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En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Montargis, 2000

Médiation aux Ulis : un choix municipal

L’expérience de médiation mise en place aux Ulis, en Essonne, date de mai 1991. Au départ, une double volonté : celle du maire socialiste, Paul Loridant, et celle du procureur de la République du département. Le projet a mûri au sein du Conseil communal de prévention de la délinquance. Objectif : permettre aux particuliers de trouver eux-mêmes une solution amiable à leurs différends.

Mots clefs : Education à la non-violence | Travailler la compréhension des conflits | Formation de médiateurs | Mettre en oeuvre des initiatives de médiation

Ville moyenne de l’Essonne, Les Ulis n’a pas toujours bonne réputation. Avec ses 27000 habitants, elle aurait pu devenir, comme ses voisines, un lieu de villégiatures et de résidences haut de gamme. La capitale n’est qu’à 30 kilomètres. Sous ses habits de banlieue parisienne, la campagne vit encore. Tout près, il y a la vallée de Chevreuse classée Parc naturel régional. Plutôt que ranger pavillons et villas sagement les uns à côté des autres, on a choisi pour Les Ulis le développement vertical des villes nouvelles. Devenue le seul pôle urbain populaire du secteur, elle polarise toutes les rumeurs et tous les fantasmes en matière de délinquance, de drogue, de pauvreté, d’insécurité… La réalité est évidemment plus nuancée. La population est relativement brassée socialement et il reste des espaces verts, mais le fait que l’habitat soit très concentré donne un sentiment de promiscuité. Il n’en faut pas plus pour que se développent des idéologies d’intolérance, de ségrégation, d’exclusion. Quand les conflits d’ordre collectif ne se règlent plus dans la ville, chacun a tendance au repli sur soi. Dans cette ambiance de tension permanente, un acte isolé peut constituer l’étincelle qui mettra le feu aux poudres. Les Ulis a, par ailleurs, connu une explosion collective en mai 1991 quand il y eut affrontement entre jeunes et vigiles d’un centre commercial.

Dans ce contexte, la mairie multiplie les initiatives en direction des jeunes, des quartiers populaires et de l’ensemble de la population. C’est au sein du Conseil communal de prévention de la délinquance (CCPD), mis en place en 1984, que l’idée de médiation a été proposée à la réflexion de l’ensemble des partenaires qui interviennent sur la ville. Une commission a été chargée d’en étudier la mise en place sur le terrain. La création d’un poste de coordinateur du CCPD financé conjointement par la Mairie et par l’État via la Délégation interministérielle à la ville, en 1990, a permis au projet de prendre forme. Et c’est en mai1991 que l’équipe de médiateurs commençait son activité.

Médiation directe et médiation pénale

L’originalité de l’expérience des Ulis tient à l’engagement de la municipalité dans la réalisation du projet. Jusqu’alors, les initiatives de médiation émanaient essentiellement des tribunaux et restaient pour la plupart dans le cadre de l’institution judiciaire. Aux Ulis, il y a certes eu l’investissement personnel du Procureur d’Évry, sensible à des expériences comme celle de la conciliation mise en place à Valence par le procureur Apap. Mais cette volonté s’est trouvée confortée et renforcée par la dynamique impulsée par la mairie de la ville en matière d’innovations sociales. La référence à l’expérience de la Boutique de droit de Lyon animée par Jean-Pierre Bonafé-Schmitt est très présente.

De cette confrontation mairie-tribunal est né un projet original : une équipe de médiation qui intervient pour moitié en médiation pénale et pour moitié en médiation directe (médiation dite « de quartier », ou « sociale »).

En médiation pénale, les dossiers sont transmis aux médiateurs par le Parquet qui conserve la maîtrise de la procédure et des suites éventuelles à donner. Lorsque l’autorité judiciaire est saisie d’une infraction, par exemple à la suite d’une plainte, elle peut confier le dossier à la médiation avant toute décision de poursuites judiciaires. En cas de succès de la médiation, si l’accord est conforme au droit, le Procureur décidera alors d’un examen indulgent du dossier, voire d’un classement sans suite. Le cadre juridique de la médiation pénale, toujours sous l’autorité du procureur, facilite le travail du médiateur tout en constituant une certaine pression qui peut aider à l’aboutissement de la procédure. En effet, la personne « mise en cause » est mieux à même de comprendre son intérêt à régler à l’amiable une affaire qui pourrait, sinon, lui occasionner des poursuites.

En médiation directe, les moyens de pression sont moindres. Les personnes viennent de leur plein gré consulter le service de médiation, soit directement au secrétariat, soit lors des permanences tenues dans les deux maisons de quartiers, soit encore par l’intermédiaire du répondeur téléphonique des médiateurs. La médiation intervient avant le dépôt de plainte et n’a de chance d’aboutir que si le conflit n’est pas trop ancien ni trop durci. {{La médiation est d’abord une prévention. Mais aucun dossier n’est simple et derrière un problème anodin de voisinage peut se cacher une accumulation de haine, de violence ou de mal vivre qui appelle une longue période d’intervention sans garantie d’aboutir.

D’une manière générale, la procédure de médiation, pénale ou directe, commence par un contact avec les protagonistes. En cas de médiation pénale, il y a convocation sur la base du rapport de police transmis par le Parquet. Puis les deux parties sont invitées à signer un engagement marquant non seulement leur acceptation de la procédure mais aussi leur volonté de maîtriser leur comportement et notamment d’éviter toute violence. La médiation proprement dite prévoit la rencontre des deux parties séparément puis ensemble pour une discussion directe qui peut déboucher sur la rédaction d’un accord. En médiation pénale, le dossier est alors retourné au Parquet. Dans tous les cas, le médiateur est chargé de suivre l’application de l’accord.

La cohabitation conflictuelle

La plupart des affaires traitées relèvent de la vie de quartier et de problèmes de voisinage (propreté, bruit, agressivité, partage de cave, etc.). On note également des affaires de coups et blessures et des conflits familiaux.

Monsieur X se plaint du bruit que fait son voisin du dessus. Il a bien essayé de lui faire comprendre… sans résultat. Monsieur X vient s’adresser au médiateur, il expose le problème, et la médiation commence. Le médiateur qui prend en charge l’affaire contacte Monsieur Y, le voisin du dessus. Il le rencontre et écoute sa version des faits. Au terme d’une période de négociation, le médiateur va faire en sorte que Monsieur X et Monsieur Y se rencontrent. Un accord de médiation écrit est conclu entre les personnes.

Monsieur Y s’engage à placer autrement les enceintes de sa chaîne stéréo, plus en hauteur, et à en moduler le son. Monsieur X reconnaît à son voisin le droit d’utiliser sa chaîne stéréo dans la mesure où le son est modulé.

La solution n’est pas toujours aussi simple et la procédure peut s’étendre sur plusieurs mois. Le médiateur devra faire preuve de patience et être attentif pour discerner les éléments de solutions qui pourront aider à la résolution du conflit. Le statut des médiateurs des Ulis est précisé dans une charte élaborée au sein du Conseil communal de prévention de la délinquance. Mission, qualités requises, droits et devoirs y sont consignés. Joël Barthélémy, coordinateur du CCPD, participe aux rencontres régulières de l’équipe de médiation. Il est l’un des animateurs du projet. « Pour réussir la médiation, précise-t-il,ce n’est pas d’abord une question de technique et de professionnalisme. Il faut avoir un certain sens de ce que peut être le lien social, bien connaître les relations de voisinage, avoir un intérêt pour la chose publique, et surtout avoir une grande capacité d’écoute. » Les six médiateurs des Ulis sont pour la plupart des cadres qui ont entre 40 et 65 ans, et qui ont l’habitude de la gestion des relations dans leur vie professionnelle.

L’équipe initiale composée de sept personnes a bénéficié d’une formation de quatre jours assurée par Jean-Pierre Bonafé-Schmitt et ses collègues de la Boutique de droit de Lyon ainsi que Daniel Jullion, animateur de l’instance de médiation de Grenoble. Cette formation a été organisée dans le cadre de l’Institut d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM) et du Comité de liaison des associations de contrôle judiciaire (CLCJ). Le contenu de la formation porte à 80 % sur les aspects relationnels et à 20 % sur les notions juridiques. Les deux médiateurs qui ont rejoint l’équipe par la suite ont eux aussi bénéficié de la formation de base. Les médiateurs choisis par une commission qui juge les candidatures, interviennent bénévolement. La procédure de médiation est gratuite. « La faiblesse de l’expérience des Ulis, note M. Barthélémy, c’est que les gens de terrain, milieux associatifs et intervenants sociaux, ne sont pas assez imprégnés de l’expérience. Ils y sont certes favorables mais ne sont pas impliqués. Ce qui fait que la médiation reste trop une prestation de service qui se rajoute à d’autres prestations de service sur la ville. Il y a là un risque de sclérose. La médiation directe risque d’être délaissée pour ne s’en tenir qu’à la médiation pénale, plus facile à mettre en oeuvre et à réussir pour le médiateur, grâce au « parapluie » que peut représenter le procureur ».

Une des solutions qui peut éviter ce glissement est l’investissement de la mairie dans le soutien aux médiateurs. Le sénateur-maire des Ulis l’a compris et il n’hésite pas à être un interlocuteur présent et attentif. La dimension sociale est pour lui fondamentale et ce n’est pas un hasard s’il a choisi, pour monter le projet, de faire appel à Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, juriste de formation, chercheur en sociologie du droit, qui privilégie la dimension sociale de la médiation.

Outre sa participation au financement du poste de coordinateur du CCPD, la mairie apporte un soutien technique à l’expérience de médiation. Il reste à trouver un statut juridique à cette initiative, en créant, pourquoi pas, une association. Les premiers résultats laissent entrevoir que l’impact sur la ville est loin d’être négatif. Les médiateurs ont traité 120 dossiers, plus que ne le pensaient les initiateurs eux-mêmes. On estime de 25 à 30 % le taux de réussite de la médiation, un résultat dans la moyenne. Car comme tient à la rappeler M. Barthélémy : « La médiation n’est pas une solution miracle. C’est une pierre à l’édifice. Pour ma part, je considère la médiation comme un certain frein à la désintégration sociale. Plus qu’une innovation sociale, j’y vois une attitude de résistance face à la désagrégation de la société. » En effet, on ne peut pas dire qu’en France la médiation soit (encore ?) un mouvement social. C’est le plus souvent impulsé d’en haut, à partir des politiques de la ville mises en oeuvre au niveau de l’État.

Le développement de la médiation de quartier demanderait une évolution de l’équipe de médiateurs vers une plus grande diversité sociologique en rapport avec celle des quartiers. Elle suppose également une implication directe des habitants dans la gestion de leur vie, de leur environnement et de leurs conflits. Elle nécessite enfin une prise de conscience de la responsabilité du citoyen dans la gestion des affaires de la cité. C’est à ce prix que la médiation pourra prendre toute sa dimension.

Commentaire

Création d’une équipe de médiation mixte : médiation directe, sociale ou de quartier et médiation pénale. Les deux expériences ont besoin d’une implication directe des citoyens et de l’administration pour réussir.

Notes

  • Auteur : Guy Boubault.