaise, qui n’a pas peur, qui dit les choses. » Radouane comprend que François est propulsé comme meneur du groupe par ses camarades de classe. Il explique cette situation à la principale, ainsi que le phénomène du transfert. François se soumet entièrement à son père. Or la façon d’être de ce professeur (du genre : « Moi j’ai le savoir et vous, vous n’avez qu’à apprendre ») fait écho à l’image du père. Radouane propose donc que l’on change François de classe. Par la suite ; un autre incident fut réglé encore plus facilement.
Commentaire
L’expérience en médiation d’une jeune de Val Fourré, qui travaille dans son quartier pour le service du Développement Social des quartiers.
Notes
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Thierry Quinqueton, auteur de Saul Alinsky, organisateur et agitateur, Éd. Desclée de Brouwer, 1989.